Chapitre 16

Hermione revint même les jours suivants. Toujours dans le salon de Snape, ils discutaient de théories, de livres, de potions... Il y avait dans ce début de véritable amitié une sincérité que Severus n'avait encore jamais ressentie. Avec elle, il ne pouvait s'empêcher de s'ouvrir, de baisser ses barrières, comme si la jeune femme pouvait de toute façon voir à travers lui.

Il s'avançait vers la table des professeurs en se remémorant leurs soirées de la veille. Elle s'était assoupie comme souvent. Il ne se faisait toujours pas à cette idée, celle que quelqu'un puisse se sentir assez bien auprès de lui pour s'endormir paisiblement. Il l'avait regardée, chaque détail, ses yeux fermés recouverts de cils, son nez, la courbe de ses lèvres légèrement entrouverte, à peine si on ne regardait pas bien. Il avait dû la réveiller quand lui-même souhaitait aller dormir. Elle avait ouvert les yeux puis lui avait adressé ce léger sourire. Si doux et si sincère qu'il n'en revenait toujours pas. Il ne comprenait toujours pas comment elle pouvait rester toutes les nuits. Bien sûr, elle était la seule à qui il pouvait parler, mais elle n'était pas obligée d'être bienveillante et touchante. Elle aurait pu simplement discuter puis repartir. Mais elle restait et s'endormait.

"Comment vas-tu, Severus ?" demanda la personne à sa gauche, ce qui le fit sortir de sa rêverie.

Il jeta un regard à Minerva comme si elle lui avait lancé un sort mais celui-ci fut bien moins dur que d'habitude.

"Bien", répondit-il.

La directrice eut un petit sourire en coin, ce qui étrangement lui fit peur. Peu importe à quoi pensait Minerva, cela n'augurait rien de bon pour lui.

"Moi aussi, figure-toi", lui répondit-elle sans qu'il lui ait pourtant demandé. "Il faut que je te parle d'une chose."

Il l'ignora et il l'entendit souffler un peu plus fort.

"J'ai remarqué que la quantité de nourriture que tu demandais aux elfes des cuisines avait doublé le dernier mois. Je comprends que tu ne souhaites pas que ta vie privée se mélange à celle du château, mais si tu as une invitée récurrente, je préférerais que tu m'en informes.

— Comment ?" demanda-t-il, incrédule. Il avait pris l'habitude de manger avec Granger dans ses appartements le soir, mais il ne pensait pas que la directrice consultait les comptes de l'école avec autant d'attention.

Sous-entendait-elle que… que…

"Je suis heureuse pour toi", sourit-elle sincèrement. "J'espère que tu nous la présenteras bientôt."

Oui, tout à fait. Elle était en train de le féliciter car il s'était trouvé une copine. Il avait l'air d'être une biche prise dans les phares d'une voiture.

"Ne me regarde pas comme ça.

— Êtes-vous devenue folle ? demanda-t-il.

— Cela doit être une femme formidable pour que tu passes autant de temps avec elle. Comment l'as-tu rencontrée ?"

Il ne savait plus quoi répondre. Il ne s'était trouvé personne, il avait juste sur les bras une Gryffondor perdue et ayant disparu. Comment pouvait-elle croire qu'une femme, peu importe d'où elle vienne, puisse décider avec toute sa tête de le côtoyer ? Seule la Gryffondor en question, qui n'avait pas vraiment le choix, le faisait.

Il se leva, faisant grincer sa chaise, abandonnant son petit déjeuner ainsi que Minerva.

"Ne te braque pas comme ça ! lança-t-elle. Severus, s'il te plaît !"

Il ne se retourna pas et sortit de la grande en entendant pourtant Pomona dire à la vieille chouette beaucoup trop commère à son goût :

"Il a rougi non ? Je ne l'en pensais même pas capable."

Cette journée commençait vraiment mal.

Les petites insinuations de la directrice avaient fait de sa bonne humeur matinale à nouveau la mauvaise humeur habituelle. Et la phrase de la folle aux plantes l'avait mis assez en colère pour claquer la porte en arrivant dans sa salle, ce qui avait fait sursauter tous les élèves. Ils s'étaient habitués aux sautes d'humeur du professeur, profitant des périodes calmes et craignant celle où le moindre petit mouvement pouvait le mettre hors de lui et leur faire perdre un nombre incalculable de points.

Il avait été heureux quand la journée s'était enfin terminée. Il s'était installé tranquillement dans son canapé. Il commençait à avoir mal à la tête et espérait que cela disparaîtrait avant de devenir vraiment douloureux. Il s'était servi un verre de Whisky Pur Feu, environ deux ou trois doigts, et avait profité du calme de ses appartements.

Il eut à peine quelques minutes de répit quand il entendit les trois coups à la porte devenus habituels. Il souffla et leva simplement la baguette pour ouvrir la porte.

Hermione passa la tête dans l'embrasure, se demandant ce qui pouvait bien se passer. Severus Snape n'était peut-être pas toujours quelqu'un d'aimable, mais il avait des manières remarquables et prenait toujours le temps de lui ouvrir la porte avec plus ou moins de gentillesse.

Elle poussa et l'appela. Il ne lui répondit pas mais elle le trouva dans le salon, les yeux fermés et un verre à la main.

"Tout va bien ?" demanda-t-elle.

"Oui", répondit-il un peu sèchement.

Elle n'avait pas vraiment envie d'affronter sa mauvaise humeur. Elle hésita à s'approcher un peu plus. Elle le côtoyait tous les jours, mais pourtant, elle ne savait pas toujours sur quel pied danser avec lui. La plupart du temps, les premiers mots qu'il lui adressait lui laissaient savoir si elle pouvait mettre plus ou moins de proximité entre eux ou si elle pouvait être entièrement détendue.

Cela faisait quelque temps qu'elle ne l'avait pas vu dans un si mauvais jour. La dernière fois c'était avant leur dispute, depuis il avait toujours été cordial et aimable.

"Ne restez pas plantée là, Miss Granger, cela ne vous ressemble pas."

Elle s'avança vers un des fauteuils, délaissant sa robe sur le dossier comme d'habitude. Il ne faisait jamais très chaud dans les couloirs des cachots le soir, malgré qu'ils soient au début du mois de juin, et s'installa.

Elle le regarda se redresser un peu, il tourna sa baguette et un deuxième verre vint se poser sur la table. Il déboucha la bouteille et au vu de la couleur, cela ne pouvait qu'être un alcool très fort. Il lui servit un fond et lui tendit.

"Je pensais que les élèves ne pouvaient pas boire dans Poudlard.

— Ce n'est pas comme si vous étiez vraiment élève."

Elle haussa les épaules et le prit, le remerciant.

Il l'observa mettre ses lèvres au bord du verre, le soulevant puis boire une toute petite gorgée. Il la regarda l'avaler, les lèvres humides puis elle toussa assez fortement.

"Mais qu'est-ce que c'est ?" dit-elle entre deux soubresauts. "Ça pourrait réveiller un mort.

— Du whisky.

— Et vous arrivez à boire ça ?" Elle fit une moue un peu dégoûtée.

— Ce que vous appelez « ça » est une de mes meilleures bouteilles. J'aimerais que vous ayez un peu de respect."

Elle reprit une gorgée, cette fois-ci plus lentement. Elle sentit l'alcool tapissait sa langue, brûlait le fond de sa gorge puis sa trachée. La chaleur se répandit rapidement dans tout son visage quand elle remarqua l'attention que lui portait Snape. Elle sentit son ventre se tordre et une douce tension se diffuser dans tout son corps.

Snape finit un premier verre et s'en servit un deuxième. Il referma ensuite la bouteille et la rangea dans un placard.

"J'ai pensé que nous pourrions reprendre nos tests", finit-il par dire alors que le silence s'éternisait.

— Oui ?

— Cette fois-ci, nous devrions éviter d'embêter les tableaux… La directrice a plutôt insisté pour laisser la grosse dame tranquille, apparemment les peintures sont encore pires que les humains à calmer."

Elle eut un petit sourire.

"Et donc, que faisons-nous ce soir, Monsieur ?

— Je ne vais pas vous le dire tout de suite, cela gâcherait l'effet de surprise.

— Parce que vous aimez les surprises ?

— Pas vraiment, mais qu'avons-nous d'autre à faire ?

— Je pense n'avoir rien de prévu", dit-elle en faisant semblant de réfléchir.

— Bien, finissez-moi ce verre et nous y allons."

Il se leva et Hermione but d'une traite le reste de son verre, s'empêchant cette fois de tousser. Elle se leva. Elle une sensation étrange s'installa dans ses jambes, elle fit prétentieusement un pas mais elle arrivait à marcher correctement.

"Je vois qu'on ne tient pas beaucoup l'alcool par ici ?"

Elle sentit le souffle de Snape sur son épaule alors qu'il était juste derrière elle, se moquant gentiment.

"Je n'ai pas l'habitude de boire. Je n'aime pas trop ça, d'habitude", répondit-elle. En tournant la tête, son regard percuta le sien.

Ils étaient proches. Snape s'écarta un peu, tenant la fine cape d'Hermione dans ses mains.

"Une très bonne habitude", acquiesça-t-il simplement.

Il l'aida Hermione à l'enfiler puis ils sortirent.

Elle le suivit dans les couloirs et comprit leur destination quand ils arrivèrent devant le mur où la porte de la salle sur demande apparaissait.

"C'était cela votre surprise ?" se moqua-t-elle.

— Je n'ai jamais dit que c'était une bonne surprise.

— Ce n'est même pas une surprise", rétorqua-t-elle.

— Arrêtez de râler et ouvrez la porte.

— Bien."

Elle passa trois fois devant le mur en pensant à ce dont elle avait manqué en début d'année : une chambre.

La porte finit par apparaître et Snape l'ouvrit.

Il n'avait jamais vu la salle réagir comme cela. On aurait dit n'importe quelle autre pièce vide du château.

"Si vous aviez dit : « je vous l'avais bien dit », Miss Granger, préparez-vous à sortir votre baguette et à perdre."

Elle ferma la bouche avant même d'oser l'ouvrir. Elle regarda les murs vides, le sol recouvert de carrelage et le plafond qui, comme tout le reste de la pièce, ressemblait à celui de Poudlard. Il n'y avait rien d'autre. Un sol, des murs, un plafond et même pas de fenêtre.

Elle sortit et Snape la suivit.

Elle le regarda passer trois fois devant la salle et ouvrir à nouveau la porte qui venait d'apparaître.

Cette fois-ci, ils trouvèrent le bord d'une falaise. Le vent soufflait, l'air était chargé d'iode et il y faisait un peu frais. En contrebas se trouvait une plage où les vagues frappaient l'eau tout de même assez doucement, bien qu'elle n'eut aucune envie de s'y baigner, celle-ci lui sembla froide. Elle profita du paysage, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas vu la mer.

"Comment est-ce possible ?

— Si vous tentez d'avancer un peu trop, dit-il, vous finirez par rencontrer un mur. Ce n'est qu'une illusion.

— Elle est très réussie."

Ils s'installèrent sur un banc, juste à côté d'un chemin, qui donnait sur le large. Elle ferma les yeux, huma les odeurs qui parvenaient à son nez. Comment avait-il fait pour faire apparaître ça ? Elle avait utilisé la salle pour plein de choses, notamment pour l'AD lors de leur cinquième année. Mais elle ne pensait pas qu'il était possible de recréer un paysage complet.

"Comment avez-vous fait ça ? demanda-t-elle.

— Il y a eu beaucoup d'essais avant d'arriver à ce résultat, mais je demande une salle d'illusion, un peu comme le plafond de la grande salle. Je détaille l'illusion que je souhaite dans mon esprit.

— Cela paraît tellement réel.

— Mais cela ne l'est pas."

Ils restèrent encore quelques instants avant de sortir de la salle. Hermione eut du mal à distinguer Snape dans la pénombre après avoir été en plein jour quelques minutes plus tôt. Ses yeux finirent par s'y habituer et elle vit qu'il l'observait.

Ce n'était pas la première fois que cela arrivait, ce n'était pas non plus la première fois qu'elle ressentait la chaleur qu'accompagnait ses regards. Mais comme à chacune des fois précédentes, il détourna les yeux, faisant mine d'inspecter autre chose qu'elle.

"Pensez-vous que je serais capable de faire ça un jour, professeur ? demanda-t-elle.

— Peut-être. Seulement si vous continuez les exercices que je vous avais montrés pour contrôler votre esprit. Si vous souhaitez que l'illusion soit parfaite, il faut que vous connaissiez par cœur chaque détail de celle-ci. Que vous soyez capable de la visualiser parfaitement. Un changement même mineur vous donnera un résultat étrange et très loin de la réalité. Expliqua-t-il."

Ils marchèrent dans les couloirs, sans but réel.

"Quand avez-vous découvert qu'il était possible de faire ça ?

— Il y a plusieurs années. J'ai découvert la salle et quand elle m'a montré ce dont j'avais besoin, j'ai compris qu'elle se basait sur nos souvenirs, nos envies. Si vous demandez un endroit calme, elle vous fera apparaître l'endroit qui, pour vous, l'est le plus. Tout paraît réel, mais finalement, la salle ne fait que produire l'illusion d'une réalité." Répondit-il.

Hermione aurait aimé pouvoir tenter l'expérience. Elle aurait voulu pouvoir voir jusqu'où la salle pouvait donner l'illusion du réel. Mais la réalité dans laquelle elle se trouvait était beaucoup moins agréable que la mer et la falaise du professeur Snape, dans celle-ci, elle ne pouvait pas utiliser la salle.

Elle regarda Snape à côté d'elle. Il semblait beaucoup plus calme et apaisé qu'à son arrivée dans les cachots. C'est comme si, en entrant dans la salle, il s'était détendu dans cet endroit où il se sentait le mieux. Elle avait sur le bout de la langue une question. Pourquoi cet lieu ? Il lui était encore si mystérieux qu'elle avait l'impression qu'un mal de tête menaçait de se déclarer dès qu'elle réfléchissait à qui il pouvait bien être. Elle avait de multiples facettes de sa personne mais tout lui paraissait encore très flou. Et elle ne pensait pas réellement qu'elle arriverait un jour à éclaircir toutes les zones d'ombre qui entouraient le sorcier.

Avant même qu'elle le remarque, il avait atteint une des cours extérieures du château. Il ne faisait pas vraiment froid, ce qui lui rappela que l'année scolaire était très proche de la fin. Elle ne vivait plus vraiment au rythme du château, mais elle avait tout de même ressenti l'agitation qui annonçait les examens de fin d'année.

L'homme en noir à côté d'elle sortit de sa poche un petit paquet en carton. Il l'ouvrit et elle reconnut tout de suite les cigarettes moldues. Il en porta une à sa bouche puis, quelques étincelles plus tard et une aspiration, il souffla la fumée.

"Vous fumez ? demanda-t-elle, étonnée.

— Parfois."

Elle le regarda prendre quelques autres bouffées, hypnotisée. Sentant probablement son regard sur lui, il lui tendit et elle refusa poliment.

"Vous êtes bien trop pure pour ce monde, Miss Granger.

— Je ne pense pas." Répondit-elle.

Il la regarda, aspira à nouveau sur le petit tube orange et blanc et souffla.

"Vous ne buvez pas, vous ne fumez pas. Vous étiez une bonne élève. Avez-vous des vices ?"

Elle avait un peu l'impression qu'il lui parlait comme si elle était morte. Mais après tout, c'est un peu comme si elle l'était pour le monde. Sauf pour lui.

Ce soir, il était particulièrement loquace, et elle ne pouvait pas mettre vraiment cela sur le compte de l'alcool car même elle qui n'avait pas l'habitude de boire ne ressentait plus aucun des effets.

"Je ne suis pas une sainte non plus.

— C'est vrai. Vous êtes une voleuse et une pyromane.

— Est-il possible de vous cacher une seule des bêtises que j'ai faites quand j'étais enfant ?

— Je ne crois pas que cela soit possible, chacune de vos pensées était inscrite sur votre visage." Dit-il doucement.

— Etait ?

— Bien que vous soyez toujours une véritable Gryffondor, vous avez appris à vous contrôler un minimum depuis."

Elle ne sut pas vraiment si c'était un compliment ou pas. Mais elle avait appris depuis le temps, qu'il valait mieux le prendre comme tel, ce n'est pas comme si Snape en était avare.

Le temps passa et il finit sa cigarette. Il la jeta à terre, l'écrasa pour l'éteindre puis la fit disparaître d'un coup de baguette. La lune était haute dans le ciel et elle n'avait pas la moindre idée de quelle heure il pouvait bien être. Cependant, elle ne se sentait pas fatiguée, simplement apaisée. Comme chaque fois qu'elle restait avec lui, elle ne ressentait plus cette peur et il lui semblait que c'était pareil pour lui.

"Severus", dit-il, brisant le silence et la surprenant en même temps.

— Comment ? Demanda-t-elle, n'étant pas sûre de comprendre ce qu'il lui disait.

— Appelez-moi Severus. Vous n'êtes plus élève, nous ne sommes plus à Poudlard.

— D'accord."

Ce fut étrange, car ils ne s'étaient jamais appelés autrement que par leur nom de famille. Mais comme tout le reste, cela sembla naturel. Comme une évidence.

Elle était en train de lui sourire, comme si elle ne savait pas vraiment ce qui venait de se passer, quand il l'embrassa.

Elle avait bien sûr déjà été embrassée, elle avait été la petite amie d'un de ses meilleurs amis. Mais ce baiser était différent. C'était étrange et familier à la fois. C'était doux et passionné. Elle se laissa tomber dans ses bras, posa ses mains sur son torse. Il sentait bon, l'air iodé et la fumée de cigarette se mêlant.

Le baiser se termina et elle se rendit compte qu'elle avait fermé les yeux. Elle le regarda, il la regarda, un sourire un peu timide apparut sur ses lèvres. C'était si étrange de le voir ainsi. Ils étaient tous les deux maladroits, ils ne savaient pas vraiment ce qu'il se passait mais ils étaient heureux. C'était tout ce qui importait.