.

"I guess you have to think of it as more than just five senses.

I can't see, not like everyone else, but I can feel.

Things like balance and direction. Micro-changes in air density, vibrations, blankets of temperature variations. Mix all that with what I hear, subtle smells.

All of the fragments form a sort of... impressionistic painting.

A world on fire."

.

J'imagine que cela va être difficile à décrire et à écrire, puisque j'étais aveugle.

Oui, complétement aveugle. Enfin, pas "complétement", pour la simple et bonne raison que j'arrivais à entrevoir des formes floues, diffuses, comme des images que révéleraient un puissant sonar. Oui, comme Matt Murdock, je suppose.

Nonobstant cette capacité presque surnaturelle, je marchais quand même avec une canne métallique à la main. Je portais une robe noire, des Converses blanches et mes longs cheveux châtains étaient noués en une imposante tresse qui tombait dans mon dos. Je n'avais pas de lunettes noires sur le nez, je me fichais éperdument que les gens puissent être gênés par mon regard statique. Mes yeux noisette n'étaient pas voilés d'un brouillard blanc, mais ne voyant rien, mon regard ne bougeait que très rarement.

J'étais accompagné d'un ami en la personne de Lit'. Et nous étions tous les deux en plein Road Trip, dans le sud de la France. Pour des raisons évidentes, je ne pouvais pas conduire, donc c'était lui au volant. Nous étions en pleine nuit, sous un ciel étoilé et une lune presque pleine. Ce fut, en tout cas, ce que Litany me décrit en tenant le volant des deux mains et les roues de notre véhicule avalant le bitume sombre. Notre destination était Poitiers. Sur la banquette arrière dormait paisiblement une amie à moi, répondant au prénom de Morane.

Je me trouvais du côté passager, discutant avec Lit', patientant jusqu'à arriver à notre destination...

.

"There are other ways to see..."

.

Lit' m'annonça que le voyant d'essence venait de s'allumer et que nous devions nous arrêter à la prochaine station service. Je pouvais entendre le clignotant qu'il mit en marche pour sortir de l'autoroute et s'engager sur le bas-côté. Morane se réveilla doucement à mesure que la voiture perdait de la vitesse.

Lorsqu'il se gara et qu'il ouvrit la portière, je pouvais sentir l'air frais de la nuit, le froid d'automne qui enveloppait le vent et l'humidité dans le ciel.

- OK, Alisone, reste dans la voiture. Morane, viens avec moi, j'ai besoin de ton aide.

J'acquiesçais simplement et mes amis quittèrent la voiture.

Puis, j'ai attendu.

J'ai attendu un long moment.

J'appuyais sur un bouton de ma montre et cette dernière m'annonçait l'heure verbalement :

"Vingt-deux heures et trente et une minute."

OK. J'ai continué d'attendre.

Jusqu'à minuit.

N'y tenant plus, j'ai attrapé mon téléphone et j'ai appuyé longuement sur le bouton du milieu. L'IA me parla :

- Que puis-je faire pour vous ?

- Appeler Litany.

Une sonnerie retentit.

Au bout de la cinquième sonnerie, mon ami me répondit enfin.

- Lit ! Où es-tu !? Cela fait des heures que j'attends dans la voiture !

- Oh, Alisone, je suis désolé, j'ai trouvé un vieux monsieur dans la station-service qui avait besoin d'aide.

- Il va bien ?

- Oui, mais je suis en train de le reconduire à Bordeaux.

Je tiquais, comprenant :

- Quoi ?! Tu es sur la route à l'opposé de moi ?

- Je reviens dès que j'ai terminé la course.

Je soufflais de dépit.

- Lit', je sais que tu veux aider les gens, mais là, je vais devoir t'attendre jusqu'à demain matin, seule dans la voiture. Où est Morane ?

- Avec moi, elle prend soin du vieux monsieur.

Je soufflais derechef.

Il n'y avait rien d'autre à faire à part attendre que mes amis reviennent me chercher sur le parking. J'ai donc essayé de dormir dans la voiture.

.

"I'm not seeking penance for what I've done, Father.

I'm asking forgiveness for what I'm about to do."

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La bonne odeur du café me réveilla en sursaut. Morane venait d'ouvrir ma porte et me prit les mains pour y déposer la tasse du liquide fumant. J'entendis Lit' se placer à côté de moi derrière le volant.

- Quelle heure est-il ? demandais-je en buvant une gorgée de café.

- Presque 9h du matin.

Avec la porte ouverte, je pouvais sentir la faible chaleur du soleil et la douce brise du vent automnal. Lit' démarra la voiture et je sentis le véhicule quitter enfin ce maudit parking.

Direction Poitiers ! Pour de bon, cette fois !

Le trajet se déroula plutôt bien, même si j'étais un peu en colère contre Lit' pour m'avoir abandonné hier soir. Je savais pourquoi il était venu en aide à une personne âgée, mais mon ego rageait un peu.

Il faisait toujours soleil lorsque l'autoroute nous mena à Poitiers. Un panneau près de la ville indiquait "9 Km", mais Morane nous annonça que cela prendrait un peu plus de temps à cause de la circulation matinale.

Et elle avait raison. Nous avons passé les 9 kilomètres suivant à faire du surplace et il nous fallut une bonne heure pour entrer dans Poitiers.

J'écoutais mes amis qui parlaient, tous mes sens aux aguets, puisque ma vue ne m'était d'aucune utilité.

Enfin, Lit' gara la voiture devant un immense building dans lequel se trouvait plusieurs restaurants, chambres et activités. Nous avions une réservation pour manger et nous étions, en toute logique, en retard.

Malgré tout, en me voyant arriver avec ma canne à la main et mon bras enroulé autour de celui de Litany, la gérante eut pitié et nous attribua une table pour trois dans un coin tranquille. J'imagine que cela fait partie des rares avantages d'être aveugle.

Je suppose.

Allez savoir...

Nous avions très faim et le repas fut très bon et agréable.

J'ai entendu la serveuse nous apporter l'addition et j'ai décelé un sursaut chez Lit', à côté de moi.

- Quoi ? questionnais-je.

Il étouffa un rire, en lisant les mots gribouillés sur le papier :

- Il y a le prix de chacun de nos plats et, en addition, ils ont écrit : "La fille aveugle paiera".

Je ris à mon tour :

- Comme quoi, les gens n'ont plus aucun cœur, désormais.

J'ai sorti ma carte bancaire pour payer. Cependant, la serveuse nous apporta trois shots de digestif sans alcool. J'avais explicitement demandé des boissons sans alcool, et ma demande fut prise en compte.

Ou pas...

Après le repas, nous nous sommes dirigés vers l'immense ascenseur au milieu du hall. Je n'avais pas besoin de mes yeux pour savoir que l'ascenseur était similaire à celui de la Tour de la Terreur "The Hollywood Tower Hotel" : ancien, doré avec des grilles métalliques. Je tenais ma canne d'une main et le bras de Lit' de l'autre.

Mais... Plus nous avancions et plus je me sentais mal.

Ma tête commençait à tourner et mes yeux me brûlaient...

.

"How do you know the angel and the devil inside me aren't the same thing ?"

.

Je n'étais pas la seule à me sentir nauséeuse. Morane et Lit' n'étaient pas au meilleur de leurs formes non plus. Lit' appuya sur le bouton en or pour appeler la cabine d'ascenseur. Une sensation horrible s'empara de moi. Je pouvais sentir au plus profond de mes entrailles que quelque chose n'allait pas.

Ma tête tournait encore, puis Lit' me tira vers la cabine vide à notre niveau. Mais, je refusais d'y entrer :

- Alisone, par ici.

Il dut me tirer avec force pour me faire entrer, mais mon malaise ne partait pas. Au contraire, il grandissait. Une fois dans la cabine, Morane appuya sur l'étage voulut et les portes se refermèrent.

J'avais envie de crier.

Hurler.

Mon ouïe entendit quelque chose dans les entrailles de la machine. Quelque chose de mauvais.

- Oh non... Nous devons partir !

Mais, au moment où je me suis jetée sur les portes déjà fermées, l'ascenseur se mit à monter doucement.

Lentement.

Puis, s'arrêter d'un seul coup.

Puis...

... Tomber...

C'était comme dans l'attraction de Disneyland Paris, où l'ascenseur tombe dans le vide. Sauf que là, nous n'étions pas en sécurité et nos corps ont été projetés contre le plafond au moment de la chute.

Des hurlements retentirent.

Tout était déjà noir pour moi, mais quelques secondes plus tard, tout devint froid.

Glacé...

.

"Listen, I need you to know why I'm hurting you...

I'm doing this 'cause I enjoy it."

.

Je compris rapidement que nous étions dans de l'eau glacée. Je sentais le sel de la mer et je pouvais ressentir les poissons et les algues autour de moi. Je cherchais mes amis en touchant le fond couvert de sable. Je sus que nous n'étions pas dans l'océan naturel, mais dans un aquarium géant, comme ceux de "Sea Life". C'étaient des Murènes dans l'aquarium, je pouvais le savoir aussi facilement que si mes yeux les voyaient. Je cherchais encore mes amis, mais le manque d'oxygène commençait à brûler mes poumons. Le sable s'incrustait dans mes vêtements, sur chaque centimètre de ma peau. Les algues collaient et des requins au loin semblaient inquiétants. Enfin, alors que j'essayais de nager dans cette immense cuve, une main agrippa la mienne et me tira vers le haut. Je sentis à la poigne qu'il s'agissait de Lit'.

Ouf ! Enfin une bonne nouvelle !

Une fois à la surface, je pris une profonde inspiration, offrant de l'oxygène à mes pauvres poumons en feux.

- Morane ?

- Je suis là !

Elle nagea vers nous et je fus enfin soulagé de savoir mes amis en sécurité. Lit' m'annonça d'une façon apeurée :

- On ne voit rien ici ! L'aquarium n'est illuminé que par de faibles lampes sur le côté. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Alisone, je crois que tu es celle qui pourra le mieux nous guider...

Il n'avait pas tort, mon radar étrange nous conduisit hors du bassin, sur un sol grillagé.

Nous étions trempés et gelés. Morane s'inquiéta :

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?!

- Quelqu'un a essayé de nous tuer... avouais-je. Ou de me tuer...

Lit' étouffa un rire :

- La routine, quoi.

Je souris.

Il avait raison.

.

.

Puis, je me suis réveillée en sursaut, à bout de souffle, à 5h30...

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12.09.2024

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