Journal de la revieweuse

Lilinnea: Lol. Ah oui, effectivement, si Ysée avait été une androïde, ça aurait été un sacré plot twist XD Mais non, je confirme qu'elle est bien 100% humaine. Mais alors, pourquoi un tatoo lié aux androïdes? Hé hé hé! Plein de potentielles hypothèses mais je me targue de penser qu'il sera impossible en l'état de trouver la raison exacte.
Les rapprochements vont augmenter entre eux et il fallait bien commencer quelque part. Maintenant qu'Ysée a un minimum confiance en Reis, ce sera plus simple pour elle de se laisser aller. She fell first but he fell harder.

On continue tranquilou.


CHAPITRE 11 - DE TOUTE URGENCE

Cette nuit-là, les algorithmes de Reis s'attardèrent longuement sur la présence d'un tel tatouage sur la peau d'Ysée.

En premier lieu, il avait essayé d'associer la forme qu'il avait vue à un autre symbole mais après quelques recherches, le doute n'était plus permis. C'était bien un dessin de LED androïde dans la nuque de la jeune femme. Ce n'était pas une erreur.

Pourquoi Ysée portait-elle ce type de dessin à l'encre indélébile ? Bien qu'elle n'eût jamais démontré d'animosité envers les robots, Reis avait toujours perçu un sentiment étrange chez sa protégée sur ce sujet. Ni de la peur, ni du ressentiment, ni du malaise. Ysée avait toujours simplement évoqué sa tendance à associer les robots à des vraies personnes du fait de leurs traits réalistes et disait ne rien avoir contre eux mais de là à se faire tatouer leur signe de reconnaissance ? Le sens de ce dessin était un mystère.

En soi, ce n'était pas une chose répréhensible. Ysée était majeure et libre de faire ce qu'elle voulait. Nonobstant cela, il ne parvenait à se défaire d'une drôle d'impression par rapport à tout cela. Ce tatouage le travaillait et il ne pouvait se l'expliquer.

Ce fut donc avec le projet d'en apprendre plus que Reis laissa la nuit filer, entre deux souvenirs d'accords mélodieux de musique sans paroles et le souvenir du sourire discret de son énigmatique protégée.

Hélas, le petit-déjeuner du lendemain matin ne semblait pas être un bon moment pour s'atteler à une enquête. C'était avec près de vingt minutes de retard, le teint pâle, les traits brouillons et une mine fermée qu'Ysée descendit l'escalier. Même les ronronnements bruyants de Siam qui était heureuse d'avoir enfin de la compagnie ne la déridèrent pas.

« Tu as une mine épouvantable, déclara Reis en inspectant l'humaine qui s'installait difficilement sur un tabouret du comptoir. Que se passe-t-il ?

_ C'était l'enfer, gémit la jeune femme en laissant sa tête tomber entre ses bras sur la table. Je crois que j'ai mangé un truc qui n'est pas passé. J'ai été mal toute la nuit...

_ Veux-tu que j'appelle un médecin ? »

Elle secoua lentement la main en signe de négation. Elle avait pris des cachets dans la pharmacie de Nell ; il n'y avait qu'à attendre que ça agisse. Reis respecta sa volonté et l'aida en lui préparant son café, non sans être un peu inquiet malgré tout.

« Vas-tu quand même travailler ? interrogea-t-il en jaugeant la petite mine d'Ysée.

_ Il faut bien. Je vais serrer les dents, le temps que ça passe.

_ Ce genre de choses t'arrive souvent ?

_ Non, j'ai une très bonne santé. C'est rien. C'est juste un aliment frelaté. Laissons ma machine interne faire son travail et ça ira mieux, assura-t-elle en lui adressant un petit clin d'œil de connivence. Mon système de reboot est juste un peu plus lent que le tien. »

L'androïde lui rendit le sourire qu'elle lui offrait pour le rassurer puis la laissa boire son café tranquillement. Il ne serait pas bienvenu d'ennuyer Ysée avec des questions, et encore moins avant son travail.

Hélas, la suite de la matinée ne s'annonça guère plus clémente pour la jeune opératrice qui se donnait beaucoup de mal à donner le change au téléphone pour garder une voix affable qui ne laissait pas transparaître l'inconfort grandissant qui la tenaillait.

À peine deux heures après le début de sa prise de poste, Ysée termina son dernier appel entrant et modifia son statut en Indisponible pour se recroqueviller sur la table avec un soupir. Une seconde après, Reis avait quitté les hauteurs de la mezzanine et la rejoignait. Son état empirait.

« Viens t'allonger un peu sur le canapé », lui proposa-t-il.

La jeune femme retint un grognement et se défit de son micro-casque. Dès qu'elle se remit debout, elle étouffa une exclamation et se cambra, les bras croisés sur son ventre.

« Ysée ? s'alarma Reis en la soutenant pour qu'elle ne s'effondre pas.

_ Ah ! Ça me lance trop ! » gémit l'humaine entre ses dents.

L'androïde attrapa l'humaine dans le dos et derrière les genoux et la souleva pour la déposer dans le sofa. Il posa ensuite la main sur son front. Elle était un peu chaude mais rien de bien alarmant.

Il fronça un peu les sourcils. En revanche, cette façon qu'elle avait de se recroqueviller encore sur elle-même l'interpellait bien davantage.

« Ysée, as-tu déjà été opérée de l'appendicite ? »

L'interpellée écarquilla les yeux dans sa grimace de souffrance.

« Quoi ? Non...

_ Faible fièvre, vives crampes à droite du ventre que tu ne soulages qu'en repliant tes jambes contre toi... Tu as tous les symptômes.

_ Hein ? Mais je n'ai jamais fait de crises avant, se défendit Ysée avec malaise.

_ Désolé, mais je ne prendrai pas le risque que tu fasses une potentielle péritonite. J'appelle les urgences. »

Si elle n'avait pas un marteau-piqueur qui était en train de s'évertuer à matraquer sa fosse iliaque, elle aurait voulu répliquer. Seul un grondement sinistre filtra entre ses dents serrées par le mal pendant qu'elle s'enroulait dans un plaid tout en maintenant une position fœtale qui minimisait la douleur.

Quand ses yeux se posèrent sur son ordinateur encore allumé, Ysée prit peur. Et son travail ? Elle avait largement dépassé son temps de pause réglementaire. Elle ne pouvait pas...

Le corps de Reis qui venait s'agenouiller près d'elle obstrua sa vue et ses pensées angoissées.

« Détends-toi. Je m'occupe de tout, lui assura-t-il avec apaisement.

_ Si ça se trouve, c'est rien du tout. Tu ne dramatises pas un peu ? bougonna-t-elle en réprimant une nouvelle grimace.

_ Non. C'est toi qui minimises encore trop. »

Elle fit la moue et baissa le nez, vaincue. De toute façon, elle était clouée sur place.

Ce ne fut qu'à l'arrivée de l'ambulance qu'Ysée réalisa à quel point Reis avait été efficace. En plus d'avoir pu gérer son départ inopiné auprès de son travail en prévenant ses collègues et sa manager directe, l'androïde avait même préparé un petit sac d'affaires au cas où il était en effet nécessaire d'aller à l'hôpital. Il se chargea aussi de rapporter aux secouristes avec précision les symptômes qui tendaient bel et bien vers une crise d'appendicite.

Ysée eut un nouvel élan de panique alors qu'elle se faisait installer sur un brancard et qu'on lui demandait si elle avait quelqu'un à prévenir.

« Je... Mes parents habitent loin et ma sœur est... » Elle écarquilla les yeux, un peu blême. « Ah ! Siam ! Non, je ne peux pas aller à l'hôpital ! J'ai un animal à m'occuper ! Comment je vais...

_ Ne t'inquiète pas pour Siam, tout va bien, la rassura Reis. Je m'en chargerai. »

La jeune femme alterna frénétiquement entre lui et les brancardiers qui terminaient de la sangler au brancard. Cette situation bouleversait sa bulle de tranquillité et la perspective d'aller rejoindre un hôpital ne lui plaisait pas du tout. C'était aussi dans ce genre de cas de figure qu'Ysée estimait qu'elle était encore loin d'être une adulte accomplie. Entre son ventre en miettes et ses angoisses, elle peinait à garder son masque de contrôle.

« Reis. »

Sa main attrapa le poignet de l'androïde à ses côtés.

« V... Viens avec moi. S'il te plaît. Je... » Sa voix s'étriqua entre douleur et une forme de honte. « Je n'ai personne. »

Reis fut saisi de la dichotomie entre le violent désespoir qu'elle cherchait à dissimuler dans sa voix et la faiblesse de sa poigne ; à croire qu'elle s'interdisait de le retenir. Mais dans le bleu-vert de ses yeux, il lisait avec clarté la peur qu'elle hurlait d'être toute seule. Cette fragilité subite ne fit que générer une nouvelle injonction en lui : il ne pouvait pas abandonner Ysée.

Il consulta du regard les brancardiers qui lui rendirent un hochement de tête d'approbation. Sans perdre une seconde, Reis leur emboîta le pas et monta à son tour dans la camionnette pour s'installer aux côtés d'Ysée.

Le soulagement de cette dernière n'aurait pu être plus flagrant. Incapable de regarder tout ce matériel médical effrayant autour d'elle, la jeune femme reporta son attention sur son accompagnateur pendant que l'on pratiquait sur elle une prise de sang. Les piqûres. La bête noire de beaucoup de gens mais chez elle, c'était pire. Heureusement pour elle, le personnel médical qui s'affairait autour d'elle – humain ou androïde – était très avenant et rassurant.

« Veux-tu que j'appelle Nell ou tes parents ? proposa Reis pour détourner son attention.

_ Non. Pas tant que rien n'est sûr.

_ Vous êtes pourtant bien partie pour une appendicite, fit remarquer l'infirmier androïde qui scrutait les résultats d'analyses sanguines. Augmentation des globules blancs, CRP élevée, et, permettez-moi... »

Il se pencha pour palper le ventre de la jeune femme qui réagit aussitôt par un mouvement de crispation soudain doublé d'une plainte vive.

« Et douleur bien localisée, s'excusa-t-il avec un sourire désolé. On vous fera quand même une analyse d'urine à l'hôpital pour écarter la cystite. Ne bougez pas, le temps de vous mettre sous perfusion. »

Ysée perdit encore plus de couleurs et son cerveau la lâcha au point de lui faire oublier un instant la douleur. Une... perfusion.

« Ça va aller, lui chuchota Reis qui avait décelé sa phobie. Tu as tenu bon pour la prise de sang.

_ Mais garder une seringue dans le bras de façon continue, ce n'est pas pareil, siffla-t-elle avec angoisse. Ça me crispe complètement. »

Elle réprima un frisson d'angoisse à la pensée d'avoir une aiguille plantée sous sa peau et de la sentir pendant un mouvement du bras. Elle se connaissait. Si elle stressait trop, elle allait en faire un malaise vagal. Or, il n'était pas question de faiblir ni en face de Reis, ni face aux infirmiers - quand bien même ils en avaient vu d'autres dans leur métier.

Nouvelle bouffée de stress lorsqu'Ysée osa jeter un œil vers l'infirmier androïde qui préparait sa perfusion. Elle détourna la tête vers Reis.

« Aide-moi, je t'en prie. Il ne faut pas que j'y pense. N'importe quoi. Mon cerveau doit faire un blanc. »

L'androïde demeura un instant interdit entre ses pensées puis il se redressa et se pencha tout à coup vers la jeune femme. Son visage s'arrêta à quelques centimètres de celui d'une Ysée pantoise. Figée par cette soudaine proximité, elle ne put que se perdre dans les nuances de vert et de noisette des iris de Reis qui soutenait aussi son regard sans ciller. Elle sentait même son souffle artificiel sur sa peau. La notion de temps se brouilla.

« Et voilà. Ça vous gardera hydratée le temps des analyses complémentaires », annonça la voix de l'infirmier.

Reis reprit sa place initiale tandis qu'Ysée sentait qu'on lui appliquait un sparadrap quelque part au-dessus de son poignet pour maintenir sa perfusion fraîchement installée. Elle était encore incapable d'associer des mots ou des phrases intelligibles à ce court-circuit qui parasitait son esprit.

Sa torpeur prit fin et l'angoisse du concret revint à elle lorsque l'ambulance arriva aux urgences. Tout se passa ensuite très vite et Ysée vit son brancard s'éloigner rapidement dans un couloir blanc à l'odeur de désinfectant tandis que la silhouette de Reis se faisait de plus en plus petite au loin.

« Tout ira bien. Ne t'inquiète pas. »

Tels furent les derniers mots qu'elle put l'entendre dire avant de disparaître au détour d'un virage.


Ysée promena une nouvelle fois son regard dans la chambre blanche et déprimante dans laquelle elle avait été laissée pour se préparer en attendant son opération. Ses examens complémentaires avaient confirmé le diagnostic et la violence de la crise laissait planer le risque de péritonite aggravée. Il fallait qu'elle se fasse opérer dès que possible pour éviter d'empirer la situation avec un début de nécrose.

Elle réprima une nouvelle supplique douloureuse. Entre son ventre qui la broyait de l'intérieur au moindre mouvement et son bras raide qui reposait sur son lit pour ne pas faire bouger sa perfusion, elle était cernée de mauvaises sensations.

On toqua. C'était sans doute une infirmière.

« Entrez. »

La porte s'ouvrit et ce fut le visage de Reis qui apparut dans l'encadrement. Sans comprendre pourquoi, Ysée se ratatina un peu dans son matelas.

« J'ai terminé les formalités d'admission à l'accueil, annonça l'androïde en déposant sur un petit meuble le sac d'affaires qu'il avait préparé. J'espère que tu ne m'en veux pas d'avoir eu à prendre ton portefeuille mais j'avais besoin de ta carte vitale. Je te promets que je n'ai touché à rien d'autre.

_ Pas... de souci... »

Elle l'observa ranger dans une armoire son sac à main sans vraiment le voir. Son cerveau reprenait du service et tournait à plein régime. Le gros plan des iris de Reis lui matraquait la vue ainsi que l'interrogation de se demander ce qu'il s'était passé à ce moment-là dans l'ambulance.

Reis alla s'asseoir sur la chaise au chevet de la jeune femme.

« Pour ton arrêt de travail, c'est aussi géré, la rassura-t-il, tout sourire. Tu n'as pas à... »

L'androïde remarqua le regard étrange de sa protégée vissé sur lui et se reprit aussitôt.

« Ah ! Excuse-moi, je te parle d'administratif alors que ce n'est vraiment pas le moment. Comment tu te sens ? Ça va ? As-tu besoin de quelque chose ? »

Ysée le dévisagea d'un air perdu. Il avait l'air normal, comme il était depuis le début ; à croire qu'elle était la seule imbécile à avoir été émue par un simple visage près du sien. En même temps, un androïde ne pouvait pas être troublé par quoi que ce soit. Si ça se trouve, il n'avait fait ça que pour la surprendre, un peu comme si elle avait eu le hoquet. Oui, ce devait être ça. Rien de plus.

Bien qu'encore un peu troublée, la jeune femme se laissa contaminer malgré elle par la bonne volonté qui lui faisait face. Savoir qu'elle n'était pas complètement seule dans ce moment compliqué et que tout avait été géré à côté était un incommensurable réconfort pour la grande angoissée qu'elle était.

Son sourire se suspendit quand on toqua à nouveau à la porte et l'un des brancardiers de l'ambulance entra à son tour dans la chambre.

« Votre taxi pour le bloc est avancé, sourit ce beau brun humain qui devait approcher la trentaine. Le trajet ne sera pas long mais je suis toujours content d'avoir cinq étoiles pour mes prochaines courses. »

Ysée ne parvint pas à rire franchement de sa plaisanterie ; seul un faible gloussement maladroit franchit ses lèvres un peu pincées par l'appréhension. Elle se tourna d'instinct vers Reis qui répondit à son appel à l'aide par un hochement de tête assertif. Elle l'imita et se raccrocha au vert de ses yeux jusqu'à quitter la chambre.


Sa tête était de plomb et son corps était à la fois mou et pesant, figé dans une sorte de cotonnade psychique qui lui empêchait le moindre mouvement. Son esprit mit un long moment avant de commencer à capter des bribes de sons au milieu de la bouillie auditive qui lui parvenait.

Elle esquissa une amorce de geste en cherchant à étirer ses jambes et eut pour seul retour une pointe acérée lancinante au-dessus de sa hanche droite. Elle battit lentement des paupières. Sa vue n'était que flou. Certes, sa myopie rendait déjà le monde flou en temps normal mais là, c'était pire.

« Ysée ? »

Elle tourna la tête vers cette voix qu'elle reconnaissait, à défaut de distinguer les traits du visage au-dessus du sien.

« Maman... »

Ysée se força à cligner de façon plus marquée pour espérer s'extirper plus vite de son état comateux.

« Ne force pas, tu es encore en phase de réveil. Tu es revenue il y a environ trente minutes. »

La jeune femme balaya sa chambre du regard, du moins ses contours sans forme. Derrière sa mère, elle entrevoyait Reis qui discutait avec son père. L'androïde sentit le regard de sa protégée sur lui et s'excusa d'un haussement d'épaules et d'un sourire désolé.

« Je ne pouvais pas ne pas les prévenir... »

Ysée n'eut pas la force de relever. Même en sachant que ses parents n'habitaient pas la porte à côté, elle n'était pas du tout surprise de les voir débarquer à son chevet.

Ray et Carol Wiley étaient de très bons parents qui avaient fait en sorte que leurs deux filles ne manquent de rien mais à cause du caractère trop indépendant de Nell qui les avait empêchés de vraiment profiter de leur fille aînée, ils avaient pris un mauvais contrepied avec leur fille cadette introvertie au point d'être devenus de vrais parents-hélicoptère un brin étouffants.

« Tu as mal, ma chérie ? L'infirmière a dit que s'il te fallait plus de morphine... commença Carol dont le lointain accent américain avait perduré en dépit des années sur le sol français.

_ Oh, god... Maman... gémit Ysée en renversant la tête dans son oreiller. Je suis à peine en train de me rappeler qui je suis... Il n'y avait pas besoin de faire tout ce chemin. Je ne suis pas à l'article de la mort.

_ C'était avant de te savoir entre de bonnes mains. Ce Reis semble très bien s'occuper de toi. »

La jeune femme eut un regard pour l'androïde qui réfuta humblement en expliquant simplement que c'était son rôle. Et elle devait reconnaître que, quel que soit son rôle réel, il avait fait bien plus qu'elle ne l'aurait pensé.

« Oui. Il a... très bien géré », concéda-t-elle d'une petite voix.

Durant cette visite pendant laquelle Ray et Carol restèrent au chevet de leur fille pour lui tenir un peu compagnie, Reis apprit de nouvelles choses concernant sa protégée rien qu'en restant en retrait à observer.

Tout d'abord, sa mère était très certainement une des principales causes de la timidité d'Ysée. Carol était une femme très aimante et dévouée envers sa fille, c'était indéniable, mais sa volonté de bien faire se muait vers une forme d'oppression inconsciente qui écrasait encore plus la jeune femme déjà peu flattée par son ego. Hélas – sans grande surprise - Ysée semblait peiner à s'exprimer pour mettre des limites et canaliser sa mère ; ce qui n'aidait en rien. Elle savait que sa mère ne pensait pas à mal et ne savait comment la reprendre sans devenir trop cassante.

Enfin, concernant son père, Ysée entretenait avec lui une relation assez étrange. Quand la jeune femme lui avait dit que son père n'était pas un homme expressif, Reis ne pensait pas que c'était à ce point. Le dialogue était bancal entre père et fille, tout comme le reste de leurs interactions paraissait hésitant et maladroit. Ray Wiley était heureux de voir sa fille en bonne santé mais le dialogue peinait à s'installer et, quand Ysée ne relevait pas, elle relançait l'échange avec son père sans naturel, comme si elle ignorait quoi lui dire. Malgré tout, l'amour du père pour sa fille était palpable au travers de ses sourires et à la façon dont il s'inquiétait pour elle.

Une autre lumière s'alluma alors dans l'esprit de Reis. Difficile pour Ysée de s'exprimer comme elle le voudrait avec ce genre de parents, aussi gentils étaient-ils. Entre une mère surprotectrice et un père mutique, rien ne lui facilitait la tâche.

Environ une heure et demi plus tard, Reis comprit qu'Ysée commençait à ressentir le besoin de retrouver sa bulle de tranquillité quand elle demanda à ses parents s'ils restaient en ville pour plusieurs jours.

« Non. Nous voulions juste voir comment tu allais, répondit son père. Le médecin a dit que ton appendicite a été prise à temps. Si tout va bien, tu pourras sortir d'ici quarante-huit heures. »

L'androïde s'engouffra dans la brèche pour venir en aide à la jeune femme.

« Soyez tranquilles, monsieur et madame Wiley. Je veille sur Ysée.

_ C'est ce que nous voyons, sourit Carol avec contentement. Nous allons te laisser te reposer. Courage, ma chérie. Tu nous appelles quand tu rentreras ?

_ Promis, répondit Ysée pendant que sa mère l'embrassait. Merci d'être venus et bonne route.»

Reis laissa Ray embrasser aussi sa fille et raccompagna les époux Wiley à la porte en leur promettant une dernière fois qu'il s'occuperait bien d'elle.

Quand le silence retomba enfin dans la chambre, il hésita et se tourna vers Ysée.

« Veux-tu que je te laisse aussi ? »

Elle secoua lentement la tête en réprimant un long bâillement de fatigue.

« Tu ne peux pas être plus anesthésiant que mes parents-poule. »

Voilà une drôle de façon de répondre « Non». Mais c'était Ysée... L'androïde referma la porte et gratifia l'alitée d'un visage réjoui.

« En tout cas, mes félicitations. Les murs de l'hôpital tiennent encore debout. Tu as su dépasser tes peurs.

_ Ouiiiii! railla-t-elle gentiment en secouant sa main valide au-dessus de sa tête en signe de victoire. Je suis une femme adulte, forte, indépendante et qui n'a pas osé remuer le bras droit depuis des plombes parce qu'elle a une aiguille plantée dans le poignet. »

Elle pouffa un peu. En même temps, sa trop grande maîtrise lui aurait interdit de hurler à pleins poumons comme quand elle avait cinq ans, quand bien même elle en aurait ressenti le besoin.

Être à nouveau entourée par un peu de calme lui faisait du bien. Elle pouvait enfin se poser un peu et apaiser son esprit agité. Une fois encore, Reis avait été d'un secours salutaire en parvenant subtilement à tempérer les assauts inquiets de sa mère. En fait, il avait vraiment été parfait sur toute la ligne.

« Re... »

Ysée n'eut le temps de formuler les remerciements qu'elle préparait dans son esprit car l'androïde venait juste de lui tendre son téléphone portable ainsi que ses écouteurs.

« Ton kit de survie », lui présenta-t-il avec une simplicité désarmante.

Elle cilla de douce surprise. Ce n'était pas de la moquerie ou de l'ironie. Non. Il lui donnait ces objets comme il aurait proposé une boisson chaude ou une autre source de réconfort à quelqu'un qui n'était pas bien. Il avait vraiment pensé à tout.

La jeune femme se sentit étrange. C'était bien la première fois que quelqu'un la cernait avec autant de précision et sans arrière-pensée de surcroît. Décidément, Reis ne cessait de la prendre par surprise ; elle qui ne s'attardait jamais sur les autres. Elle qui fuyait le monde pour se cacher. Comment faisait-il pour la regarder sans qu'elle en soit mal à l'aise et surtout, comment faisait-il pour la voir aussi bien ?

Elle accepta avec un sourire reconnaissant et enfila une oreillette tandis qu'elle laissait la deuxième à Reis. Il accepta avec plaisir, ainsi que la place qu'elle lui faisait en se décalant un peu sur le côté du matelas. Il s'assit et s'adossa contre la tête de lit pour laisser la musique l'envahir.

Deux chansons et sept bâillements difficilement réprimés par sa voisine plus tard, il lui fit remarquer qu'elle ferait sans doute mieux de dormir un peu. Elle sortait quand même d'une anesthésie générale, même si l'opération n'avait pas duré longtemps.

« Oui, maman... », répliqua Ysée qui papillonnait de plus en plus des paupières.

Bien sûr, cela ne rata pas. Elle s'assoupit moins d'une minute plus tard, la tête retombée contre le bras de Reis. Il roula un peu des yeux de dépit. Même dans un lit d'hôpital, elle voulait garder la tête haute.

L'androïde s'occupa de lui retirer avec précaution ses lunettes pour les poser sur la table de chevet et l'observa un peu dans son sommeil. Voilà au moins un moment où il savait qu'Ysée ne réfléchissait pas et était au calme avec elle-même ; cette pensée le réconfortait.

Il sourit malgré lui. Cette humaine qui l'avait mis en marche n'était pas une cliente facile et avait une trop forte tendance à faire l'anguille. Mais ce silence qu'il y avait entre eux en cet instant... il l'appréciait et le trouvait plaisant.

À son grand étonnement.


Sont meugnons.

Prochain chapitre, une petite révélation sur Ysée. Trois fois rien mais ça fait partie de ses quelques mystères.