Bonjour à toutes et à tous !

Merci à Cassye pour sa review, ainsi qu'aux lecteurs anonymes. Comme dit au précédent chapitre, je reçois de la famille ce weekend et ne pourrait donc pas publier ce dimanche : pour compenser, voici la suite avec un jour d'avance !

J'ai eu beaucoup de mal à écrire ce chapitre, qui est une scène importante et fortement attendue pour le développement de notre vampire favori. Mes difficultés viennent du fait que je n'ai tout simplement... jamais écrit ce genre de contenu. Même au sein de mes lectures personnelles, j'ai très peu approché la figure du vampire à quelques ouvrages près. J'espère donc que - malgré mes fortes appréhensions - ce chapitre ne vous décevra pas.

Réponse aux reviews :

Cassye : Merci pour ton retour ! Quand on parle à Gandrel sans connaître la nature vampirique d'Astarion, il semblerait qu'il y ait deux endings possibles (selon un jet de perspicacité réussi ou non). Si on fail le jet, on ne comprends pas qu'Astarion est tendu face au Gur, et il finit par l'assassiner. Et si on réussi, alors une nouvelle ligne de dialogue apparaît pour qu'on puisse le calmer. J'ai juste eu de la chance lors de mon playthrough, et ai trouvé que c'était une réaction correspondant davantage à Nymuë :) Pour les gobelins, tu vas rire, mais dans mes parties de D&D avec mes amis, on les jouent constamment comme ça. Toujours à être premier degré et à lancer des crétineries, ça nous fait beaucoup trop ricaner x) Contente que tu aies aimé en tout cas, tu risques de retomber sur mon côté goblinesque dans les chapitres à venir...

Je vous souhaite une bonne lecture !


Chapitre 08 :

Visite nocturne

Ombrecoeur et Nymuë rejoignirent leurs camarades, bredouilles. Il s'avéra que la fouille de la forge ne fut guère plus fructueuse ; à leur arrivée, les sacs de Lae'zel et d'Astarion étaient vides de nouvelles richesses… Toutefois, la première exhibait triomphalement une lame de très bonne facture, tandis que le second cachait difficilement son hilarité. Ils l'avaient dérobée à un gobelours, leur racontèrent-ils, alors que celui-ci était en pleine… activité avec une ogresse. Les arrivantes frémirent de dégoût, et le haut-elfe s'empressa de leur fournir le plus de détails scabreux possibles.

Le jour déclinant, il fut décidé de dresser le camp à l'intérieur d'un vieux moulin ; le repaire des gobelins n'était plus très loin, et demain serait sans doute une journée difficile. Alors qu'ils montaient leur tente, la prêtresse se montra curieuse :

" Avez-vous des êtres chers qui vous attendent chez vous ?

- M'attendre, vous voulez dire, derrière la porte ? rétorqua Lae'zel. Pourquoi faire ?

- Je suggérerais bien pour le plaisir de votre compagnie, mais ce serait mentir. Je suppose donc que nous ne devons pas nous attendre à une arrivée impromptue de githyankis, prêts à vous sauver ?

- Les miens ne perdraient pas de temps pour une chose aussi futile. Je fais partie d'une vaste armée, et je ne serai en aucun cas un fardeau pour ma Reine. De plus, j'ai eu une quantité innombrable d'amants, et je ne tolérerais pas qu'ils me considèrent comme une novice ayant besoin d'aide.

- Dites plutôt que personne ne s'est donné cette peine, railla Ombrecoeur. Mais je vous rejoins sur un point: les histoires d'un soir sont moins monotones.

- J'en déduis que vous aussi, vos innombrables amants peuplent la cité ? taquina Nymuë.

- Je cultive la diversité. Et vous, Astarion ? Un tendre coeur ?

- Tendre ? Je les préfère savoureux.

- Je ne veux vraiment pas savoir ce que vous sous-entendez par là…"

Nymuë éclata de rire, avant de réaliser que ses camarades étaient désormais tournés vers elle :

" Oh ! Euh… Non. Personne. Juste quelques connaissances, un tuteur aussi à Baldur's Gate, mais autrement rien de sérieux. En général, les gens se passent d'introduction me concernant...

- Cela me va, rétorqua le roublard avec un rictus. Si jamais vous avez besoin de suggestions…

- … J'irai demander au gobelours et à l'ogresse !", siffla l'elfe noire.

Une série de ricanements accueillit sa répartie, et malgré les appréhensions concernant le lendemain, l'atmosphère joyeuse subsista toute la soirée. Astarion se porta volontaire pour le premier tour de garde et Nymuë s'installa à l'extérieur pour profiter des étoiles.

Cette nuit, elle souhaitait délaisser la méditation au profit d'un sommeil plus réparateur. Elle pensait sincèrement que leur plan était assez solide pour leur permettre d'entrer à l'intérieur du camp gobelin, mais la supercherie ne tiendrait pas si leurs recherches s'éternisaient. Autant être prête si les choses tournaient au vinaigre.

Sans grande surprise, des images d'Elyon la visitèrent à peine ses paupières closes. Elle s'agita, oscillant sans cesse entre rêves fiévreux et cauchemars. Ses compagnons étaient assoupis depuis longtemps lorsqu'elle s'éveilla à nouveau ; peut-être était-ce son instinct, lui soufflant que quelque chose clochait.

Ou peut-être que finalement, elle se révélait chanceuse.

Elle ouvrit brusquement les yeux, le souffle coupé, et ses prunelles grises rencontrèrent celles, écarlates, d'Astarion à quelques centimètres seulement. Le roublard était accroupi près de sa couchette, ses lèvres à proximité de son cou… déployant des canines anormalement longues. Lorsqu'il la vit le fixer, il se releva vivement et recula :

"... Et merde.", souffla-t-il.

D'un bond, Nymuë fut sur ses jambes et saisit son arme ; faisant glisser les chaînes de son poignard, elle jeta un regard furieux au haut-elfe qui leva les mains en signe de reddition :

" Non, non ! Ce n'est pas ce que vous croyez, articula-t-il rapidement. Je vous le promets ! Je n'avais pas l'intention de vous faire du mal ! J'avais juste besoin de votre…et bien…sang…"

Là, dans la lumière incertaine du feu de camp, elle le vit pour ce qu'il était vraiment : un vampire. Un esclave de sa soif permanente. Serrant ses chaînes au point d'en avoir mal, l'elfe noire se força au calme alors qu'elle calculait ses chances de s'en sortir :

" Qui joue la comédie maintenant ? grinça-t-elle. Le sanglier, le chasseur… Combien de temps encore pensiez-vous nous abuser ?

- Ce n'est pas ce que vous croyez ! se défendit-il. Je ne suis pas un monstre ! Je bois le sang des animaux. Sangliers, cerfs, kobolds… tout ce que je peux trouver."

De nouveau, elle distingua ses traits tirés, son teint maladif, les cernes sous ses yeux. Ses rondes fréquentes, son absence lors des repas… Avait-il lutté, seul et affamé, pour se nourrir tout en cachant sa véritable nature au reste du groupe ? Ses pupilles rouges suivaient tous ses mouvements, cherchant à deviner ses pensées, anticiper ses actions. Régulièrement, elles glissaient vers l'arme au bout de ses chaînes. Dépourvu de sa moquerie coutumière, Astarion paraissait presque… désespéré.

" Je suis trop lent, en ce moment, poursuivit-il. Trop faible… Si j'avais juste un peu de sang, je pourrais avoir les idées claires… Mieux me battre… S'il vous plaît."

Nymuë se figea, abasourdie. Venait-il réellement de lui demander ce qu'il était en train de lui demander ? Son cerveau tournait à toute allure ; elle l'avait vu, pourtant, se déplacer en plein Soleil à ses côtés. Toutes les histoires sur les créatures de la nuit étaient-elles basées sur des mensonges ?

Et quand bien même, quand bien même elle se décidait à y croire… Que faire de lui ? S'il avait voulu les attaquer, il aurait pu le faire depuis longtemps. C'était la faim qui, ce soir, lui avait fait prendre des risques inconsidérés et l'avait poussé à l'approcher. Non, la vérité était que, tout comme elle, Astarion avait besoin des membres de ce groupe pour survivre.

Lentement, elle se baissa et déposa son arme. Les épaules du haut-elfe se détendirent et, malgré lui, il laissa échapper un faible soupir de soulagement.

" S'il vous plaît ? répéta Nymuë. Vous venez d'essayer de me mordre dans mon sommeil ! Pourquoi ne m'avoir rien dit ?

- Dans le meilleur cas, je pensais que vous diriez non… répondit-il avec un rire nerveux. Plus probablement, que vous me planteriez un pieu dans le cœur. Non, il fallait que vous me fassiez confiance. Et vous pouvez me faire confiance."

Sa raison lui hurlait de lui interdire de jamais remettre les pieds dans ce camp. De réveiller Ombrecoeur et Lae'zel dans la minute. Par les dieux, elle l'aspergerait d'ail s'il le fallait.

Mais il avait besoin d'aide. De son aide. N'avait-elle jamais été en position inverse ?

"C'est suicidaire, pensa-t-elle. Autant me trancher moi-même la gorge, ça sera plus propre. Qui dit qu'il saura contrôler ses pulsions ? Et même s'il fait preuve de bonne foi aujourd'hui, que se passera-t-il si sa larve prend le dessus ? C'est trop dangereux. Rappelle-toi la première leçon de Revan : quand un imprévu met en péril la marchandise, il ne faut jamais, jamais prendre de risques. C'est tout décidé."

Elle ouvrit la bouche :

" Je le sais. Je vous crois."

Astarion écarquilla les yeux de surprise. Il avait manifestement davantage calculé les probabilités en faveur de sa mort imminente, et ne s'attendait pas à ce que son interlocutrice se montre si conciliante. Amèrement, Nymuë se dit qu'ils étaient deux.

" Merci, murmura-t-il. Pensez-vous pouvoir me faire confiance… un peu plus longtemps ? Une petite gorgée suffira, promis.

- Je ne tiens pas particulièrement à me transformer, rétorqua l'elfe noire.

- Aucun risque. Je suis à peine un rejeton de vampire, vous l'avez entendu de la bouche même de ce Gur. Ma morsure ne vous changera pas."

C'était la chose la plus stupide à faire au monde. Et pourtant, Nymuë réalisa qu'elle pensait ce qu'elle disait : pour une raison qu'elle-même n'expliquait pas réellement, elle avait confiance en Astarion. Était-ce parce que - d'aussi loin qu'elle se souvienne - cette compagnie de fortune était à ce jour ce qui se rapprochait le plus d'une communauté ? Etait-ce parce que ses origines n'avaient jamais été remises en cause par le groupe ? Ou était-ce un désir plus égoïste encore, celui d'être indispensable à quelqu'un, essentiel, l'espace d'un instant seulement ?

" Je vous préviens, pas plus que le strict nécessaire, accorda-t-elle.

- Vraiment ? s'extasia-t-il. Je… non, bien sûr. Pas une goutte de plus. Mettons-nous à l'aise, d'accord ?"

D'un geste, il l'invita à s'allonger de nouveau sur son matelas de fortune. Nymuë s'y attela de mauvaise grâce, réprimant l'instinct qui l'incitait à se précipiter sur son poignard. Comme s'il devinait ses pensées, Astarion se pencha au-dessus d'elle et poussa "accidentellement" son arme alors qu'il déposait ses coudes de part et d'autre de son visage.

Dans d'autres circonstances, cette position aurait pu être suggestive ; mais la jeune femme était bien trop concentrée sur les crocs prêts à se planter dans sa gorge pour se permettre ce genre de pensées frivoles. Les yeux d'Astarion dévoraient sa nuque, contemplant la veine qui, elle le savait, pulsait juste sous son oreille. Impulsivement, Nymuë posa ses mains sur sa poitrine comme pour le repousser ; la peur faisait battre son cœur à un rythme effréné, son pouls s'accélérait. Le haut-elfe affichait une fausse assurance, lui souriant avec sa majesté habituelle, mais elle ne se faisait pas d'illusions : lui-même ignorait s'il pouvait contrôler sa soif.

Ou s'il en aurait envie.

Elle sentait son souffle sur sa gorge, faisant virevolter ses cheveux. L'instant d'après, ses canines perçaient sa chair.

Nymuë se mordit les lèvres, se refusant à gémir : la douleur était vive, comme une pointe de glace transperçant son cou. Elle sentait son sang palpiter à travers ses veines et la quitter lentement, alors que le vampire la ponctionnait de ses forces.

Presque aussitôt toutefois, la sensation s'évanouit ; son rythme cardiaque continuait à s'accélérer, mais son corps, lui, ne ressentait plus rien. Elle était comme… anesthésiée. Ses membres étaient lourds, son cerveau étourdi : elle avait l'impression d'être sur le point de s'endormir. Elle percevait distinctement la présence intruse nichée dans sa jugulaire, mais le monde autour… s'évaporait. Les couleurs devenaient floues, les sons indistincts. Sa conscience s'émiettait.

Elle se sentait vivre. Elle se sentait mourir.

" Maintenant… ça suffit.", murmura-t-elle.

Même à ses propres oreilles, sa voix sonnait trop basse. Les yeux d'Astarion croisèrent les siens ; pendant une seconde, une affreuse seconde, la même pensée les traversa.

Elle était trop faible pour se débattre.

Et s'il voulait l'achever, la drainer jusqu'à plus soif, il n'y avait strictement rien qu'elle puisse faire.

Elle vit que ça lui plaisait. Avoir quelqu'un sous son emprise, que cela soit par la force ou par la peur. Être au contrôle. Elle ne voyait aucune pitié dans son regard : seulement une soif immense, inépuisable. Et l'euphorie de pouvoir entièrement s'y abandonner.

Ses mains serrèrent sa chemise, tentant - vainement - de le repousser. Mais il maintenait ses épaules et sa nuque serrés contre lui, dans une étreinte qui bientôt lui serait fatale.

Alors elle lâcha son vêtement, faisant glisser doucement ses doigts jusqu'à ses pupilles rouges, si rouges. Ils effleurèrent son visage, le forçant à la regarder :

" J'ai dit stop."

Cette fois-ci, il la lâcha, avant de se relever avec une vivacité hors du commun. Il la fixait, le souffle court, et une expression de pur émerveillement sur sa figure :

" C'était… c'était vraiment incroyable.

- Parlez pour vous.", haleta-t-elle en se redressant.

Ses jambes tremblaient sous son poids, et elle fut prise d'un violent tournis. Elle se cramponna à sa tente le temps de se ressaisir. Elle observa Astarion : il léchait les quelques gouttes de sang - de son sang ! - restant sur ses doigts, avec un appétit non dissimulé. Il ne semblait nullement conscient de son état, trop débordé par sa propre béatitude.

Les choses avaient failli très mal tourner. Quelques minutes de plus, et elle serait devenue un cadavre exsangue.

" J'ai enfin l'esprit clair, continua-t-il. Je me sens plus fort, et aussi, quelque part… heureux."

Nymuë dissimula un frisson : pour son crédit, il avait l'air effectivement plus énergique. Ou était-ce elle qui était au bord de l'évanouissement ? Les mouvements du roublard étaient agiles, précis, rapides ; il pourrait sûrement arrêter un projectile en plein vol, si elle avait la force de tester cette théorie.

"Merveilleux, songea-t-elle. Si je meurs cette nuit, je pourrais toujours me consoler en me disant que les résultats étaient au rendez-vous."

" Je suis impatiente de vous voir face aux gobelins, articula-t-elle avec difficulté.

- Ça ne devrait pas prendre longtemps, s'exclama-t-il joyeusement. Notre petite équipe a le don pour se mettre dans des situations périlleuses… Et maintenant, si vous voulez bien m'excuser. Votre sang m'a fait du bien, mais j'ai besoin de quelque chose de plus… consistant."

La jeune femme s'effondra sur sa couchette alors qu'elle le regardait s'éloigner en direction de la forêt. Plus fort, plus confiant, aussi. Prêt à chasser. Soudainement, il s'immobilisa, à peine visible à la lumière du feu de camp :

" C'est un immense cadeau que vous m'avez fait, vous savez… Je ne l'oublierai pas."

Nymuë ne lui répondit pas. Elle s'était déjà endormie.


Au matin, elle eut la surprise de constater qu'on l'avait déplacée à l'intérieur de sa tente. Sa reconnaissance envers le promeneur nocturne fut de courte durée, lorsqu'un léger malaise lui rappela les événements de la veille.

Elle s'empara de son miroir de poche, son autre main palpant sa gorge ; deux entailles rouges, profondes, marquaient sa jugulaire. Les coupures étaient encore vives et lui arrachèrent une grimace. Le fumier avait fait ça sans la moindre délicatesse ! On aurait pu penser qu'un vampire saurait y faire pour prendre son repas proprement, mais elle payait le prix de ses mauvaises décisions.

Hormis un léger tournis - et la désagréable impression d'être un morceau de viande - elle se sentait étonnamment en forme. Passée la peur de mourir dans son sommeil, sa fragilité cette nuit lui avait fait craindre de ne pas être en état de se lever le lendemain. Mais si elle n'était pas au summum de ses capacités, au moins était-elle suffisamment maîtresse d'elle-même pour survivre à quelques gobelins. S'ils ne leur tendaient pas une embuscade, bien sûr.

A l'aide d'un linge propre, elle nettoya ses plaies et constata qu'elles ne se remirent pas à saigner. Restait la question de leur manque flagrant de discrétion, ses cheveux courts ne lui étant d'aucune aide. Elle enfila son armure de cuir bleu-gris, des vêtements confortables qu'elle avait revêtus des jours plus tôt à Baldur's Gate dans la perspective de voyager. Elle lassa ses bottes, ses protèges-bras, puis récupéra dans ses affaires un vieux ruban noir, vestige de ses années passées à La Belle Etoile. Observant son reflet d'un œil dubitatif, elle noua son cache-cou de secours de sorte à rendre la morsure invisible.

Cela ferait l'affaire, faute de mieux. Elle n'avait vraiment pas envie de tomber sur un autre Gandrel. Ou de répondre aux questions indiscrètes de ses camarades, d'ailleurs.

Le jour était levé depuis peu et le Soleil commençait sa longue ascension. Elle était la dernière debout, Lae'zel et Ombrecoeur étant déjà en train de démonter leur tente. Elle les salua d'un geste de la tête, avant de se diriger vers le dernier membre de leur petite équipe.

Astarion avait déjà empaqueté ses affaires, et il attendait patiemment près de ses bagages en consultant un livre. La force soudaine qu'elle avait entraperçue chez lui, la veille, était toujours apparente ; adieu la fatigue, ou l'air malingre. Nymuë pourrait parier que, pour aujourd'hui, cette description serait la sienne. Alors qu'elle s'approchait, elle le vit l'étudier du coin de l'œil, mine de rien ; ses yeux se posèrent sur le foulard autour de son cou, avant de revenir vers son visage. Il s'était composé un air parfaitement détendu et assuré, mais la jeune femme était certaine d'y avoir vu un peu de soulagement.

" Bonjour, la salua-t-il. Comment vous sentez-vous ?"

"Oh, comme un charme, manqua-t-elle de riposter. Mon parasite ne m'a pas encore tuée, un groupe de cultistes nous recherche activement, et nous nous apprêtons à nous jeter dans la gueule du loup en étant clairement en sous-nombre. Ah, et parmi les trois individus sur lesquels ma vie repose, l'un d'eux m'a transformée en casse-croûte cette nuit."

A la place, elle répondit :

" Je vais bien, j'ai juste un peu la tête qui tourne.

- Cela passera. Estimez-vous heureuse que je ne sois pas un "vrai" vampire. Une morsure de l'un d'eux, et vous risqueriez de vous transformer en rejeton, tout comme moi. L'honneur et l'avantage d'avoir la même soif qu'un vrai vampire, mais seulement une petite partie de ses pouvoirs.

- Ce qui explique les balades en plein Soleil ? se renseigna Nymuë.

- Oh, non. Je devrais déjà avoir été réduit en cendres par cette luminosité. Cela faisait bien deux cents ans que je n'avais pas vu le Soleil lorsque le vaisseau s'est écrasé. Quelqu'un… ou quelque chose… semble vouloir me garder en vie. Quitte à changer les règles du jeu."

Son visage s'anima subitement, comme s'il partageait enfin la fébrilité l'ayant saisi depuis le début de leur voyage :

" Profiter du Soleil, traverser un cours d'eau, entrer chez les gens sans y avoir été invité… Tout cela, c'est de la pure mondanité désormais. Quant à mes autres spécificités… J'imagine que nous verrons ce qu'il en est petit à petit.

- Vous pensez que… le parasite ? réfléchit l'elfe noire à voix haute.

- C'est ma théorie, confirma Astarion.

- Récapitulons. Vous êtes un vampire. Vous pouvez marcher en plein Soleil grâce à une larve illithid. Oh, et un chasseur de monstres est à vos trousses…"

L'expression de son compagnon s'assombrit et aussitôt ses gestes furent plus mesurés, retenus. Nymuë sentit qu'elle marchait sur un terrain dangereux…

" Vous me voyez venir, Astarion. Si je veux être sûre de ne pas avoir commis la pire erreur de ma vie en ayant foi en vous, il me faut en savoir plus.

- Pourquoi insistez-vous toujours sur le fait de déterrer le passé ?

- Pas toujours, mais cette nuit il se trouve que vous avez emprunté ma nuque !"

Il lui lança un regard furieux, et la jeune femme n'eut nullement besoin de son parasite pour deviner qu'une part de lui se demandait s'il avait bien fait de ne pas l'achever. Elle s'en sentit amusée, étrangement : comme si son absence, le lendemain, serait passée inaperçue ! Patiemment, elle croisa les bras et le dévisagea, lui laissant le temps de choisir ses mots :

" J'étais un esclave, cracha-t-il finalement. Un rejeton de vampire gardé par Cazador Szarr. Un pantin, incapable de lui désobéir."

Nymuë fronça les sourcils : le nom ne lui disait rien. Pourtant, si un vampire traînait depuis des lustres à Baldur's Gate, Revan ou d'autres membres de leur réseau aurait dû le savoir, non ? Mais il devait être juste de supposer qu'un buveur de sang âgé de plusieurs siècles s'y connaissait en matière de discrétion…

"Peut-être le suis-je encore, d'ailleurs, continua Astarion. Je n'ai jamais pu résister aux ordres de mon maître. Mais maintenant, par un heureux coup du sort, je me retrouve en dehors de sa sphère d'influence."

Sa voix s'était faite plus basse, inquiétante. Dangereuse. Ses yeux, fixés sur Nymuë, ne laissaient aucun doute quant à leur détermination :

" Je ne le laisserai plus jamais me contrôler.", feula-t-il.

L'elfe noire l'étudia, pensive : malgré elle, elle éprouvait de la compassion pour Astarion. Après les événements de cette nuit, c'était probablement la dernière chose qu'elle devrait ressentir, mais il lui était difficile de ne pas discerner chez lui un écho de sa propre histoire. Jamais elle n'aurait cru, sous ses airs pédants et enjôleurs, que le haut-elfe ait connu un traitement probablement aussi distingué que celui fournit par Dame Séri. Il était son opposé en société ; assuré, magnétique, attirant tous les regards à lui, tandis qu'elle faisait de son mieux pour se fondre dans la foule malgré ses traits beaucoup trop distinctifs. Pas le genre d'homme qu'on pensait assujetti.

"D'un autre côté, songea-t-elle, notre masque favori est celui qui nous éloigne le plus de la vérité."

L'observant toujours, elle hocha lentement la tête. Le vampire paru brièvement s'apaiser, mais son regard restait hanté et méfiant.

" En ce qui concerne le chasseur de monstres, reprit Nymuë, doit-on craindre que ses recherches persistent ?"

Astarion laissa échapper une exclamation dédaigneuse et fit un vague geste de la main :

" Avec un peu de chance, il croisera une bande de gnolls lors de ses explorations nocturnes, et nous n'entendrons plus jamais parler de lui.

- S'il revient, il y a peu de chances qu'il vous soupçonne, vu vos aptitudes récemment acquises… Mais pourquoi se lancer à vos trousses en premier lieu ? Qu'avez-vous fait ?

- Rien du tout ! s'insurgea-t-il. Je me suis fait capturer, tout comme vous. Mais il semblerait que Cazador veuille me récupérer…

- Cela aurait été trop simple de devoir juste craindre les flagelleurs mentaux, pas vrai ? soupira-t-elle.

- Il nous faut simplement rester extrêmement vigilants, garder la tête froide, et surtout, tuer tous les chasseurs de monstres que nous croisons.

- Personne ne va tuer qui que ce soit, répliqua froidement l'elfe noire. Et en parlant de ça…"

Elle fit glisser un pan de son foulard, révélant les marques sur sa jugulaire. Astarion observa les ecchymoses, mais Nymuë fut indignée de voir que - loin d'être désolé - il paraissait profondément satisfait :

" Je me suis déjà excusé ! s'écria-t-il d'un air faussement affecté. Que voulez-vous de plus ? A moins que vous ne veniez me demander de vous taquiner de nouveau la carotide…"

De froide, l'expression de Nymuë devînt glaciale : "Tu ne t'es pas excusé du tout, petit baratineur de mes deux.", pensa-t-elle furieusement. Gardant son calme, la jeune femme développa :

" Il faut que je sache comment nous allons vous nourrir à l'avenir. Ma "carotide", comme vous dites, ou celles de nos camarades n'est pas une option.

- Je ne toucherai pas aux innocents, je vous en donne ma parole, déclara-t-il plus sérieusement. En revanche, en ce qui concerne nos futurs adversaires…"

Son ton se fit espiègle, impatient même. Il ressemblait à un enfant sur le point de découvrir un nouveau terrain de jeu. L'elfe noire lui fit signe de poursuivre :

" Et bien, vous savez ce que je suis, maintenant. Et, sous votre discrétion, cela signifie que je peux utiliser toutes mes armes pour me battre, y compris mes dents. Et s'il m'arrive de sucer le sang d'un bandit ou deux lorsque personne ne regarde, quel est le mal ? Ils seront tout aussi morts dans un cas comme dans l'autre."

Nymuë réfléchit ; elle n'était pas entièrement convaincue de la moralité de cette proposition, mais quitte à choisir entre sa jugulaire et celles de futurs antagonistes, sa décision était toute prise :

" Ça me semble très bien, décida-t-elle. Heureuse que nous soyons d'accord à ce sujet.

- Tout comme moi, susurra-t-il en réponse. Sachez en tout cas que je suis reconnaissant de la manière dont vous avez réagi à la nouvelle. En général, c'est le moment où les gens sortent les torches et les fourches…

- Ça peut toujours s'arranger." déclara fermement une voix derrière eux.

L'elfe noire se retourna : Ombrecoeur et Lae'zel avaient terminé de défaire leur tente et les avait rejoints, les poings sur les hanches.

" Vous n'avez pas été particulièrement discrets cette nuit, vous savez ? siffla la prêtresse. Les tentes, ce n'est pas ce qu'il y a de plus isolant.

- Notez une chose, Astarion, lança la guerrière. Si Nymuë ne vous avait pas donné son sang cette nuit, votre tête serait présentement détachée de vos épaules. Seule sa décision de vous aider a retenu ma lame… jusqu'à ce matin, en tout cas.

- Compte tenu de la nature de notre groupe, je suis prête à l'accepter, intervint Ombrecoeur. Nous sommes tous des monstres en devenir, après tout. Si celui-ci sait se comporter…"

Astarion ne répondit pas, mais ses yeux se plissèrent au sous-entendu de la demi-elfe. Nymuë jeta un regard courroucé à ses deux camarades : elles avaient assisté à la conversation de la veille, et n'avait pas remué le petit doigt ? C'était à se demander s'il existait réellement quelqu'un de fiable dans cette bande !

" Cela suffit, ordonna-t-elle. J'ai confiance en lui. Il ne nous fera pas de mal.

- Vous avez confiance en un vampire ? cracha Lae'zel.

- J'ai confiance en Astarion, rectifia l'elfe noire. Que cela vous plaise ou non, nous avons besoin de lui.

- Et sachez, s'immisça le principal concerné, que je me tiens devant vous dans un esprit d'union, fermement décidé à œuvrer en équipe.

- Je crois que je trouve les gobelins plus sympathiques, marmonna Ombrecoeur dans sa barbe.

- Et nous voilà de nouveau tous amis !" conclut triomphalement le vampire.

Nymuë soupira : peut-être, finalement, était-elle le membre le plus équilibré de cette compagnie.


Notes de fin :

Chère Nymuë, c'est ce que l'on appelle du déni !
Un chapitre assez long, j'espère avoir atteint mes objectifs avec cette scène vampirique. Je n'ai pas tant voulu faire quelque chose de sensuel ici, que d'insister sur l'aspect "prédateur" et désespéré d'Astarion à ce stade de l'histoire. J'ai trouvé que cela lui correspondait peut-être mieux.

Au prochain chapitre, nous arrivons chez les gobelins !

Je vous dit à dimanche, au plaisir de lire vos retours d'ici là. A bientôt !