Bonjour à toutes et à tous !
Merci à Cassye pour sa review et merci aux lecteurs anonymes.
Avec ce chapitre, nous entamons l'Acte 2 de cette histoire. Pour les Tréfonds Obscurs, je tiens à préciser que j'ai apporté quelques détails venant directement de Donjons et Dragons, ou de la saga d'ouvrages de R.A Salvatore sur l'elfe noir Drizzt Do'Urden.
Réponses aux reviews :
Cassye : J'aime beaucoup Raphaël également ! Selon moi, c'est le véritable "méchant" de cette histoire. Merci pour tes encouragements et pour être fidèle au poste !
Recommandation musicale : Je vous conseille Beyond the Veil de Lindsey Stirling !
Je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 16 :
Les Tréfonds Obscurs
L'air était plus lourd ; la lumière, inexistante. Ici-bas, seuls se succédaient les gouffres et les galeries rocheuses. Aucun son, ou même écho : uniquement le glougloutement ponctuel des rivières souterraines.
Nymuë peinait à respirer correctement. L'oxygène circulait difficilement en Outreterre, et la moindre inspiration comprimait sa poitrine. Sa vision - pourtant adaptée aux environnements sombres - était obscurcie. Chaque recoin pouvait dissimuler une menace, et chaque détour annonçait une chute potentielle dans les abysses.
Leur périple au cœur des Tréfonds Obscurs avait très mal commencé. Les liens de l'échelle de cordes étaient usés, humides, et plus d'une fois l'elfe noire s'était imaginée tomber. Le trajet leur avait paru durer une éternité mais, finalement, ils avaient atterri dans ce qui ressemblait à un ancien fort. Abandonné depuis longtemps, le bâtiment avait servi de base aux fidèles Sélunites lors de leurs excursions souterraines. Ils n'avaient trouvé ni plan, ni ressources ; seulement des os poussiéreux, provenant d'individus depuis longtemps oubliés. Une bataille s'était déroulée en ces lieux et, désormais, seuls quelques journaux rapiécés pouvaient témoigner de son histoire.
Nymuë en avait ouvert un, à la recherche d'éventuelles informations sur la région. Ce qu'elle avait découvert lui avait fait froid dans le dos :
"[Il y a encore eu un tremblement de terre, la semaine dernière. Nous avons envoyé un groupe en repérage, afin de déterminer quelles routes étaient praticables. Sendor était parmi eux.
Cet endroit est un véritable labyrinthe ; mais nous ne pouvons utiliser ni boussole, ni carte. Les secousses sismiques agitant régulièrement notre camp laissent derrière elles un rayonnement sibyllin ; Sendor pense qu'il s'agit d'un phénomène arcanique. C'est peut-être ça qui rend la flore si imprévisible ?
Quand ce ne sont pas les éboulements, alors ce sont les inondations qui nous submergent. Les rivières se remplissent rapidement, et l'air est tellement humide que nos feux ne durent jamais longtemps. Même le lac, à quelques kilomètres, a débordé. Il va encore falloir reconstruire nos navires si nous souhaitons retourner à Hautelune.]
[Voilà maintenant deux jours que l'équipe de Sendor est partie. Maîtresse Abigail pense que nous ne les reverrons plus. J'irais bien les chercher moi-même, mais il m'est impossible de voir quoi que ce soit dans cette obscurité. Se promener avec des torches revient à se condamner à mort. Les drows ou les illithids sont peu présents à ce niveau d'altitude, mais il existe d'autres choses rampant dans les profondeurs de l'Outreterre.]
[Maîtresse Abigail a enfin cédé à ma requête. Avec le reste de la garnison, nous allons entreprendre le voyage jusqu'à Hautelune. De là, nous pourrons demander des renforts ; des rumeurs circulent quant à des adeptes de Shar dans la région… Le capitaine Wurled m'a fait la morale toute la matinée (enfin, était-ce vraiment le matin ?). "Rappelle-toi, mon garçon.", m'a-t-il dit. "Nous avons l'avantage du nombre, mais toutes les créatures qui se cachent ici connaissent leur environnement. Elles s'y sont mieux adaptées que toi. Et surtout : ils ne te feront jamais l'honneur de t'attaquer de front. Chaque prédateur, ici, maîtrise l'embuscade. Alors ne fait pas l'erreur de sous-estimer ce qui se cache dans le noir."
Il exagère, comme d'habitude. Nos prêtres ont fait ce trajet des centaines de fois, sans jamais subir de lourdes pertes. Peut-être même aurais-je la bonne surprise de retrouver Sendor une fois arrivé à Hautelune.
Tout va très bien se passer.]"
Nymuë supposait que l'attaque du bastion avait dû suivre cette dernière entrée, l'auteur du journal n'ayant pas emporté son bien avec lui. Les mises en garde du capitaine Wurled, même un siècle plus tard, n'étaient pas à prendre à la légère ; les aventuriers eurent rapidement l'occasion de le constater. A peine eurent-ils fait quelques pas en dehors de la forteresse qu'une créature gigantesque sortit de terre pour les attaquer. Une bulette, les avaient informés Ombrecoeur : une sorte de "requin terrestre", se déplaçant via des galeries sous le sol. La créature était couverte de plaques osseuses la protégeant efficacement des armes. Ses pattes courtes, mais puissantes, soutenaient sa large carcasse complétée d'une gueule béante. Elle avait bondi à leur rencontre, mais s'était heurté au bouclier de lumière invoqué par la prêtresse. Lae'zel l'avait chargée, tandis que Nymuë s'appliquait à soigneusement enrouler ses chaînes autour de ses membres. Grâce à une distraction d'Astarion, les compagnons avaient réussi à la renverser sur le dos et à l'achever.
Depuis lors, ils avançaient le plus vite possible, sans se retourner. Le moindre bruit ou éclat de lumière pouvait être fatal dans les Tréfonds Obscurs.
Leur objectif était le cours d'eau mentionné par le Sélunite dans son carnet. Les quelques - rares - textes évoquant l'Outreterre faisaient mention d'une voie commerciale nommée Sombrelac ; elle descendait jusque dans les niveaux inférieurs du pays, ce qui en faisait une étape idéale pour voyager rapidement. D'un commun accord, ils avaient décidé de suivre les rivières ; mais bien qu'ils s'éloignassent du fort, des ossements réguliers ponctuaient leur chemin, comme éparpillés :
"Des gens de la surface, devina Astarion. Ayant fait une très très longue chute…
- Je suppose, intervint Ombrecoeur, que les histoires concernant les habitants des Tréfonds Obscurs se justifient. L'environnement, ici, tente sans cesse de vous tuer. Pas étonnant que les locaux se mettent à faire de même."
Elle se figea, réalisant sa maladresse :
"Je voulais dire… Je ne voulais pas me montrer…
- Il n'y a pas de mal, la rassura Nymuë. Je ne m'attendais pas à une découverte des plus agréables, de toute manière."
Il était vrai que la jeune femme ressentait un profond malaise depuis leur arrivée en Outreterre. Tout au long de son enfance, Nymuë s'était imaginée ce royaume que ses parents avaient quitté du jour au lendemain. Les atrocités qu'il devait contenir, pour justifier un départ si soudain. A la lumière de ce qu'elle constatait, ses hypothèses avaient été bien douces.
Ses chimères enfantines l'avaient fait passer par une myriade de sentiments, avec une émotion revenant régulièrement. La colère. Les Tréfonds Obscurs étaient cruels et terrifiants, lui avait-on dit. Les drows, son peuple, l'étaient tout autant et se prélassaient dans des bains de sang. Ils étaient des tueurs nés et sacrifiaient la chair des innocents au nom de leur Reine Araignée. Ce n'était pas surprenant, murmurait occasionnellement Dame Séri, que ses pauvres parents aient voulu lui offrir un avenir meilleur.
Secrètement, Nymuë n'était pas d'accord. Une part d'elle-même méprisait le "noble sacrifice" de ses géniteurs. Oh, ils l'avaient sortie d'Outreterre oui, mais pour la laisser seule dans un monde où elle était vue comme une aberration. Pour quelle vie, exactement, devait-elle se montrer reconnaissante ? Esclave des caprices d'une femme s'enrichissant sur son dos. Souffre-douleur d'un public qu'elle dédaignait. De la cruauté et de la terreur, Faerûn en regorgeait à foison.
Au cœur de la nuit, elle s'imaginait ce que ça serait, de devenir réellement le monstre qu'ils voyaient tous en elle. Massacrant les plus faibles, complotant contre les plus forts, le tout pour les faveurs d'une déesse maléfique. Privée du Soleil et du monde du dessus. Alors, elle avait peur ; peur de la facilité avec laquelle elle envisageait - voire, enviait - cette version d'elle-même. Sur le continent, elle détonnait. Dans les Tréfonds Obscurs, au moins sa monstruosité se serait reflétée sur le visage de ses voisins. Ici-bas, c'étaient les êtres épris de valeurs qui faisaient tâches.
Alors, quand elle visualisait naïvement le Royaume du dessous, elle se disait qu'il ne pouvait en aucun cas être pire que La Belle Etoile. Que ses parents - du fait de leur choix égoïste - étaient responsables de son malheur. Car toute cette solitude, ces humiliations… elles ne pouvaient provenir de quelque chose d'aussi commun que la malchance, ou le hasard. Il devait y avoir des coupables, une raison valable. Personne ne pouvait simplement souffrir pour… rien ?
Confronter le réel Outreterre, aujourd'hui, la forçait à réaliser que la cruauté était peut-être davantage une affaire d'individus que de lieux. Que l'injustice n'avait pas forcément de cause, et que la douleur n'était pas toujours administrée pour une raison. Elle détestait cette vérité.
"Je crains, murmura Nymuë, de ne pas avoir ma place ici non plus.
- Je n'en suis pas si sûr.", rétorqua Astarion.
La jeune femme réalisa que ses compagnons s'étaient arrêtés derrière elle, couvrant leur visage de leur cape. Ils observaient avec appréhension la multitude de champignons les entourant. Les thallophytes étaient immenses, fluorescents… et émettaient des spores, presque invisibles à l'œil nu. L'elfe noire entendit ses camarades lâcher une discrète quinte de toux ; elle, en revanche, n'était pas indisposée. Les particules glissaient sur sa peau sans laisser la moindre trace, ou obstruer sa respiration.
"Patrimoine génétique je suppose, lui lança Ombrecoeur avec un sourire.
- Mais… comment ? souffla Nymuë. Je ne suis jamais…"
Elle s'interrompit ; le champignon le plus proche d'elle venait soudainement de s'illuminer. Craignant une réaction, elle recula : mais le fongus reprit sa teinte normale. Un toussotement un peu plus puissant du côté de Lae'zel en fit briller un second qui, à son tour, s'éteignit progressivement. L'elfe noire étudia leur petit groupe du regard : elle s'interrogeait…
Saisissant une pierre, elle la lança de toutes ses forces au milieu des chanterelles. A chaque rebond un nouveau champignon s'éclairait, laissant dans son sillage une ligne éclatante.
"Le son, comprit Nymuë. Ils réagissent aux bruits alentour.". Mais quel était l'intérêt d'une telle flore ? Repousser des prédateurs sensibles à la lumière ? A moins que…
L'image d'une toile d'araignée, parcourue d'une vibration, s'implanta dans son esprit.
"A moins que nous ne soyons sur un terrain de chasse", réalisa-t-elle froidement. Des cris aigus confirmèrent son raisonnement ; de différents côtés, des sifflements se rapprochèrent d'eux.
"Courez !" cria Ombrecoeur.
Les compagnons se ruèrent parmi les champignons, s'éloignant le plus possible des créatures à leurs trousses. Chacun de leur pas provoquait le rayonnement d'une chanterelle, comme une réaction en chaîne. Nymuë se jeta au sol alors qu'un tentacule violet manqua de l'atteindre à la tête. Elle se figea, silencieuse ; l'appendice gesticula autour d'elle, giflant l'air à la recherche de sa proie. Il finit par doucement se rétracter. La jeune femme vit qu'il était raccordé à un des fongus, plus ratatiné que ses voisins. Le thallophyte était recouvert de moisissures et semblait attendre quelque chose. Quand un éclat lointain révéla la position des trois fuyards, il pépia et déploya ses bras sinueux vers la source du bruit.
Le monstre était aveugle, devina l'elfe noire, mais apte à capter les émanations des champignons autour de lui. Pour traverser son territoire, il fallait donc être plus discret qu'une tombe… Ou savoir comment brouiller ses signaux.
"Nymuë !", hurla la voix d'Ombrecoeur, loin devant elle.
La musicienne bougea lentement, attrapant le manche de son violon. Le Criard - tel serait son nom - voulait de la lumière ? Elle allait lui en offrir.
Son archet glissa avec aisance, tandis que son instrument produisait un son strident. Cela résonnait sous le plafond des cavernes, se perpétuait en écho ; sa musique les encerclait, les prenaient à revers, partout et nulle part à la fois. Les champignons s'illuminèrent simultanément, comme une vague. Pendant un instant presque figé, immobile, cette petite portion des Tréfonds Obscurs rayonna de mille feux.
Le Criard agita ses tentacules, incapable de localiser l'origine de la soudaine clarté ; avec rage, il commença à balayer les chanterelles l'entourant. Nymuë circula parmi les champignons, continuant de jouer tout en cherchant ses compagnons du regard. A la lumière des fongus, elle les repéra facilement ; ils avaient réussi à se faufiler hors du champ phosphorescent et lui faisaient de grands signes. Elle évita une attaque aveugle du Criard, ses doigts et ses pieds dansant désormais de concert. Pas chassé, demi-pointe, petit entrechat, glissé sur la gauche puis pirouette : "Un, deux, trois, compta-t-elle automatiquement, un, deux, trois…".
Des mains la tirèrent en arrière alors qu'elle quittait le jardin de chanterelles. Se retournant, l'elfe noire reconnut le demi-sourire d'Astarion :
"C'est dommage vraiment, lui lança-t-il, que vous ayez quitté le cirque…
- Croyez-moi, lui répondit-elle, c'est au contraire une de mes meilleures décisions.
- Continuez à jouer, rugit Lae'zel, je vais aller écrabouiller ce champignon.
- Réjouissons-nous plutôt de nous en être sorti, soupira Ombrecoeur en levant les yeux au ciel. Ce serait stupide de gâcher nos forces alors que nous arrivons au but. Observez…"
En contrebas, quelques cabanes se dressaient devant la surface noire d'un gigantesque lac. Les lieux paraissaient abandonnés et décrépis, mais leur construction simple indiquait un ancien village de pêcheurs. Quand ils approchèrent, les compagnons aperçurent le cadavre d'un elfe noir, entouré de nains à la peau grise :
"Des duergars, cracha Astarion avec dédain. Des nains des profondeurs.
- Ils se sont entretués, analysa Lae'zel. Les imbéciles.
- Regardez leur amulette, les interpella Ombrecoeur. Ce symbole…"
Nymuë s'accroupit, étudiant l'étrange médaillon pendu au cou d'une des victimes. La prêtresse avait raison, ils avaient déjà aperçu cet emblème : il était peint un peu partout sur les murs du camp gobelin. C'était un crâne reposant sur un triangle inversé ; une empreinte de main ensanglantée recouvrait ses orbites vides.
"La marque de l'Absolue, siffla la guerrière gith, celle-là même apparaissant sur le visage des cultistes quand ce maudit parasite nous incite à utiliser ses pouvoirs…
- Si des âmes éveillées sont ici, réfléchit l'elfe noire, c'est que nous sommes au bon endroit. Viennent-ils de l'autre côté du lac ?
- Probablement, observa le roublard, il y a des bateaux amarrés plus loin. Et la peau de ces fanatiques est couverte de suie…
- Et donc ? s'enquit la prêtresse.
- Et donc, cela veut dire qu'ils sont situés à proximité d'une zone de chaleur. Probablement volcanique, vues les roches. Voyez plutôt…"
Tendant majestueusement le doigt, le haut-elfe leur désigna une faible lueur à l'autre bout du fleuve. Dans cette obscurité totale, cela faisait l'effet d'un phare en pleine nuit. Le scintillement orangé sortait des minerais sombres et s'écoulait directement dans le lac. "De la lave", réalisa la musicienne.
"Je suppose que nous connaissons notre prochaine étape, conclut-elle.
- Vous êtes sûre de vous ? rétorqua Ombrecoeur. Cela pourrait être une mauvaise idée de naviguer sur ces eaux…"
Avec inquiétude, elle pointa ce qui ressemblait à un immense rocher, sur les rives du village. Il s'agissait en réalité d'une gueule béante, un débris fragmenté d'une carcasse plus gigantesque encore. Chacune des dents de la créature faisait la taille d'un des aventuriers, et elle surpassait en hauteur les habitations environnantes. Le cadavre du monstre avait été porté par le courant, avant de s'échouer près des quais ; mais même dans la mort, sa découverte fit frissonner les compagnons. Si cette chose vivait dans le lac, que pouvait donc s'y tapir d'autre ?
"Impossible de voir quoi que ce soit, les informa Lae'zel en parcourant l'étendue liquide des yeux. Ce bassin pourrait tout aussi bien être rempli d'encre.
- Nous n'avons pas d'autres choix, il me semble… répliqua Nymuë.
- Si cette partie du fleuve n'est empruntée que par les adeptes de l'Absolue, ce n'est probablement pas là que les plus gros prédateurs viennent se nourrir.", tenta de se rassurer la prêtresse.
La jeune femme hocha la tête, aussi peu convaincue que ses camarades cependant. Elle s'approcha d'une des embarcations ; toute en bois et os, le rafiot rassemblait deux ponts liés l'un à l'autre par des filets de pêche. Il ne paraissait guère compliqué à manœuvrer : un seul levier permettait de faire avancer l'ensemble du bâtiment. Elle grimpa sur le navire d'un pas assuré ; Ombrecoeur vint se positionner à sa droite, tandis que Lae'zel et Astarion partirent s'installer à l'avant. L'elfe noire jeta un dernier coup d'œil aux cavernes obscures de l'Outreterre, illuminées ici et là par l'éclat de quelques champignons.
En quelques heures seulement, cet endroit avait manqué de les tuer à plusieurs reprises, chaque tentative plus élaborée que la précédente. Pourtant, il y avait une certaine beauté dans ce royaume laissé à l'état sauvage.
Détournant le regard, Nymuë activa les commandes de l'embarcation, la faisant glisser sur la surface froide du lac... en direction du cœur volcanique.
La température s'accrut considérablement alors qu'ils approchaient des cascades de lave. Sous les roches noircies par le liquide en fusion, les aventuriers distinguèrent une petite ouverture. Lorsqu'ils s'engagèrent, les cavernes des Tréfonds Obscurs disparurent pour laisser place à une immense galerie souterraine. Des murs de pierre de plusieurs mètres de haut les entouraient, et des alcôves avaient été aménagées afin que la lave puisse perpétuellement s'écouler sans nuire à l'architecture.
Une statue, dont le sommet atteignait facilement le plafond, se dressait à proximité de portes de fer. La sculpture représentait une femme, les bras croisés et une dague à chaque main. Ses yeux étaient couverts par un masque bleu et doré, et l'entièreté de son corps était parsemé de fils d'or. Ombrecoeur lâcha un cri de surprise et de vénération mêlés :
"Dame Shar, murmura-t-elle. Maîtresse de la Nuit. Je savais que votre appel n'était pas un hasard."
Les compagnons observèrent avec appréhension l'image de la Déesse de l'Égarement, maintenant persuadés d'être arrivés à destination. Cet endroit devait être la forteresse secrète construite par Ketheric Thorm, ce qui voulait donc dire qu'ils étaient à mi-chemin des Tours de Hautelune. Nymuë reporta son attention sur le portail devant eux ; les grilles s'écartaient dans un cliquetis sourd afin de les laisser passer.
"Nous sommes attendus, semble-t-il", pensa-t-elle.
Ils s'amarrèrent à un quai où se trouvaient d'autres embarcations similaires à la leur. Deux duergars montaient la garde, la main prête à dégainer alors qu'ils accostaient.
"Qu'est-ce qu'on a là ? grinça la première, une femme au crâne chauve et au visage couvert de cicatrices. Des hoons suicidaires, on dirait."
Nymuë n'avait aucune idée de ce qu'était un "hoon", mais la manière dont l'étrangère cracha le mot était suffisante pour deviner qu'il ne s'agissait pas d'un compliment.
"Donnez-moi une seule bonne raison de pas vous trancher la tête et de la donner à bouffer aux rothés ! poursuivit-elle.
- Réfléchissez-y à deux fois, répliqua l'elfe noire. Je suis une âme éveillée.
- Ce qui veut dire, ajouta Astarion dans son dos, que vous nous devez le respect."
La jeune femme roula des yeux à l'adresse de son compagnon, mais celui-ci toisait les duergars avec suffisance. Elle ressentit brusquement une très légère sensation de vertige ; l'esprit de l'inconnue entra en résonance avec le sien. Le parasite, à l'arrière de son crâne, se tint étonnamment tranquille alors que leurs deux consciences s'entrechoquaient. Cette femme, bien que touchée par le pouvoir de l'Absolue, n'était pas infectée.
"Et merde, siffla-t-elle. C'est pas des salades. J'ai senti un picotement. Dans ce cas, on va pouvoir causer. Votre copain Nere, l'âne éveillé, a déclenché un éboulement. Il est plus coincé qu'un eunuque dans un bordel.
- Quelques gnomes se sont retrouvés piégés avec lui, ajouta son camarade, les sales petits fumiers.
- Qui est Nere ? demanda prudemment Ombrecoeur. L'Absolue nous a donné pour mission de rejoindre les Tours de Hautelune. Elle n'a pas mentionné une autre âme éveillée en cours de route.
- Ah ! Dommage que ce porc soit sous les gravats, rit la duergar. J'aurais payé pour voir sa tête s'il avait entendu ça !
- Bien sûr que vous voulez aller à Hautelune, continua l'autre. C'est ce que veulent tous ces crétins de cultistes de toute façon. Nere vient de là-bas, lui aussi. Soi-disant que c'est un représentant de votre déesse à la noix, et qu'il veut déblayer les lieux pour en faire un quartier général. Et maintenant, ce con est à moitié mort."
Leurs larves frémirent tandis qu'Astarion se frayait un chemin dans la tête de ses compagnons, communiquant discrètement avec eux :
"Ce n'est pas notre problème, affirma-t-il. À vrai dire, ça ferait même un adversaire de moins. Ce que nous voulons, c'est nous rendre à Hautelune.
- C'est vrai, renchérit Ombrecoeur. Je suis navrée pour les gnomes s'étant retrouvés piégés par inadvertance, mais ce n'est pas notre combat.
- Aucun intérêt de se battre contre un ennemi déjà à moitié mort.", compléta Lae'zel.
Nymuë approuva silencieusement, le regard toujours fixé sur la duergar lui faisant face. Elle reprit la parole :
"Si Nere a échoué, l'Absolue le jugera et enverra quelqu'un de plus compétent. Notre mission est primordiale ; par où se rendre à Hautelune ?
- Ah ! Vous voulez l'information ? glapit la naine. Aboulez la monnaie."
Elle brandit sa dague, l'expression menaçante ; mais Nymuë avait déjà déployé ses chaînes, et l'arme de son adversaire fut propulsée à l'autre bout de la pièce.
"Je ne crois pas non, poursuivit-elle calmement. En fait, je pense même que vous allez me donner l'information que je cherche gratuitement et rapidement."
Les deux gardes déglutirent, puis reculèrent d'un pas prudent :
"Oh, pétez un coup, lâcha l'étrangère, je vous fais marcher. Votre pote fanatique nous a engagés pour l'aider à gérer cet endroit. Et maintenant qu'il est piégé, sa dette est impayée. Pensez-bien à transmettre ça à votre déesse lorsque vous la verrez. Aucun duergar ne travaille gratis.
- Le passage pour Hautelune est de l'autre côté des docks, désigna son camarade. Mais vous survivrez difficilement une fois là-haut. L'endroit est maudit, et la plupart des ânes éveillés utilisent un dispositif - une sorte de lanterne - pour traverser la région.
- Votre déesse ne vous en a pas fourni ? demanda la première duergar, plissant les yeux d'un air suspicieux.
- Nous sommes censés nous en procurer une ici.", mentit Nymuë.
Elle retint sa respiration ; derrière-elle, ses compagnons firent de même. La naine les étudia soigneusement, avant de hocher la tête :
"Ouais ben, pas de bol, la seule qu'il y a ici appartient à Nere. Comme s'il en avait besoin, dans les profondeurs de Malforge. Vous pouvez toujours creuser en espérant la retrouver sur son cadavre.
- Ou alors, vous vous frottez à la malédiction sans protection, ricana le second. Certains ont survécu, paraît-il. Mais pas beaucoup."
Les deux soldats s'éloignèrent, riant bien fort tandis qu'ils plantaient les nouveaux venus sur les quais. L'elfe noire haussa les sourcils, inquiète :
"Voilà qui change quelque peu nos plans…
- Ne me dites pas que vous avez peur du noir ! railla Astarion.
- Ce n'est pas l'obscurité qui m'effraie, répliqua Nymuë, mais la malédiction. Nous savons que le chemin jusqu'à Hautelune est rapide et dégagé depuis ce bastion ; mais si même les cultistes évitent de l'emprunter sans se protéger…
- Nous avons réussi à tromper des âmes éveillées auparavant, réfléchit Ombrecoeur. Peut-être pouvons-nous tromper également ce Nere. Si nous parvenons à le convaincre que l'Absolue nous envoie, il pourrait nous laisser sa lanterne…
- Et alors quoi, nous allons aider les duergars à déblayer le sol ? Je vous préviens, je ne creuse pas avec cette manucure.
- Si Nere refuse de se montrer coopératif, apprécia Lae'zel, nous pouvons toujours le sauver de la mort pour la lui accorder aussitôt.
- Oh non, siffla le roublard. Je vois très bien ce que vous êtes en train de faire. Vous - dit-il, en pointant Ombrecoeur du doigt - vous souhaitez explorer un peu plus la forteresse dédiée à votre sombre déesse. Vous - en montrant cette fois-ci la gith - voulez juste ne pas manquer une bonne occasion de massacrer du cultiste. Et vous - termina-t-il, en se tournant vers Nymuë - vous êtes sans aucun doute contente d'avoir secrètement un prétexte pour sauver ces imbéciles de gnomes !"
Les trois femmes le dévisagèrent, sans piper mot. Lae'zel prit une expression renfrognée, la main sur la garde de son épée ; les yeux d'Ombrecoeur lançaient des éclairs ; et Nymuë se contenta de lui sourire en battant des cils.
Avec un gémissement, Astarion traîna des pieds à la suite de ses compagnes. Quand ils s'enfoncèrent au cœur des ruines de Malforge, il se plaignait encore.
Notes de fin :
Et voici pour cette semaine.
J'ai fait "soft" pour les Tréfonds Obscurs, tout simplement car la zone explorée du jeu... représente l'accueil, grosso-modo x). Pour faire simple, l'Outreterre a plusieurs niveaux, et plus on s'y enfonce, plus les menaces sont grandes. Dans Baldur's Gate, l'endroit exploré reste très proche de la surface et donc pas particulièrement dangereux. J'aurais adoré vous emmener à Menzoberranzan, mais je ne trouvais pas ça justifié d'un point de vue narratif. Toutefois, si vous pensez que Nymuë s'en tire à bon compte par rapport à sa patrie d'origine, détrompez-vous. Peut-être en apprendrons-nous plus au prochain chapitre...
Je vous remercie pour votre lecture et vous dit à bientôt !
