Le lendemain matin, Regina se rendit au restaurant d'Archibald, une petite perle nichée dans une ruelle tranquille de Florence. L'ambiance y était intimiste, avec des tables en bois brut, des lumières tamisées, et une cuisine ouverte qui laissait entrevoir toute l'effervescence du travail en cours.
Archibald l'accueillit avec un tablier et un sourire. « Prête à mettre la main à la pâte ? »
Regina acquiesça, et ils passèrent la journée en cuisine, échangeant techniques, astuces, et souvenirs. Archibald était tout ce qu'elle n'était pas : décontracté, spontané, et prêt à prendre des risques, même au prix de l'imperfection. Il l'encouragea à lâcher prise, à ne pas tout contrôler. Regina, d'abord réticente, se surprit à suivre ses conseils, ajoutant une touche d'improvisation à ses plats, laissant les ingrédients s'exprimer librement.
Ils préparèrent ensemble un menu dégustation, mêlant les saveurs robustes de la Toscane aux techniques modernes de Regina. Elle apprit à apprécier la simplicité des plats italiens, leur reliance profonde à la terre, et surtout, à la saison. Le résultat fut à la hauteur des attentes d'Archibald, mais Regina, perfectionniste dans l'âme, n'était toujours pas satisfaite.
Le soir venu, après le service, Archibald et Regina s'installèrent à une table, un verre de vin à la main. Ils étaient fatigués, mais satisfaits du travail accompli.
« Tu es toujours aussi dure avec toi-même. » Remarqua Archibald en l'observant.
Regina haussa les épaules. « C'est la seule manière que je connais pour réussir. »
Archibald hocha la tête, pensif. « Peut-être, mais parfois, il faut savoir déléguer. Je me souviens de toi à Los Angeles, tu étais déjà une perfectionniste. Tu avais du mal à faire confiance aux autres, à les laisser prendre des initiatives. »
« C'est vrai. » Admit Regina. « Mais ici, c'est encore plus difficile. Je suis dans un pays étranger, avec des techniques qui me sont nouvelles. Je me sens… hors de contrôle. »
Archibald sourit. « C'est peut-être exactement ce dont tu as besoin. Laisse un peu de place au hasard, aux erreurs. Parfois, ce sont elles qui nous mènent aux plus belles découvertes. »
Regina soupira, consciente de la vérité dans ses paroles. « Je ne sais pas si je suis capable de ça. »
« Alors laisse quelqu'un t'aider. » Suggéra Archibald. « Je connais quelqu'un qui pourrait être le second que tu cherches. Il est doué, il connaît bien la cuisine italienne, et il cherche justement un nouveau défi. Pourquoi ne pas lui donner une chance ? »
Regina hésita, mais l'idée fit son chemin. « Tu penses qu'il accepterait de travailler avec moi ? »
Archibald rit doucement. « Je vais organiser la rencontre. Fais-lui confiance, et surtout, fais-toi confiance, Regina. Tu es ici pour quelque chose de grand, mais tu n'as pas besoin de le faire seule. »
Regina acquiesça, un mélange de soulagement et de nervosité dans le regard. Elle savait que Archibald avait raison. Peut-être était-il temps pour elle d'ouvrir une nouvelle porte, de laisser quelqu'un entrer dans son univers rigide et de partager le poids de ses ambitions.
Regina se tenait dans le petit café où Archibald lui avait donné rendez-vous. Ses mains étaient posées sur la table en bois, ses doigts jouant nerveusement avec le bord de sa tasse de café. Elle avait passé les derniers jours à Florence, cherchant à élargir ses horizons, mais aussi à fuir, inconsciemment, cette attirance naissante qu'elle ressentait pour Emma. Se plonger dans son travail était sa manière de se protéger, de rester maître de ses émotions. Pourtant, à mesure que les jours passaient, cette stratégie lui semblait de moins en moins efficace.
Archibald fit son entrée, accompagné d'un homme à l'allure décontractée mais au regard perçant. Il portait un tablier autour de sa taille, comme s'il venait de quitter les fourneaux. Il souriait, mais Regina, toujours sur la défensive, ne lui rendit pas immédiatement son sourire. Archibald s'approcha de leur table et présenta l'homme.
« Regina, je te présente Graham Humbert. C'est un chef talentueux et passionné par la cuisine italienne. Il a travaillé dans plusieurs restaurants étoilés, mais il est à la recherche d'un nouveau défi, quelque chose qui lui permettrait de sortir des sentiers battus. »
Regina se leva pour serrer la main de Graham. Le contact était ferme, et leurs regards se croisèrent brièvement. Elle chercha immédiatement à imposer ses limites.
« Enchantée, Graham. Je vais être franche dès le départ. Je suis perfectionniste, je sais ce que je veux, et je ne fais aucun compromis sur la qualité. Si vous travaillez avec moi, je m'attends à ce que vous respectiez mes méthodes et mes exigences. »
Graham ne sembla pas se laisser impressionner par le ton autoritaire de Regina. Il hocha la tête en souriant. « J'ai entendu parler de vous, Madame Mills. Je sais que vous êtes exigeante, et c'est justement ce qui m'intéresse. Je suis prêt à relever le défi. »
Regina haussa un sourcil, un peu déstabilisée par la confiance de Graham. Elle jeta un coup d'œil à Archibald, qui observait la scène avec un sourire amusé. Il savait que ce serait un match intéressant, mais il était là pour faciliter la conversation.
« Regina.» Intervint Archibald. « Graham est non seulement un excellent cuisinier, mais il a aussi un talent pour s'adapter aux besoins de ses partenaires. Tu n'as pas besoin de tout faire seule. Il est là pour t'aider, pour t'apporter ce petit plus qui pourrait te permettre de réussir ce projet. »
Regina sentit ses réserves s'effriter légèrement, mais elle tenait à garder le contrôle de la situation. « Très bien, Graham, mais comprenez bien que je ne cherche pas seulement un exécutant. J'ai besoin de quelqu'un qui comprenne ma vision, qui puisse non seulement exécuter mes idées, mais aussi proposer des solutions innovantes quand c'est nécessaire. »
Graham hocha à nouveau la tête, son expression sérieuse. « Je comprends parfaitement. Je suis ici pour vous épauler, pour apporter mon expertise, mais aussi pour apprendre de vous. La cuisine est un domaine où l'on n'arrête jamais d'apprendre. »
Archibald, sentant que Regina avait besoin de plus de garanties, décida d'intervenir à nouveau. « Regina, j'ai eu la chance de travailler avec Graham par le passé. Je peux te dire qu'il sait comment collaborer avec d'autres chefs sans empiéter sur leur vision. Il a cette capacité rare de s'intégrer tout en respectant la direction artistique du projet. »
Regina resta silencieuse un moment, pesant le pour et le contre. Elle n'était pas habituée à déléguer autant de responsabilités, mais elle savait qu'elle devait faire un choix. Si elle voulait que son restaurant soit à la hauteur de ses ambitions, elle ne pouvait pas tout faire seule.
« Très bien. » Dit-elle enfin, sa voix plus douce. « Je suis prête à essayer. Nous commencerons dès que possible. »
Graham sourit, visiblement satisfait de la tournure des événements. « Vous ne serez pas déçue, Cheffe Mills. Je m'investirai pleinement dans ce projet. »
Archibald, voyant que l'accord était scellé, se détendit et demanda un café pour célébrer cette nouvelle alliance. La conversation se tourna alors vers le lieu où Regina souhaitait ouvrir son restaurant. Archibald, curieux, demanda pourquoi elle avait choisi un endroit si reculé.
« J'ai visité plusieurs endroits avant de me décider pour cette propriété.» Expliqua Regina. « Elle est située à environ 50 kilomètres de Florence, dans une petite ville. L'endroit est isolé, c'est vrai, mais il y a quelque chose de spécial là-bas. Le paysage est magnifique, les produits locaux sont incroyables, et l'authenticité de la région me parle. Je veux que mon restaurant soit un hommage à cette terre, mais avec une touche de modernité. »
Archibald l'écouta attentivement, mais ne put s'empêcher de poser la question qui le taraudait. « Pourquoi ne pas avoir choisi un lieu plus central, comme Florence ou même Sienne ? Ces villes attirent plus de monde, et tu aurais facilement pu y attirer une clientèle aisée. »
Regina sourit, mais c'était un sourire mélancolique. « Je sais, mais j'ai besoin de cet espace, de ce calme. Los Angeles a été ma maison pendant des années, mais je n'y avais jamais vraiment de répit. Ici, dans cette ville toscane, je peux me concentrer sur l'essentiel. Et puis… il y a quelque chose là-bas, quelque chose que je ne saurais expliquer, mais qui m'attire. »
Archibald prit note de ses paroles et se promit d'aller jeter un œil à cet endroit. Il était intrigué par cette décision, mais il savait que Regina n'était pas du genre à faire des choix à la légère.
La rencontre se termina sur une note positive. Graham avait hâte de commencer à travailler avec Regina, et elle, bien que toujours sur la défensive, se sentait un peu plus rassurée de savoir qu'elle aurait quelqu'un pour l'épauler.
En rentrant chez elle ce soir-là, Regina se surprit à penser à Emma. Elle se demanda ce que la fermière dirait de cette nouvelle alliance, si elle apprécierait Graham, ou si elle trouverait que Regina avait fait un bon choix. Cette pensée la troubla, car elle réalisait qu'en dépit de ses efforts pour rester distante, Emma commençait à occuper une place importante dans son esprit.
Mais il était trop tard pour revenir en arrière. Regina savait que les jours à venir seraient décisifs pour son projet, mais aussi pour sa relation avec cette terre toscane qui la fascinait et la défiait à chaque instant.
Regina garait sa voiture devant l'imposante villa toscane qui lui servait désormais de maison. Le crépuscule commençait à peine à s'installer, et les ombres longues des cyprès se dessinaient sur les murs de pierre anciens. La villa était belle, presque irréelle dans sa grandeur, mais en cet instant, elle lui parut étrangement vide, comme un immense écho silencieux de tout ce qu'elle fuyait.
Elle descendit de voiture, son sac en bandoulière glissant négligemment sur son épaule, et ferma la portière d'un geste las. Elle n'avait pas réalisé à quel point ces dix jours à Florence l'avaient épuisée. Archibald avait été d'une aide précieuse, et la rencontre avec Graham semblait prometteuse. Mais au fond d'elle-même, Regina se sentait plus perdue que jamais. Le temps avait filé, à la fois trop vite et trop lentement, comme si elle avait été prise dans un courant qui la dépassait.
Elle franchit le seuil de la villa, alluma les lumières, et fut accueillie par le silence assourdissant des lieux. La grande pièce principale était baignée d'une lumière dorée, mais elle n'en ressentait aucune chaleur. Il n'y avait pas de voix, pas de rires, seulement le bruit lointain du vent qui s'infiltrait par les fenêtres à peine entrouvertes. Regina posa son sac sur la table de la cuisine et soupira en regardant autour d'elle. Chaque objet était à sa place, mais l'ensemble manquait de vie.
Elle s'était jetée à corps perdu dans son projet à Florence, espérant que ce nouvel engagement, ce nouveau défi, l'aiderait à calmer ses pensées, à retrouver ce contrôle qu'elle tenait tant à conserver. Et pourtant, à chaque instant de répit, une pensée venait s'immiscer, plus persistante que toutes les autres : Emma.
