24 - «Le Séjour des Ombres et de la Nuit Endormeuse» (L'Enéide, Virgile)

Je baignais dans une obscurité opaque et parcourais des yeux ce profond néant jusqu'à ce que j'entende une voix qui ne m'était pas inconnue résonner : « Vulnera sanentur, sanguis recurrit, caro reparatur ; Vulnera sanentur, sanguis recurrit, caro reparatur ; Vulnera sanentur, sanguis recurrit, caro reparatur ». C'était une voix grave, comme sortie des tréfonds de la terre. Et soudain, au cœur des ténèbres, une étincelle. Cette étincelle se jeta -ou fut jetée- dans un tas de bois que désormais elle éclairait. Le feu prit tandis que je me rapprochais, intrigué. Pendant ce temps, la voix continuait sa récitation mélodieuse.

Le feu ronflait désormais et éclairait trois bons mètres autour de lui. Il était dans une cheminée qui m'était familière et deux fauteuils recouverts de velours sombre se tenaient devant lui. A force d'avancer, je finis par distinguer que quelqu'un, un homme plus précisément, était assis dans l'un deux. C'était lui, sans doute, qui répétait l'incantation. Je fis le tour des deux fauteuils, le cœur battant, brûlant de découvrir qui était le sorcier. J'agissais sans sentir aucune crainte : seule une curiosité impérieuse m'animait, presque contre mon gré.

Mon cœur bondit dans ma poitrine lorsque je le reconnus : c'était Severus, les yeux fermés pour se concentrer. Je continuais d'avancer, jusqu'à atteindre les fauteuils et m'asseoir. Alors même que je m'installais, il se tut et ouvrit brusquement les yeux, me transperçant de son regard. Une moue de mépris et de colère anima son visage.

-Espèce d'idiot, vous n'avez rien à faire ici !

-Professeur, j'ai...

-Taisez-vous. Je sais parfaitement ce que vous avez fait, triple buse ! C'était bien la peine que je m'escrime à vous sauver, puisque vous semblez résolu à mourir !

Il se leva, visiblement furieux, pour faire les cents pas entre les fauteuils et le feu.

-Les dangers de la guerre n'étaient-ils pas suffisants ? Il a fallu vous en créer d'autres ! Vous êtes aussi inconséquent qu'un Gryffondor ! Vous ne valez pas mieux que Potter. Le même égocentrisme, le même orgueil, la même assurance qui vous fait croire que vous êtes invincibles et meilleurs que tout le monde mais finalement, ce sont toujours les autres qui vous tirent d'affaire. Et comme si cela n'était pas suffisant, vous avez hérité tous deux de cette même adoration pour vos incapables de pères, poursuivit-il avec un rictus sardonique, presque amer.

Brusquement, il se tourna vers moi et agrippa les accoudoirs de mon fauteuil :

-Vous étiez sauf ! Cria-t-il avec un air désespéré. Que vouliez vous de plus ?! Vous auriez pu avoir une belle vie mais vous avez préféré suivre vos obsessions ! Vous étiez brillant pourtant. L'un des plus doués de votre génération. Mais il est vrai que je ne vous ai jamais appris qu'on ne peut faire table rase du passé... C'est pourtant du bon sens ! Nombreux sont ceux qui ont essayé d'oublier, d'effacer leur histoire mais cette quête est vaine ! Ils en sont morts ou devenus prisonniers. Il n'y a rien à faire si ce n'est accepter qui on est et réparer ses erreurs. Croyez moi, j'en sais quelque chose !

-Professeur...

Il se redressa, l'amertume dessinée sur son visage.

-Ne prenez pas la peine de vous justifier ! Je vous connais trop bien... Je sais exactement ce qu'il se passe dans votre petit cerveau rabougri.

Il s'arrêta un instant pour contempler les flammes. C'était comme s'il méditait. Finalement, il brisa le silence qui s'était installé.

-Par ailleurs, votre histoire est bien trop semblable à la mienne... Mais vous, contrairement à moi, vous aviez enfin atteint le bonheur... et vous n'avez pas su vous en contenter...

Au ton de sa voix attristée, je compris qu'il s'était calmé.

-Enfin... soupira-t-il en s'asseyant, c'est trop tard pour enseigner maintenant.

Il fit de nouveau une pause puis reprit, la colère ayant totalement disparu de son visage, laissant place aux regrets :

-Tel maître, tel élève. Je crois Drago, que nous étions trop sombres pour le monde des vivants. Nous avons trop souffert. Parfois, je me dis que j'aurais dû vous guider davantage... Que j'ai été aveuglé par l'urgence de sauver Potter et l'envie de boucler ma propre histoire. Et alors, j'ai l'impression de vous avoir abandonné, d'une certaine manière. Mais, en réalité, comment aurais-je pu vous aider ? Comment aurais-je pu vous conduire alors que moi-même j'avais échoué ? Trop égoïstes, trop incertains, trop tourmentés, trop avides, trop perfectionnistes... de vrai poisons pour les autres. Nous ne sommes bons que pour la solitude car nous finirions par faire dépérir ceux qui nous sont chers. Il suffit de regarder jusqu'où cette histoire vous a mené Drago...

Il leva enfin vers moi son regard triste et le plongea dans le mien.

-Allons, il faut être raisonnable...

-Mais professeur...

-Oui, reprit-il d'un ton agacé, je sais qu'elle vous a assuré qu'elle voulait vous soutenir, qu'elle avait envie d'en découdre... et sans doute le pense-t-elle sincèrement, mais si elle doit se battre encore une fois aujourd'hui, c'est uniquement parce que vous n'avez voulu en faire qu'à votre tête. C'est cette obstination, cette incapacité à l'écouter qui finira par l'essouffler, tôt ou tard. C'est certain. Qu'importe le nombre de fois où elle vous dira qu'elle vous aime et vous accepte tel que vous êtes, cela ne vous suffira jamais : vous ne savez pas faire confiance et craignez trop l'abandon. Et c'est justement pour cela que l'on se fait quitter, Drago. Alors, croyez-moi : fuyez. L'espoir est une chose superflue, oubliez-le. On n'en a pas besoin pour vivre. Défaites-vous de toutes ces émotions qui vous paralysent. Ne cherchez pas le bonheur ou la joie mais trouvez satisfaction dans un quotidien simple, libre de tout souci.

Alors que j'allais protester de nouveau, une bourrasque de vent immense nous aspira sans que nous pûmes faire quoi que ce soit. Le feu fut emporté aussi comme une large langue de flammes autour de nous puis s'éteignit. Dans les ténèbres, je croyais entendre «pardonnez-moi» résonner comme un grondement lointain de tonnerre. Alors, j'étais de nouveau seul, flottant dans l'obscurité.

000

Je me trouvais allongé dans une pièce parfaitement blanche, immaculée. La clarté faisait que j'avais du mal à garder les yeux tout à fait ouverts. Ça pouvait ressembler à l'idée que je me faisais du Paradis : un lieu vide, ennuyant et trop propre. Mon corps semblait être coincé entre deux eaux : lourd et léger à la fois. Après un temps, je réussis à distinguer une vague forme qui se tenait à mon chevet. Ce devait être Hermione : sans doute la mort me faisait-elle voir une dernière fois les personnes chères à mes yeux ? Comme par réflexe, je convoquais toute mes forces pour lever mon bras gauche et poser ma main sur les siennes croisées sagement sur ses genoux. Au loin, j'entendais des chuchotements et des bruits de pas.

-Nous n'en sommes pas encore là, M. Malfoy, me répondit un peu sèchement la voix d'une vielle femme.

Je sursautais autant que ne le pouvaient mon corps pesant et mon cerveau embrumé. Je plissais les yeux pour mieux discerner mon interlocutrice.

La vieille McGonagall ? Est-ce que j'allais me refaire toute la salle des profs de Poudlard ?

-Il n'y a que moi qui me suis déplacée, rassurez-vous, me répondit-elle d'un air pincé, comme si elle avait pu lire mes pensées.

-Ne vous perdez pas en remontrances, articulais-je d'une voix pâteuse, le professeur Rogue s'en est déjà chargé.

-Severus...? Comment...

-Professeur, il doit toujours être sous anesthésie... Drago, reprit une voix qui m'était familière, tu n'es plus dans ton rêve.

-Je suis mort ? Demandais-je spontanément.

-Non plus, tu es en train de te réveiller.

Alors, le propriétaire de la voix se pencha vers moi. C'était Nott. Petit à petit des sensations commençaient à habiter mon corps. Ma peau me tiraillait, comme si elle était devenue trop petite pour moi. J'avais faim, soif et pourtant je me sentais nauséeux au possible.

-Hermione ? Réussis-je à articuler malgré l'endolorissement de mon visage.

-Elle est partie dormir un peu. Professeur McGonagall a pris la relève.

Je pouffais ironiquement en mon fort intérieur : j'avais sans doute gagné au change.

-Malfoy, arrête de penser à voix haute.

Je sursautais, encore. J'étais vraiment un cas. C'était simple : je devais arrêter de penser.

-Je vous prie de bien vouloir m'excuser, Mme la Directrice, bredouillais-je, rouge de honte.

Cette fois-ci, j'étais parfaitement réveillé et je pouvais distinguer clairement la pièce dans laquelle je me trouvais. C'était une chambre d'hôpital, sans doute Ste Mangouste. McGonagall était assise à ma gauche, dos à la porte. Elle me regardait d'un air inquiet, ce qui ne lui ressemblait pas. Nott se trouvait à ma droite, les habits froissés, une barbe de deux ou trois jours recouvrait ses joues. Étais-je resté avec Severus tout ce temps ?

-Blaise et Pansy ?

-Ils sont rentrés avec Hermione.

J'avalais difficilement ma salive. Pour moi, la présence de McGonagall ne pouvait dire qu'une seule chose :

-Je suis renvoyé ?

Elle me sourit :

-Pas aujourd'hui, M. Malfoy. Mais je suis navrée de voir jusqu'où votre défiance envers les professeurs a pu vous entraîner... Ne pensez-vous pas que M. Slughorn ou moi-même auraient pu vous aider ? Bien sûr, vous êtes désormais un sorcier expérimenté : on l'est tous après avoir vécu une guerre... Mais j'ose me flatter de l'être un peu plus que vous, sourit-elle.

Je baissais les yeux. Faire confiance ? J'avais dit à Hermione qu'il n'était pas question de cela mais je me trompais. Je réalisais enfin qu'en réalité il ne s'agissait QUE de cela. Severus avait raison : je crois qu'au fond je ne savais même pas clairement ce que ça voulait dire. Peut-être y arrivais-je quand j'étais enfant... Et c'est tout naturel, de croire en ses parents et en les adultes autour de soi à cet âge... Mais quand on a un père qui vous bat et une tante complètement folle, cette capacité à faire confiance, on la perd vite. Et désormais, j'étais adulte à mon tour... et cette défiance ne m'avait pas quitté.

-Je vous prie de bien vouloir m'excuser, professeur, répétais-je, toujours aussi mal à l'aise.

-C'est moi, qui vous doit des excuses, M. Malfoy. Vous n'avez pas eu un parcours de vie facile et en tant que professeurs, nous aurions dû réagir... Mais nous n'avons rien fait... Nous connaissions même vos intentions de tuer Albus et toute la détresse que cela pouvait entraîner. Nous savions tout, et pourtant...

Elle ne finit pas sa phrase et me regardait pensivement. Soudain, une éclair de lucidité me traversa : la marque ! Je levais subitement mon bras à la hauteur de mes yeux : au premier abord, je crus que toute trace avait disparue. Puis, très vite, je remarquais que le dessin avait laissé place au tracé blanc d'une cicatrice nette, légèrement boursouflée. Ainsi, on devinait parfaitement le crâne et le serpent. Bien-sûr, ce devait être moins visible que lorsqu'elle était noire, mais il suffisait de se rapprocher pour ne plus s'y tromper...

-A moi les chemises à manches longues, finis-je par dire pour cacher l'immense déception que je pouvais ressentir.

Le Seigneur des Ténèbres avait pensé à tout. J'avais alors l'impression que jamais je ne serais libre. C'était tellement... ironique.

-Nous avons fait ce que nous avons pu pendant que vous étiez endormi, répondit McGonagall.

-Au moins, sache que tu n'as plus aucune trace de magie noire en toi, Mme la directrice, s'en est elle-même chargée. La marque ne pourra donc plus jamais être réactivée...

-Merci, répondis-je succinctement, pour camoufler les trémolos que l'émotion risquait de donner à ma voix.

McGonagall, feignit de ne rien avoir remarqué. Après un temps de silence, elle finit par se lever en reprenant la parole :

-Bien, je vous laisse vous reposer. Nous nous retrouverons dans une semaine à Poudlard. M. Malfoy, vous viendrez me voir dans mon bureau lundi à 8 heures et demie. Je ne pense pas porter de grands préjudices à votre scolarité en vous faisant louper le cours de potions.

Nous la saluâmes brièvement et elle disparut dans le couloir.

000

Nott était soulagé : ces trois derniers jours avaient été éprouvants mais aujourd'hui, le combat était terminé. Ils avaient vaincu cette chose immonde tapie dans le brouillard et Drago s'était réveillé.

Avançant le premier dans la fumée opaque, éclairant les ténèbres de sa baguette, il l'avait trouvée. Hermione l'avait détruite et dispersé toute la fumée, tandis que McGonagall couvrait leurs arrières. Les autres étaient restés à Ste Mangouste pour s'occuper du malade... et s'assurer que rien ne lui arrivait pendant l'attaque.

A la seconde où la directrice franchit la porte de la chambre, Nott s'affala sur le fauteuil le plus proche de lui.

-Cette fois-ci, c'est toi, qui nous a fait une belle frayeur... soupira-t-il.

Il essayait de puiser dans ses maigres restes d'énergie pour mettre de l'entrain, mais en vain. Malfoy se renfonça dans son oreiller, comme pour se fondre dedans.

-Tu ne veux pas savoir ce qu'il s'est passé ? Demanda-t-il surpris.

-Je ne sais pas si je veux...

-Tu as tort, c'était épique ! Hermione n'est pas héroïne de guerre pour rien ! Et McGonagall directrice de Poudlard ! La... chose, avait pris ton apparence, mais ce n'était pas un épouvantard... Malgré tout, Hermione n'a pas flanché : elle était là pour DETRUIRE ! Elle a essayé tous les sorts possibles et imaginables et finalement, un simple sortilège de désillusion a suffi pour faire disparaître la chose avec la fumée... Tu te rends compte ? Un bête et basique sort de désillusion ! C'était tellement évident que personne n'y aurait pensé, moi le premier ! Personne, sauf Hermione. Et Tom Jedusor... profondément malade mais brillant !

Nott sentit soudain qu'il en avait trop dit : Malfoy allait sans doute culpabiliser ou un truc dans ce genre...

-Et tout le monde va bien ! C'est l'essentiel, non ? Reprit-il d'une voix brisée en cachant du mieux qu'il pouvait ses larmes d'épuisement, mélangées à celles de soulagement..

Hélas, malgré ses tentatives d'optimisme, la mine de Malfoy restait sombre. Un découragement général s'abattit sur Nott : le fait était qu'il n'en pouvait plus et ne se sentait pas de taille à égayer un Malfoy morose...

Cette fois-ci, pourtant, il avait été là, du début jusqu'à la fin de sa quête. Il ne l'avait pas abandonné à son sort. Il avait fait sien son combat et il avait risqué sa vie pour lui. Hélas, son pouvoir semblait s'arrêter là ; il ne pouvait faire plus... car il ne devait tout simplement pas être celui qu'il lui fallait pour lui redonner le sourire.

Malfoy passa ses mains sur son visage, appuyant sur ses yeux, comme pour les clore de nouveau.

Ce geste anodin parut étrange à Nott et mit son esprit sur le qui-vive. C'était bizarre, cette phrase qu'il avait eu «Ne vous perdez pas en remontrances, le professeur Rogue s'en est déjà chargé»... Il devait avoir eu un rêve ? Nott se méfiait de Rogue : il se méfiait de toutes les personnes pouvant avoir un double jeu de manière générale. Que pouvait-il lui avoir dit ? Quels reproches ? Et est-ce que c'était bien Rogue qui lui était apparu ou simplement... l'image de Rogue ? Et si ce n'était que son image, alors qui parlait à travers lui ? C'était trop. Nott avait besoin de repos. Vraiment, vraiment, cette fois-ci, il n'en pouvait plus. Dans cet état, il était inutile. Il s'occuperait de ça plus tard.

Soudain il se remémora Malfoy, invoquant Hermione la nuit où ils avaient fait leur premiers essais. Il s'en était moqué, sur le moment, mais là tout de suite, il comprenait. Abigail. Il avait besoin d'Abigail. Elle seule réussirait à rompre sa solitude de voyageur perdu. C'était décidé, il irait la voir.

000

Nott prit brièvement congé et disparut à mon grand soulagement. Je n'avais qu'une hâte : retourner dans cet endroit confortable avec Severus, c'est à dire quelqu'un qui me connaissait mieux que moi-même et que je ne pouvais pas blesser.

Ici bas, je ne savais pas quoi dire : je me sentais faible, nul, bête, sale. J'étais un gâchis ambulant qui déçoit et qui met en danger les autres.

Hermione... Je l'avais inquiétée et je l'avais faite souffrir... Si ce n'était pas par le maléfice, ce devait être de honte que je devais mourir car tout cela m'était insupportable. Qu'est-ce que je venais de lui faire endurer ? Dans quoi est-ce que je l'avais entraînée ? Elle avait dû retourner dans ce brouillard. Elle avait dû se confronter à cette chose terrifiante, voir mon visage déformé et écouter ma fausse bouche lui vomir des horreurs ! Est-ce qu'il l'avait touchée ? Est-ce qu'il l'avait étreinte comme la fausse Hermione l'avait fait pour moi ? Est-ce qu'il l'avait maintenue dans cette chaleur suffocante ?

Une rage sans limite bouillonnait en moi. Et dire que tout cela aurait pu être évité si je n'avais pas été aussi borné ! Il m'apparaissait alors que c'était vraiment moi dans ce brouillard et qui lui avait fait tout ça ! C'était un déchirement indescriptible qui me prenait les entrailles. J'avais envie de hurler. Je devais la protéger... de moi, de mon obscurité, de mon égoïsme buté et de mon intransigeance chronique.

Alors la honte devenait anecdotique en comparaison du désespoir qui m'écrasait le cœur. Severus avait raison : je devais la quitter. Je forçais mes paupières à se clore en priant Salazar de permettre à mon esprit de quitter ce corps douloureux et retrouver mon ancien maître de potion. Il fallait qu'il m'enseigne encore. Comment fait-on pour vivre sans espoir et sans amour ?

Voyons : l'obscurité, le feu, les fauteuils, Severus. Hélas, c'était peine perdue : rien ne me paraissait aussi réel que dans mon rêve et tout me devenait inconsistant.

000

Hermione venait de se réveiller. Elle se redressa douloureusement sur l'oreiller et frotta ses yeux encore gonflés de sommeil. A côté d'elle, la place vide qu'il avait laissé. En face, la grande fenêtre qui donnait sur le parc. Il devait être dix-sept heures environ... car le soleil semblait se coucher. Les quelques heures de sommeil qu'elle s'était octroyées n'avaient pas réussi à parfaitement la reposer mais l'inquiétude suffisait pour la maintenir éveillée. Ces trois jours avaient été durs.

Elle se leva et se fit couler un bain dans l'antique salle d'eau de la chambre de Drago. Elle enleva son haut et ne put s'empêcher d'inspecter les endroits où l'avait saisit... cette chose. Rien, pas une rougeur, pas une ecchymose. Étrange : elle se souvenait pourtant bien de cette force prodigieuse qui l'avait presque soulevée de terre.

Elle se souviendrait toujours de ce brouillard noir se dressant devant elle et dans lequel elle devait pénétrer. Tout en elle avait crié et s'était affolé, comme si elle courrait à sa perte. Mais elle n'y avait pas prêté attention. Ensuite, l'interminable attente, alors qu'elle ne voyait pas à un mètre, sans repère, si ce n'est Nott qui éclairait le néant avec sa baguette et McGonagall qui marmonnait des formules de protection. Les bruits autour d'elle, l'impression d'être épiée et enserrée par une puissance magique qui dépassait largement la sienne...Tout cela allait la rendre folle.

Elle entra dans l'eau brûlante. Si dans un premier temps, la sensation lui coupa le souffle, son corps finit par s'y habituer. Elle ferma les yeux.

Enfin, pire que tout, ce visage pâle qui subitement avait déchiré les ténèbres. Ce faux Drago, immensément grand et fort, au visage mauvais et aux paroles acerbes à qui elle avait résisté et qu'elle avait combattu. Aucune once de pitié ne l'avait traversée : le simulacre était trop grossier pour la duper. Elle connaissait déjà les horcruxes : rien désormais ne pouvait l'effrayer.

Elle s'immergea complètement et se concentra sur la caresse de l'eau.

Est-ce que c'était normal que rien ne réussisse à le réveiller ? C'était elle qui avait lancé le sort ! Un simple sort d'endormissement... Les médicomages et McGonagall restaient évasifs et cela ne lui plaisait pas.

Et une fois réveillé, comment réagirait-il en voyant la cicatrice ? Merlin, Salazar ou n'importe qui, faites qu'il s'arrête. Faites qu'il s'accepte et qu'il accepte d'être accepté par les autres. Qu'il arrête de se détruire.

Hermione revint à la surface, à bout de souffle. Elle savonna puis rinça son corps et ses cheveux emmêlés. Enfin, elle sécha sa peau encore fumante. En s'habillant de nouveaux habits, elle avait l'impression de faire peau neuve. Pas tout à fait prête pour repartir au combat, mais prête à essayer en tout cas. Alors qu'elle se débattait avec ses cheveux, on frappa à la porte. Elle eut un sursaut : Drago ?

Non. Espoir stupide.

-Entrez.

La porte s'ouvrit sur un Nott fatigué, mal rasé, décoiffé, aux habits froissés. Il y a quatre heures de cela, quand elle l'avait laissé, il ne lui avait pas paru aussi mal en point.

-Ça va ?

-Il s'est réveillé, répondit-il avec un sourire forcé.

-Comment va-t-il ? S'écria-t-elle.

-Physiquement, je crois que tout va bien.

-Et le reste ? demanda-t-elle la bouche sèche, aussi étourdie que si on lui avait frappée la tête.

-Il est... il a l'air... Je crois... C'est à dire que... il semble ailleurs...

Après un silence, il reprit :

-Il nous a dit que Rogue lui avait fait des «remontrances». Je ne sais pas exactement sur quoi cela porte... mais j'ai un mauvais pressentiment... Je n'ai pas la force de m'en occuper. Je vais me coucher.

C'était comme un coup qu'elle aurait reçu en plein cœur.

-J'y vais, répondit-elle pleine de fougue et de détermination.

Elle allait franchir la porte mais il lui barra le passage.

-Quoi qu'il se passe, ne le prends pas personnellement. Je pense juste qu'il est... perdu.

Alors, il s'écarta et elle partit en courant, la boule au ventre qu'elle pouvait ressentir n'arrivant pas à l'alourdir. Elle dévala les escaliers et traversa le hall. A peine fut-elle dehors qu'elle transplana.

Enfin, elle arriva à Sainte Mangouste et se repéra sans difficulté dans les couloirs jusqu'à se retrouver devant la chambre de Drago. Elle frappa trois coups mais on ne lui répondit pas. Après un temps relativement court, n'y tenant plus, elle frappa à nouveau mais elle ne reçut pas d'avantage de signe de vie. Alors, sans plus rien prendre en compte car au bord de la crise de nerfs, elle ouvrit la porte, un peu plus violemment que prévu.

Drago était seul, les mains sur le visage, comme s'il se concentrait. Il ne daigna pas regarder qui venait d'entrer. Elle se rapprocha et posa une main sur son épaule.

-Drago...

Il sursauta et posa enfin sur elle ses yeux aciers. Il sembla réprimer un geste vers elle.

-Nous sommes seuls, essaya-t-elle de le rassurer.

Il parcourut la pièce des yeux. Il reposa son regard sur elle et soudain, il changea d'expression, chargée de détermination et avec elle, une sorte d'infinie tristesse. Son visage dur, fermé, lui rappelait la chose cachée dans le brouillard. Elle reprit, le cœur en lambeaux, presque effrayée :

-Comment tu te sens ?

-Hermione... Je suis désolé...

-Ne t'excuse pas, on savait...

-Hermione, on ne peut pas continuer.

-Continuer quoi ? demanda-t-elle prudemment.

-Nous deux, c'est fini.

-Quoi ? Pourquoi ?

-Parce que je ne suis pas... Écoute, c'est fini, c'est tout.

Hermione sentait la colère embraser son corps en entier tandis qu'un tournis vint lui brouiller la vue. Elle savait que la détresse viendrait plus tard. C'était alors contre ça que Théodore voulait la mettre en garde ? Rogue l'avait sermonné à ce sujet ? Comment, morte, cette personne pouvait-elle encore lui nuire ? C'était à peine croyable ! Mais elle se ressaisit rapidement, ne cédant ni à la panique, ni à la tristesse car s'il y avait bien une chose dont elle était sûre, c'était bien qu'il l'aimait.

-Non. Répondit-elle fermement.

-Comment ça, non ? demanda-t-il, visiblement pris de court.

-Non, répondit-elle plus doucement.

-Mais... si.

-Pas question, reprit-elle en retirant ses chaussures.

-Qu'est ce que tu fais ? demanda-t-il de plus en plus décontenancé.

Il avait perdu son regard inflexible et cela encouragea Hermione.

-J'enlève mes chaussures.

-Je vois bien, oui ! ... Pourquoi ?

Elle ne répondit pas toute de suite. Ses chaussures retirées, elle s'assit sur le lit puis s'allongea. Lui s'était raidi, n'osant bouger. Elle se blottit contre lui, sa tête contre son épaule. Elle retrouvait enfin sa chaleur, son odeur, sa peau : tout ce qui lui avait manqué pendant ces trois longs jours. Tout naturellement, elle posa sa main sur sa joue et la caressait doucement. Lui, n'avait pas la force de la repousser. Il ferma les yeux.

-Tu m'as manqué, finit-elle par dire pour briser le silence gêné qui s'était installé et, après un temps nécessaire pour s'armer de courage, de patience et de combativité, elle reprit :

-Il paraît... que tu as vu le professeur Rogue...?

Il acquiesça silencieusement.

-Qu'est-ce qu'il t'a dit ?

-Il a vu clair en moi : tous les deux, on est pareils.

-C'est à dire ? Chuchota-t-elle.

-Je suis un crétin borné qui... Enfin... je t'ai imposé tant de choses. Mon silence, ma distance, ma rigidité, les fantômes, le brouillard...

-Et tu préfères fuir plutôt que d'apprendre ?

-Apprendre ?

-Oui. Apprendre à... vivre, avec moi dans ta vie.

-Et toi tu vas souffrir jusqu'à ce que je retienne la leçon ? S'énerva-t-il.

Il avait ouvert les yeux et repoussé la main qu'Hermione avait laissé sur sa joue.

-Tu sais tout faire et moi rien, reprit-il. Je suis ton fardeau alors que toi, pour moi...

Sa voix se perdit et il cacha son visage dans ses mains. Il reprit :

-C'est pour ça... que nous deux, ça ne peut pas continuer.

Elle se redressa et retira délicatement les mains de Drago avec, au fond de son cœur, la crainte d'être repoussée une nouvelle fois. Heureusement, il se laissa faire.

-Tu ne te rends pas compte de tout le chemin que tu as parcouru depuis notre première année à Poudlard ! De nous deux, c'est toi qui a le plus appris. Tu sais être là pour moi. Tu m'as écoutée quand j'en avais besoin. Tu m'as fait rire quand je me sentais vide et tu m'aides à garder les pieds sur terre. Tu me vois telle que je suis : pas une héroïne de guerre mais pas non plus une simple fille à protéger. Il y a eu des moments difficiles mais il ne sont rien comparés aux moments de joie ! Parce que je t... Je t-...

Enfin, ce ne devrait pas être si compliqué à dire pourtant ! s'énerva-t-elle en son fort intérieur. Elle inspira un grand coup et fit le vide en elle. Pendant ce temps, il la regardait attentivement, suspendu à ses lèvres, presque surpris.

-Enfin, tu as compris, capitula-t-elle. Tu vois, il n'y a pas que toi : moi aussi j'ai des choses à apprendre. En tout cas, tu comptes trop pour moi pour accepter ton sacrifice. Tu avais raison l'autre soir à l'infirmerie, sourit-elle, se sacrifier, c'est nul.

Il resta figé, comme s'il n'en croyait pas ses oreilles. Lentement, d'une main tremblante, il leva son bras droit et la porta à la joue de la Gryffondor, définitivement vaincu.

-Alors, s'il te plaît, guéris vite et rentrons à la maison.

-La maison ? Tu parles d'Oaksey House ?

-Oui, au manoir. Nous y sommes restés pendant ces trois jours.

-Les fantômes...

-Pas de fantômes. J'ai pris la liberté d'organiser les choses à ma façon... Sans doute pas de manière aussi rigoureuse que tu peux le faire...

Il signifia d'un signe de la tête que ce n'était pas important.

-Est-ce que... tu t'y sens bien ? demanda t-il.

-Oui, sourit-elle. Ce n'est plus... Enfin... Maintenant, c'est un lieu auquel je me suis attaché. Tu l'as tellement transformé et...

-Alors... est-ce tu voudrais en devenir la maîtresse ?

-La maîtresse ? Pourquoi ? Tu te débrouilles très bien pourtant !

La rougeur qui avait gagné les joues de Drago et son regard gêné lui fit comprendre qu'elle avait mal interprété sa question : il n'était sans doute pas question de donner le manoir... La tête lui tourna à nouveau : comment pouvait-on passer d'une rupture à... une demande en mariage ?! C'était trop tôt ! Elle ne savait même pas si un jour elle souhaitait se marier ! Après tout , les fleurs, la cérémonie, la robe et surtout l'assentiment des gens : est-ce qu'ils en auraient un jour besoin ?

Devant son bref silence perplexe, il battit en retraite :

-Pardon, je dois être encore sous l'effet de l'anesthésie ; je dis n'importe quoi !

Il se cacha le visage dans ses mains, rouge de honte. Une nouvelle fois, il se laissa retirer les mains docilement par Hermione.

-Ce n'est pas un non catégorique. Pas maintenant, un jour peut-être. Mais ça ne change rien pour nous.

Et, sentant une ouverture, elle se pencha lentement sur lui et l'embrassa de la manière la plus simple et sincère qui soit et il y répondit tout aussi tendrement.

Bien vite, la fin des visites arriva. Il ne devait sortir que dans deux jours. Elle dut le quitter à regret en lui promettant bien de revenir le lendemain.