Chapitre 62 - Nuit au Terrier
La flaque de sauce bolognaise flashait avec une autre image, un corps couvert de sang. Sous le choc, Draco tenta de s'accrocher à cette vision qui lui glissait entre les doigts comme de l'eau. Plus il tentait de la retenir, plus elle s'effaçait, plus l'impression que sa vie était terminée grandissait. La présence en face de lui le fit reculer, attendant un flash de lumière verte, une morsure à la gorge. L'image revint soudain, plus nette, et le corps prit le visage de son père.
Qu'est-ce que ça signifiait ?
Impossible. Son père était... ? Il tenta de préciser les blessures qui recouvraient le corps en vain. Pourtant il savait. Il ignorait pourquoi, il ignorait comment, mais il savait qu'aucune vie n'animait plus son corps.
Au prix d'une lutte qui lui fendit le crâne, Draco revit en un flash sa mère qui serrait la main de son père, livide, son père tendre la main vers lui, ouvrir la bouche. Entendre ses derniers mots rompit sa concentration et tout lui échappa. Il rouvrit les yeux, penché vers le sol, et sentit les larmes qui le déchiraient qui s'écrasaient sur le carrelage de la cuisine des Weasley.
La simple idée qu'ils l'observent lui donna envie de tout détruire, de tout briser, eux, leur taudis, leur stupide volaille. Une main se posa sur son épaule avec douceur et sa douleur s'intensifia. Elle allait exploser, le détruire de l'intérieur. Draco recula encore, puis quitta la cuisine en frappant la porte. Elle cogna le mur de pierre, effrayant la fichue volaille qui s'éloigna en caquetant. Draco traversa la cour, la barrière en bois et ne s'arrêta pas, même une fois sur le sentier de terre. Il marcha, marcha, et marcha encore luttant contre l'envie de s'effondrer. La nuit tombait, l'enveloppant dans son obscurité. Cette illusion de disparaître l'autorisa enfin à craquer et il se laissa tomber assis sur le bord du sentier.
Son père était...
Son père. Celui qu'il avait toujours admiré, qui lui avait montré le chemin à suivre toutes années, celui qu'il désespérait de rendre fier, qu'il n'avait fait que décevoir ces derniers mois. Plus jamais il ne pourrait lui parler, plus jamais il n'entendrait ses conseils, ses remontrances, ses encouragements. La douleur revint, le pliant en deux, et ne repartit pas. Durant de longues minutes d'agonie, elle l'empêcha de respirer, de penser, il ne sentait qu'elle et les larmes. Ce fut un bruit dans son dos qui le ramena un bref instant à la réalité, mais même la peur qu'un Mangemort l'ait retrouvé fut engloutie par le vide dans sa poitrine.
Il sentit qu'on s'asseyait près de lui et des bras l'entourèrent, en silence. Les cheveux d'Hermione, lorsqu'elle posa la tête contre lui, le réchauffèrent un peu. Il tenta en vain de se composer un quelconque masque et les sanglots qui n'avaient pas cessé de le secouer reprirent avec plus de violence encore. Elle resta près de lui durant ce qui sembla des heures et ne le lâcha pas avant qu'il recommence enfin à respirer.
Son esprit était un chaos indescriptible, mais la tempête semblait s'être enfin éloignée. Avec l'impression que sa tête allait exploser, Draco se détacha de son étreinte.
— Tu veux en parler ? murmura Hermione.
Il fit « non » de la tête et elle n'insista pas. Il aurait voulu la remercier, lui dire à quel point sa présence lui était précieuse, mais les mots restèrent bloqués. À la place, il frôla sa main puis la prit dans les siennes.
Sous les étoiles, il tenta de se représenter son futur et tout ce qu'il y voyait était l'immense vide laissé par l'absence de son père. Même alors qu'ils remontaient le chemin vers le Terrier, il ne parvint pas à se résoudre à lui raconter ce qu'il venait de découvrir.
Dans la cour, la volaille avait disparu, sans doute rentrée dans son poulailler. Ses yeux le brûlaient encore quand Hermione poussa la porte éclairée de la cuisine. Les parents Weasley et ceux d'Hermione étaient les seuls encore attablés et dans l'évier, un sort finissait de nettoyer la vaisselle du dîner.
— Nous allons rentrer pour ce soir, dit le père d'Hermione en se levant.
Draco s'apprêtait à les suivre quand le bras de la mère Weasley l'arrêta.
— Tu vas rester avec nous, instruction de Dumbledore.
— Harry va nous rejoindre dans une quinzaine de jours, ajouta Arthur. Le ministère a déjà déployé ses plus hautes mesures de sécurité pour protéger la maison. Il est plus sûr que tu restes ici. Tu peux partager la chambre de Ron.
— Non. Hors de question que je reste ici, répliqua Draco.
— Ce n'est pas une demande, mon garçon, répliqua la mère Weasley.
Draco toisa la femme replète qui osait lui donner des ordres dans son ridicule tablier rose. Il ne se séparerait pas des Granger, encore moins pour ce taudis. Malheureusement, personne ne semblait réaliser qu'ils exigeaient l'impensable.
— Je reviendrai bientôt, promit Hermione. S'il te plaît.
Sa sensation de vide devint un trou béant quand elle l'abandonna dans la cuisine. Peut-être aurait-il dû lui dire ce dont il se souvenait. Peut-être serait-elle restée. Au lieu de ça... Il pivota vers les parents Weasley.
— Je vous préviens, vous ne me ferez pas dormir avec la belette.
Insulter leur fils devant eux n'était peut-être pas la meilleure idée qu'il ait eue. Sauf que son esprit était plongé dans un brouillard et le brouillard l'empêchait de réfléchir. Ce fut sans doute à cause de ça qu'il se retrouva au cinquième étage, devant une porte coincée sous le grenier. Il faillit entrer sans toquer, puis réalisa qu'il ne tenait pas à surprendre la belette, le soir. Autant préserver le peu de santé mentale qu'il lui restait. Répugné, il abattit son poing contre le bois. La belette lui ouvrit presque aussitôt, un magazine des Canons de Chudley sous le bras et des vêtements en boule à la main. Alors que Draco refermait, il continua à déplacer ses affaires pour dégager la chambre. Sauf que personne n'avait eu la présence d'esprit de lui expliquer que rien ne pouvait faire « dégagé » dans une pièce couverte des murs au plafond de posters orange vif. Et pour ne rien arranger, les joueurs de Quidditch représentés dessus s'agitaient dans tous les sens à la poursuite des différentes balles.
Le pire de tout était probablement le petit hibou gris qui l'observait depuis sa cage. Après Potter, Weasley s'y mettait ? C'était une habitude de Gryffondor, de garder la volaille dans sa chambre ?
Suivant son regard, Weasley s'empressa de préciser :
— On a d'autres hiboux et il les embête, alors je dois le garder ici.
— Charmant.
L'image d'Orron qui chahutait dans le dortoir des Serpentards lui fit grincer des dents. Ils déteignaient déjà sur lui et il allait devoir le supporter encore deux mois. Deux mois coincé ici. L'idée de devoir se contenir en permanence pendant autant de temps quand il rêvait de s'effondrer lui ôta toute énergie. Quand Weasley lui tendit un t-shirt propre, ce fut le coup de grâce, un doux rappel que rien ici ne lui appartenait. Il préférait encore dormir dans des vêtements tachés de sang et de sauce.
Et il n'avait même pas à le faire.
— Récurvite, dit-il sèchement en pointant sa baguette sur sa chemise.
Ron poussa une exclamation indignée.
— Ferme-la, Weasley, cracha Draco en lui renvoyant son misérable t-shirt.
— N'oublie pas que c'est toi qui mendies un toit, répliqua sèchement Weasley. À ta place, je la ramènerai moins.
Son envie de lui écraser son poing dans la figure et son épuisement se heurtèrent. Il décida qu'en deux mois, il aurait tout le temps de lui refaire le portrait. Allongé dans le petit lit inconfortable, tourné vers le mur inondé de posters, il ravala sa fierté. Même une fois la lumière éteinte, le sommeil continua de le fuir. Le faible apaisement que lui avait apporté Hermione avait disparu avec elle. Il se retrouvait seul, dans un endroit misérable rempli de Weasley. Ses souvenirs choisirent ce moment pour ressurgir et une seconde peur vint ramper dans les ombres de la première. Voldemort avait tué son père, qu'en était-il de sa mère ? Kreattur disait qu'elle l'avait envoyé loin du manoir, en avait-elle eu le droit ? Avait-elle payé pour son geste ? L'idée de les avoir perdus tous les deux était insupportable. Elle l'écrasait, le comprimait. Il agrippa l'oreiller, tentant de maîtriser ses tremblements, tentant de pleurer en silence. Sa lutte dura de longues minutes, jusqu'à ce que le pire scénario possible ne se produise.
Weasley.
Qui émit un raclement de gorge hésitant.
— Fous-moi la paix.
Il espérait sauver les apparences, mais sa voix brisée le trahissait un peu plus.
— Je sais, je sais, tu me hais, je te hais, mais on va être coincé là pendant toutes les vacances, alors je propose une trêve. Surtout qu'on va probablement devoir faire aussi une place à Harry dans pas longtemps. Et encore, ce n'est pas le plus ridicule.
Draco ne répondit rien. Les dents serrées dans l'obscurité, il mettait toutes ses forces à maîtriser ses sanglots.
— Le plus ridicule, poursuivit Ron, c'est qu'on a deux chambres de libres.
Il lui fallut un moment pour se recomposer assez de calme pour pouvoir parler.
— Pardon ? articula-t-il enfin.
— Ouais. Il y a celle de Bill et Charlie, ils ont quitté la maison depuis quelques années, mais je crois qu'ils ne te font pas confiance, au milieu de leurs affaires. Il y a aussi celle de Percy et c'est encore plus sans espoir.
— Percy... le préfet-en-chef ? Le prétentieux qui se prenait pour un être supérieurement intelligent ? dit Draco d'un ton étranglé.
— C'est un peu ironique que toi tu dises ça, répliqua Ron, mais oui, c'est exactement lui.
Il aurait pu lui faire remarquer que ça n'avait rien d'ironique puisque lui ne se prenait pas pour un être supérieur, il l'était, mais il n'avait pas la force de s'engager dans un débat.
— Tu ne dois pas être au courant, ajouta Ron. L'année derrière, il s'est rangé contre Harry, avec le ministère.
Venant de Percy Weasley, ce n'était pas si surprenant, son ambition prenait le pas sur beaucoup de choses chez lui. Un instant, Draco se demanda si lui-même renvoyait le même genre d'image.
— Les parents ne l'ont pas très bien vécu, tu imagines. Il a coupé les ponts, il a même dit à papa que c'était de sa faute s'il n'arrivait pas à évoluer au ministère et à Noël, il a renvoyé le pull que maman lui avait tricoté. Sans un mot sans rien. Quand papa était hospitalisé, il n'est pas passé lui rendre visite non plus.
Draco ne répondit pas. Sa gorge s'était nouée à nouveau et la douleur menaçait de ressurgir. Pourquoi voyait-il ses parents dans ce que Weasley lui racontait ?
— Je ne peux pas, articula-t-il. Fous-moi la paix.
Il ne voulait pas être seul. Si seulement il avait pu disparaître, être transporté loin, loin là où chaque seconde ne serait pas une agonie.
— Tu ne veux pas me dire ce qui t'arrive plutôt ?
Draco serra les dents.
— Mon père est mort.
Review guest
AmandeEtCerisier, oui de ce que j'ai lu dans les wiki en général un Oubliettes cible des souvenirs bien spécifiques (enfin... à part pour Lockhart qui a raté son sort) et là ce n'était pas Hermione qu'elle lui a fait oublier heureusement
