Chapitre 14

"Comment ?" demanda Hermione.

Il ne répondit pas, mais la regarda. La colère avait presque disparu, seule la peur et la tristesse étaient restées.

"Vous ?" Le choc se lut sur le visage de la jeune femme.

"Votre situation ne va pas s'arranger, Hermione. C'est fini, vous avez disparu."

Il prit la direction de ses appartements, dos à elle, les épaules basses et l'air las.

La voyant fuir, elle le suivit, voulant à tout prix l'empêcher de partir et d'abandonner.

"Vous ne pouvez pas dire cela. Vous n'avez pas le droit, il faut trouver un moyen!"

Il claqua la porte derrière lui. Elle tambourina à la porte.

"Vous me devez au moins une explication!"

Il ne lui répondit pas.

"Vous ne pouvez pas me faire ça!"

Il s'était effondré à l'entrée de chez lui, incapable de bouger à nouveau. Comment lui expliquer que ses peurs étaient si profondément ancrées qu'il faudrait plus d'une vie pour s'en remettre ? Comment la revoir alors que tout cela était de sa faute ? Alors qu'il était en partie responsable de sa disparition ? Tout était remonté. Le 3 octobre, la date lui disait quelque chose sans qu'il ne mette le doigt dessus. Sans jamais qu'il ne fasse le lien entre leurs situations. Il avait vécu hors du temps jusqu'au jour où elle était réapparue devant sa porte.

Les souvenirs de la veille de sa disparition étaient flous. Il se souvenait être sorti de sa douche et de s'être regardé dans le miroir. La réalité de sa vie l'avait frappé. Il avait survécu contre sa volonté, à cause d'elle qui s'était acharnée à le soigner sommairement avant de retourner se battre. Elle lui avait partiellement sauvé la vie et l'avait condamné au même instant. Il devait mourir ce jour-là, disparaître avec les souvenirs laissés. Et le pire dans tout cela, c'est qu'il ne lui en voulait même pas, elle avait fait ce qui lui semblait juste comme il l'avait toujours fait. Comment lui reprocher cela ?

Il avait voulu disparaître, ne plus exister, que personne ne se rappelle de lui. Sa vie avait été assez difficile pour qu'il persiste à la continuer. Plus rien ne l'attendait, personne ne l'attendait. Tout ceux à qui il tenait étaient morts.

Il se souvenait avoir pris une simple potion. Un poison. Il l'avait bue et s'était endormi, serein. Mais le lendemain, il s'était réveillé douloureusement, comme après une gueule de bois puissante, tremblant et poisseux. Son corps avait lutté toute la nuit contre le poison, le gardant en vie contre son gré. Il s'était simplement remis à travailler et à survivre. On ne lui accordait pas la seule chose qu'il voulait vraiment : mourir.

Le matin du 3 octobre, ce n'était pas lui qui voulait disparaître, qui avait disparu mais bien elle.

Il n'oserait plus lui faire face. Faire face à sa détresse, à sa colère et au regard doux qu'elle lui montrait parfois. Il ne pourrait pas l'anéantir à nouveau. Il avait touché du bout du doigt cette amitié naissante sans jamais oser s'approcher trop près. Maintenant c'était impossible, ils étaient perdus. La magie leur avait joué un tour vraiment mauvais, et il était incapable d'y faire face.

Pendant les jours qui suivirent, il s'était mis à l'ignorer complètement, au point où elle pensait presque qu'elle était redevenue invisible à ses yeux aussi. Hermione continuait de venir à ses cours, restant simplement silencieuse au fond de la salle. Elle l'observait marcher, ses pas étaient raides, ses cheveux cachaient constamment son visage et ses remarques plus acerbes que jamais. Ses cours étaient devenus silencieux, chaque élève savait qu'au moindre faux pas sa colère déferlerait contre eux.

La gryffondor avait essayé de venir lui parler mais il s'enfuyait constamment.

"Vous n'avez pas le droit de me faire ça. Vous m'envoyez paître dès que cela vous plaît. Dès que cela devient difficile. Ne comprenez-vous pas que vous êtes la seule personne pour qui j'existe encore ? Si vous m'abandonnez comment vais-je faire pour vivre ? Pour simplement parler sans avoir l'impression d'être cinglée. Je n'ai plus personne à part vous." Elle leva les yeux, retenant ses larmes. "Vous êtes un lâche, Severus Snape." Lui asséna-t-elle alors qu'il quittait à nouveau son bureau pour ses quartiers.

Ses épaules se tendirent puis elle l'entendit souffler, il était parti.

Elle avait tout essayé pour se faire pardonner. Elle l'avait supplié, s'était mise en colère, avait presque pleuré devant lui. Mais il n'avait jamais eu aucune réaction.

Elle avait l'impression d'être devenue un fantôme. Son dernier espoir s'était envolé. Elle s'était faite une raison, Snape ne l'aiderait plus, il avait décidé lui aussi de la laisser à l'abandon.

Elle pensait pouvoir le faire seule. Elle avait tenté de travailler sur les souvenirs mais sans la légilimancie de Snape, elle n'arrivait pas à les faire apparaître aussi clairement. Elle ne parvenait pas à surmonter ses peurs seule. Elle le devait, c'était sa seule solution et elle n'arrivait pas à admettre que tout était fini, que rien ne redeviendrait comme avant. Elle s'était entêtée à travailler. Elle passait la plupart de ses journées assise en tailleur devant la cheminée, les yeux fermés. Oubliant tout le reste, elle perdait le rythme des journées et des nuits. Elle étudiait chaque partie de son esprit pour qu'il soit plus fort, plus droit, moins volatil. Elle se remémorait les conseils qu'il lui avait donnés, les appliquant le plus précisément possible. Quand elle ne sentait aucun changement et que son cerveau commençait à bouillir et que chaque petit bruit environnant l'empêchait, elle se levait et quittait ses appartements.

Hermione marchait dans le château peu importe l'heure, elle prenait un grand bol d'air, calmant la migraine qui parfois commençait à apparaître. Puis elle laissait son esprit vagabonder comme il le voulait, ne retenant plus ses pensées.

La jeune femme s'était mise à déambuler dans les couloirs sans but. Elle marchait sans savoir où elle voulait aller. L'été serait bientôt là et elle se demandait ce qu'elle allait faire. Prendre le Poudlard Express et partir ? Pour aller où ? Elle n'avait ni maison, ni lieu où habiter et aucun moyen de survivre à l'extérieur. Elle était bloquée dans le château, à vivre ici jusqu'à ce que sa mort vienne en volant pour simplement s'habiller ou manger. Elle avait disparu et la seule personne à la voir avait décidé de l'oublier aussi.

Elle marchait toujours dans les couloirs. Les élèves commençaient à sortir de leur salle et la foule devenait de plus en plus dense. Elle continuait d'avancer, sans se soucier d'en bousculer quand quelque chose la fit remarquer qu'aucun n'avait encore sursauté à son contact. Elle s'arrêta. Un garçon parlait avec ses amis, ils riaient. Il continua d'avancer et au moment où il aurait dû entrer en contact avec elle, il passa simplement à travers elle, sans ressentir aucune différence avec l'air.

Contrairement à lui, Hermione le sentit passer dans tout son corps, du bout de ses doigts de pied, jusqu'au haut de sa tête. Sa respiration se coupa. La température de son corps monta en flèche avant de redevenir normale lorsqu'il s'était éloigné d'elle. Elle perdait son dernier sens, le dernier repère qu'elle avait avec le monde. Le toucher. Elle ne bougea pas et quelques autres élèves la traversèrent à nouveau, l'onde de chaleur se propageant dans son corps à chaque fois, lui donnant la fièvre puis redevenant à la normale juste après. La réalité la frappa de plein fouet. Elle n'existait tout simplement plus.

Hermione tomba sur ses genoux qui cognèrent le sol douloureusement. Abattue, elle ne bougea pas. Le couloir se vidait peu à peu alors que la foule se réunissait dans la grande salle pour le déjeuner.

Elle ne comprenait pas, elle faisait tout comme il lui avait dit de faire. Elle travaillait sur ses peurs, cela devrait lui permettre d'avancer, pas de disparaître de plus en plus.

Des pas résonnèrent au bout du couloir. Elle releva la tête. Elle vit une forme sombre s'approcher d'elle à travers ses yeux embués par les larmes. La silhouette s'avança. Elle ne bougea pas, sachant que de toute manière celle-ci passerait à travers elle aussi, quand une paire de bottes s'arrêta devant elle.

"Je suis devenue invisible."

Granger lui avait dit cela comme si elle venait de s'en rendre compte. Sa situation n'avait pas changé depuis le jour où il avait décidé de la laisser, sacrifiant sa vie contre la peur qui l'habitait et qu'il était incapable de vaincre.

"Je sais.

— Non. Vous ne savez pas. Ils ne peuvent même plus me sentir."

À ses pieds, complètement dévastée, il osait enfin la regarder. Il s'apprêtait à aller manger quand il l'avait vue à genoux, tremblante et sanglotante. Il avait vu la réalité en face, ce qu'elle lui criait depuis tant de temps.

"Relevez-vous." Dit-il en lui proposant sa main.

Elle regarda cette dernière comme si c'était une menace qu'elle n'oserait pas toucher. Elle détourna le regard, gardant ses yeux rivés vers le sol. L'ignorant comme il l'avait ignorée.

"Vous n'avez pas le droit de me faire ça.

— Je…

— Vous ne pouvez pas décider de partir ou de revenir quand bon vous semble, ce n'est juste pour aucun de nous deux.

— J'avais peur." Dit-il.

— Ce n'est pas une raison. J'ai peur aussi mais je n'abandonne pas."

Elle osa lever le regard vers sa main toujours tendue.

"Je sais. Cela n'arrivera plus.

— Comment pourrais-je vous croire ? Vous… Ses mots se coincèrent dans sa gorge.

— Je vous le promets."

Son regard passa de sa main à ses yeux plusieurs fois puis elle le toucha. Et elle fixa ses iris sombres dépourvus de leur masque habituel. Il était sincère, dépourvu de colère et de haine. Il ne mentait pas, ne tentait pas de se dérober ou d'utiliser une entourloupe qui pourrait lui permettre de revenir dessus. Il lui faisait enfin la promesse qu'elle ne pensait jamais entendre un jour.

Otée de tous ses doutes, elle approcha sa main. Ce furent d'abord ses doigts qui entrèrent en contact avec les siens, puis leurs paumes qui se touchèrent. Elle avait l'impression de ressentir ce contact dans tout son être. Elle s'agrippa plus fermement à sa poigne. Il l'aida à se relever puis ils se retrouvèrent face à face. N'y tenant plus, elle combla les quelques centimètres qui les séparaient, le serrant fermement contre elle. Il vacilla un peu en arrière puis referma ses bras sur elle. Son contact lui avait tant manqué.

N'importe qui aurait pu passer dans le couloir et voir le maître des potions dans cette position étrange, un peu penché vers l'avant, les bras enroulés contre quelqu'un qu'ils n'auraient pas pu voir. Mais il n'en eut que faire et dut s'avouer que la chaleur de la jeune femme faisait monter en lui un sentiment nouveau, une chose qu'il ne pensait pas ressentir.

"Je suis désolée." Dit-elle, le visage enfoui dans ses robes. "Je suis tellement désolée.

— Moi aussi."

Ils s'écartèrent un peu au bout de quelques minutes, permettant à Severus de voir son visage rongé par les larmes, exposant sa douleur. Son cœur se serra.

"Vous me devez des explications.

— Oui."

Il regarda autour de lui et dit :

"Ne restons pas là, quelqu'un pourrait arriver à tout moment."

Gardant sa main dans la sienne, il la tira jusqu'à une salle vide.

La tête baissée, ses cheveux cachaient ses yeux. Une soudaine peur montait en lui. Comment lui expliquer ? Et si c'était elle qui s'enfuyait maintenant ?

"Miss Granger… Hermione." Se reprit-il en se raclant la gorge.

Il leva les yeux juste au-dessus d'elle comme pour mettre une distance entre eux. Entre ce qu'il voulait lui dire, lui expliquer, et les émotions associées.

"Vous m'avez dit avoir disparu le 3 octobre. Pendant très longtemps, je n'avais jamais vraiment réfléchi à la date. Cela n'avait pas de sens pour moi. Mais quand je me suis retrouvé dans ces souvenirs…

Elle regarda ses yeux se fermer un instant, comme s'il cherchait les bons mots.

"J'ai ressenti la même chose que la veille de votre disparition.

— La veille ?" Elle ne voulait pas l'interrompre, sentant qu'à n'importe quel moment il pourrait se refermer à nouveau. Mais son interrogation lui avait échappé.

— Le 2 octobre précisément, j'ai voulu disparaître. Cela aurait dû être rapide, un poison que j'avais moi-même préparé aurait dû m'endormir pour toujours."

Il n'osa pas dire les mots, il ne voulait pas lui avouer clairement qu'il avait voulu mettre fin à ses jours. En regardant les différentes expressions se jouer sur le visage de la jeune femme — l'effroi, la peine, la tristesse — il vit qu'elle avait compris.

"J'ai voulu disparaître. Dans chacun de mes souvenirs, chaque moment que vous avez vu, je n'avais qu'une seule chose en tête : disparaître. Ne plus exister. Pouvoir être enfin en paix." Il prit une grande inspiration. "Quand je me suis réveillé le lendemain, j'étais toujours en vie. J'ai pensé que mon corps avait simplement dû être assez habitué à toutes sortes de poisons pour qu'aucun ne puisse en venir à bout.

— Je connais ce sentiment. Celui de ne pas vouloir exister.

— Je sais, je l'ai vu dans votre esprit. Lorsque Bellatrix vous a attaquée, vous ne vouliez plus exister. Personne ne voudrait être en vie lorsque l'on souffre à ce point. Vous aviez peur, et encore maintenant cela vous affecte."

Cette fois-ci, elle retint ses pensées. Après la guerre, elle avait eu cette impression de ne plus être utile. Harry n'avait plus besoin d'elle, Ron n'avait pas voulu continuer une relation qui n'avait jamais pu exister. Elle vivait avec une boule au ventre, comme si la sorcière pouvait sortir d'une porte, arriver au bout d'un couloir. Elle faisait face. Mais elle craignait toujours Bellatrix malgré sa mort, malgré la victoire.

"Quand j'ai décidé de le faire, un lien a dû se créer, quelque chose d'inexplicable. Votre magie a fait écho avec la mienne. Et au moment même où j'aurais dû mourir…

— J'ai cessé d'exister."

Hermione ne sut pourquoi mais elle se sentit soulagée. Comme si un poids venait d'être retiré de ses épaules. Ou peut-être que ce sentiment était l'écho de celui de Snape. Elle vit ses traits se détendre. Puis, silencieusement, une larme s'échappa de ses yeux.

Il toucha sa joue, puis regarda sa main, le bout de ses doigts était humide. Depuis combien de temps cela ne lui était-il pas arrivé ? Il sentit alors une chaleur sur sa joue, un pouce essuyait le dessous de ses yeux délicatement. Toujours près de lui, Hermione lui souriait doucement.

"Je ne pourrais pas vous faire revenir." S'excusa-t-il.

— Je sais." Répondit-elle sincèrement.

Mais elle sentit au fond d'elle que c'était tout le contraire. Que l'homme en face d'elle était capable de faire bien plus que de la faire exister parmi tous, il pouvait lui enlever ses peurs pour qu'elle se sente vivre, tout simplement. À chaque fois qu'elle était près de lui, Bellatrix disparaissait un peu plus de son esprit.

Et elle se promit, dans son esprit, de ne pas l'abandonner non plus, parce que l'homme qu'elle voyait en face d'elle avait déjà été bien assez seul pour plusieurs vies.