Bonjour à toutes et à tous !
Merci beaucoup pour vos commentaires et le nombre de vues sur cette histoire ! Cela me fait très plaisir et m'encourage.
Petite recommandation musicale pour ce chapitre, qui par ailleurs est éponyme : je vous conseille l'OST du jeu Baldur's Gate 3 The Weeping Dawn, composée par Borislav Slavov !
Réponses aux reviews :
Cassye : Oui, les scènes d'action ne sont pas les plus simples à rédiger, mais les quelques chapitres "dédiés" que j'ai pu écrire jusqu'à présent étaient assez funs bien que complexes, ça reste un chouette exercice ! En espérant que la magie opère d'un point de vue lecture aussi :) Merci pour ta review !
Seulie : Contente de te revoir et merci pour ton retour ! Je te comprends, les drow sont vraiment fun à jouer, il y a plein de dialogues uniques ! En ce qui concerne le passif de Nymuë et Elyon, les choses se révéleront petit à petit... J'ai essayé de correctement le distiller tout le long de mon histoire ! Et contente que tu apprécies les interactions entre les personnages, ce chapitre devrait te donner une nouvelle petite dose !
Boulays : Merci beaucoup pour ta review ! Je suis tout à fait d'accord avec toi, je préfère également la construction lente mais plausibles des personnages (que cela soit pour les relations amoureuses ou même simplement amicales). C'est ce qui leur donne le plus de "poids" à mon avis, et fait que je m'y attache. Pour la crèche gith, ce sera plus complexe que cela, mais comme j'ai déjà un plan de l'histoire jusqu'à son point final normalement tout est agencé. J'ai hâte d'avoir vos retours d'ailleurs sur mes modifications !
Bonne lecture à tous !
Chapitre 5 :
La complainte de l'aube
Le Bosquet d'Émeraude se situait au cœur de vieilles ruines, à quelques pas d'une crique entourée d'arbres. C'était un endroit dédié à la nature, calme, paisible… si l'on exceptait la foule en colère à son entrée. Une dispute opposait violemment un groupe de tieffelins à des druides armés.
— Bon sang, pesta Nymuë. Que se passe-t-il encore ?
— Si j'en crois notre chance jusque-là, darling, je dirais une catastrophe.
Astarion et Ombrecoeur revenaient de leurs emplettes. D'après le sac de la prêtresse, les affaires avaient été fructueuses.
— On aurait pu croire qu'un bosquet sacré se révélerait moins riche en tensions… soupira l'elfe noire.
— Avez-vous trouvé Zorru ?
— La crèche githyanki se situe au col de la montagne, à quelques jours d'ici. Pour s'y rendre, nous devons passer par le camp gobelin.
— Je ne vois vraiment pas où est le problème, lança Lae'zel. Si ces créatures se mettent sur notre chemin, nous ferons couler leur sang.
— A quatre, contre toute une colonie ? s'écria le haut elfe. Votre parasite a-t-il dégradé vos capacités de réflexion ?
— Nous n'avons pas encore vu le guérisseur des lieux, rappela Nymuë. Avec un peu de chance, ce combat ne sera pas une éventualité.
— Si tant est que nous puissions accéder audit guérisseur… railla la prêtresse.
Les compagnons se rapprochèrent de l'assemblée furibonde. Deux réfugiés tieffelins, un homme et une femme, avaient fendu la foule :
— Rendez-moi ma fille, hurla l'inconnue. Immédiatement !
— C'est une rejetonne des Enfers, doublée d'une voleuse, cingla une des druides. Vous allez attendre que Kagha rende son jugement. Reculez, et plus vite que ça.
— Laissez-moi passer, mragreshem, ou je vous déchire la gorge !
Quand la femme s'avança, un second druide - jusque-là silencieux – rugit. Des étincelles dorées enveloppèrent sa silhouette ; ses dents s'allongèrent, sa peau se couvrit de fourrure… revêtant la forme d'un ours gigantesque. Ses crocs étaient un message on ne peut plus clair pour les fugitifs : déguerpissez, ou mourrez.
— Oh, souffla Astarion, il faut que je voie ça !
La présence de l'animal dissipa les réfugiés en un éclair ; seuls l'homme et la femme s'étant exprimés restèrent en retrait, continuant de jeter des coups d'œil féroces en direction du Bosquet. Le haut-elfe poussa une exclamation plaintive :
— Et moi qui espérait assister à un magnifique spectacle…
— Il n'est pas encore trop tard, répliqua froidement Nymuë. Si le sensationnel vous amuse, vous pouvez toujours négocier notre passage auprès de l'ours.
— Et mettre en danger ce si beau visage ? Vous n'y pensez pas. Oh non, vous me paraissez être le choix le plus adéquat.
— En tout cas, ils vous aimeront davantage que les tieffelins… suggéra Ombrecoeur.
Après un regard assassin à Astarion - qui lui répondit par un sourire des plus narquois - Nymuë s'approcha des druides. L'ours leva aussitôt une patte griffue à son approche :
— Reculez, ordonna sa collègue. Les drows ne sont pas les bienvenus ici.
— Sans notre intervention, il n'y aurait déjà plus de "ici", rétorqua Lae'zel. Et dites à votre bête de se tenir tranquille.
— Pas un pas de plus. Si vous m'obligez, je n'hésiterai pas une seule seconde.
— Un instant, Jeorna, interrompit le dernier druide.
Elle se pencha vers lui, le laissant lui murmurer quelque chose à l'oreille. Ses sourcils se froncèrent de contrariété :
— Tu es sûr qu'elle a dit ça ? Pourquoi diable laisserait-elle passer l'une des leurs ?
Son regard braqué sur Nymuë était rempli de dégoût. La jeune femme sentit une vague de colère la traverser : "Rien que tu ne connaisses déjà. Ne te laisse pas impressionner.", se rappela-t-elle.
— Apparemment, Kagha demande à vous voir, céda la druidesse. Vous pouvez passer. Mais j'aime autant vous prévenir : au moindre faux pas…
— Vous vous transformerez en truie, la coupa Nymuë. Oui, je n'en doute pas.
Elle passa, sans demander son reste. Elle crut apercevoir du coin de l'œil Ombrecoeur et Astarion réprimer un rictus ; les éclats de rage dans sa poitrine se calmèrent.
L'essentiel du Bosquet était constitué d'un immense autel de pierre, entouré de plusieurs statues. Chacune représentait un animal différent ; l'une un ours, l'autre un cerf… Des druides étaient placés stratégiquement devant chacune des effigies, et psalmodiaient mélodiquement une incantation. Des tourbillons de lumière verte irradiaient d'une relique en bois, installée au centre du cercle sacré. En l'observant, Nymuë eut l'impression d'entendre le vent souffler à ses oreilles, le bruissement des feuilles accompagné d'une odeur d'herbe et de terre. Quelle tristesse que cette cérémonie ait pour but de couper cet asile du monde extérieur…
— Un rituel de ce genre doit nécessiter beaucoup d'énergie, des jours d'enchantements et de prières, observa Ombrecoeur. Avec un peu de chance, nous ne serons pas enfermés en plein cercle druidique dans les heures à venir.
L'elfe noire hocha la tête, distraite. Par-dessus les voix des druides, une autre résonnait, en contraste avec la sérénité des lieux. Elle était rageuse, chaotique, accompagnée d'un instrument dont les cordes étaient pincées sans douceur. Nymuë se dirigea vers la source du bruit, ses compagnons sur les talons.
Un peu plus en hauteur, une tieffeline grognait de frustration sur un luth. Elle avait un timbre plutôt agréable, mais sa composition manquait d'harmonie. Elle interrompait ses vers, changeait ses mots, faisait grincer son instrument sur des notes trop graves ou aiguës par rapport à son ariette.
— Tu danses sous les étoiles ce soir. D'un sourire, chasse le désespoir. Mes mots vont se changer… Non… devenir… Argh ! Quel carnage !
— Que chantez-vous ? s'enquit doucement Nymuë.
La femme sursauta. Elle avait des cheveux bruns aux reflets violets, une nuance se mariant joliment avec sa peau mauve. Elle portait l'habit typique des troubadours, couleurs vives et clochettes pour époustoufler les foules. Toutefois, le chef-d'œuvre artistique ne semblait guère avancer bon train :
— Un chant, ça ? répondit-elle. Une banshee ferait mieux. Je suis sur le point de devenir complètement folle ! Je ne trouve pas… Il n'y a rien qui convient, vous voyez ?
D'aussi loin qu'elle se souvienne, Nymuë n'avait jamais composé ses propres chansons. Oh, elle s'était amusée à rédiger des partitions ici et là, mais ce n'était pas comme si ses passages sur scène lui laissaient l'occasion de jouer quoi que ce soit. Elyon disait souvent que c'était probablement ce qu'il y avait de plus méchant dans cette histoire.
Elle s'accroupit face à la tieffeline :
— Votre nom ? demanda-t-elle.
— Alfira, sourit-t-elle tristement. Mais je doute que vous retrouviez ce nom parmi les bardes célèbres.
— Commencez par placer vos doigts correctement, Alfira, indiqua-t-elle. Pas besoin de tenir si fermement votre manche, vous n'allez pas balayer le sol avec votre luth. Quant à votre main gauche, vous allez martyriser votre poignet si vous le gardez sous cet angle.
— Vous êtes une artiste, vous aussi ? s'étonna la jeune femme. Oh ! Nous n'avons qu'à faire un duo ! Je suis sûre que l'inspiration viendra plus aisément avec une camarade musicienne ! Tenez, prenez donc…
— Non ! s'écria Nymuë. Je veux dire… c'est votre chanson. Concentrons-nous plutôt sur ce que vous voulez transmettre.
Elle inspira longuement, n'ayant que trop conscience du regard surpris d'Alfira, ainsi que de la présence de ses compagnons dans son dos. Elle n'était pas prête. Pas aujourd'hui, pas maintenant. Elle était déjà surprise d'avoir réussi à lancer quelques sorts mineurs depuis son évasion du Nautiloïd ; après tant d'années sans musique, ses dons auraient dû s'effriter. Elle n'était ni magicienne, ni ensorceleuse : ses pouvoirs lui venaient de son art, et sans pratique, ils se mouraient.
Depuis le temps qu'elle n'avait pas touché un instrument, ils auraient dû être enterrés six pieds sous terre.
— Commençons par le commencement, reprit-elle avec plus de délicatesse. De quoi parle votre chanson ?
— De Lihala, souffla la barde. Ma professeure. Elle adorait danser, même si c'était la plus grande maladroite de la contrée. Elle avait deux pieds gauches. Je me souviens d'une nuit où je me suis réveillée, et où je l'ai vue en train de tournoyer sous les étoiles… Un immense sourire sur le visage. Quand j'y repense maintenant… mon cœur se serre, et ma gorge se noue. Ma langue se bloque, comme si les mots que je voulais prononcer n'étaient plus que cendres.
Elle voulut ajouter quelque chose, et s'interrompit soudainement, les yeux écarquillés. Saisissant son luth, elle composa un accord simple :
— Mes mots ne sont plus que cendres. Celles d'une lueur que tu es venue prendre… C'est parfait !
— Continuez, l'encouragea l'elfe noire. Qu'aimeriez-vous dire à votre professeure si elle était là ?
— Que… que ça va bien. Que tout ira bien ? Et surtout… "Merci". Pour tout. La Lune… La Lune me rappelle ta grâce. Tout l'amour que je ne te rendrai pas… Dors, car je prierai pour toi. Ma chère amie, au revoir, hélas.
Les doigts d'Alfira glissèrent d'eux-mêmes sur le luth. Sa berceuse se mua doucement en sanglots, jusqu'à ce que les larmes prennent le pas sur le fredonnement.
— Désolée, souffla-t-elle.
Nymuë se leva et applaudit. Elle fut surprise d'entendre Ombrecoeur l'accompagner avec enthousiasme, tandis qu'Astarion et Lae'zel s'autorisaient un hochement de tête appréciateur.
— C'était très beau, murmura l'elfe noire. N'ayez pas honte de verser quelques larmes.
— Merci, sourit Alfira. C'est la première fois que je me produis depuis la mort de Lihala… Elle jouait du luth et nous… nous n'avons pas entendu les gnolls arriver. Il y avait tellement de sang… j'en sens encore l'odeur.
Nymuë se raidit, assaillie par des images d'autrefois. Le bourdonnement du public. Des yeux verts plein de larmes. Du sang, en guise de tapis de scène.
— Votre professeure serait sans doute très fière de vous aujourd'hui, articula-t-elle avec difficulté.
— Ha ! Elle m'aurait réprimandée pour cette rime poussive. Et elle m'aurait forcée à jouer jusqu'à ce que mes doigts soient à vif… Et c'est exactement ce que je vais faire. Je vais terminer l'écriture de La complainte de l'aube pour elle. J'ai encore beaucoup de chemin devant moi mais… merci. J'avais besoin de ça. Attendez donc…
Alfira se leva et fouilla parmi les caisses et les coussins l'entourant. Elle se dirigea vers Nymuë, un violon dans les mains. Son bois était d'une couleur telle que la jeune femme n'en avait jamais vu ; gris, aux éclats presque argentés. Une plume bleue était accrochée autour du manche.
— Je sais reconnaître une compère barde quand j'en vois une, lança la tieffeline. Et j'aimerais que vous acceptiez ceci. Son propriétaire était avec nous quand… Disons qu'il n'en a plus l'usage aujourd'hui. J'ose espérer que vous savez en jouer ?
Nymuë prit l'instrument, qu'elle admira sans un mot. C'était un bel ouvrage, bien plus élégant que celui qu'elle possédait à l'époque de La Belle Etoile. Ses doigts fourmillèrent au contact de l'archet, faisant grincer les cordes d'un geste calculé. Bientôt, toutefois, les signes habituels se manifestèrent. Sa main trembla, son souffle s'accentua. L'objet lui parut peser plus lourd qu'une pierre.
Alfira la regardait avec espoir :
— Je sais en jouer, confirma l'elfe noire. Merci beaucoup pour ce présent. Je tâcherai de lui faire honneur.
La barde sourit et aida Nymuë à accrocher le violon dans son dos. Saluant les aventuriers d'un geste de la tête, elle retourna à sa composition.
— C'était… intéressant, déclara Astarion. Vos réactions, en tout cas. J'ose espérer que nous aurons le droit à un récital ?
— Interdiction de chantonner lors de l'entraînement du matin, prévint Lae'zel.
— Quel entraînement du matin ? s'enquit Ombrecoeur.
— Celui qui sera mis en place dès demain.
Et la guerrière se dirigea vers le quartier des druides, suivie par un concert de protestations générales. L'elfe noire effleura la plume bleue de son nouvel instrument ; peut-être était-ce le signe qu'elle attendait, après tout. Elle avait quitté Baldur's Gate pour cette raison : recommencer de zéro, se reconnecter à sa musique… Ses yeux se posèrent sur ses compagnons en train de se disputer. Elle se hâta de les rejoindre.
Les druides logeaient à l'intérieur de ruines, dans des tunnels de cavernes, sous le sol même du Bosquet. L'intérieur était plutôt sobre : quelques tables de pierres, des plantes, des étagères et des paniers d'osier contenant des victuailles. C'était là la simplicité propre aux amoureux de la nature, préférant communier avec celle-ci sans être entourés de frivolités.
Une fois encore, la quiétude des lieux n'était qu'apparente : les éclats d'une dispute accueillirent les aventuriers, sitôt passée la porte principale.
— C'est de la folie, Kagha. Ce n'est encore qu'une…
— Une quoi, Rath ? Une voleuse ? Un poison ? Une menace ? Je vais faire enfermer cette petite diablesse. Et ensuite, je chasserai tous les étrangers.
Kagha, la première druidesse du Bosquet, était une elfe des bois aux cheveux roux vifs et aux yeux verts. Il y avait quelque chose de… vénéneux, chez elle, que cela soit dans son expression ou au ton de sa voix. L'homme lui faisant face paraissait bien plus âgé ; il avait une peau d'ébène et ses traits étaient marqués par l'inquiétude.
Ombrecoeur pointa discrètement un troisième individu. Une enfant tieffeline, entre dix et douze ans, était recroquevillée entre les deux adultes. Une immense vipère rampait autour d'elle, mouvant sa tête à ses moindres faits et gestes. L'animal était tendu, vif : prêt à frapper à la première demande.
— Voilà qui explique les tieffelins en colère, souffla Astarion. C'est donc elle, la petite voleuse ?
Nymuë serra les poings ; toute cette situation ne lui disait rien qui vaille. Rath et Kagha poursuivirent :
— Qu'on la fasse enfermer, ordonna la première druidesse. Elle va rester sous bonne garde jusqu'à la fin du rite. Un conseil, diablesse : tiens-toi tranquille. Tee-la est à cran.
Le serpent siffla furieusement, dévoilant ses crocs imprégnés de venin. L'enfant s'agrippa à Rath :
— Pitié ! Je suis désolée, désolée !
— Ça suffit, Kagha. Nous avons récupéré l'idole. Tout est bien qui finit bien. Si Halsin était là…
— Halsin est parti ! cracha sa supérieure. Tu ferais mieux de te rappeler à qui tu dois allégeance.
Nymuë eut alors une idée. Un tremblement saisit son parasite tandis qu'elle ouvrait une connexion avec ses camarades. L'elfe noire se concentra sur l'étincelle de sa magie. Depuis longtemps maintenant, elle ne l'utilisait plus que pour des sorts mineurs, et n'entretenait que les aptitudes lui étant indispensables au quotidien. Fort heureusement, le sort qu'elle avait en tête était un de ses tours favoris…
Une cinquième voix s'ajouta au cercle d'aventuriers, inconsciente de leur présence au cœur de son esprit. A quelques pas d'eux, la bouche de Kagha demeurait close ; pourtant ses pensées leur étaient désormais accessibles :
"Halsin n'est plus, chuchota la voix de la première druidesse. Je suis aux commandes désormais. C'était un chef faible, trop prompt à accueillir les miséreux. Mais les choses vont changer ; elle m'en a fait la promesse. Je vais prendre le pouvoir et affirmer mon autorité."
La conscience de Kagha glissa, passant soudainement de ses rêves de grandeur à quelque chose ressemblant à… de la crainte. Quoi qu'ait prévu la nouvelle dirigeante, les autres druides n'étaient pas au courant. Mentalement, ses réflexions se dirigèrent vers un coffre à quelques pas de là, caché dans une des chambres du Bosquet.
Nymuë stoppa son sortilège. Voilà exactement ce qu'elle cherchait. Au fil de ses missions avec Revan, elle avait appris que chaque individu avait quelque chose à dissimuler. Il était souvent pratique, lors de négociations, d'ajouter un pourcentage de discrétion quant aux secrets que l'on détenait. "La connaissance, c'est le pouvoir.", disait Revan. Cet enseignement ne lui avait jamais fait défaut.
— Fourbe petite créature… susurra Astarion.
L'elfe noire veilla à demeurer inexpressive quand elle chuchota :
— Voilà qui devrait nous donner un moyen de pression, si nous parvenons à en apprendre plus.
— Si vous voulez menacer cette elfe, il y a des méthodes plus simples, rétorqua Lae'zel.
— Chère amie, tout le principe est de dévoiler ses cartes au bon moment. Kagha n'est pas notre ennemie, pour l'instant. Mais si notre guérison est mise en jeu entre différents conflits, j'aime autant partir avec la main gagnante.
— Vous savez quoi ? glissa Ombrecoeur. Je crois que je commence à vous apprécier.
Nymuë sourit, avant de s'avancer vers les deux druides en pleine conversation :
— Je crains que vous ne compromettiez l'harmonie de ce Bosquet en gardant une jeune tieffeline entre vos murs. Mieux vaut la laisser rejoindre les siens, qu'elle soit la preuve de votre clémence lorsque viendra l'heure pour les réfugiés de partir.
Kagha et Rath se tournèrent vers leurs visiteurs, surpris. La première druidesse dévisagea les aventuriers avec attention :
— Et à qui dois-je ces conseils ? demanda-t-elle.
— Aux sauveurs de votre Bosquet, répondit théâtralement Astarion. Ceux-là même vous ayant débarrassé à eux-seuls d'une horde de gobelins.
— A côté de telles créatures, une jeune tieffeline ne sera pas une lourde tâche, ajouta Ombrecoeur. Relâchez-la donc. Nous veillerons à ce qu'elle se tienne à carreaux.
— Fort bien, approuva l'elfe des bois. Il en sera comme vous dites. Mais si l'enfant nous contrarie à nouveau, sachez que ses fautes seront les vôtres. Ssifisv… Tee-la, aux pieds. Hors de ma vue, voleuse.
La vipère recula lentement, presque déçue, et s'enroula autour des jambes de sa maîtresse. La petite tieffeline n'accorda qu'un bref coup d'œil à ses bienfaiteurs, avant de bondir vers la sortie à toute allure.
— Merci Kagha, soupira Rath. C'était la bonne…
— Laisse-nous, commanda la première druidesse.
Son compagnon fronça les sourcils. Il prit congé de sa supérieure avec dignité, tandis que celle-ci examinait Nymuë avec ravissement :
— Une elfe des profondeurs dans notre Bosquet, en ce jour précis. C'est un signe. Ou mieux encore, une aubaine. Qui mieux qu'une enfant de Lolth peut comprendre une mère aimante protégeant sa couvée ?
— Evitons les conclusions hâtives, opposa froidement la jeune femme. Je crains de n'entretenir aucune relation avec la Reine des Araignées.
— Vraiment ? Je ne l'aurais pas cru. De ce que l'on m'a rapporté de vos exploits à la Grande Porte, vous ne reculez manifestement devant rien pour survivre. Tout comme moi ; maintenant que l'idole de Silvanus a été récupérée auprès de cette sale petite voleuse, le rituel a repris. Je vais couper ce Bosquet du monde extérieur, le mettre à l'abri de tout danger… des intrus.
— Est-ce pour ça que vous souhaitiez nous voir ? ironisa Ombrecoeur.
— En effet. Vous avez fait vos preuves face aux gobelins : votre groupe démontre les talents de redoutables mercenaires. Je veux que vous proposiez au chef tieffelin de les escorter à l'extérieur du Bosquet. Ils sauront sans nul doute se montrer généreux. Qu'ils soient partis avant la dernière prière. Dans le cas contraire… la vipère n'aura d'autre choix que de frapper.
— Je crains que vous n'ayez mal compris, intervint doucereusement Astarion. Les réfugiés ne sont absolument pas notre problème. Nous souhaitons rencontrer votre guérisseur.
— Nettie est occupée dans les chambres inférieures. Vous êtes autorisés à la consulter, mais si vous ne m'êtes d'aucune aide avec les tieffelins, vous êtes invités à partir dès vos affaires terminées. Il semblerait que ces intrus aient à goûter ma morsure. Nous comprenons-nous ?
— Tout à fait, répondit Nymuë, mielleuse. Vous avez entièrement… affirmé votre autorité.
Sur une inclination de tête respectueuse, quoique non dénuée de sarcasme, l'elfe noire mit un terme à la conversation. Elle s'éloigna plus profondément dans les cavernes. Deux chambres leur faisaient face : le coffre de Kagha, aperçut alors qu'elle fouillait ses pensées, se trouvait sur la gauche. Quant à Nettie…
— Laissez-moi deviner, railla Lae'zel, nous allons encore nous diviser ?
— Je pense que c'est une excellente idée, approuva Astarion. Je pars avec notre fantastique leader, sans peur et sans reproche, tandis que vous autres allez nous chercher un remède ?
Nymuë tressaillit : pourquoi diable voulait-il l'accompagner ? Un magistrat - si magistrat il était vraiment - ne lui paraissait pas particulièrement adéquat pour un potentiel cambriolage. Toutefois, Ombrecoeur et Lae'zel acquiescèrent, et le groupe se sépara en deux.
Jetant un œil derrière elle, l'elfe noire nota que personne ne se préoccupait de leurs faits et gestes : la plupart des druides était à l'extérieur pour participer au rituel. De nombreux animaux circulaient dans la caverne cependant, une extension du regard de leur maître. Nymuë frôla les murs, se déplaçant parmi les ombres. Avec surprise, elle constata qu'elle n'entendait aucunement les pas d'Astarion : l'elfe était beaucoup plus silencieux qu'elle, plaçant ses pieds avec précaution et éteignant les torches devant lesquelles ils passaient. Avec un sourire, il lui désigna des sacs de toiles placés au sommet d'une étagère. Pour un œil non averti, ce rangement n'avait rien de suspect. Mais pour eux qui cherchaient spécifiquement une cachette, l'interstice dissimulé était relativement évident. Nymuë grimpa sur le meuble et plissa les yeux : le coffre se situait juste derrière, parfaitement accessible.
Et parfaitement verrouillée, si elle se fiait à son imposante serrure.
— Bon sang ! souffla-t-elle. Évidemment ! Casser la serrure va alerter tous les druides à la ronde…
— Si peu de subtilité darling, c'est consternant… Laissez faire les professionnels, voulez-vous ?
— Vous allez la… crocheter ? s'exclama Nymuë.
— Avec plaisir, répondit-il avec un sourire charmeur.
Ils furent interrompus par un bruit non loin ; quelqu'un approchait. Sans hésiter, Nymuë se dirigea vers l'entrée tout en se composant l'expression la plus innocente possible. L'arrivant était un loup massif. Il aperçut l'elfe noire à l'extérieur de la chambre, regardant autour d'elle :
— Hey mon tout beau, tu ne saurais pas où est Nettie par hasard ? Toutes ces cavernes se ressemblent…
L'animal grogna avec dédain. On aurait pu penser qu'une créature habituée à la présence humaine serait plus aimable… Alors qu'il tournait les talons, Nymuë sentit une présence dans son dos :
— Votre jeu d'acteur est des plus modestes. Étonnant, pour une voleuse…
La jeune femme souffla du nez. Astarion se tenait à ses côtés, tendant victorieusement une lettre dans sa direction. La curiosité fut plus forte que son agacement, et l'elfe noire saisit le papier pour en lire le contenu :
"Kagha,
Olodan m'a informé de votre progression. Je suis ravie que le Rite des Épines ait commencé. Une fois condamné, le Bosquet d'Émeraude sera le domaine des Druides de l'Ombre et vous en serez la première druidesse.
Archidruidesse Aelis."
Nymuë écarquilla les yeux. Oh-oh ! Elle soupçonnait Kagha de tremper dans de sombres affaires, certes, mais ne songeait certainement pas à ça. Les druides des ombres étaient réputés pour leur point de vue… extrême. Là où la plupart des cercles druidiques valorisaient la vie sous toutes ses formes, les adeptes des ombres, quant à eux, établissaient une hiérarchie. Certaines vies méritaient d'être préservées, au détriment d'autres, nécessitant d'être sacrifiées. Ce que Kagha planifiait dépassait la simple préservation du Bosquet ; ce n'était ni plus ni moins qu'un coup d'État.
L'elfe noire glissa la lettre dans ses affaires, songeuse. Lors de l'attaque des gobelins, les mercenaires avaient mentionné l'ancien chef du Bosquet, un certain Halsin. Si l'archidruide était toujours vivant… et que leur route les forçait à se rendre au camp gobelin… Cela pouvait être une information intéressante à utiliser. La jeune femme croisa le regard scrutateur de son compagnon, et le lui rendit :
— Je ne suis pas une voleuse, déclara-t-elle calmement.
— Non, en effet, concéda-t-il. Une voleuse aurait su comment crocheter un verrou aussi simple. Une espionne, peut-être ? Vous autres artistes, vous êtes admis un peu partout…
— Vous savez ce qui, moi, me surprend ? lui glissa-t-elle. C'est qu'un homme de loi si respectueux soit un expert en cambriolage.
Il la dévisagea, calculant les bénéfices qu'il avait à lui répondre avec honnêteté :
— Vous êtes une elfe tout comme moi, ma chère. Nous autres avons le temps de nous ennuyer lors de nos longues vies. Il serait dommage de ne pas être… ouverts d'esprit quant aux divers apprentissages possibles. Mais soit, faisons ainsi. Je prétendrais ne pas avoir remarqué vos prédispositions, et vous faites de même pour moi ? Ainsi, nous évitons les questions indiscrètes.
Nymuë réfléchit un instant. Ses yeux jaugèrent Astarion, son sourire lisse, ses manières mesurées. Pas un magistrat, donc. Un roublard plutôt, un baratineur, prompt à manigancer des combines et autres ruses. Un allié intéressant… tant qu'il ne jouait pas de ses entourloupes contre vous. Quand bien même, c'était un talent dont ils auraient besoin en cours de route. Nymuë n'avait jamais aimé tremper dans des affaires trop sordides, mais le vol était quelque chose qu'elle tolérait. Après tout, elle n'était pas réellement en odeur de sainteté pour s'offusquer.
— Soit, trancha-t-elle. Du moment que vous ne nous attirez aucun ennui. Et je demande 50% de vos rapines pour la solde commune du groupe.
— 15, objecta-t-il.
— 40.
— 35, et vous me brisez le cœur au passage, darling.
Nymuë lui tendit la main, qu'il serra avec hésitation. Oh, Astarion était sans doute doué, mais elle le plaignait un peu dans le fond.
Le pauvre bougre n'arrivait clairement pas à la cheville de Revan.
Notes de fin :
Voici pour ce chapitre ! Je crois que c'est celui où j'ai vraiment commencé à prendre mes marques.
En ce qui concerne la lettre de Kagha à la fin du chapitre : si vous avez fait cette quête in game, vous vous êtes sûrement aperçu que j'ai procédé à un petit changement. La missive trouvée dans le Bosquet est directement celle qui est cachée initialement dans les marais, afin de faciliter le scénario et la cohérence globale de l'histoire.
N'hésitez pas à me donner votre avis, cela me fait plaisir de vous lire ! A très bientôt.
