Journal des la reviewers
Lilinnea : Oui, Ysée est une grande stressée et beaucoup de gens sont touchés par ce triste phénomène parfois très handicapant.
Pour le MMORPG, je l'ai « inventé » mais disons qu'il garde les bases classiques du genre. J'ai juste créé des petits détails par-ci par-là comme des classes ou des races.
Les musiques de WoW sont les meilleures *_* Je ne saurais que te conseiller Anduin's Theme, Invincible, Arthas My Son, Talador Music entre autres qui sont des bangers émotionnels pour moi.
Guest (chap 1) : J'ai reçu ta review en retard, désolée de ne pas avoir répondu avant. Si tu as continué l'histoire, j'espère que tu y trouves ton compte (et vive les ragdolls, les plus adorables boules d'amour du monde ^^)
Maintenant qu'Ysée accepte d'être moins sur la défensive, Reis va pouvoir commencer à découvrir de nouveaux aspects d'elle.
CHAPITRE 7 : LOIN DES YEUX, PLUS PRÈS DU CŒUR
Quand elle descendit le lendemain matin pour son petit déjeuner, Ysée trouva Reis dans le salon, installé dans la lecture des livres de psychologie de Nell. À l'évidence, il était très consciencieux dans son désir de mieux saisir les nuances du psyché humain et ce passe-temps était toujours plus utile que de rester en veille.
En entendant l'humaine arriver, l'androïde referma son ouvrage et se leva.
« Bonjour. Bien dormi ?
_ Bof. J'ai eu froid toute la nuit, se plaignit Ysée en se frottant un peu les bras. Je ne suis pas habituée à la clim aussi basse. Je surveille celle de mon appartement pour faire des économies mais là, je commence à la trouver trop fraîche.
_ Je m'en occupe », se proposa Reis en se dirigeant vers l'écran dédié à la domotique.
Il approcha du panneau et y posa la main. Sa peau s'écailla doucement pour se défaire de son revêtement de chair et ne laisser qu'une main immaculée brillante qui fit biper l'appareil.
« La climatisation est actuellement sur vingt-deux degrés, informa-t-il. On va essayer vingt-quatre pour commencer et on ajustera au besoin. Ça te va ? »
Intrigué de ne pas avoir de réponse, il se tourna vers Ysée dont le regard s'était attardé sur la main robotique de Reis. Elle papillonna de surprise quand elle fut prise en flagrant délit de rêvasserie et approuva la suggestion qui lui était faite.
« Ta main. C'est... Je trouve ça... voulut-elle se justifier en cherchant ses mots face au regard interrogateur de Reis. J'ai toujours été curieuse de savoir comment vous étiez faits. »
Pour toute réponse, l'androïde lui présenta sa paume blanche dénudée avec un sourire engageant. Ysée alterna entre cette main et lui d'un air hésitant avant de se laisser à en lisser l'intérieur du bout de l'index. C'était un matériaux lisse dont le toucher rappelait vaguement la céramique mais avec la brillance du plastique poli. On aurait dit un gant étrange. La forme de la main et des doigts n'était pas altérée, jusqu'aux phalanges et aux articulations qui ressortaient juste davantage à cause des pièces qui formaient leurs jointures.
« Un plastique résistant comme l'os et un peu de fluide synthétique... exposa Reis en reprenant sa peau humaine alors que le doigt d'Ysée longeait son annulaire. Et des millions de micro-capteurs qui perçoivent ton toucher sur le mien. »
La jeune femme releva la tête et voulut dire quelque chose mais elle s'interrompit quand l'androïde lui prit gentiment la main pour regarder sa paume à son tour. Il longea des yeux la fine cicatrice blanche entourée de minuscules points blancs quasi-imperceptibles qui striait les deux plis principaux de flexion palmaire. La cicatrice dont Ysée lui avait parlé le premier jour.
Les doigts de la jeune femme se contractèrent un peu quand il lissa la cicatrice du bout du doigt et il la lâcha aussitôt pour ne pas l'incommoder.
« Excuse-moi. C'était...
_ C'est rien. Je... Je n'aime pas toucher mes cicatrices, expliqua-t-elle en réprimant un frisson. C'est psychologique. Ça me fait bizarre.
_ Comment t'es-tu fait ça ? »
Elle souffla du nez avec gêne.
« Version épique RPG : j'ai évité un coup de poignard d'un voleur qui voulait me détrousser. Version pathétique IRL : je me suis rétamée par terre dans un parc quand j'avais cinq ans et un caillou tranchant traînait dans le coin. Je crois que les murs de l'hôpital portent encore les fissures causées par mes hurlements tellement j'avais peur de me faire recoudre à vif. J'ai dû être opérée sous anesthésie générale juste pour ça. »
Reis lui retourna une grimace entre la désolation et l'amusement. Ysée elle-même retint un ricanement honteux à ce souvenir.
« Mais j'ai eu de la chance, concéda-t-elle en s'en retournant vers la cuisine pour son petit-déjeuner. Un peu plus profond et le nerf était touché.
_ Ça aurait été dommage. Pour l'écriture. »
L'humaine se tourna pour le toiser d'une neutralité détachée avant d'étirer un sourire sarcastique.
« N'en fais pas trop avec la flatterie. Tu ignores comment j'écris et ce que je vaux, le rembarra-t-elle, sans méchanceté toutefois. Et puis, il y a les logiciels de traitement de texte par la voix. Même si j'avais perdu ma main, j'aurais pu le faire.
_ Je suis très confiant quant à ma certitude que tu n'as pas été, n'es pas, et ne seras jamais du genre à dicter tes écrits dans un micro-casque, affirma Reis sans ciller, les yeux dans les siens. Tu préfères le silence de ton imaginaire pour t'aider à transposer tes idées et tes émotions en phrases. »
Cette nouvelle démonstration de justesse rendit Ysée bouche-bée avec tant d'efficacité qu'elle fut incapable de cacher sa stupeur pendant un moment, le temps pour elle de se reprendre et tourner les talons.
« En même temps, ce n'est pas comme si je t'avais dit hier que ma tête était mon refuge et ma prison », grommela-t-elle avec la vexation de la mauvaise perdante.
Reis ne sut pas cacher le discret contentement victorieux qui éclairait son visage. Ysée ne se départait pas de sa carapace mais paraissait plus encline à ne pas sortir ses piques à la moindre occasion.
L'androïde baissa les yeux sur l'intérieur de sa paume. C'était la même texture, les mêmes gravures des lignes de la main, les mêmes pliures naturelles des doigts relâchés. Mises l'une près de l'autre, leurs mains étaient semblables. Eux-mêmes étaient semblables dans leur entièreté extérieure. Et pourtant, quelque chose différait d'Ysée par rapport à Reis quand elle l'avait touché. En fait, tout était différent. Ysée avait ce quelque chose en plus en elle dans ses regards, ses gestes et son ton que Reis ne percevait pas chez lui. Il ne parvenait pas à mettre de mot sur cet élément, à la fois infime et ostentatoire.
Il referma la main et retourna à sa lecture d'études comportementales pour laisser Ysée déjeuner tranquillement avant sa prise de poste. Après tout, ses modules n'étaient pas encore complets. Il lui faudrait sans doute encore beaucoup apprendre pour peut-être un jour comprendre.
La journée se déroula tranquillement. Ysée eut hélas encore à batailler avec des clients mécontents mais pas bonheur, aucun ne fut aussi virulent que celui de la veille. La jeune femme enchaîna appels, avoirs sur factures et relivraisons sous la sage et silencieuse supervision lointaine de Reis.
De là où il observait, il constatait que la travailleuse n'était pas une oisive qui profitait de son télétravail pour paresser. Elle s'appliquait à travailler vite et précisément, ce qui ne l'étonnait pas. Il émanait d'Ysée une certaine discipline un peu rigide dont elle se servait sans doute pour palier son manque de confiance en elle.
Tandis qu'approchait bientôt la fin de sa journée, la jeune femme sourit quand elle reconnut le nom qui s'affichait sur son écran lors d'un nouvel appel entrant. Elle appuya sur son casque et se para d'une voix digne d'une hôtesse de l'air.
« SOS Commerciaux en Détresse, bonjour. Ysée à votre écoute. Que puis-je faire pour vous aider ? »
Un rire d'homme chanta dans son oreille.
« Ha ha ! Ça fait tellement plaisir d'entendre une voix amicale après une dure journée. Comment va mon assistante préférée ?
_ Elle survit comme vous, monsieur Garcia, sourit Ysée. Ça a été, ta réunion des ventes, hier ? Le grand manitou vous a demandés de tripler votre chiffre tous les mois ? »
Le commercial confirma avec un rire jaune que c'était plus ou moins le cas et qu'il n'avait pas fini de souffrir, surtout quand on commençait à se faire vieux comme lui passé cinquante ans. La jeune femme s'en désola et s'enquit de savoir ce qui l'amenait à la contacter.
« Rien du spécial. J'ai fini ma journée et je suis bloqué dans les bouchons pour rentrer. Je m'ennuyais. »
Ysée gloussa.
« C'est gentil de me retenir pour m'éviter des appels de clients furax mais tu as bien conscience que je ne peux pas rester en ligne pendant trente minutes avec toi, hein ?
_ Je comprends, s'excusa son interlocuteur. Ah ! Si ! Tu peux m'aider, en fait. Tu pourrais me passer rapidement une commande d'un carton de la référence 3024577 pour l'hôpital Bichat ? Ils vont être en rade avant leur prochaine commande mensuelle.
_ Pas de souci, mais tu connais la règle, Sébastien. Toute commande hors client doit être justifiée par un écrit. Sinon, je vais me faire taper dessus et mes stats vont baisser.
_ Ysééééée, gémit une voix exagérément plaintive dans son oreille. Je n'ai presque plus de batterie et j'en ai pour au moins deux heures avant de rentrer chez moi. Je t'en prie. Promis, je t'envoie le mail officiel dès que j'arrive. »
Silence durant lequel la jeune femme leva les yeux au ciel en mordant sa joue dans un sourire.
« 3024577 ?
_ 3024577. Rien qu'un carton. Je ferai tout ce que tu voudras en échange.
_ Oh, cette phrase à ne jamais dire à une femme, se réjouit Ysée avec un faux rire diabolique en commençant déjà à pianoter sur son clavier. Allez, ça marche. Mais c'est vraiment parce que tu es l'un des rares qui envoie vite ses mails.
_ Tu es la meilleure, Ysée. Merci beaucoup. Allez, je ne t'embête pas plus. Bon courage pour la dernière demi-heure. »
Elle lui souhaita une bonne route puis raccrocha avec un sourire pour s'occuper de la fameuse commande.
Resté dans la mezzanine, Reis désactiva sa connexion bluetooth qui l'avait relié au casque d'Ysée pour suivre l'échange. Il en était coi. Cette jeune femme légère et amusante lui était encore inconnue. Non pas qu'il n'avait pas déjà vu en Ysée un certain sens de l'humour et sa gentillesse mais ce visage qu'elle avait revêtu n'avait rien à voir avec la figure intimidée ou mesurée qu'elle contrôlait en temps normal. De nouvelles interrogations germèrent en lui, à la fois curieuses et agréablement surprises.
L'androïde rejoignit l'humaine à sa fin de prise de poste.
« Tu as l'air d'avoir une bonne relation avec tes collègues, se réjouit-il. C'est toujours plus agréable pour travailler.
_ Oui, je suis chanceuse. Même mes collègues directs sont super. Nous avons été formés ensemble pendant un mois lors de la création du service. Ça a créé des liens entre nous et nous a soudés tout de suite. »
Reis entendait la sincérité dans sa voix. Les mots qui se pressaient à sa bouche n'étaient peut-être par les plus prudents à dire mais il ne sut les retenir :
« Au final, tu n'es peut-être pas si asociale que tu le dis. »
Un linceul de réserve fraîche obombra le visage d'Ysée qui se referma un peu. Elle détourna les yeux ailleurs avec un silence réfléchi.
« Disons que je fais illusion quand il faut, tempéra-t-elle d'une voix étrange. Le jeu social, tout ça. »
Siam qui arpentait le salon à pas feutrés jugea que le moment était propice pour rappeler sa royale présence à ces serviteurs bipèdes qui la négligeaient depuis bien trop longtemps et émit quelques miaulements assertifs vers l'humaine. Cette dernière écouta avec une attention religieuse en opinant du chef en signe d'assentiment.
« Tout ça ? Dis donc, quel programme, ma nounoute, s'ébahit faussement Ysée en grattouillant le menton du félin qui coucha les oreilles en ronronnant de plaisir.
_ Elle ne te racontait pas sa journée, elle veut que tu la brosses », corrigea Reis avec un grand sérieux.
La jeune femme redressa le menton dans un silence interdit avant de se tourner vers l'androïde d'un air incertain.
« Tu... Tu peux interpréter ses miaulements ? »
Il soutint son regard avec aplomb quelques secondes avant d'étouffer un gloussement.
« Non, bien sûr que non. Mais c'est flatteur de me croire aussi élaboré. »
Ysée retint une interjection mi-vexée mi-amusée entre ses dents et le punit de sa blague par une petite tape vengeresse sur le bras puis s'en alla ailleurs en appelant Siam à la suivre pour sa séance de brossage. De toute façon, il fallait bien s'occuper de la Duchesse Duveteuse au risque de mettre des poils partout.
Reis vit la fin de journée défiler avec une certaine fébrilité. Avoir découvert une Ysée plus détendue auparavant ne rendait que plus impatiente son envie de voir évoluer la jeune femme dans une sphère amicale. Même si une furtive grimace avait traversé le visage d'Ysée quand l'androïde lui redemanda si elle était toujours d'accord pour le laisser assister à sa session de jeu, elle n'était pas revenue sur sa décision.
« Tiens, d'ailleurs, susurra-t-elle avec une pointe de défi. On va voir si tes calculs sont toujours aussi précis. Quelle classe penses-tu que je joue ? »
Reis plongea dans sa base de données interne liée au net et balaya en quelques microsecondes son contenu relatif au MMORPG Lights of Eremia.
« Difficile à dire, concéda-t-il. Certains joueurs choisissent leur classe pour le gameplay ou le rôle, d'autres pour les apparences d'armures... »
Il devina à l'expression qu'elle eut à cette dernière portion de phrase qu'Ysée se sentait concernée.
« Tu aimes personnaliser ton avatar, comprit Reis en se souvenant aussi de sa propre création. Je ne peux pas définir ta classe avec précision mais j'ai une idée de la race que tu incarnes.
_ Vas-y ? » quémanda-t-elle dans un sourire.
Son visage s'adoucissait vraiment quand elle ne se sentait pas menacée. Reis revérifia les différentes possibilités avant de se lancer.
« Une fanaa ou une qwencarin. La première pour sa silhouette élancée et gracieuse qui fait que tout type d'armure rendra bien sur elle ou la seconde pour son design kawaï typique des races anthropomorphiques asiatiques.
_ On va vérifier ça de suite. C'est l'heure. »
Sur ce, la jeune femme se rendit au salon pour brancher son casque de VR, talonnée par Reis qui la rejoignait.
« De quelle catégorie de joueurs fais-tu partie ? Classique ou RPM ? »
L'arrivée de la réalité virtuelle avait rendu les jeux beaucoup plus immersifs et permettait aujourd'hui aux joueurs – surtout ceux bénéficiant d'espace et/ou des accessoires adéquats – de vivre pleinement leurs aventures en mimant leurs gestes pour les reproduire avec acuité en jeu. Cette catégorie spécifique de joueurs s'appelait les Role Playing Mimics et certains s'étaient faits un nom sur le net en transformant leurs sessions de jeu en véritables performances artistiques avec répliques d'armes et costumes en prime.
Au contraire d'eux, certains joueurs s'étaient démarqués des RPM en restant quasi-stoïques. Ce type de contre-performance était aussi rare que difficile car une grande concentration et capacité de dissociation étaient nécessaires.
Enfin, la majorité des personnes qui jouaient dans un espace restreint le faisaient assis et se contentaient de jouer par commandes mentales en associant quelques gestes physiques pour s'aider.
« Mon petit appartement me force à jouer normalement mais je m'entraîne au RPM pour m'amuser. Vu que je n'ai pas ce qu'il faut actuellement, on va rester sur du classique, expliqua Ysée en s'installant dans le sofa pour mettre son casque. Connexion Lights of Eremia et Team Chat. »
Reis lia sa connexion à celle du casque pour pouvoir suivre ce que la jeune femme verrait au-travers de ses verres opaques. Pendant que le jeu chargeait, une petite fenêtre apparut en arrière plan pour se connecter à un logiciel d'audioconférence.
Peu après, le programme s'ouvrit sur la voix d'un garçon à la voix jeune d'adolescent qui discutait avec d'autres personnes :
« … chercher un mate pour jouer à Ice Bullet. C'était un américain. Je vois que le mec n'est qu'à 1050 de côte alors que j'en suis à 4300, du coup, je lui demande s'il se sent à la hauteur pour un 5v5. Et là, tu sais ce qu'il me fait ? Il m'envoie une photo de sa collection d'armes qu'il a chez lui ! Des fusils, des guns... Un fou ! »
Quelques rires d'autres joueurs retentirent pendant qu'il continuait.
« Sérieux, les ricains ont vraiment un problème avec ça. Quand j'en vois un poser fièrement avec son arme, je me dis toujours « Mec, tu as un problème avec ta teub à compenser ? » »
Ysée sourit.
« Pour la défense de mes compatriotes, mon cher Junix, quand mon oncle qui vit dans le Minnesota a dû se servir de sa teub face à un cambrioleur qui était entré par effraction chez lui, il a eu encore plus de problèmes. Il figure maintenant sur une liste de délinquants sexuels. »
Une nouvelle vague d'hilarité secoua le canal de joueurs.
« Lulun ! s'exclama le dénommé Junix. Excuse-moi, j'oublie souvent que tu as des racines américaines. C'est de l'écho que j'entends chez toi ? Tu joues dans un château ou quoi ?
_ On peut dire ça. Je vis chez ma sœur pour un moment et sa maison est grande. Et ce wi-fi de qualitay... susurra-t-elle avec un bruit de lèvres bruyant imitant un baiser.
_ Ha ! Donc tu n'as plus d'excuses si on meurt, intervint une voix de femme qui prit une voix geignarde. « Gneugneu j'ai du lag », « Gnagnagna j'ai un freeze, oups, le tank est mort. »
_ OK. Pour la peine, pas de soins pour Kayana sur le premier boss, trancha Ysée avec légèreté. Ça me fera des économies de mana. »
Reis délaissa un instant les compagnons d'Ysée qui se chamaillaient avec elle pour reporter son attention sur l'écran de sélection de personnages. Une gracieuse fanaa à la peau ivoire clairsemée d'écailles brillantes et à la longue queue draconique tenait dans ses mains un bâton surmonté d'un grand croissant de lune dont la couleur argentée seyait sa robe vaporeuse bardée de pendeloques brillantes. Au-dessus d'elle brillait son nom en lettres enflammées. Ayulun.
« Je suis bien une fanaa. Tu es vraiment trop fort, gémit en aparté Ysée qui avait coupé un instant son micro pour s'adresser à son voisin de sofa. En même temps, peut-on vraiment surprendre un androïde ? »
Oui. Reis la regarda alors qu'elle reprenait la conversation avec ses amis. Ce sourire sincère et détendu qu'elle avait n'était que la continuité de la surprise qu'elle générait en lui depuis cet après-midi.
Ysée - ou plutôt Ayulun - officiait dans la guilde Readycheck en tant que vestale lunaire, l'une des classes spécialisées dans le rôle de soigneur et, à l'évidence, il était plaisant de constater pour la douzaine de héros avec qui elle combattait qu'avoir un nouveau lieu de vie avec une connexion plus stable leur était salutaire.
L'ambiance était détendue et bon enfant. Il y avait toujours un bon mot qui fusait entre deux combats inintéressants de trash mobs ou des questions sur la vie de famille IRL de certains.
Reis réalisa que la guilde accueillait plusieurs tranches d'âges et pas que des joueurs francophones, chose rendue possible grâce à la technologie de traduction quasi en temps réel permettant à des joueurs de différents pays d'échanger sans encombre.
Par exemple, derrière l'avatar de l'elfe Cyn, une autre soigneuse du groupe, se cachait Yumiko, une japonaise à qui Ysée prit grand plaisir à lui souhaiter un bon anniversaire dans sa langue natale et le chef de guilde, le nain Bowbox, jouait depuis sa chambre à Prague.
Reis était fasciné de voir Ysée jongler entre les rires avec ses partenaires et le sérieux qui tendait ses traits quand il était temps de se concentrer au moment des combats. Bien que calé dans le confort du sofa, son corps tendu par l'adrénaline laissait place à quelques gestes élégants de la main et des doigts que son avatar pixelisé reproduisait en effet miroir. L'androïde se retrouva même à vivre l'intensité des rencontres avec autant d'engagement que la joueuse et les siens.
Celle-ci restait concentrée sur chacun de ses coéquipiers tout en surveillant son positionnement pendant une phase de combat assez tendue.
« Hedarian ! gémit Ysée de frustration en voyant l'un de ses camarades s'effondrer en dépit de tous les soins qu'elle lui envoyait. Tu t'es déjà pris une AOE qui t'a mis à 50% PV juste avant. Un CD déf pour aider ton heal, ça peut servir. On ne peut pas tous vous tenir sur cette phase si vous ne nous soulagez pas un peu.
_ Je ne pouvais pas, j'avais tout claqué en P1, se défendit le concerné. Tu peux me rez ?
_ Tu ne mérites pas. Priorité aux tanks. On devrait même wipe parce qu'on ne peut pas se permettre de perdre des gens avant la P3.
_ Ayulun, ô vénérable demoiselle de lune à la pureté immaculée infinie. Daigne m'accorder ton baiser nocturne pour relever la carpette que je suis. Pitié ! Embrasse-moiiiiiiiiiiii ! couina soudain Hedarian d'une voix ridicule qui la fit pouffer de rire.
_ Tu parles à qui, Heda ? glissa Kayana en riant aussi. À Ayulun ou à Ysée ? Elle a un mec, pour rappel.
_ Les deux. Je suis sûr qu'Ysée est aussi jolie en vrai que son avatar. En plus, son copain ne joue pas à LoE. Pas vu, pas pris. Ha ha ha ! »
Reis entrevit un faible tic tordre la bouche de la jeune femme aveuglée par son casque. Elle força un ricanement.
« Tu parles. Si c'était le cas, je vivrais du streaming comme une e-girl au lieu de remonter vos barres de vie de noobs. » Son ton plaisantin se refroidit un peu sous une aigreur habilement dissimulée. « En vrai, je suis affreuse. Je fais un mètre cinquante de haut sur un mètre cinquante de large, j'ai des lunettes à double foyer et les mains moites. Ça te fait toujours rêver ? »
Les quelques rires qui s'ensuivirent furent mis à quia par Bowbox qui rappela ses troupes à l'ordre et exigea de la concentration pour poursuivre le combat.
Toujours aussi silencieux, Reis n'en avait pas perdu une miette. Il garda le silence pour ne pas troubler la concentration d'Ysée et garda dans un coin de son esprit ce qui l'occupait pour plus tard.
Ce soir-là, ReadyCheck réussit à atteindre son objectif haut la main en terrassant l'ignoble Hesesh, le Basilic des Marais Bourbeux. Merci la grande sœur Nell pour le wi-fi !
Je fais juste une petite traduction pour les non initiés du vocabulaire RPG, sait-on jamais :
Tank(s) = Rôle primordial qui consiste à encaisser la majorité des baffes de la part des ennemis pendant que les autres joueurs de l'équipe les tapent (les ennemis, pas les tanks, hein). Bref, le tank c'est ton rempart entre toi et la mort. Avec ton heal. Soyez gentils avec vos tanks et vos heals, les DPS. C'est dur pour eux.
Trash mobs = Petits ennemis sans grande importance (qui parfois pris en gros paquets et mal gérés, peuvent être pires que des boss)
P1, P3 = Phase 1, phase 3.
Tu t'es déjà pris une AOE qui t'a mis à 50% PV juste avant. Un CD déf pour aider ton heal, ça peut servir = Tu avais déjà mis les pieds où il ne fallait et ça t'a à moitié tué. En tant que soigneur, je te saurais gré de bien vouloir utiliser la prochaine fois un sort défensif à temps de recharge long mais salutaire qui pourrait potentiellement sauver tes miches et t'éviter de mourir bêtement.
Tu peux me rez ? = Ressuscite-moi (même si on peut clairement se passer de moi. Mais ça m'embêterait de regarder le combat sans rien faire)
On devrait même wipe = Nous devrions procéder à un suicide collectif digne d'une secte afin de reprendre le combat de zéro avec tout le monde en vie.
