La noirceur de la nuit planait encore sur la petite ville du New-Hampshire mais ce n'était pas suffisant pour stopper Regina. Vêtue de sa plus chaude doudoune, elle courrait à en perdre haleine sur les rives du fleuve Merrimack.

L'air froid lui brûlait les poumons à chacune de ses respirations mais elle n'en avait que faire ; aujourd'hui était une journée très importante, une journée qu'elle attendait de pied ferme alors elle devait être à son maximum.Un esprit sain dans un corps sain– lui avait toujours martelé sa mère alors, même si mentalement elle était fin prête, elle n'avait eu d'autre choix que de quitter le confort de son lit pour courir.

Son métier de juge était éreintant et, pour se remettre en forme après une longue journée au tribunal, elle avait pris l'habitude d'aller à la salle de sport – au moins une petite heure – pour se vider la tête avant de retrouver la chaleur de son foyer. Elle ne voulait surtout pas ramener l'angoisse, l'anxiété ou encore la colère de sa journée au sein de sa famille, elle préférait évacuer le tout en courant, en frappant dans un sac comme pour se faire peau neuve avant de retrouver les deux hommes de sa vie. Elle y allait si souvent qu'elle avait même fini par sympathiser avec les autres habitués.

Mais voilà, depuis quelques années, depuis ce jour, elle n'y avait plus remis les pieds. Le simple fait de vivre sans lui – de se lever chaque matin en sachant que tout avait changé, de respirer sans sentir son odeur de shampoing – était un véritable supplice tant physique que mental. Elle devait déjà fournir un effort surhumain tous les jours pour ne pas se laisser mourir au fond de son lit alors pourquoi irait-elle gaspiller cette énergie qui lui était si nécessaire à la salle de sport ?

Pourtant aujourd'hui, alors qu'elle ne parvenait pas à fermer les yeux tant l'attente lui était insoutenable, elle avait subitement eu l'envie d'aller courir. Au bout de quelques minutes, alors qu'elle n'en pouvait déjà plus et que son corps la suppliait d'arrêter, elle s'était blâmée de s'être autant laissé aller. En même temps, comment aurait-elle pu faire autrement ? Elle n'aurait jamais pu lui survivre si elle ne s'était pas fait submerger par son océan de tristesse.

Elle repensa à cette période de sa vie où elle était au plus bas et, inconsciemment, elle ne put s'empêcher d'être heureuse pour la mère de Devin. Cette dernière s'était présentée à chacun des rendez-vous en compagnie de son mari ou d'une foule de proche alors, même si la perte d'un enfant était une douleur qu'elle ne souhaitait à personne, elle ne pouvait qu'être soulagée en la sachant si bien entourée. Peut-être pourrait-elle s'en sortir sans avoir à connaitre les tréfonds du désespoir. En tout cas, c'était tout ce qu'elle pouvait lui souhaiter.

Une fois de retour au petit studio qui lui servait de chez-elle, la brune se précipita sous la douche pour se défaire de cette pellicule de transpiration qui avait recouvert son corps élancé. Elle profita que le soleil se soit enfin levé pour lancer un bulletin d'information à la télévision tout en se préparant pour ce grand jour. Elle tendit distraitement l'oreille en comprenant qu'il était question de son affaire :

Le procès pour le meurtre du jeune garçon de Concord, cette affaire qui a choquée toute la nation, se tiendra aujourd'hui.

Comme Ava Tillman – la troisième personne à avoir été filmées par les caméras de surveillance le jour du meurtre – était soupçonnée d'être la véritable coupable, un acte d'accusation a été déposé à son encontre.

Le procès pénale de Ava et le procès pour mineur de Nicholas auront lieu en même temps cet après-midi au tribunal de Concord. Tout le monde aura l'œil rivé sur l'issus de ces procès.

Eteignant la télévision, Regina ne put s'empêcher un sourire en se disant qu'aujourd'hui, l'horrible meurtre de ce petit garçon pourtant innocent ne resterait pas impuni. Aujourd'hui, la justice allait trancher et annoncer des peines à la hauteur de leur crime. Aujourd'hui, ils allaient enfin comprendre qu'ils ne pouvaient pas jouer impunément avec la vie d'autrui.

Elle prit un soin particulier à dompter ses cheveux en un brushing parfait, non pas qu'elle se négligeait les autres jours mais aujourd'hui elle tenait à être tirée à quatre épingles et ce, de la tête aux pieds. Son comportement était sans doute un peu enfantin sur les bords mais elle avait toujours été très compétitive, notamment durant ses études. Elle n'avait cessé de se battre avec son amie pour être la meilleure élève de sa promotion et, aujourd'hui, avec l'intégralité du pays comme témoin, elle s'apprêtait à enterrer cette vieille amitié en la battant à plate couture, une fois de plus.

Récupérant les divers documents nécessaire pour mener à bien sa mission, elle les glissa dans sa valise de travail et s'en alla rejoindre son taxi qui l'attendait déjà depuis quelques minutes. Le trajet jusqu'au tribunal se passa s'en encombre. Les yeux rivés sur l'écran de son téléphone, elle avait lu plusieurs articles qui évoquait l'affaire de la journée – nombreux étaient ceux qui réclamaient une condamnation ferme mais, malgré l'horreur de ce meurtre, certains quémandaient quand même la libération à cause de leur jeune âge à tous les deux.

Une fois sur place, elle fut accueillie par une horde de journaliste. Le véhicule fut pris d'assaut et, en moins d'une demie seconde, elle se retrouva prise au piège – encerclée par les micros et les caméras. Le conducteur avait beau frapper sur son volant, les journalistes n'en avaient que faire, ils continuaient à s'entasser les uns sur les autres contre la carrosserie ce qui l'empêchait d'ouvrir la portière.

« S'il vous plait, vous admettez l'avoir entrainée de force ? »

« Madame Mills, par ici s'il vous plait ! »

« Madame Mills ! »

« Vous n'êtes plus la juge principale dans cet affaire, pouvez-vous nous dire un mot sur ce que vous pensez de votre collègue ? »

« N'êtes-vous pas déçue d'avoir perdu ce dossier ? »

Elle entendait leurs questions et le bruits des appareils photos mais personne ne lui laissait le temps de répondre. De toute manière, qu'aurait-elle bien pu dire ? Que pensait-elle d'Emma ? La blonde l'avait énormément aidé sur ce dossier et elle était tout à fait qualifiée pour traiter cette affaire. Était-elle déçue ? Peut-être un peu mais tant que justice était rendue, elle se moquait bien de savoir qui était le juge à prononcer la sentence.

Soupirant en comprenant qu'ils n'étaient pas décidés à lui offrir l'espace nécessaire pour sortir, elle sursauta en voyant sa portière s'ouvrir. Une main la tira vers l'extérieur, et, croyant tout d'abord qu'il s'agissait d'un journaliste, elle se détendit en voyant le sourire qu'affichait son homologue.

« Tenez bien votre valise, ça risque de secouer. » Annonça-t-elle simplement en la maintenant par les hanches.

Parapluie ouvert en main, Emma se fraya un chemin de force parmi cette forêt de personne tout en les empêchant de prendre des photos. Elles atteignirent rapidement le hall d'entrée où les attendait Belle qui referma immédiatement la porte à clé dans leur dos.

« C'est comme ça depuis près d'une heure déjà. » Marmonna Scarlett, assise plus loin, une poche de glace sur le visage.

La blonde était la première à être arrivée sur place et, utilisant sa voiture, elle avait emprunté le parking sous-terrain ce qui lui avait permis d'éviter le troupeau de photographe mais ce n'était pas le cas de tous. Albert Spencer avait eu un mal fou à atteindre la porte si bien qu'il avait menacé d'appeler la police si un seul micro entrait dans l'enceinte du tribunal. La médiatrice en justice avait été secourue par la juge et son parapluie mais Scarlett, même en se cachant derrière la toile noire, avait été frappé en plein visage par l'objectif d'un appareil photo ce qui lui avait laissé une belle trace sur la joue.

« Tout ça, ce n'est rien de plus qu'un spectacle pour eux. » Grommela Emma en les fusillant du regard à travers la vitre.

« Nous devons nous préparer. » Fit simplement Regina, sans prêter le moindre intérêt aux flash lumineux qu'elle sentait dans son dos.

Opinant de la tête, la blonde lui emboita le pas sans attendre. Elles rejoignirent la chambre des mineurs criminel où Ashley courrait déjà partout. Elles retrouvèrent le juge en chef dans son bureau et la conversation s'éternisa quelques peu car ils prirent le temps d'évoquer tous les angles d'attaques possible pour ne pas être pris au dépourvu par la défense des avocats.

Finalement, l'heure de l'audience approchant, ils durent se mettre d'accord sur une tactique à adopter pour commencer. Les deux jeunes femmes s'en allèrent ensuite pour se préparer, pour récupérer les derniers documents mais surtout pour enfiler leur robe de juge.

D'un pas rapide mais assuré, ils rejoignirent tous les trois la salle réservée par l'audience. Il y avait déjà foule et pourtant, il était possible d'entendre une mouche voler. Personne ici ne pouvait sou estimer l'ampleur de la situation, les enjeux étaient bien trop gros.

« Affaire numéro 2021- IP2598. Je déclare le procès ouvert. » Annonça fortement Albert Spencer devant la foule de personne qui lui faisait face.