21 - «A celle dont les cheveux libres tombent en arrière» («Eloge à la jeune fille», Segalen)
Ron avait tourné et retourné dans sa tête tous les scenarii possibles pour s'expliquer sa rupture avec Hermione. Il n'avait pas été assez comme-ci, ou trop comme-ça... et il caressait toujours le doux espoir qu'un jour il se sentirait prêt à changer et rendre possible leur histoire. Pour lui, c'était clair : tout était de sa faute à lui. Il était sombre, triste, austère, en colère sans arrêt. Bref, rien de très séduisant. Il se culpabilisait et torpillait une estime de lui-même déjà en ruine.
Mais ce qu'il avait vu samedi venait bousculer toutes ses représentations. Hermione... avec Malfoy ? Alors, il comprit que sa relation avec elle n'avait eu aucune chance d'aboutir : il avait un rival trop sournois, trop manipulateur. Il avait quand même réussi ce tour prodigieux de se faire aimer de la personne qu'il avait harcelé pendant des années. Comment cela avait-il été possible, alors que lui, l'avait toujours soutenue, l'avait toujours considérée à sa juste valeur ? Par quelle malédiction le destin avait-il fait pencher la balance vers le côté sombre ? Alors, il apparaissait que ce n'était plus de sa faute à lui, pauvre petit Weasley qu'il était, mais celle de ce pourri de Mangemort, évidemment capable de corrompre tout ce qu'il touchait, comme une peste noire.
Tout cela lui paraissait juste laid et sale. Lui, devait être bourré de vices et elle, devait être trop pure, trop fragile, trop honnête aussi pour s'en rendre compte. Certes, il devait avoir de l'allure, être beau, intelligent sans doute, doué et habile séducteur : un vrai Diable, un mirage qui perd les voyageurs dans le désert, une sirène. Et alors, Hermione, était en danger. La culpabilité qui le rongeait s'était dissipée comme un nuage de fumée : il était désormais le chevalier devant sauver la princesse du dragon.
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La semaine passa à une vitesse folle. Nous dormîmes le vendredi soir à l'école pour transplaner le samedi matin. Je voulais qu'elle voie le domaine que j'affectionnais tant sous son meilleur jour et je craignais que le découvrir de nuit dans un premier temps ne lui rende pas justice.
Nous devions transplaner à neuf heure, heure à laquelle le sort de protection était levé pendant un quart d'heure pour les élèves majeurs. Toute la classe avait opté pour cette option plutôt que le long et fastidieux voyage en train. Les Serpentards rentraient chez eux pour le week-end et Harry et Ginny se rendaient dans la maison de son parrain. A neuf heures, tout le monde transplana. Alors qu'il ne restait plus grand monde dans la Grande Salle, Hermione me prit discrètement la main sous le regard torve de Ronald. Il avait gardé le secret, étonnamment.
En un claquement de doigt, Hermione et moi, Pattenrond dans ses bras, étions devant le portail du manoir. Je levai les sorts de protection et nous passâmes les grilles. Pattenrond s'agita et elle le posa à terre. Sans plus aucune considération pour nous, il s'éloigna pour explorer les lieux.
La lumière du soleil baignait les murs de pierres grises et se reflétait sur les innombrables fenêtres. Je ne pouvais m'empêcher de sourire à l'idée de retrouver cet endroit auquel j'étais indéniablement attaché. Nous remontions en silence l'allée et j'épiais chacune de ses réactions car j'avais à cœur qu'elle se sente à l'aise dans cet endroit et malgré toutes les précautions que prenait ma raison pour entraver mon cœur, je ne pouvais m'empêcher de la rêver maîtresse des lieux un jour.
Elle parcourut des yeux le vaste volume du hall lorsque nous entrâmes. Je ne lui avais jamais vraiment fait visiter alors, rapidement, nous fîmes le tour du propriétaire. En bas étaient essentiellement des pièces destinées aux personnels : logements, cuisines et arrière cuisine, gardes à manger, blanchisserie et bien-sûr l'immense hall qui me servait de salon quand j'étais seul. Jadis bourdonnant de personnels et d'elfes de maison, aujourd'hui, il était vide, excepté la présence de quelques fantômes timides cachés peut-être derrière les rideaux et les boiseries. Hermione semblait déjà impressionnée par la taille des pièces, alors je ne doutais plus que le reste ferait son petit effet.
A l'étage, elle marqua un arrêt en haut des escaliers, lorsqu'elle arriva devant les baies vitrées qui donnaient sur le parc. Je passai rapidement dans les chambres d'amis et bureaux en éludant soigneusement les chambres de mes parents que je n'avais pas rangées. Elle admirait les nombreuses décorations de stuc et les tapisseries qui habillaient chaque pièce à vivre du château et dont les couleurs fanées luttaient vaillamment pour donner un peu de gaîté aux espaces empreints de morosité.
La pièce qui la marqua le plus semblait être la grande galerie du troisième et dernier étage. Celle-ci, éclairée par de nombreuses baies vitrées, était celle des tableaux de famille. Après avoir admiré le parc, elle sourit en remarquant les nombreux emplacements vides des tableaux injurieux. Les rares qui restaient nous saluaient gracieusement. Hermione leur rendait leur révérence assez gauchement et je ne pus retenir un pouffement.
Enfin, je lui présentais ma chambre. Elle parcourut les livres de ma bibliothèque, tous destinés à l'étude, tous ennuyeux à mourir, et mon bureau, sur lequel traînaient quelques livres de comptes que je n'avais pas pris le soin de ranger à la fin des vacances précédentes. Ensuite, elle admira la vue qui donnait sur le lac puis elle s'assit sur le lit pour regarder les photos que j'avais discrètement accrochées sur le côté de ma table de chevet. Elle sourit.
-C'était au chaudron baveur ? Demanda-t-elle en désignant la photo montrant Blaise et Pansy en train se trinquer.
-Oui, et celle-ci, c'est chez Nott. C'est son père qui nous a pris.
-Théodore n'aime pas les photos ?
-La question surtout, c'est qu'est-ce qu'il aime ? Me moquais-je et elle sourit.
-Est-ce qu'il est vraiment aussi austère qu'il ne le laisse croire ?
Je soupirai, incapable de répondre avec certitude.
-Je pense qu'il s'empêche de beaucoup de choses. Il est toujours inquiet pour tout mais par loyauté, il serait prêt à faire n'importe quoi... un vrai Poufsouffle.
-Comme t'assister dans toutes les bonnes idées que tu as...
-Par exemple, répondis-je en souriant, mal à l'aise.
Cette histoire allait rester. Elle resta un instant pensive en regardant la photo avec Crabbe et Goyle. Je n'avais pas envie de parler d'eux et elle l'avait senti. Finalement, elle m'embrassa sur la joue et sourit. Troublé, me souvenant de notre première nuit ensemble, je me levais.
-Viens, je vais te montrer ta chambre.
Elle parut surprise mais ne dit rien et me suivit. J'avais choisi la plus belle de toute. Je n'avais pas vraiment eu le temps de l'aménager mais je la savais décorée avec goût, d'un style très féminin. Ses tentures étaient d'un bleu pastel et aux murs étaient accrochées des estampes florales. Un paravent en papier de riz cachait l'entrée de la pièce d'eau. Les meubles en bois sombre mais chatoyant de cerisier offraient un contraste agréable à regarder et la large fenêtre donnait elle aussi sur le lac. J'étais convaincu qu'elle y serait bien. C'était l'ancien cabinet de travail de ma grand-mère, Aurora Malfoy, qui était une femme cultivée.
Hermione inspectait la pièce avec intérêt. Elle parcourut les livres de la bibliothèque avec plus d'attention qu'elle ne l'avait fait pour pour ceux de ma chambre. Il ne faisait aucun doute qu'ils devaient être plus intéressants. Je déposais son sac sur une commode et lui proposais de sortir faire une promenade dans le parc. Elle me prit la main et me suivit.
Nous ne vîmes pas passer la journée, occupés à nous promener et à préparer le manoir pour la venue des autres le lendemain, tant et si bien qu'il sonna 19h à l'horloge lorsque nous finîmes enfin nos travaux. Je fis entrer Pattenrond qui miaulait devant la porte d'entrée puis me décidais à préparer le repas à l'aide de quelques sorts rudimentaires que j'avais appris lors des dernières vacances.
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Il regarda Hermione avec circonspection lorsqu'elle installa les couverts face à face dans la largeur de la longue table. Elle comprit qu'elle dérogeait à la tradition. L'étiquette devait vouloir que l'on mange chacun de part et d'autre de la longueur dans un silence de mort ou un truc du genre. Il allait commenter mais elle se précipita pour l'embrasser. Elle n'avait rien dit pour les chambres séparées, qui était un sujet épineux et délicat mais il était hors de question qu'elle renonce à leur proximité lors du repas. Elle ne voyait pas quel mal il pouvait y avoir à pouvoir discuter correctement avec la personne avec qui on partageait son repas : il le faisait bien à Poudlard !
Petit à petit, elle espérait s'immiscer dans les failles des traditions Malfoy pour les faire éclater, les une après les autres. D'ailleurs, il s'avoua facilement vaincu et n'essaya plus de contester. Le repas fut agréable et ils papotèrent de tout et de rien, que ce soit du manoir ou des cours. Le repas passa vite et ils passèrent une soirée tranquille au coin du feu en continuant à bavarder paisiblement sur un sofa. Elle s'était assise sur ses genoux, comme désormais elle faisait souvent, espérant qu'il n'ait pas le cœur de se séparer d'elle pour la nuit. Une boule d'anxiété se forma dans son ventre au fur et à mesure que la soirée avançait. Elle ne se sentait vraiment pas de passer cette nuit seule.
Enfin, vint le moment où ils tombèrent tout deux de fatigue. Jusqu'au bout, elle crut l'attendrir tantôt en éparpillant sur la peau de son visage et de son cou des baisers légers comme des plumes, tantôt en embrassant passionnément sa bouche. Elle sentait bien que cela avait un certain effet sur lui, qu'il essayait de dissimuler comme il pouvait. Hélas, rien n'y fit : il l'accompagna bel et bien à sa chambre. Il baisa chastement sa tempe, lui sourit, et la laissa pour aller dans ses propres appartements. Hermione, complètement défaite, s'assit sur son lit. Elle n'avait même pas le courage de défaire sa valise. Elle se sentait plus seule que jamais, dans ce grand manoir où, désormais isolée, chaque petit bruit devenait suspect. Enfin, elle se rendit à l'évidence et se mit en pyjama. Elle se glissa dans son lit froid et attendit le sommeil, en vain.
Soudain, un grattement contre la porte. Son cœur manqua un battement : ce devait être lui ! Elle se précipita jusqu'à la porte qu'elle ouvrit dans la foulée. Personne. Un miaulement lui fit baisser les yeux. Pattenrond la regardait avec ses grands yeux, attendant qu'elle le fasse rentrer. Déçue mais un peu réconfortée quand même, elle le prit dans ses bras et se dirigea vers la bibliothèque. Quitte à ne pas dormir, autant s'instruire ! Elle prit un livre de botanique magique et le parcourut distraitement en caressant son chat blotti contre elle.
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Je tournais et me retournais dans le lit : le loup-garou était douloureusement déchaîné dans sa cage. J'essayais de me raisonner comme je pouvais mais rien n'y faisait : je ne pouvais m'empêcher de penser à elle et... à tout ce qui pouvait... être relatif à elle. Tout, chez moi, crevait d'envie de la retrouver, de la toucher, de sentir son parfum et sa chaleur, son corps pressé contre le mien et de... Bref : c'était une véritable torture.
Il était hors de question que je la rejoigne : dormir ensemble comme nous avions pu le faire précédemment... Ce n'était vraiment pas l'usage. Je ne pouvais résolument pas lâcher le loup-garou et sa voracité. C'était trop indécent, trop osé, et je ne pouvais y penser sans rougir de honte. Comment de telles idées pouvaient germer dans un esprit sain ? Je devais être malade. Je finis par m'asseoir sur mon lit pour me calmer. J'enfouis mon visage dans mes mains pour essayer de me concentrer.
D'un autre côté, je ne savais pas si c'était une bonne chose de la laisser seule dans ce manoir alors qu'elle y avait passé des moments épouvantables... Est-ce qu'elle n'avait pas trop peur ? Et alors je l'imaginais recroquevillée dans son lit, sursautant à chaque petit bruit de plancher... Et je me sentais coupable. Coupable d'être sujet à des pulsions qui devaient m'empêcher d'être près d'elle quand elle avait besoin de moi. Je me maudissais : quelle idée, aussi, de lui proposer ce séjour ? En plus d'être pervers, je devais être masochiste. Je me levais, en colère, et passais un coup d'eau froide sur mon visage.
Trop indulgent avec ma propre faiblesse, je commençais à chercher une excuse pour la défendre : je me demandais le bien fondé de cette interdiction. Est-ce qu'il était si important, cet usage ? Je l'avais déjà bien outrepassé, rien qu'en l'invitant ici. Et puis, le moment venu, sans doute arriverais-je à... me contrôler... non ?
J'ouvris la fenêtre pour me rafraîchir.
Le fait était aussi que j'étais terriblement angoissé par la chose. Je me rendais compte que j'étais surtout un putain d'ignorant, à peine plus dégrossi qu'un vulgaire garçon de ferme. Tout cela était frappé d'un tel tabou dans ce manoir que finalement, je savais à peine comment... comment on... comment. L'ensemble de mes connaissances ayant été acquises grâce à un vieux manuel de médecine trouvé dans une bibliothèque oubliée du manoir.
Je savais bien qu'il était d'usage, à dix-sept ans, d'aller voir avec quelque argent une paysanne d'une ferme proche pour qu'elle nous enseigne la chose, Bellatrix se moquant suffisamment de mon père à ce sujet, mais cette idée me répugnait profondément. Et, dans mon malheur, j'avais eu la chance de voir la guerre détourner mon père de ce projet.
Le froid vivifiant eut raison de mon état de trouble et je me forçais à rester devant la fenêtre pour me calmer tout de bon. Je devais dormir. Parfaitement refroidi, le corps complètement anesthésié, je fermais la fenêtre pour me coucher aussitôt et m'endormis d'un sommeil que j'espérais sans rêve.
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Il était deux heures du matin et elle n'arrivait pas à dormir, contrairement à Pattenrond qui s'était vite assoupi. Elle était sur le qui-vive, sursautant à chaque craquement, chuintement, grattement, couinement... Il lui semblait même entendre murmurer parfois. C'était une vieille maison, c'était normal, se répétait-elle. Malheureusement, elle savait pertinemment que les fantômes existaient et elle craignait que ceux des Malfoy ne soient pas des plus bienveillants, surtout en son encontre. Elle finit par s'asseoir et saisir sa baguette, au cas où. Heureusement, le feu diffusait une douce lumière qui l'apaisait un tant soit peu. Rassurée par ce contact lisse contre sa paume, elle finit par tomber dans une certaine torpeur puis elle s'endormit d'un sommeil léger.
Mais soudain, un bruit la réveilla. Elle l'identifia directement car il ne lui était que trop familier : c'était le bruit d'une page qui se tourne.
Elle était là, au fond de la pièce, effroyablement belle, assise à son bureau et lisant sa correspondance. Aurora Malfoy. Elle l'avait instantanément reconnue, son portrait accroché dans la grande galerie avait capté son attention. Subitement, le fantôme releva ses yeux gris pour transpercer du regard la jeune impertinente qui s'était appropriée son cabinet de travail. Hermione n'osait bouger. Elle reconnaissait dans ce visage stricte et harmonieux, les traits de Drago.
-Cela faisait bien longtemps qu'on ne m'avait pas dérangée, dit-elle d'une voie glaciale.
-Je vous prie de bien vouloir m'excuser, bredouilla Hermione en se redressant pour s'incliner, quoiqu'un peu gauchement, comme elle supposait qu'on pouvait le faire face à un Malfoy du siècle dernier.
Le spectre la considéra un instant puis se replongea dans sa lecture.
-Toutes les nuits ce sont les mêmes lettres. Et toutes les nuits, j'écris les mêmes réponses. C'est la correspondance que je n'ai pas eu le temps de traiter... Qu'il est ennuyant de mourir, soupira-t-elle.
La femme, qui ne devait pas avoir plus de quarante ans, délaissa à nouveau ses papiers pour porter ses yeux sur l'intruse.
-Et vous ? Que faites vous ici ?
-Je... Madame, je... dors... Madame.
Le fantôme fit une moue peu convaincue très Malfoyesque puis un sourire ironique annonça sa réponse.
-En tout cas vous essayez... Et qui vous a donné l'autorisation de dormir ici ? Oh non : le manoir a été abandonné et vous êtes une squatteuse !?
-Non, non ! C'est Drago qui m'y a autorisée.
-Drago... répéta-t-elle pensivement. C'est vrai que c'est lui le maître des lieux maintenant. Ce n'est pas plus mal. Mon fils ne savait pas gérer le domaine correctement. Des valeurs Malfoy, il n'avait retenu que la fierté, qu'il a perverti en vanité. Il en a oublié ses obligations. Il a traîné le nom de Malfoy dans la boue en s'asservissant à ce Tom Jedusor. Ce sang-mêlé... Les Malfoy ont toujours été forts et indépendants mais avec Lucius, nous sommes passés pour des pleutres, des faibles, incapables de survivre par nous mêmes. Vous vous rendez compte ? Le sang-mêlé s'est attribué notre manoir ! Il était le maître, chez nous ! Nous, des Sangs-Purs ! D'un côté, ça ne m'étonne pas. Dès sa plus tendre enfance, Lucius était un enfant influençable, fragile. Un ventre mou. Au début, je ne donnais pas cher de Drago non plus. Je pensais qu'il serait aussi inapte que son père : dans son éducation, on se préoccupait plus du respect dû à ce Seigneur des Ténèbres de pacotille plutôt qu'aux vraies valeur Malfoy... Des valeurs centenaires ! ...Rompues par l'ambition vaine des hommes !
Elle se leva pour faire les cent pas dans la pièce et reprit :
-Mais je me trompais. Très vite, le petit s'est montré très différent de son père. Alors bien-sûr, il le singeait, il a pris sa vanité, sa vantardise... Mais, vous voyez, tout est dans le regard. Petit, il avait déjà cette détermination dans les yeux, cette défiance. Oh, son père a toujours essayé de corriger cette insolence mais il n'a jamais pu. Et c'est quelque chose que j'ai toujours remarqué : ceux, enfant, qui font preuve de caractère, le conservent à l'âge d'homme . Lui, il sait comment on tient les rennes d'un domaine.
Aurora Malfoy fit une pause pour regarder par la fenêtre. Hermione se demandait si elle lui tiendrait le même discours en sachant qu'elle était une «Sang-de-Bourbe». Il fallait qu'elle se trouve une fausse identité et vite. Après un temps, la femme se détourna de son poste d'observation pour venir s'asseoir sur un fauteuil à proximité du lit.
-C'est moi qui ai décoré cette chambre. C'était mon refuge et cette bibliothèque était la chose qui m'était la plus précieuse. Et je vois que vous la dépoussiérez, sourit-elle en désignant des yeux le manuscrit qu'Hermione avait parcouru avant de s'endormir.
Puis, elle se renfonça dans son fauteuil.
-C'est bien. Vous voyez, mon mariage n'était pas heureux, il avait été arrangé par nos parents avant même notre naissance. Aussi, je ne voulais pas imposer quoique ce soit à mon fils. J'avais bien trop souffert, mais Abraxas n'était pas du même avis. Lucius a eu de la chance dans son malheur : il a fini par tomber amoureux de sa fiancée... ou en tout cas il a réussi à s'en convaincre. Et parce qu'il a été heureux en ménage, il a décidé de perpétrer la tradition. Oh, mais j'y pense, vous devez être la jeune fille promise au petit...? C'était... C'était...
Hermione réfléchit intensément : pas Weasley, car traître à son sang. Bullstrode ? Quand même pas Parkinson ?!
-Abbot, mentit Hermione : elle connaissait bien la famille et serait capable de broder autour.
-Greengrass ! Astoria Greengrass ! s'écria le fantôme en même temps.
Les deux femmes se regardèrent, surprises. Puis Aurora Malfoy eut un petit rire.
-Vous voyez, quand je parle de volonté ! Et soyez-en certaine, Lucius ne réussira pas à vous déloger de la tête du petit, quand bien même les papiers de l'union aient déjà été signés ! Je sais très bien qui est le plus têtu des deux !
Hermione se força à sourire : certes, Lucius Malfoy aurait bien du mal désormais à imposer quoi que ce soit, mais cette histoire de papiers signés l'inquiétait.
-Ne vous faites pas de mouron, ces papiers ont très peu de valeur sur le plan juridique, on ment aux enfants qu'on veut contraindre, en leur faisant croire que tout est réglé mais en réalité ça ne veut rien dire... Abbot alors ? Une famille de Poufsouffle... C'est ce que vous êtes ?
Hermione acquiesça silencieusement. C'est maintenant qu'elle allait devoir être bonne.
-De mémoire, je dirais que c'est la première fois qu'une famille de Poufsouffle s'allie à une famille Serpentard. Ce n'est pas que nous soyons contre, mais, je ne sais pourquoi, les Poufsouffles sont toujours méfiants envers nous... les Serdaigles aussi d'ailleurs... mais les pires sont sans doute les Gryffondors... Plus butés qu'eux, ce n'est pas possible ! Malgré tout, j'ai toujours regretté cette rivalité entre les maisons. Comme je disais à Abraxas : mieux vaut une famille de Gryffondor qu'une famille de Moldus ! Mais lui ne jurait que par les Serpentards.
Hermione eut un petit rire forcé. C'était peut-être pour «ça» que les Gryffondors restaient distants des Serpentards, non ? C'était étrange, cette femme lui inspirait à la fois le dégoût et une sympathie profonde.
-Alors dites-moi, vous avez sans doute choisi une date ? Il s'agirait de ne pas perdre de temps, vous ne savez pas à quel point il est difficile de se constituer un bon trousseau de nos jours. Et, croyez-le ou non, certains moldus sont bien plus adroits que les sorciers aujourd'hui ! Mais je suppose que votre mère s'en occupe déjà...
-Heu... Nous n'avons pas encore prévu...
-Ah non ? S'écria le fantôme. Et pourtant il vous invite déjà ! Ce n'est pas l'usage ! C'est inconvenant, voyons ! Et vos parents qu'en pensent-ils ?
-Mes parents... sont morts, Madame. répondit Hermione en arrangeant la réalité pour plus de commodité.
Aurora eut une expression navrée et se rapprocha du chevet de sa future belle-petite fille.
-C'est donc pour cela que...
Aurora s'interrompit, pensive.
-Eh bien sachez, jeune fille, qu'on ne dort pas chez quelqu'un d'autre que son fiancé. Il faut vous fiancer au plus vite ! Quel âge avez-vous ?
-Dix-huit ans, Madame. répondit Hermione d'une toute petite voix.
-C'est pourtant le temps, il ne faut pas traîner ! Où est votre chaperon ?
-Un chaperon ?
-Oui, quelqu'un qui s'assure que... tout reste correct entre vous...
Elle transperça la jeune femme de son regard.
-Vous n'en n'avez pas, n'est-ce pas ?
Le fantôme s'affala dans son fauteuil, avec un air fatigué.
-Par Merlin, ces enfants ne m'auront rien épargné : entre l'un qui se préoccupe plus de la tradition que Salazar lui-même et l'autre qui ramène sa... maîtresse dans mon cabinet de travail.
Hermione se ratatina sous les couvertures. Aurora Malfoy soupira :
-Que voulez-vous, c'est la jeunesse d'aujourd'hui. Autre temps, autre mœurs, je suppose. De toute façon, c'est lui le maître des lieux maintenant... Libre de vivre dans la pire débauche qui existe... Pas de mariage prévu, pas de chaperon... Et si Amarylis Parkinson savait ce que sa petite fille faisait dans ce manoir, elle aurait enfin une bonne raison de se plaindre de ses vapeurs !
Cette réaction excessive fit discrètement pouffer Hermione.
-Je vous prie encore de bien vouloir m'excuser : je vous promets que je ne viendrais plus vous embêter dans votre cabinet.
-Oh non, j'aime autant que vous restiez. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas parlé à un vivant, cela s'est vu je crois, sourit-elle. D'habitude, je ne suis pas aussi bavarde. Vous êtes une imprudente, mais vous avez ce quelque chose qui montre que vous venez d'une bonne famille... dans vos réponses et la tournure de vos phrases. Et vous avez du goût pour la lecture. Ce sont des qualités que doit avoir la future maîtresse d'Oaksey House. Non, non, vous resterez.
Elle reprit après un temps avec ce sourire moqueur qu'Hermione connaissait bien :
-Et j'aime houspiller les gens, ça me fait me sentir... vivante.
Elle se leva pour regarder par la fenêtre.
-La lune a bientôt terminé sa course. Je vais vous laisser dormir et monter la garde devant votre porte, cette nuit. Je ne sais pas quand je réapparaîtrais... Mais j'espère vous revoir, Miss Abbot... fiancée !
Et elle disparut en passant à travers la porte. Hermione inspira une grande goulée d'air et soupira en se laissant tomber sur son oreiller. Elle ne put s'empêcher de rire : Si Drago passait pour un libertin, elle n'osait même pas imaginer le degré de pudibonderie des autres membres de la famille. Elle mit du temps à se calmer pour enfin se rendormir, étrangement rassurée par la présence d'Aurora Malfoy devant sa porte.
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Je me réveillais en sursaut, glacé. L'aube grise s'était installée et le soleil n'allait pas tarder à se lever. Je compris bien vite ce qu'il se passait : un fantôme venait de me traverser de part en part... et pas n'importe quel fantôme : Aurora Malfoy, terreur de mes parents. Ils avaient essayé de l'empêcher de sortir de son cabinet d'écriture sans succès, mais elle avait fini par s'exiler d'elle même lorsque le Seigneur des Ténèbres s'était installé chez nous. Avec moi, elle avait toujours été sympathique et avait parfois rempli le rôle de confidente.
-Qu'est-ce que j'apprends ?! Vous invitez votre maîtresse sous notre toit ! Je vais disparaître d'une minute à l'autre mais c'est bien assez pour vous faire la morale ! Vous n'avez pas de chaperon ! Pas de date de mariage !
Inquiet, je bondis du lit pour retrouver Hermione, qui avait dû passer un mauvais quart d'heure.
-Elle dort ! Ne la réveillez pas ! J'ai monté moi-même la garde devant sa porte pour m'assurer que personne ne la... dérange, dit-elle en se raclant la gorge.
Elle reprit :
-Il faut vous marier ! Qu'attendez-vous Drago ?
-Je sais bien, mais pour elle ce sera un peu tôt, cela ne fait qu'un mois ou deux que nous nous fréquentons. Elle ne l'acceptera pas...
Je ne savais pas comment formuler le fait que les nés-moldus avaient d'autres... manières de fonctionner.
-Comment ne pourrait-elle pas l'accepter ? Les Abbot sont aussi des sang-purs, ils doivent eux aussi répondre à l'étiquette !
Je restai perplexe un instant. Abbot ? Comme Hannah Abbot ? Sérieusement ? Ce devait être une ruse pour ne pas révéler son statu de née-moldue et je remerciai Merlin de ne pas avoir trahi le secret par ignorance. Mais le revenant ne prêta pas attention à mon expression surprise et continua son monologue :
-Et vous savez, je ne connais aucune jeune fille de bonne famille capable de refuser une demande en mariage faite en bonne et due forme, surtout de celui qu'elle aime ! Elles savent très bien qu'une chance comme cela ne se présente pas deux fois !
-Écoutez, les Abbot sont un peu en avance sur leur temps et ne respectent pas tout à fait ce protocole.
Aurora eut une moue peu convaincue et fit les cents pas devant mon lit.
-Je sais que vous êtes le maître ici, maintenant, mais cela ne doit pas vous monter à la tête. N'allez pas se faire perdre cette innocente jeune fille, qui a l'air très bien par ailleurs.
Je souris à l'idée de considérer Hermione comme une pauvre petite chose fragile. Dans cette histoire, elle était sans doute bien plus au fait que moi et j'avais un peu honte que, de nous deux, ce soit moi la biche effarouchée.
-Je serai prudent, je vous le promets.
Elle eut une moue méfiante.
-Vous, les hommes, ne comprenez pas : si son honneur est perdu, elle n'a plus rien ! Toutes les bonnes familles lui fermeront leur porte et elle finira avec un Sang-mêlé, ou pire !
Je soupirais : ces considérations étaient décidément d'une autre époque mais allez faire comprendre à un fantôme que son monde est dépassé ! Ce petit houspillage dans les règles ne devait pas me faire flancher : demander sa main à Hermione aussi tôt me mènerait à une catastrophe assurée...
-Et le contrat avec les Greegrass, il faut vous en occuper.
Elle me surprit : bien sûr, j'y songeais de temps en temps mais j'avais laissé ça au loin, bien emmitouflé dans du déni.
-Je sais.
-Vous le savez, vous le savez... Mais comment allez-vous vous y prendre ? Il s'agirait de ne pas les froisser.
-Je ne sais pas encore, je m'en occuperais quand nous réfléchirons au mariage.
J'espérais surtout que les Greengrass soient un peu plus évolués que les Malfoy sur la question et que la rupture de ce contrat ne soit pris que comme une formalité qui ne porterait ombrage à personne. Cette réponse ne plut pas à ma grand-mère qui commençait à disparaître avec la lumière du jour. Elle eut tout juste le temps de me rappeler :
-Ne prenez pas cela à la légère, Drago.
Et enfin elle se désagrégea en une fine poudre argentée qui restait en suspension dans les airs et s'éparpillait dans toute la pièce. Je soupirais bruyamment et passant nerveusement une main dans les cheveux.
Voyons, quel était le temps moyen avant de se marier chez les moldus ? J'allais devoir interroger Harry et il allait sans doute me prendre pour un fou. Je savais déjà que lui et Ginny étaient ensemble depuis... deux ans bientôt ? Et ils n'avaient pris aucun engagement de cet ordre, du moins à ma connaissance. D'un autre côté, je savais que chez les Weasley, peu respectueux des conventions, on se mariait tôt : les parents avaient réglé l'affaire quelques mois après la fin de leurs études à Poudlard, Bill et Fleur en un an. Bref, je n'avais aucune idée de quoi faire.
Je me levai, parfaitement réveillé, et me préparais pour la journée.
