Journal de la revieweuse :

Lilinnea : Lol je reconnais que je suis un peu partie en sucette sur le logis de Gayle mais après tout, c'est un grand magicien et il est fortuné alors, autant se faire plaisir, non ? En plus, dans le canon que je me fais de lui, je pense qu'en dépit de son caractère jovial et ouvert, Gayle a le côté un peu solitaire des introvertis. Je lis même régulièrement des théories sur le net comme quoi il serait le spectre de l'autisme o_O Euh... à cause de quoi ? Je ne sais pas.
Mdr, mais c'est qu'elle m'encourage avec Courgette ! XD Je me fatigue de mes propres bêtises... Promis, on aura des nouvelles.
Trop tôt encore et pas assez intéressant pour que Silesta crache le morceau. Je travaille les gens au corps. Mais ne t'en fais pas, il y aura bien de la confidence à un moment. Laisse-moi encore ajuster la cuisson, hé hé !

Il est temps de débloquer le nœud.


CHAPITRE 4 – LA PLUIE DE SES YEUX

Silesta se retrouva directement dans la salle de réception. Pourquoi cette pièce en particulier ? Parce qu'elle était assez vaste et vide pour lui permettre de marcher à loisir et sans difficulté. Elle entama alors une série d'allers-retours frénétiques sur le parquet lustré qui toquait sous ses pas. Elle avait besoin de ventiler cette bouffée obscure en elle.

La salle était baignée de lumière mourante du soir. Sans l'éclat doré des lustres et des candélabres, elle n'avait rien de festif ou de joyeux. Ce grand espace vide composé d'une simple petite estrade pour musiciens et quelques buffets le long des murs respirait un silence qui n'avait rien à y faire. Il manquait la musique, le brouhaha joyeux des conversations ponctuées d'éclats de rires et le léger tintement des verres des invités.

C'était un bien étrange paradoxe. Le calme ambiant de la pièce permettait à la jeune femme agitée de lisser ses pensées tandis qu'elle ressentait le besoin désespéré de s'imprégner de l'atmosphère chaleureuse qui devait occuper cet endroit sous l'effervescence d'une fête. Elle avait besoin de quelque chose pour l'extirper du miasme dans lequel elle s'embourbait.

Silesta se précipita soudain à une fenêtre qu'elle ouvrit et inspira profondément. L'air du soir diffusa une onde de frais dans son corps qui se propagea à son esprit.

« Ne trouvez-vous pas étrange que vos symptômes correspondent à ceux de Feyre Calis ? »

Elle se sentit se refermer comme une huître et se passa la main dans les cheveux avec nervosité. La vision d'une belle quadragénaire à la pâleur mortuaire allongée dans un lit s'imprima devant ses yeux avant que les traits de son visage ne prennent l'apparence d'une jeune femme aux cheveux d'argile.

« Non ! »

Non, elle ne finirait pas comme Feyre Calis ! Elle n'était plus une Endormie. Elle avait survécu à deux explosions et s'était éveillée. Sa magie n'était plus en stase elle s'était déjà manifestée plusieurs fois. Elle ne pourrait plus succomber à la folie pas plus qu'elle ne se ferait dévorer !

Et pourtant, Gayle avait sans doute raison. Silesta serra les dents, transie d'angoisse. Cette théorie était plus que plausible et sa fatigue extrême - nonobstant une bonne hygiène de vie – ne pouvait s'expliquer que par cela. Après tout, que savait-elle d'elle-même et de son statut d'ensorceleuse-catalyseur humain ? Elle était la seule en son genre, une bizarrerie sans précédent née de la folie barbare d'un esprit malade. Qu'est-ce qui lui disait que malgré son éveil, elle n'était pas en train de se consumer de l'intérieur ?

La jeune femme étouffa dans sa main une expiration douloureuse. Cette pensée ravivait ses anciennes terreurs. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Elle avait fait face ! Elle avait tenu bon grâce au soutien sans faille et à la bienveillance infinie de sa famille de cœur. Anmoira, Tébur, Perzin, Ulryn... Ils avaient tous été là pour elle. À chaque silence douloureux, chaque accès de colère incontrôlée, chaque cauchemar qui ébranlait leur sommeil avec perte et fracas, chaque manifestation de magie sauvage inopinée. Elle avait usé leur patience jusqu'à la lie mais ils avaient tenu bon et ne l'avaient pas abandonnée.

Trois mois. Il lui avait fallu plus de trois mois pour trouver la force de verbaliser sa souffrance, formuler l'indicible, exorciser son démon. Ce jour-là, son âme avait retrouvé une nouvelle forme de virginité. Anmoira avait même chanté pour la mémoire de Livius et Silesta avait ressenti une telle paix intérieure qu'elle était certaine avoir été approchée par une présence invisible.

Elle avait affronté son passé, elle l'avait accepté, même dans la douleur. Pourquoi alors taisait-elle sa magie au point de s'en rendre malade ?

« Quelque chose vous tourmente, Silesta ? »

Le support sans volonté d'Iwen qu'elle avait été n'existait plus. Il avait explosé dans cette geôle.

« Quel poids portez-vous encore ? »

Elle n'en avait plus. Elle avait fait ce qu'il fallait.

« L'abandon d'Astarion a été une déchirure dans votre âme. »

Elle s'arrêta de marcher, livide. Une brûlure échauda ses yeux jusqu'à les faire briller de larmes. La voilà, sa raison.

Parce que sa plus grande terreur était un voile transparent qu'elle avait déposé sur son cœur en souffrance dans le fol espoir de ne pas avoir à l'affronter. Le point d'interrogation qui trônait aux côtés du nom d'Astarion prenait tant de place dans son esprit que Silesta finissait par ne plus rien voir. L'incertitude de son sort. Ses véritables intentions qui l'avaient poussé à s'enfuir de cette maison. L'explication se cachant sous ce silence qui la privait de lui.

Silesta secoua la tête avec résignation.

« Non. C'est ridicule. Je le connais. Malgré tout, il doute toujours de sa valeur. Il a pris peur. »

Elle prit le temps de respirer profondément tout en récitant son mantra. Elle avait deviné la cause de cette fuite et elle le comprenait. Elle deviendrait une vraie ensorceleuse pour être plus forte et qu'Astarion n'ait plus à craindre pour elle. Elle le sauverait de son affliction vampirique face au soleil et ils pourraient enfin être ensemble.

Quelques instants après, la jeune femme se sentit enfin plus apaisée. Voilà. Il suffisait juste de prendre le temps de réfléchir. Une bonne nuit de sommeil complèterait le tout et elle reprendrait ses exercices magiques.

Forte de cette perspective bien plus positive, Silesta referma la fenêtre et fit demi-tour pour sortir.

Le décor tournoya en même temps qu'elle. Les formes se brouillèrent en lignes floues et ondulantes et un léger bourdonnement vibra à ses oreilles. Elle avait chaud. Ses pas tanguèrent sous ses mouvements mal assurés et la porte de la salle de bal bascula tout à coup à l'horizontale.

Le trou noir.

Son esprit réintégra son corps au milieu du silence. Elle reposait dans une mollesse familière et l'odeur qui flottait dans l'atmosphère l'était tout autant. Elle était dans sa chambre.

Silesta se força à ouvrir péniblement les paupières. Son regard rencontra le voile transparent rose poudré de son baldaquin. Les voilages avaient été tirés et ondulaient faiblement sous la brise qui s'infiltrait dans sa chambre par la fenêtre entrebâillée. Il faisait nuit dehors et le calme était parfait. Près de sa table de chevet, une petite vasque accompagnée de sa carafe avait été déposée et un linge flottait encore dans un reste d'eau.

La jeune femme ne chercha pas à remuer davantage et regarda les ornements sculptés dans la structure de bois au-dessus de sa tête, le temps de se souvenir. Elle avait perdu connaissance dans la salle de bal chose qui lui pendait au nez depuis un bon moment déjà. Gayle avait dû frôler la syncope quand il l'avait trouvée...

Elle soupira, penaude. Elle n'avait pas été aimable avec lui sur la fin du dîner. Il s'inquiétait pour elle, elle n'avait pas à s'en prendre à lui. Il était d'ailleurs étrange pour Silesta de remarquer à quel point elle se montrait plutôt naturelle avec Gayle. Contrairement à ce qu'elle faisait parfois avec Astarion, elle n'avait jamais trop ressenti le besoin de mesurer ses attitudes envers le magicien. Sans doute était-ce parce que le personnage grandiloquent du vampire appelait davantage à la théâtralité. Qu'importe. Son mentor n'avait pas mérité une fin de repas si glaciale. La jeune femme se retourna dans son lit et ferma les yeux avec la promesse de faire amende honorable dès le lendemain matin.

Hélas pour elle, ses songes se chargèrent directement de sa pénitence.

Un décor sombre et humide des entrailles de la terre l'entourait, baigné d'une lumière glauque sans vie. Rien qu'une immensité vide sans ciel ni terre rien qu'un bourdonnement à ses oreilles et une intense sensation de raideur dans tout son corps. Une douleur subite contracta tout son squelette dans un spasme violent. Elle retint un cri tandis qu'elle se noyait sous des messages sensoriels contraires. Elle avait mal à en mourir mais ne décelait aucune plaie nulle part sur elle.

« Je le savais. »

Silesta ouvrit les yeux et son cœur manqua un battement à l'entente de cette voix. En face d'elle qui était enchaînée dans son cercle magique, Astarion était là. Ses traits étaient l'incarnation du remords indélébile. Il était une statue d'albâtre à la fois magnifique et tragique.

« Vous souffrez », dit-il d'une voix sans timbre.

Elle voulut le rejoindre mais se heurta à une paroi invisible. Elle secoua la tête.

« Non. Astarion, non. Je me suis battue. Tout cela est derrière moi. Nous pouvons être ensemble, maintenant. »

Le visage de l'elfe ne s'adoucit pas à ces mots. Au contraire, sa culpabilité s'accentua.

« Je le savais, répéta-t-il en regardant quelque chose par-dessus son épaule. Vous ne méritez pas un rejeton de vampire. »

Silesta suivit son regard et ses entrailles s'évaporèrent. Le décor autour d'elle retrouva subitement toute sa netteté. Elle se trouvait dans la chapelle profanée sous le palais Szarr et Astarion était en train de regarder un cadavre écharpé gisant sur la dalle de pierre froide. Mais ce n'était pas celui Cazador. C'était Valyn dont le corps brisé et mutilé portait toutes les atrocités laissées par la lame d'Iwen. Lame qu'Astarion tenait entre ses doigts ensanglantés. Elle hurla.

Son corps était une prison dans laquelle se débattait son esprit avec la rage désespérée du fou dénué de toute trace de lucidité. Un carcan où se concentraient mille douleurs fantômes. Silesta était si terrorisée qu'elle en perdait la notion de sa propre existence.

Un bruit sourd. Avait-elle entendu une voix ? Ou peut-être était-ce une chimère provoquée par un ancien tourment qui éprouvait ses nerfs annihilés par la peur ? Elle avait beau forcer de toute sa volonté pour s'échapper, elle était encore dans cette crypte, face à cette vision d'horreur qui lui donnait la nausée. La seconde suivante, elle sentit entre deux cris son corps s'enfoncer un peu sur son flanc gauche et tout à coup, une chaleur se referma sur ses bras. De nouvelles chaînes pour la torturer ! Elle se débattit de plus belle.

« Tout va bien Silesta, vous êtes en sécurité. Regardez-moi. »

La voix de Gayle déchira les ténèbres. La crypte était devenue une chambre aux tons crépuscule divin et ses menottes avaient pris la forme des mains du magicien encerclant ses poignets pour l'empêcher de trop s'agiter. Le visage en nage et le regard révulsé, Silesta happa l'air avec détresse tout en fixant l'homme assis à ses côtés.

« C'est terminé, lui dit-il d'une voix douce. Quoi que vous ayez vu, c'est fini.

_ G-Gayle...

_ Doucement. Prenez le temps de respirer. »

Il libéra les bras de la jeune femme quand il la sentit plus détendue et accompagna sa respiration par de lents hochements de tête. Elle s'imprégna du calme de la chambre tout en se ressourçant par le soulagement qui éclairait les traits du visage à son chevet. Après l'abominable de ce qu'elle venait de voir, Gayle lui apparut comme la plus belle chose au monde.

Il fallut quelques minutes à Silesta pour enfin se délester de son cauchemar.

« Que... Ai-je mis le feu quelque part ? finit-elle par demander d'une voix rauque percée d'angoisse.

_ Non. Du moins, pas ici. Peut-être ma bibliothèque est-elle en train de brûler en ce moment même mais j'ai préféré venir vous voir dès que j'ai entendu vos cris. »

La jeune femme n'eut pas la force de répondre à ce trait d'humour. À en juger la couleur encre du ciel et la tenue de Gayle, elle l'avait tiré en plein milieu de son sommeil. Les cheveux en pagaille et les yeux encore plissés sous des restes de sommeil, l'homme n'avait même pas pris le temps d'attraper une robe de chambre à mettre par-dessus sa chemise blanche qui s'ouvrait avec largesse sur le poitrail.

Silesta se redressa sur son séant pour ne plus subir cette désagréable sensation d'humidité dans son dos et sa nuque. La fraîcheur de la brise du dehors contre sa peau échaudée lui arracha un soupir d'aise et elle accepta avec encore plus de plaisir le linge humide que Gayle lui tendit pour se rafraîchir.

« Merci... Et désolée pour le raffut. Ça devrait aller.

_ Après vous être évanouie et cette terreur nocturne ? »

Elle grogna un peu, courroucée d'avoir été surprise en flagrant délit de faiblesse. Ce n'était qu'un cauchemar. Cela lui arrivait encore de temps en temps mais cela n'irait pas plus loin. Gayle la darda d'une réprobation pas dupe.

« Vous n'allez pas bien, Silesta. Et vous pourrez me dire ce que vous voulez, les faits sont éloquents.

_ Je pense que ce cauchemar a effacé l'ardoise, insista-t-elle en s'épongeant les joues. J'avais besoin de soulager mon esprit et mon inconscient l'a fait, voilà.

_ Allumez la bougie. »

Elle cilla d'incompréhension.

« Pardon ?

_ Cette bougie, répéta Gayle avec calme en désignant la tige de cire qui se dressait sur un bougeoir en étain sur un petit bureau de l'autre côté de la pièce. Allumez-la avec votre magie et nous verrons si, en effet, tout va bien. »

L'ensorceleuse se renfrogna un peu de mauvaise grâce mais Gayle tint bon et soutint cette œillade agacée sans ciller. Elle observa un moment la bougie. Bah. Ce n'était que l'histoire d'une flammèche et après la catharsis qu'elle venait d'exprimer, ce serait un jeu d'enfant. Elle tendit la main et visualisa le doré d'une flamme fragile.

« Ignis. »

Le silence. La pénombre. Sa main se contracta en même temps que sa mâchoire.

« C-Cela ne veut rien dire.

_ C'est au contraire très criant ! s'indigna Gayle. Vous êtes en train de vous enliser ! Vous devez déverrouiller ce pan de votre psyché qui vous entrave ou vous allez succomber !

_ Je ne finirai pas comme Feyre ! s'insurgea Silesta aussi glacée qu'en colère.

_ Il est hors de question que je revive ce qui s'est passé quand je suis entré dans la salle de bal ! »

Le silence retomba d'un seul coup, effilé entre les regards livides qui se fixaient l'un l'autre. La colère de Silesta marqua une césure sous l'angoisse que contenait Gayle derrière sa véhémence.

« Je vous ai vue inconsciente. J'ai cru qu'il était trop tard, asséna-t-il en fronçant du nez, la voix frémissante. N'ai-je pas déjà assez tremblé pour vous depuis que je vous connais pour que vous manquiez en plus de mourir chez moi ? »

La jeune femme déglutit si difficilement qu'elle manqua de s'étrangler pendant que l'infamie l'étreignait de ses bras gelés.

« J-Je vous demande pardon, bafouilla-t-elle, les paupières échauffées sous la fatigue mêlée d'angoisse et de honte. Mais je ne contrôle pas. J'ignore comment...

_ Alors, nous allons provoquer les choses, lui répondit Gayle avec détermination. Je ne quitterai pas cette chambre tant que vous n'aurez pas produit quelque chose avec votre magie, dussé-je y rester jusqu'à l'aube.

_ Comment voulez-vous faire ? Nous...

_ Pas moi. Vous. »

Le magicien resserra un peu ses doigts sur le pan de draps qu'il touchait. Il n'appréciait pas le rôle qu'il s'apprêtait à endosser mais il n'avait pas le choix. S'il fallait qu'il se brouille avec Silesta pour assurer sa survie, il le ferait.

« Aviez-vous peur de blesser ou tuer vos compagnons du Pas Nocturne après être retournée auprès eux ?

_ Q-Quoi ?

_ Ne réfléchissez pas, coupa-t-il avec fermeté. Répondez à l'instinct. Aviez-vous peur de blesser ou tuer vos compagnons du Pas Nocturne ?

_ O-Oui, forcément. Mais...

_ L'avez-vous fait ?

_ Quoi ? Par les dieux, non ! s'horrifia Silesta.

_ Combien de temps avez-vous mis pour leur parler de ce qui s'est passé avec Calis ? enchaîna Gayle sans la relâcher des yeux.

_ Trois mois.

_ Pourquoi tout ce temps ? »

Les questions s'enchaînèrent ainsi à la vitesse de grains de sable s'écoulant dans un sablier, courtes et sèches. Quand Silesta mettait trop de temps à répondre, Gayle posait directement une autre question sans se préoccuper de la précédente. Il faisait tout pour maintenir sur elle une pression certes difficile mais ô combien nécessaire pour ce qu'il cherchait à accomplir. Il devait d'abord défaire son amie de tous les ressorts de maîtrise qu'elle utilisait pour garder la tête haute.

Il la connaissait. Silesta était de ces personnes qui se cachaient pour pleurer et qui, une fois mise au pied du mur, n'avait d'autre choix que d'avouer ses tourments. Il avait besoin de cette faille car elle seule le mènerait à ce nœud qui pesait sur la magie de la jeune femme.

À mesure que défilaient sans relâche mille questions concernant son passé sordide avec Iwen et son retour avec la Compagnie du Pas Nocturne, Silesta avait la sensation de s'enfoncer de plus en plus dans son matelas. Elle était cernée entre l'inquisition acharnée que lui menait Gayle, des images et sentiments sinistres et l'horreur de se voir perdre pied. Son corps était rigide et sa tête était une ruche au tumulte assourdissant. Sa bouche était un désert. Elle ne parvenait pas à s'extirper de cette spirale qui la faisait se recroqueviller à l'intérieur d'elle-même comme une créature mourante.

« Votre famille vous manque ? poursuivait Gayle.

_ Bien sûr, répondit-elle dans un souffle dévoisé.

_ Regrettez-vous d'être venue ici ?

_ Non. Je le devais.

_ Craignez-vous de ne pas être en mesure d'atteindre vos objectifs ?

_ J-Je... peut-être... »

Enfin une réponse incertaine. Sa voix s'enraillait. Il approchait. Il prit le temps d'inspirer pour se donner de la force. Allait-elle le détester après ça ? Qu'importe. Sa vie comptait plus.

« Entre devenir une ensorceleuse accomplie ou sauver Astarion, que redoutez-vous le plus d'échouer ? »

Elle ouvrit la bouche avant de bloquer ses mots. Ses yeux ployaient de plus en plus.

« Sau... Sauver Astarion... »

Encore un peu.

« Lui avez-vous vraiment pardonné de vous avoir abandonnée ? »

La craquelure. Silesta se brisa dans un soupir gémissant et porta aussitôt la main à sa bouche pour se retenir.

« Je... Il a... »

Trop tard, la brèche venait déjà de tracer sa zébrure en elle. Les yeux en larmes, la jeune femme enfouit son visage entre ses mains pour évacuer ce caillot qui la gangrenait depuis des mois. Elle faisait enfin face à ce qu'elle cachait sous de fausses allégations : même si elle l'aimait, même si elle le comprenait, même si elle voulait le sauver... Silesta était en colère contre Astarion pour ce qu'il avait fait. Mais son amour pour lui l'aveuglait. Elle lui en voulait et ne savait pas si ce qu'elle faisait servirait à quelque chose.

Assis sur le rebord du lit face à elle, Gayle contempla Silesta. Son cœur se chargeait d'un mélange aigre entre la tristesse de voir son amie ainsi et une rancune froide envers Astarion. Silesta avait l'âme bien trop tendre. Ce vampire ne méritait pas ses larmes et encore moins qu'elle dépérisse à ce point pour lui.

D'un geste hésitant, le magicien attira la jeune femme à lui pour la prendre dans ses bras. La voir dans cet état le terrassait mais c'était un mal nécessaire pour ne pas la perdre.

D'abord surprise par ce geste, Silesta eut tôt fait de cesser de lutter et se laissa aller contre la chaleur qui l'enveloppait. Car si sa famille avait su la réconforter pour sa vie de torture avec Iwen, elle n'avait laissé personne approcher sa souffrance d'avoir perdu Astarion. Elle avait besoin d'une main pour la tirer vers la surface et Gayle lui offrait une fois encore la force qui lui faisait défaut. La jeune femme s'offrit à cette étreinte et elle pleura sans retenue, incapable de refermer cette digue qu'elle avait dressée et qui venait de lâcher. La douce fragrance d'ambre et de patchouli émanant du tissu clair contre lequel elle se blottissait était une caresse à ses sens troublés.

L'écho d'une pluie naissante au dehors vint se mêler à celle de ses yeux.

« Vous avez réussi, lui murmura Gayle, la joue contre ses cheveux d'argile. Je le savais.

_ C-Comment ça ? Je n'ai... »

Elle écarta son visage du poitrail de Gayle en s'essuyant les yeux et se figea. Il était en train de pleuvoir dans la chambre. Sur le bureau, la coiffeuse, dans la vasque posée sur la table de chevet, les tapis... Tout se perlait de petites billes d'eau dans différentes tonalités mates ou étouffées. Seuls les deux mages aussi épatés que ravis étaient à peu près à l'abri grâce à la tenture du lit.

Le magicien sourit. Jamais il n'avait été si heureux de ressentir la pluie sur lui.

« Je pense que nous allons pouvoir reprendre les cours. »


Il fallait bien que ça sorte. Et puis, un câlinou de Gayle, y'a que ça de vrai.

Eh non, Silesta n'a pas tout dit sur Astarion, ce serait beaucoup trop tôt. Faut faire mariner encore avant de savoir que le champ est libre ;) On reste sur un statu quo encore sage mais ne vous en faites pas, j'ai de quoi les cuisiner en attendant.