Fin de la Mission :
Lorsque Ralof ouvrit à nouveau les yeux, ce fut pour les poser sur un plafond de bois familier.
Paresseusement, il se demanda si Gerdur avait décidé de le laisser dormir pour une fois, bien que les
chances soient faibles.
Puis il se souvint de l'attaque des bandits et de la violence qui avait suivi.
Écarquillant les yeux, il se redressa brusquement avant de prendre sa tête entre ses mains et gémir
de douleur, torturé par l'épée chauffée à blanc qui s'enfonçait dans son crâne. Il lui fallut quelques
minutes et plus d'inspirations qu'il ne s'était soucié d'en compter pour que la douleur s'apaise un
minimum. Quand il reprit conscience de son entourage, il s'aperçut qu'il n'était plus seul.
Fixant l'autre du regard, il lui fallut plusieurs longues secondes pour reconnaître Syraël, celui-ci
l'étudiant avec un visage étrangement fermé. Ouvrant la bouche pour lui demander ce qu'il faisait là
malgré son départ pour Blancherive quelques jours plus tôt, il se rendit compte qu'il avait commis
une erreur. La vague d'étourdissement menaça de le submerger alors qu'il se sentait partir en arrière.
Heureusement, une main ferme s'appuya dans son dos et le stabilisa le temps que son corps s'apaise.
Ce qui se produisit bien plus rapidement que la dernière fois. Levant les yeux, il eut juste le temps
de voir une lueur dorée s'estomper dans la main restante.
- Tu te sens mieux ?
La question, prononcée doucement et distinctement par le mer, le surprit. Ce niveau de sollicitude
était nouveau. Le détaillant avec plus d'attention, il remarqua la façon dont l'autre ne le quittait pas
des yeux, pas méfiant mais... prudent ? Avec lui ?
- Ou… ouais, je vais... bien, commença-t-il avant de grimacer, sa gorge si incroyablement sèche
qu'elle rendait sa voix aussi rauque que celle d'un Dunmer fraîchement venu de Solstheim.
Silencieusement, le mer lui tendit un verre d'eau fraîche et, sans prendre la peine de se questionner
sur sa salubrité, le sombrage l'avala d'une traite. Sans un mot, Syraël lui reprit son verre et le remplit
depuis une carafe posée sur le bureau qu'il remarqua tout juste. Cette fois-ci, il but plus lentement,
prenant garde à ne pas s'étouffer.
Il donna son verre à Syraël qui avait tendu la main, déterminé à obtenir le fin mot de l'histoire.
Le magelame était protecteur, loyal et serviable autant qu'on l'aurait voulu, il était aussi autoritaire,
sarcastique et pipelette à n'en plus finir. Le voir aussi silencieux et effacé commençait à inquiéter
Ralof.
- Donc... qu'est ce que je fais là ? Qu'est-ce que tu fais là ? Pourquoi tu me regardes comme un
chiot battu ?
- … Quelle est la dernière chose dont tu te souviens précisément ? interrogea Syraël en retour, ses
lèvres pincées.
Une telle remarque et pas le moindre retour cinglant ? L'elfe n'allait clairement pas bien
Confus, le sombrage le fixa pendant quelques secondes avant de se rendre compte que c'était une
bonne question quand il ne parvint pas à répondre immédiatement. Delphine avait décapité un
bandit avant de lancer le corps sur un autre et de les empaler tous les deux. Un autre avait essayé
d'entrer dans l'auberge et Embry lui avait éclaté une bouteille sur la figure. Un pauvre idiot s'en
était pris à Sigrid et Alvor s'était emparé de son marteau pour l'enfoncer dans son thorax, lui brisant
plusieurs côtes dans un rugissement furieux. Lui-même s'était dirigé vers la boutique juste à temps
pour voir un Lucan hors de lui planter une dague sous le menton d'un agresseur alors que d'autres
fuyaient.
Combattant le nœud d'angoisse dans son estomac, il prit une profonde inspiration, serrant les draps
entre ses jointures, avant de fixer le mer.
- Je me souviens de l'attaque, commença-t-il d'une voix serrée. Et me voilà ici, blessé et revenant de
l'inconscience. Personne n'est dans la maison sauf toi et moi. Gerdur et les autres...
- Non. Tout le monde s'en est sorti, juste avec quelques égratignures pour certains. En grande partie
grâce à toi, Delphine, ta sœur et Alvor si ce que j'ai entendu est correct.
L'interruption immédiate du magelame provoqua un soulagement vertigineux alors qu'il fermait les
yeux. Il lui restait encore sa famille et son village. Si, juste après Helgen, il venait à les perdre, il
ignorait ce qu'il ferait mais… non. Mieux valait ne pas y penser. Le pire resterait un cauchemar et
non la réalité, ce qui lui convenait cent fois.
- Cependant, durant l'attaque, Lucan a été dépossédé de l'un de ses biens les plus précieux. Et donc,
en courageux et stupide chevalier que tu as apparemment pensé être, tu as décidé de prendre
d'assaut la cachette des bandits. Seul et sans renforts.
Ignorant le regard noir du mercenaire au souvenir, le sombrage plissa les yeux alors que ses tempes
battaient. Oui, ce genre de chose lui ressemblait bien car toutes les attaques sur les siens étaient
impardonnables. Quant à Lucan, il restait son débiteur pour le jour de son départ, quand celui-ci
l'avait laissé emporter une épée de son stock sans rien lui réclamer, après qu'il eut refusé de
demander ça à Alvor après le départ du traître.
Bon, le commerçant l'avait aussi appelé un imbécile fini mais, de la part du vieil avare, ce geste
demeurait l'une des plus grandes preuves d'affection jamais offerte. Alors oui, en apprenant que les
bandits venaient de le déposséder de quelque chose de précieux, il était crédible qu'il décide d'aller
leur montrer de quel bois il se chauffait !
… Bien que, à en juger par sa position actuelle, l'abstention aurait pu se révéler comme une
meilleure idée.
- Tu les a poursuivis jusqu'au sommet du col pour, selon ton témoignage, profiter de leur
affaiblissement et les éliminer. Et, apparemment, tu t'es assez bien débrouillé pour réussir à mettre
fin à la vie de six bandits sur les onze, ce qui est plutôt impressionnant. Pour les autres, les ragnards
et les pièges ont mis fin à leur occupation indésirable. Je me suis chargé du dernier après la mort de
la givrépeire géante qui a manqué de te tuer.
Plus l'elfe parlait, plus le sombrage pouvait reconstituer une partie de ce qu'il s'était passé. Une
journée de marche pénible dans la neige et la glace, le vent froid lui brûlant les poumons alors que
le soleil se reflétait sur la couverture blanche, l'aveuglant. Le hurlement angoissé du bandit et de la
grimace de l'archère avant qu'il n'enfouisse son épée dans ses entrailles. Le soulagement qu'il avait
ressenti en voyant que la potion offerte par Syraël fonctionnait et que sa blessure se refermait à vue
d'œil en dépit d'un bref étourdissement qui l'avait pris en contrepartie.
Le déferlement soudain de ragnards, sans doute attirés par l'odeur de sang et de pourriture, qui
l'avait forcé à se réfugier plus loin dans les ruines, poursuivi par le dernier bandit survivant. Les cris
et pleurs agaçants du bandits dunmer, saucissonné dans la toile alors qu'il combattait une araignée
mesurant facilement trois fois sa taille. L'épuisement et la fierté à l'idée qu'il accomplissait quelque
chose dont Hadvar et Syraël auraient détesté se charger, une réalisation avec laquelle il pourrait les
embêter s'il les rencontrait dans un contexte approprié.
La peur et de la résignation qu'il avait ressenties quand il avait été renversé par le dernier élan de la
chose, sachant qu'il mourrait dans ces ruines sombres et crasseuses et que personne ne pourrait (ou
n'oserait) vérifier avant un moment. Et puis... et puis...
- Tu m'as sauvé, réalisa Ralof, souriant avant de se renfrogner quand le reste lui revint. Tu m'as
sauvé et, juste après, tu m'as cogné. Espèce d'enfoiré !
- Et ? Tu l'as mérité, répliqua le mercenaire d'un ton catégorique. Franchement, c'était stupide
comme idée !
- Non, pas du tout, commença Ralof avant de cligner des yeux et refermer la bouche avec un soupir.
En fait, si. Mais j'avais une raison ! Tirer parti de leur affaiblissement était ma motivation
principale, en plus de l'effet de surprise, parce que je ne pouvais pas être sûr que jarl Balgruuf
enverrait vraiment du renfort avec tous les problèmes dus à la guerre. Au moins, si des soldats
étaient envoyés après moi, ils seraient moins nombreux à fouiller les alentours et tomber sur
Eivska ! Elle s'est finalement réveillée, merci pour ça, mais elle était encore trop faible pour se
défendre en cas d'attaque.
Donc il désirait autant récupérer le bien de Lucan que protéger sa camarade par procuration ?
Quelle noblesse… et quelle naïveté.
- Pour ça, c'est trop tard, soupira Syraël en secouant la tête, faisant tressauter le cœur de son
interlocuteur. Bien que j'apprécie les remerciements, tu as gravement sous-estimé ta camarade.
Lorsqu'elle a appris ton départ et le mien, elle nous a suivis, s'est évanouie avant de traverser le
pont et, quand Hod l'a ramenée, les gardes attendaient à l'entrée, prévenus par un des leurs de ma
tentative.
- Quoi ?! Ralof cria sans se soucier de sa migraine avant d'essayer de sortir du lit seulement pour
être stoppé par une vague de nausée.
Après une lutte vaillante, il parvint à garder l'eau et releva la tête au claquement de langue
désapprobateur du magelame. Celui-ci s'approcha de lui, ses mains illuminées avant de les poser sur
ses tempes. Immédiatement après, sa vision s'éclaircit et les couleurs se firent moins vives.
… D'accord. Entre ça et les soins constants de l'elfe envers sa camarade, il admettait que certaines
magies valaient l'apprentissage.
- Rassure-toi, elle est en vie et indemne. Gerdur a été extrêmement vocale à ce sujet, assez pour
effrayer les idiots qui ont suggéré une issue plus drastique. Non seulement ça, mais Camilla et
Lucan ont aussi pris sa défense et ne cessent de traîner dans le coin au cas où il viendrait de
mauvaises idées aux gardes. Ils voulaient te prendre aussi jusqu'à ce que je leur démontre à quel
point cela entrerait en contradiction avec leurs intérêts. Et, avant que tu ne poses la question, que
votre évasion "mystérieuse" soit bientôt prévue est un secret de polichinelle pour tous les habitants
au point où Orgnar a enfermé Embry dans la salle de bain pour qu'il ne cafarde pas aux gardes allant
boire. Pas que ça lui fasse du mal, cela dit.
Après une seconde de silence, le visage du sombrage se froissa et, les yeux fermés, il soupira :
- Je dois tellement à ce village… et à toi aussi.
- Je ne suis pas sûr qu'ils considèrent la situation de la même façon. Tu veux entendre la suite ou
pas ?
- C'est important ? questionna le nordique, la fatigue s'emparant de lui à nouveau.
Face au silence qu'il reçut en retour, Ralof entrouvrit ses yeux pour fixer son vis-à-vis qui avait de
nouveau cette tête conflictuelle. Oh oui, ça aussi. Puisque son sauvetage s'avérait une réussite,
pourquoi Syraël paraissait-il si morose ?
-... C'est quelque chose que je n'aime pas dire mais que tu voudrais sans doute savoir, à défaut de
l'aimer. Et, puisque tu m'as probablement sauvé la vie... oui, je dirais que oui.
- Oh... répondit le nordique sans s'arrêter sur la présentation dramatique et floue, trop épuisé pour
ça. Ce n'est pas le moment où tu as envoyé ce gars, Arvel, en pâture aux draugrs ?
- Bien sûr, tu te souviendrais de son nom…
Et pas lui visiblement. La méthode de la mise à mort de côté, son attitude envers ses victimes
dérangeait aussi beaucoup le sombrage. Tuer dans un combat est différent d'un meurtre, surtout
aussi cruel, et si la mort devait résoudre la plupart des rancoeurs, ce mépris désinvolte sans vindicte
personnelle ne lui plaisait pas.
Malheureusement, essayer de le lui faire remarquer se transforma en un long bâillement. Bon sang,
c'était comme si sa tête était remplie de coton. Le juron sur sa droite attira son attention et il tourna
la tête seulement pour être recouché par le mer, attirant ses protestations.
- T'as fini de me traiter comme un gosse ?
- Dors, ordonna l'elfe en posant une main brillante sur son front tandis que son corps se détendait
contre sa volonté.
Oh.
Sa dernière pensée, avant que les ténèbres ne l'emportent de nouveau, fut que Syraël allait le lui
payer !
Finalement, il lui avait fallu deux jours de repos supplémentaires pour être complètement remis bien
que, de l'avis du médecin, c'était tout juste le strict nécessaire. D'un autre côté, le sombrage
emmerdait le médecin, donc ce n'était pas comme si ses propos avaient la moindre importance,
surtout quand lui se sentait bien.
Surtout que, avec le retour progressif de ses souvenirs, il savait pourquoi l'autre avait été aussi
exceptionnellement docile (et avait réalisé la grimace la plus acide qu'il lui ait jamais vue quand il
l'avait charitablement fait remarquer) puisque c'était de sa faute s'il était dans cet état !
Dans sa crise de folie d'origine magique, l'abruti l'avait lancé contre un mur ! Résultat ? Une
commotion cérébrale.
Quel sauveteur hors pair…
Ajoutez ceci à l'épuisement de deux journées difficiles ainsi que plusieurs bouleversements
émotionnels et le résultat avait été une sieste de deux jours malgré les efforts de Syraël. À son
crédit, l'elfe avait refusé de l'abandonner, le ramenant vaille que vaille, en plus de la Pierre de
Dragon qu'il était venu chercher, et le soignant tout au long du chemin. Avec ceci, il gagnait son
pardon mais, s'il recommençait, le sombrage lui ferait tâter de sa dague.
Peut-être devait-il se montrer plus dur mais, là encore, l'homme était venu à son secours tout en
sachant qu'il se jetait au milieu d'un groupe de bandits. Ce qui s'avérait à la fois apprécié et
valorisant, même avec son attitude et ses méthodes ultérieures.
Parce que, oui, le bâtard sournois avait eu beau tenter de profiter de l'amnésie temporaire de Ralof,
Lucan avait ensuite nié l'envoi de Syraël, en dépit d'une récompense promise. C'était lui qui s'était
porté volontaire dès qu'il avait appris la situation.
… Le sombrage se souvenait aussi qu'il était un pilleur de tombe chevronné ainsi qu'un connard
vindicatif et cruel envers ses ennemis mais, ça, Ralof aurait bien voulu continuer de l'oublier.
Dans l'ensemble, les événements étaient encore un peu flous et il avait un sérieux gonflement sur la
tête (cette brute !) mais il vivait et s'avérait en état de faire le voyage. Et, en plus, il détenait des
informations nouvelles à rapporter à Vendeaume qui leur donneraient une avance que la légion ne
rattraperait pas facilement ! Même s'il n'était pas sûr de ce que ça signifiait, Ulfric parviendrait peut-
être à en tirer quelque chose.
Pendant qu'il était en convalescence, le mage avait passé son temps à étudier la pierre et recopier
son contenu sur du papier grâce à du charbon de bois. En deux exemplaires. Un pour lui et un pour
le sombrage qui l'avait apparemment mérité en le suivant aussi loin.
… Pff, comme si. Il se sentait juste encore coupable de sa perte de contrôle.
Bref. L'important est que la Pierre du Dragon, comme l'appelait apparemment le sorcier de
Blancherive, présentait un message intraduisible pour lui sur une face et une carte sur l'autre. Syraël
soutenait que c'était du langage draconique, ce que Ralof avait eu du mal à croire jusqu'à ce que le
mercenaire lui explique qu'apparemment, la chose qui avait brûlé Helgen avait sans doute une
intelligence équivalente à celle d'un humain et pouvait même parler couramment leur langue.
Ce qui changeait beaucoup de choses pour Ralof, que Syraël en soit conscient ou non.
Parce que, là, il ne s'agissait plus de rabaisser une bête dangereuse pour la sécurité des habitants de
la contrée. L'enjeu devenait celui de châtier un meurtrier de masse responsable d'un massacre
sanglant et qui avait probablement apprécié chaque instant des supplications de ses victimes !
Pour en revenir à la Pierre, malheureusement, Syraël ne pouvait pas lire la langue, celle-ci n'ayant
plus été parlée et retranscrite depuis au moins quatre mille ans. Eh bien, si l'on omettait les Grises-
Barbes et Tiber Septim à l'aube de l'ère Troisième. L'érudit ne s'était pas arrêté là, mentionnant
d'obscurs travaux de recherches publiés récemment parvenant à traduire cette écriture, mais ils ne
se trouvaient pas en leur possession donc ça ne leur servait à rien.
Mais si jarl Ulfric avait survécu - il devait l'avoir fait car aucune rumeur victorieuse de l'Empire
n'était parvenue au village - alors il pourrait sans doute lire cette copie. Ce qui leur donnerait un
indice sur où commencer à chercher pour résoudre cette crise. Si le texte n'en avait pas, alors la
carte sur l'autre face de la pierre pourrait se révéler comme une autre piste possible !
Avec ça, Ulfric et Wuunferth devraient pouvoir mettre en place un plan d'action ou... eh bien, au
moins un début qui leur permettrait de protéger les citoyens. Car, avec un dragon dans la nature et si
la fragilité des tours de guets d'Helgen était une indication, même Vendeaume l'Imprenable pourrait
ne pas résister.
Ce qui n'était pas une pensée rassurante, surtout avec les chiens impériaux à leurs portes qui
n'hésiteraient pas à en tirer profit. Bien que cela signifiait qu'eux aussi couraient le même danger.
Quoi qu'il en soit, l'excursion en valait la peine et cela seul lui mettait du baume au cœur. Il n'avait
pas ignoré les instructions de son père pour rien même s'il préférait ne pas recommencer.
Cependant, à présent qu'Eivska et lui allaient mieux, il était de son devoir de rapporter lesdites
informations à Vendeaume. Son séjour à Rivebois était terminé.
Bien sûr, ce traître d'Hadvar avait pris la poudre d'escampette pour son précieux Empire à la
première occasion ! Exactement comme la dernière fois, il rappliquait au moindre sifflet comme un
chien. Heureusement, cette fois-ci, il avait su à quoi s'attendre et n'était pas retombé dans le piège
de la fausse camaraderie offerte par l'autre. De plus, ce même empressement venait de se retourner
contre lui, quelque chose qu'il pourrait ou non lui frotter au visage à l'avenir.
Jamais il n'accepterait que la décadence impériale continue de ronger son pays. Jamais.
C'était pourquoi, le soir même, il avait fait ses adieux à Gerdur, Hod et Frodnar, la première lui
racontant comment Sigrid avait juste eu la patience d'attendre que Syraël l'ait installé pour
l'entraîner dans sa maison malgré ses protestations sous les yeux amusés d'Alvor. S'ils avaient été en
meilleurs termes, il aurait vraiment voulu en savoir plus sur la raison derrière la colère de la femme
et la façon dont elle avait discipliné l'elfe.
Une fois ses affaires en main, il avait de nouveau quitté sa maison d'enfance, se sentant plus
nostalgique, mais aussi plus déterminé qu'autrefois. Il avait un but plus grand que celui du garçon
de ferme voulant ramener son ami égaré à la raison car, désormais, c'était tout Bordeciel qui pouvait
être en danger.
Cette certitude en tête, il se dirigea discrètement vers le campement de la garde, maudissant son
manque de connaissance de la furtivité. Il avait toujours considéré qu'une telle attitude était indigne
dans un combat et il le croyait toujours... mais ce n'était que maintenant qu'il en comprenait
pleinement l'utilité pour sauver des alliés captifs.
Il allait progresser quand il sentit un léger choc dans son dos et un serrement familier autour de sa
gorge. Une magie antipathique qui ne pouvait être l'œuvre que d'une seule personne. Avant qu'il
n'ait pu protester, il sentit une main sur son épaule et répondit de la façon appropriée.
- Wow ! Quelqu'un est de bien mauvaise humeur, constata Syraël, un sourire narquois aux lèvres
tout en évitant la droite du nordique qui le fusillait du regard.
Cette fois, y'en avait marre !
Ignorant son envie manifeste de le flanquer par terre, Syraël annula à nouveau son sort avant de lui
ordonner de le suivre d'une voix sérieuse. Son ton était à peu près la seule chose qui le poussa à
obtempérer plutôt que d'aller dans la direction inverse par pur dépit.
Bien lui en prit cependant, car il fut conduit dans un petit espace, derrière les arbres, au bord de la
rivière. Eivska s'y trouvait déjà, libérée de toute entrave, son armure dans un état acceptable (qui
l'avait réparée ? Certainement pas Alvor !) et ses cheveux roux attachés avec une ficelle.
- Ralof ! s'exclama-t-elle, se souvenant trop tard de baisser la voix.
- Tu vas bien ? lui demanda-t-il, désireux de s'assurer que les soldats ne lui avaient causé aucun mal
pour recevoir un hochement de tête affirmatif en retour.
- Ne t'inquiète pas pour moi, ton ami m'a sorti de là en plus de ses soins, même s'il aurait bien
besoin d'apprendre à moins agir comme un connard. Tu n'exagérais vraiment pas à son sujet !
- Je suis juste ici, intervint le concerné en croisant les bras.
- Je sais et je m'en fiche, répondit la nordique.
Ignorant un souffle agacé de Syraël, elle se tourna vers Ralof qui souriait, se régalant du spectacle.
- Quoi qu'il en soit, je vais bien. Les villageois voulaient aider, mais ils ont apparemment accepté de
le laisser gérer quand il a dit avoir de l'expérience et, par Talos, c'était vrai. Les soldats sont en vie,
mais ils sont tous en train de faire la sieste et le temps qu'ils se réveillent, malgré notre état, nous
serons loin si nous partons maintenant.
Prenant une seconde pour assimiler le déluge d'informations, Ralof cligna des yeux avant de se
tourner vers Syraël.
- Apparemment la dette que je te dois ne cesse d'augmenter, reconnut-il à contrecœur seulement
pour récolter une inclinaison de la tête confuse de son vis-à-vis.
- Vraiment ? Laquelle ? interrogea le magelame avant de commencer à énumérer. Je t'ai sauvé à
Helgen et tu m'as pistonné auprès de ta sœur pour du travail. Ton cadeau ne compte pas puisque
c'était pour ton anniversaire. Je t'ai sauvé la vie dans les ruines, mais tu as sauvé la mienne peu de
temps après donc, pour moi, nous sommes quittes. Tout au plus, tu pourrais dire quelque chose sur
Eivska mais, là, c'est elle qui m'en doit une, n'est-ce pas malpolie ?
- Je suppose, vieil homme.
Ralof haussa les sourcils à l'adresse familière alors que Syraël se retournait pour la regarder
fixement, Eivska lui décochant un sourire insolent en retour.
- Tu n'as aucune raison de m'appeler comme ça, se plaignit l'elfe sans rencontrer le moindre succès.
- Gerdur m'a dit qu'il s'agissait du surnom que te donnait Ralof, donc il y a sans doute une histoire
amusante derrière. Je n'ai pas besoin de plus
- Apparemment, il a au moins cent-soixante ans, fournit son camarade trop heureux de prendre sa
revanche sur le magelame.
- … Wow, sourit Eivska après un sifflement impressionné. Vraiment un vieil homme, donc.
- Foutez le camp avant que je ne perde patience et que je ne réveille les gardes, bougonna le mer en
croisant les bras.
Ricanante, la jeune femme commença à tourner les talons avant de changer d'avis et se diriger vers
le magelame. Se plantant devant lui, elle se servit de sa surprise pour l'attirer dans une brève
étreinte, lui faisant écarquiller les yeux, avant de se reculer.
- Merci de m'avoir sauvé la vie. Gerdur m'a tout raconté. Ralof a refusé de m'abandonner, mais c'est
toi qui lui as permis de me ramener et m'as soignée pendant plusieurs jours. D'ordinaire, les hauts-
elfes ne sont pas mon genre, mais je suis prête à te ranger dans la catégorie sympathique comme
Niranye.
Elle se retourna pour de bon, s'enfonçant dans les bois, sans se soucier de la surprise de ses
compagnons. Alors que Ralof fixait à nouveau Syraël, il se retrouva à court de mots. Il était possible
qu'ils ne se revoient jamais mais, comme l'avait mentionné Eivska, même avec sa race, il était un
gars plutôt correct hormis son attitude difficile.
Et aucun des deux ne paraissait à l'aise pour faire leurs adieux.
- Pour ce qui est de la dette, je parlais des informations de la Pierre du Dragon. Et je te dois aussi un
verre. J'espère pouvoir rembourser cela un jour.
- Pour le verre, tu as intérêt, même si j'accepte aussi les pâtisseries, confirma le magelame avant
d'enchaîner : ne vous perdez pas en chemin et ne vous faites pas tuer. Si vous ruinez mon dur
travail, je vais me fâcher.
Reniflant à la tentative de l'utiliser comme fournisseur de sucre, le sombrage prit le chemin du
retour à Vendeaume, non sans un dernier rappel.
- En premier lieu, c'est de ta faute si j'en ai eu besoin.
L'absence de réponse lui confirma que, cette fois-ci, c'était lui qui partait avec le dernier mot.
Pensif, Syraël contempla l'éloignement des deux soldats, espérant qu'ils ne commettraient pas la
bêtise de parcourir trop de chemin durant la nuit. Aucune nécessité de se presser ne se présentait
après tout. Balgruuf était neutre et la mission des gardes était de protéger le village donc, hormis un
acharnement personnel, les deux ne craignaient aucune poursuite. Alors autant ne pas se précipiter
au risque de se rompre la nuque par manque de luminosité.
Oh, de qui se moquait-il ? Bien sûr, les deux idiots projetaient sans aucun doute de se diriger vers la
capitale orientale à toute allure. Eivska l'avait même admis face à Ralof sans que celui-ci ne la
contredise.
Le seul espoir qu'il pouvait entretenir serait qu'ils ne croisent aucune patrouille impériale dans les
bois. Compte-tenu du désordre avec le dragon, mais aussi de la gifle monumentale subie par l'échec
de l'exécution d'Ulfric, il estimait que leurs chances étaient de moitié. Mais lui-même ne pouvait
plus rien pour eux désormais.
Décidant de saisir de son temps alloué depuis la restitution de son bien à Lucan - qui avait
carrément embrassé la Griffe d'Or, ce qui était vexant - il se dirigea vers un arbre tombé en
périphérie et s'y allongea. Écoutant simplement le bruit de l'eau, il détendit ses muscles, étendant sa
conscience de son corps tout en s'enrichissant de la vue du ciel nocturne.
Peu importe le nombre de pays qu'il avait visités et les lieux extraordinaires parcourus, le ciel de
Bordeciel était toujours le plus beau à ses yeux.
Après un repos d'une heure ou deux, il finit par se redresser avec un soupir et prendre son havresac
avant de se diriger vers le campement. Ralof et Eivska devaient avoir une solide avance et ils
n'étaient sans doute pas assez stupide pour allumer un feu de sitôt en dépit du froid.
Ignorant la montée d'inquiétude dans son ventre à l'idée d'une rencontre avec des loups dans leur
état – stupide et irrationnel car Syraël les avait personnellement chassés la veille pour limiter les
risques – il alla rompre le Sommeil qu'il avait infligé aux gardes. Il atteindrait bientôt sa limite de
toute façon et s'avérait peu désireux de s'épuiser ou de laisser le village sans défense après être
parti. Cela aurait été entièrement contre-productif à son but d'origine.
Tournant le dos au campement, il reprit ensuite sa route, ignorant les jurons frénétiques des soldats,
à commencer par Ulren, quand ils constatèrent la disparition de leur prisonnière. Et leurs prières
pour que personne n'ait remarqué le manque de garde avec un dragon rôdant dans les parages. Ce
sens du devoir les plaçait comme de bons soldats dans son évaluation. Le village irait bien entre
leurs mains.
Il ignora donc gracieusement les noms d'oiseaux qui volèrent à son encontre. Franchement, en dépit
de sa résistance antérieure lorsqu'ils avaient tenté de prendre Ralof, les gardes n'avaient pas une
seule raison de le considérer responsable de leur débâcle.
… Ou, plutôt, ils ne possédaient aucune preuve. Ce qui revenait au même.
Passant le pont, il jaugea l'avancement de la nuit et, avec un haussement d'épaules, se lança à toute
allure. Faire un détour par les routes lui prendrait suffisamment de temps de toute façon et, en plus,
il avait déjà profité d'une longue sieste de plusieurs heures cet après-midi après que Sigrid lui avait
figurativement tiré les oreilles sans parvenir à le convaincre de reprendre l'argent.
Finalement, elle avait quand même obtenu gain de cause en lui fourrant un ensemble de vêtements
de ville en laine grise dans les bras, arguant qu'il se devait de posséder "autre chose à porter que
cette armure", tout en ayant un froncement de sourcils permanent qui dissimulait mal son
inquiétude.
Si elle n'était pas en couple, Syraël aurait volontiers tenté sa chance pour une aventure d'un soir.
Malheureusement ce devait rester un fantasme, alors inutile de pleurer sur le lait renversé.
Surtout qu'elle n'était pas la seule à avoir quelque chose pour lui. La lettre que Delphine devait lui
remettre contenait en fait une invitation à revenir prétendument à cause d'un oubli de quelques-unes
de ses affaires. Intriguant, mais "l'oubli" s'avéra en réalité une armure de cuir intégrale qu'Alvor
avait assemblée pour lui depuis un vieux modèle présent dans son stock.
Outre la faille évidente du manque de garantie de son retour, que le forgeron se soit donné ce mal
tout en réussissant à cacher ça lui donnait envie de le remercier et de se gronder. Comme on dit, le
recul permet une vue impeccable. Il n'empêche qu'il aurait dû se méfier quand Alvor avait insisté
pour connaître ses goûts en la matière et prendre ses mesures !
Bien que, entre les réserves dues à la guerre civile et le manque d'accès à de quelconque minerais,
la possibilité ne s'était pas inscrite dans son esprit. Il fallait dire que, même en des temps prospères,
une telle générosité s'avérait rare, ce en dépit de l'hospitalité nordique.
Bon, il n'était pas non plus dupe, si on lui demandait de revenir après son envoi à Blancherive, il
s'agissait aussi d'une manœuvre visant à s'informer. Au moins en partie. Mais le cadeau demeurait
très généreux alors il ne s'en plaindrait pas. Syraël préférait être l'obligé d'Alvor que de Balgruuf
de toute façon. Moins de risques de se faire escroquer.
Surtout que l'armure demeurait belle quoiqu'incomplète à ses goûts. Dès qu'il trouverait du temps,
il ajouterait un peu de métal dessus pour favoriser son futur enchantement. Selon le cycle lunaire et
ce qu'il trouverait dans la boutique d'Adrianne - ou peut-être du fameux Eorlund - ce serait son
projet pour la prochaine semaine.
Sauf si Balgruuf lui confiait un autre projet d'ampleur, mais il en doutait. Une occasion comme
celle trouvée par Farengar ne devait pas se présenter tous les quatre matins, surtout s'il était le
troisième à qui l'on octroyait la mission.
Heureusement, son caractère exceptionnel n'enlevait pas l'attrait de la paie qui l'attendait à son
retour, même avec l'avance du jarl.
Avec le retour de la Pierre du Dragon, s'il se débrouillait bien avec Adrianne et qu'il gérait les
primes, il pourrait bien réussir à amasser beaucoup d'argent en à peine deux semaines et demi. Un
véritable record, bien aidé par les deux septims d'or trouvés dans le sac octroyé par le jarl avec plus
de générosité qu'il n'en attendait. Et si ça ne suffisait pas, rien ne l'empêchait d'attendre que la crise
se calme en allant voir comment les ruches avaient changé depuis la dernière fois.
À priori, aucune chance qu'il ne rencontre la bête là-bas.
Tenter sa chance pour s'évader par ce biais aurait pu en valoir la peine si, d'une part, il y avait
songé avant de prendre des engagements et, d'autre part, si la situation politique interne le
permettait. Ce qui était trop incertain à son goût.
Malheureusement, l'arrivée de la matinée interrompit sa quiétude quand des bandits essayèrent de le
détrousser. Face à son refus de se laisser impressionner, ils tentèrent de prendre sa vie, perdant la
leur à son profit.
Ne trouvant rien de valable sur eux, le magelame haussa les épaules, acceptant que ses attentes de
simples sbires s'avéraient trop hautes. Il se décida tout de même à enquêter espérant que cela
s'avère fructueux. Après une vingtaine de minutes de recherche, il tomba sur l'entrée d'une cache de
bandits, s'y dirigeant avec résolution. Dommage pour eux, il avait besoin d'argent et, avec de la
chance, la tête de leur chef était primée. Sinon, peut-être trouverait-il deux ou trois choses de valeur
à revendre pour son compte.
Après une courte bataille qui tenait plus de l'exécution unilatérale, Syraël fouilla le corps des deux
bandits, dont un avait atterri sur l'une des tables pleines de victuailles. Sur l'autre cadavre, il trouva
une lettre l'identifiant possiblement comme Rodulf, avec un certain Hajvarr comme auteur et chef
probable, ce qui pourrait se révéler utile s'il devait réclamer une possible prime pour sa tête. Sur
l'autre, il trouva la clé d'un coffre désormais sans surveillance.
Par chance, il y dénicha une améthyste et un énorme bloc d'argent pur qu'il enveloppa dans des
vêtements pris à ses victimes, un grand sourire aux lèvres. Si c'était ce qu'il y avait à l'entrée, il
voulait vraiment voir le reste.
Souriant, il se dirigea alors vers l'entrée de la grotte, non sans prendre un peu de pain et de fromage
crémeux trouvé sur les tables avec d'autres provisions pour le déjeuner. Le mangeant rapidement,
son humeur s'améliora d'autant plus.
Dissimulé dans l'ombre, il s'approcha seulement pour remarquer un bandit assis sur une chaise avec
un livre devant lui, agissant comme un garde. Le fameux Ulfr, peut-être ? Ne souhaitant pas se faire
repérer immédiatement, Syraël tissa une illusion pour lui vendre une grotte inchangée pendant qu'il
passait... seulement pour être surpris quand le bandit bondit sur ses pieds, l'air complètement
incrédule.
- Mes... mes yeux ! s'exclama le vieil homme, bougeant ses mains alors que l'illusion s'accrochait à
lui. Je vois ! Par les dieux, je peux voir !
Sous le boucan qu'il fit, deux autres personnes se précipitèrent, arme à la main, alors que Syraël se
cachait en catastrophe, choqué et incrédule.
- Qu'est-ce que... Ulfr, qu'est-ce que ça signifie ! exigea de savoir une femme aux cheveux roux
salis par la poussière. Pourquoi tu beugles comme ça ? J'ai cru qu'il y avait une attaque !
- Je vois ! Je peux voir ! répondit le garde d'un air extatique tout en continuant de fixer ses mains,
un sourire aux lèvres. Mieux que dans mes jeunes années, même !
- Que- voulut demander l'autre bandit, un homme aux courts cheveux blonds, seulement pour être
abattu d'une flèche dans la gorge.
Alarmée, la femme se retourna, mais il était trop tard. S'étant glissé derrière elle, Syraël la rendit
muette avant de lui trancher la gorge d'un mouvement sûr. Puis, voulant mettre un terme à cette
situation, il lança sa dague en direction du dénommé Ulfr. Sa visée était bonne et le vieil homme
s'effondra sans comprendre ce qu'il s'était passé, la pointe de la dague ayant percé son globe
oculaire et s'étant suffisamment enfoncée pour causer une mort immédiate.
- Maintenant, tu ne vois plus, c'est certain ! persifla l'illusionniste, ignorant la brûlure de ses joues et
s'accroupissant pour fouiller les cadavres.
Heureusement, l'exécution éclair ne semblait pas avoir alerté qui que ce soit. Minuscule consolation
dans un océan d'embarras !
Quelle idée de placer un putain d'aveugle comme garde ! Surtout avec un livre juste devant lui ! Du
vrai foutage de gueule !
Oui, il existait différents types d'aveugles mais, quand même, il ne fallait pas exagérer ! En
l'occurrence, il aurait largement préféré que ce soient les yeux qui aient porté le défaut et non son
cerveau ou ses nerfs. Dans ce cas, l'illusion… aurait toujours réussi, mais des yeux cataractés ou
une synéchie auraient constitué un avertissement correct de ne pas tenter le coup.
Inspirant profondément, le mercenaire continua son chemin, montant l'escalier de bois branlant en
esquivant les runes avec un reniflement de dédain. Rien qu'avec ça, il savait qu'au moins un mage
comptait parmi les bandits, mais que celui-ci était un amateur. D'une part à cause de la piètre qualité
de la rune de cryomancie et, d'autre part, avec l'évidence absolue de son placement.
La placer sous les planches de bois se serait révélé plus efficace et insidieux, la planche cachant les
grandes lignes - bien que le refroidissement de l'air soit un indice à ne pas négliger - et la pression
de quelqu'un marchant dessus toujours capable de déclencher la rune.
Le reste de sa progression s'avéra tout aussi simple et le butin décevant hormis de rares bijoux. Ni
les gardes à l'entrée, ni le groupe mutin rassemblé au coin du feu, ni les inconscients s'improvisant
dresseurs de loup ne lui opposèrent de résistance. Finalement, peut-être que le détour n'en valait pas
la peine.
Enfin bon… il était trop loin pour un demi-tour à présent.
Petite consolation, un tel environnement lui convenait déjà plus que de faire la médiation d'un
groupe de nordiques belliqueux, de fuir un putain de dragon ou de prêter attention à chaque mot
sortant de la bouche d'un noble. Pouah ! Mais qu'est-ce qui lui avait pris, sérieusement ?
Oh oui… son amnésie et le besoin de réponse engendré. Son entêtement et son perfectionnisme
aussi, sans doute.
En haut, un cadavre de bandit mort depuis peu de temps - il avait dû déplaire à son chef d'une façon
ou d'une autre - attira son attention. Après une brève hésitation, il décida de tenter le tout pour le
tout et sauta dans le vide, se raccrochant aux barreaux de la cage qui se balança en grinçant mais ne
tomba pas. À la seule force de ses bras, il se hissa, puis tordit ses jambes pour assurer sa position et
fouiller le corps, grimaçant à l'odeur d'urine, d'excrément et de décomposition. Malheureusement
pour lui, il n'eut pas de chance cette fois-ci.
Parfois, il arrivait que certains bandits voleurs cachent une partie de leur prise dans leurs cheveux,
doublures de tenues voire même sous-vêtements ou… autre afin de soudoyer leurs ex-camarades
pour les faire sortir de là. Dommage que celui-ci n'y ait pas pensé ou ait été pris au dépourvu.
Non pas qu'il aurait été jusqu'à fouiller dans son cul pour le vérifier, la simple présence de
déjections lui confirmant ce dont il se doutait déjà. Et puis, même si le doute subsistait, un butin
incapable de convaincre le plus avide des bandits de fermer les yeux sur une évasion n'en valait pas
la peine.
Bondissant, il rejoignit à nouveau la sécurité du sol en pierre avant de reprendre sa route, grimaçant
face au contre-jour. Prudemment, tous ses sens aux aguets et traquant le sifflement révélateur d'une
flèche qui ne vint jamais, il se faufila centimètres par centimètres jusqu'à apercevoir le chef écrivant
quelque chose dans un journal...
… et aurait sifflé d'appréciation s'il n'avait pas eu un meilleure contrôle de lui-même face à l'armure
nordique gravée en vif-argent du bandit à laquelle il ne manquait que le bouclier. C'était une vue
vraiment rare et qui lui rapporterait beaucoup !
Ce qui signifiait aussi qu'il devait adapter sa stratégie pour ne pas abîmer sa future possession mais,
avec sa polyvalence, la contrainte restait moindre.
Il arma soigneusement l'une de ses flèches d'acier qu'il enduisit de venin de givrépeire et s'assura
que le soleil ne se reflétait pas sur la pointe et n'alerterait pas le bandit. Il se devait de prendre garde
à ne pas trop abîmer l'armure pour la vendre au meilleur prix possible… ou au moins dissimuler les
dégâts jusqu'à ce que la transaction soit effective. Regrettant que le visage de sa cible soit hors
d'atteinte, il visa et tira. Son objectif était bon et la flèche perça le cuir protecteur, juste sous
l'épaulette.
Avec rage et surprise, le malfrat bondit sur ses pieds et son visage se tordit de haine alors qu'il
apercevait Syraël. Celui-ci, face à la vue impressionnante d'un homme bâti comme une montagne
qui chargeait vers lui avec son marteau, se contenta d'avertir :
- Belle armure. J'en prendrai grand soin.
- Comment t'es arrivé ici ?! rugit Hajvarr tout en balançant son arme malgré les esquives de son
adversaire qui restait extrêmement proche de lui, tordant son corps de façons invraisemblables pour
continuer à lui échapper.
- En tuant tous tes sbires, répondit le magelame sans sourciller. Non pas qu'ils aient représenté un
défi, cela dit.
Pendant un moment, il continua de danser entre les coups sans problème, prospérant sur son agilité
avant d'ajouter :
- Sérieusement, quelle idée de placer un aveugle comme garde...
- Meurs, fils de catin ! hurla le bandit, déterminé à faire la peau au meurtrier de sa seule famille
restante.
Malheureusement pour lui, ça ne servait à rien et, bientôt, il se retrouva à bout de souffle, crachant
du sang. Finalement, après une dernière balançoire qui loupa elle aussi sa cible, il tomba à genoux
avec un grognement frustré, insultant toujours son ennemi en le traitant de lâche et l'incitant à venir
se battre comme un vrai homme.
- Le truc, c'est que je n'en ai pas besoin comme tu t'en rends enfin compte. T'énerver et te pousser
à l'attaque pour favoriser l'action du poison suffisait largement. À l'instant où je t'ai touché, ta vie
était soumise à un compte-à-rebours. Un sursis très mal utilisé et dont tu vas payer les
conséquences.
Sans plus tarder, Syraël lança Purge dans sa main droite, conservant le sort autant que possible,
avant d'y ajouter Fraude de sa main gauche. D'abord confus face à la dissipation du poison dans ses
veines, Hajvarr hurla d'agonie alors que son sang s'embrasait et que sa peau devenait noire et
fondait un peu, comme le voulait ce sort ô combien pratique pour se débarrasser des guérisseurs
tout en se soignant.
Non pas qu'Hajvarr en soit un mais… dans ce contexte, le magelame ne pouvait se permettre de
découvrir son manque de pratique en situation de besoin. Bien qu'il ne doive pas trop pousser au
risque de le rendre méconnaissable pour sa prime.
Le bandit convulsa violemment, avant de tomber mort en à peine cinq secondes. Cessant ses sorts,
Syraël fixa ses mains d'un air pensif, hochant la tête pour lui-même en ignorant son cœur battant la
chamade.
Il n'avait pas eu le choix… hormis risquer sa propre mort.
Et il s'y refusait !
Plus que jamais, il avait besoin de ses talents soigneusement cultivés au fil du temps et de toute
façon ce bandit devait mourir dès que lui-même avait mit un pied dans son antre. Que ce soit
empalé par sa Lance Gelée ou… fondu de l'intérieur par le venin de givrépeire, c'était tout aussi
brutal et rapide.
- Bon de voir que je n'ai pas perdu la main avec cette combinaison. Et il n'a même pas vomi, ce qui
m'épargne une séance de nettoyage vraiment pénible en prévision de la vente.
Alors autant choisir l'option qui lui rapporterait le plus. La meilleure solution pour lui dans sa
situation délicate. En tant que macchabée, le bandit servirait la nature et Syraël plus efficacement
que de son vivant. N'était-ce pas là la moindre des choses pour rembourser tous ses vols ?
Sans plus tarder, il se jeta sur le cadavre encore frais pour obtenir sa récompense. Pendant un
moment il caressa l'idée de fondre l'armure pour en concevoir une autre, plus adaptée à ses
standards, avant de renoncer. Dessiner les plans, trouver les matériaux, la forge, la gravure et
l'enchantement prendrait des semaines s'il était très chanceux. Probablement des mois !
Pour le moment, le cadeau d'Alvor et les retouches prévues devraient lui suffire.
… En tout cas, ramener tout son butin serait compliqué, même avec sa magie, mais ça en vaudrait la
peine lorsqu'il tiendrait sa nouvelle bourse pleine.
Il prit aussi quelques minutes pour lire le journal, au cas où il trouverait des infos intéressantes, et
ne fut pas déçu. Apparemment, la récolte avait été bonne ces derniers temps, bien qu'Hajvarr s'en
soit arrogé la plus grosse part. Sans doute trop grosse, même, puisqu'il avait déjà essuyé une
tentative de mutinerie il y avait à peine deux semaines de ça en plus de celle que Syraël avait
arrêtée.
La plus récente entrée, datant d'une semaine auparavant soit le 27 Vifazur, alors qu'il rejoignait tout
juste les gardes pour le voyage retour à Rivebois, parlait d'Helgen et du dragon. Bien sûr, Hajvarr
n'y avait pas cru et avait profité du repli total de la garde pour continuer ses méfaits, ce qui
expliquait le contenu du coffre. Et le loup apparemment.
Se tournant vers l'immense coffre du chef qui lui faisait de l'œil depuis tout à l'heure, il l'ouvrit avec
Brise-Serrure. Le grand tas d'or à l'intérieur, qu'il s'empressa d'empocher, ainsi que les pierres
précieuses présentes amenèrent son humeur à de nouveaux sommets.
Améthystes, saphirs et rubis s'y trouvaient, bien qu'en petite quantité, de même qu'un beau
morceau de quartz qui aurait plus eu sa place dans la Crevasse. La statuette en forme de lys, taillée
dans du turquoise, aurait fait un bel objet d'intérieur s'il avait un domicile. À défaut, il en tirerait un
bon prix.
Légèrement étourdi par la satisfaction, il ne parvint pas à s'empêcher de sourire sauvagement. Le
journal d'Hajvarr disait vrai en mentionnant que ses attaques récentes avaient été fructueuses. Sans
compter que le bandit allait encore lui servir. Littéralement.
Sortant son épée, il coupa la tête du bandit avant de l'envelopper dans la tunique qu'il portait jusqu'à
récemment non sans soupirer face au manque de place nécessitant de la porter à la main. Super...
tout Blancherive allait adorer ! C'est-à-dire s'il y arrivait avant la nuit, ce qui était peu probable… à
moins qu'il n'utilise un portail.
Habituellement, il évitait de les utiliser, préférant rester attentif à son entourage et saisir les
occasions telles qu'elles se présentaient, mais il était sur un horaire serré et déroger à ses habitudes
se révélerait sans doute fructueux.
Ne restait qu'à viser une destination… l'intérieur de la ville était hors de question. Devant les
portes, pareil car s'ils criaient à l'attaque, ça ne lui aurait pas rendu service. Trop loin dans les
plaines aurait été inconvenant. Près des écuries l'aurait obligé à monter des escaliers
supplémentaires.
À mi-chemin des portes, alors ? Sous l'échafaudage de garde et devant le pont-levis ? Voilà qui
ferait l'affaire. Avec un soupir, il renonça cependant à user de la Marche des Ombres,
l'ombromancie se révélant trop aléatoire à son goût. Il voulait se retrouver à Blancherive avant la
tombée de la nuit, pas dans un caveau familial à Épervine et poursuivit par des ombres venues de
toutes les réalités possibles !
Retournant à l'abri de la grotte, il se concentra pendant plusieurs minutes, s'assurant de bien
visualiser sa cible avant d'appeler sa magie, tissant le portail dans l'espace. Ce sort, placé loin de
ses préférés, ne faisait pas partie des plus travaillés, ce qui signifiait que sauter de trop longues
distances se révélait impossible. Au mieux, il estimait pouvoir couvrir l'équivalent d'une demi-
châtellerie, à condition de connaître son lieu d'arrivée sur le bout des doigts et de mettre le paquet.
Petit à petit, le portail du Voyage Rapide s'ouvrit et une petite lutte s'entama jusqu'à ce qu'il le juge
assez stable pour être emprunté, ce qu'il fit rapidement.
Il déboucha immédiatement à l'endroit visé, pour son plus grand soulagement, et s'éloigna alors que
le passage s'effondrait sur lui-même. Pris d'un vertige, Syraël s'assit dans l'ombre, la tête dans les
bras. La dépense d'énergie coûtait cher mais, puisqu'il ne serait pas contraint de passer la nuit
dehors avec son bric-à-brac, ça en valait la peine.
Avec des mains tremblantes, il déboucha une fiole de potion régénératrice de magie et l'avala d'une
traite avant d'attendre qu'elle fasse effet. Quelques minutes plus tard, il se présenta aux gardes qui
le laissèrent entrer, non sans chuchoter sur tout ce qu'il transportait.
Le point positif, c'était qu'Adrianne se trouva très satisfaite de ses nouvelles acquisitions. Et lui de
la monnaie sonnante et trébuchante qu'elle lui octroya en retour. Une affaire rondement menée qui
lui permit d'acheter un bloc de vif-argent qui lui servirait pour la personnalisation de son armure.
De même, Fralia Grisetoison apprécia grandement le bloc d'argent, l'emportant en échange d'un
bracelet d'or avec un beau saphir qui, s'il ne fut pas gratuit, bénéficia d'une satisfaisante remise.
Même s'il se serait bien passé de devoir le porter jusqu'à son mari et obtenir le reçu de dépôt avant
de récupérer sa commande, le tout sous les yeux méfiants d'une membre des Compagnons,
l'archère rousse.
Non pas que le sentiment ne soit pas réciproque cela dit. Quelle que soit leur taille, il préférait les
chats aux chiens.
Dans l'ensemble, il ne lui manquait plus que des gemmes spirituelles et il aurait réuni les matériaux
nécessaires pour l'enchantement. Comme Belethor ne lui inspirait pas confiance, il choisit de s'en
remettre à Farengar, que la mission accomplie mettrait certainement de bonne humeur.
Parvenu à Fort-Dragon, il se rendit directement à Proventus qui se dirigeait on ne savait où. Se
renseignant auprès de lui, il apprit qu'Hajvarr avait bel et bien une prime sur sa vie et décida de la
réclamer. Quand le chambellan sceptique exigea une preuve, il lui présenta la tête coupée du bandit,
son vis-à-vis blêmissant atrocement alors que des nausées le secouaient.
Pour l'amour du ciel, ce n'était pourtant qu'une tête. Dont l'ancien propriétaire avait visiblement
agonisé avant que la mort ne le prenne. Sans compter les tâches noires dues au venin de givrépeires.
Hm... d'accord, la mise à mort et le spectacle étaient malaisants et il aurait sans doute pu se montrer
un peu plus prévenant.
… Peut-être aurait-il dû utiliser Lance Gelée finalement ? Cela n'aurait épargné aucune douleur à
Hajvarr, mais l'inconfort de Proventus en aurait été amoindri.
Une fois son rejet maîtrisé, le chambellan lui fit signe de le suivre à l'étage, dans son bureau, où il y
remplit une bourse de pièces. Il lui dit qu'il y avait six-cent septims à l'intérieur, le montant de la
prime, ainsi que la récompense pour la Pierre du Dragon – une fois celle-ci montrée à un
fonctionnaire soulagé par la vue d'une preuve moins sanglante – et qu'il pouvait partir.
Il refusa de garder la tête cependant, alors, après un haussement d'épaules, le mercenaire la balança
dans l'âtre le plus proche après son départ du bureau. En partant, il crut entendre l'appel d'une bonne
qui s'inquiétait de ne pas voir l'intendant descendre pour son repas malgré son apparente impatience
précédente.
Ah... zut, alors.
Peu désireux de s'entretenir avec Balgruuf, il se dirigea vers les quartiers du sorcier de la cour en
prenant bien garde à éviter le trône, et se retrouva face à un Farengar aussi débordé que la dernière
fois. La différence, c'était qu'il n'était pas seul. Se dissimulant, l'elfe écouta la conversation de ces
deux-là.
- Vous voyez ? La terminologie correspond clairement à l'ère Première, voire à une période
antérieure, expliqua Farengar d'une voix passionnée qui contrastait avec la précaution qu'il utilisait
pour manipuler un ancien livre posé sur le bureau. J'ai l'intime conviction qu'il s'agit de la copie
d'un texte bien plus ancien. Elle doit dater de la fin de la Guerre Draconique. Si c'est le cas, je
pourrais retrouver les noms par croisement avec d'autres textes plus récents.
- Bien, accepta la silhouette encapuchonnée, d'une voix autoritaire mais distinctement féminine.
Contente que vous progressiez. Mes employeurs veulent des réponses concrètes.
- Oh, pas d'inquiétude, tenta vaguement de rassurer le mage de cour sans pour autant lever les yeux
du livre. Le jarl s'y intéresse enfin et il me laisse désormais le temps d'effectuer mes recherches.
Redressant la tête, la silhouette fixa le mage jusqu'à ce que celui-ci se raidisse et ne la toise avec
agacement et la plus légère contrition sur son visage.
- Le temps passe Farengar, ne l'oubliez pas, épela-t-elle lentement dans l'espoir que son
interlocuteur comprendrait ce qu'elle voulait dire. Il ne s'agit pas d'une question théorique. Les
dragons sont réapparus.
- Oui, oui. Ne vous inquiétez pas, répliqua le nordique avec impatience, bien que son geste agacé de
la main suggère que ce n'était pas la première fois qu'il entendait ça. Même si je donnerais cher pour
voir de près un dragon vivant...
Qu'est-ce que c'était que ce bordel ?! Comment ça "les dragons" étaient réapparus ? Il n'y en avait
pas qu'un ? Celui d'Helgen ne suffisait donc pas ? C'était lui où la pièce devenait vraiment chaude
d'un coup ? Ou… il paniquait. Non, il ne pouvait pas paniquer. Ce qu'il entendait s'avérait bien trop
important et Farengar enchaînait déjà.
- Maintenant, laissez-moi vous montrer une autre de mes trouvailles... c'est intrigant... ça devrait
aussi intéresser vos employeurs, proposa le sorcier de cour, toujours aussi impliqué.
Cependant, son associée ne l'était plus dès qu'elle avait perçu le léger mouvement dans l'ombre,
alors que Syraël se crispait. Une erreur de débutant mais, là encore, comment ça "des" dragons ?
Et qu'est-ce que cette vieille parano fichait ici d'abord ? Ses employeurs ? Le Penitus Oculatus - ou
le Thalmor - avaient-ils mobilisé leurs agents ? Ce n'aurait pas été très étonnant mais… "des"
dragons ? Un seul avait pourtant été confirmé, non ? Comment Delphine pouvait-elle le savoir ?
- Vous avez de la visite, dit-elle d'un ton brusque, ses yeux ne quittant jamais l'ombre dans
l'embrasure alors même que Syraël sortait dans la lumière.
Travaillait-elle même pour l'une de ces organisations ? Mais il semblait qu'elle connaissait
Farengar depuis des semaines avant son arrivée, ce qui ne collait pas avec ce qu'il pensait être la
première occurrence aperçue d'un dragon. Si le Penitus connaissait déjà la menace avant Helgen,
Tullius aurait dû la comprendre aussi, non ? Et si l'aubergiste servait plutôt le Thalmor, pourquoi
l'ambassadrice présente n'avait-elle pas réagi au premier rugissement suspect ?
Que se passait-il, bordel ?
- Hm ? relevant la tête, le visage de Farengar s'éclaira sous la reconnaissance et un peu d'espoir. Ah
oui, la nouvelle coqueluche du jarl. Vous êtes de retour du tertre des Chutes Tourmentées et
visiblement en un seul morceau.
Non. Il ne pouvait pas laisser la panique lui faire manquer une telle occasion d'acquérir de
précieuses informations. Expirant aussi discrètement que possible, il ravala ses questions et laissa
un sourire facile lui monter aux lèvres.
- C'est un très grand mot et vous le savez, répliqua-t-il en restant à sa place, déterminé à bloquer la
sortie.
- C'est ce que vous pensez ? questionna le nordique en s'approchant, ne semblant pas remarquer la
soudaine tension de son associée à voir sa seule issue obstruée, sa main se rapprochant de son arme.
Pourtant, de mon côté, je peux vous assurer que vous lui avez fait forte impression.
- Oh, ça je n'en doute pas, confirma le magelame avant de retirer son sac, fouillant brièvement
dedans pour en ressortir la Pierre du Dragon tant convoitée. Ce dont je doute, c'est de l'aspect positif
de celle-ci.
- Ah ! La Pierre de Dragon ! s'exclama Farengar en s'illuminant à sa vue. Elle était vraiment là-bas !
Je suis heureux de voir que je ne me suis pas trompé sur vous et que vous n'êtes pas comme ces
brutes que le jarl à l'habitude de m'envoyer.
Roulant des yeux, Syraël s'appuya sur le chambranle en croisant les bras. Peu importe l'intensité des
regards noirs de Delphine, il n'avait pas la moindre intention de lui donner ce qu'elle voulait. Cette
folie avec les dragons mise à part, sa présence ici prouvait autre chose. Dès lors qu'il comprenait
mieux la situation, une mise au clair s'imposait.
- Je vous ai obtenu la Pierre. Et ensuite ?
- Votre mission touche à sa fin et la mienne commence, répondit Farengar, fasciné, alors qu'il
tournait et retournait doucement la Pierre entre ses mains, admirant aussi bien la carte que les
écritures en draconique. Le travail de l'esprit est malheureusement sous-évalué en Bordeciel.
Se redressant, toujours pris dans sa joie, la tension à couper au couteau entre son "associée" et le
mercenaire lui passa complètement au-dessus de la tête. Ou alors, il le cachait bien, difficile à dire.
Après tout, il était toujours mage dans une cour de jarl et de nobles plus ou moins hostiles à son art.
- Mon... associée ici présente sera ravie de voir votre travail. Elle en a découvert l'emplacement,
mais elle a toujours refusé de me dire comment. Ainsi, vos informations étaient justes. Et nous
remercions notre camarade de l'avoir trouvée pour nous.
À ce moment-là, Syraël aurait pu embrasser Farengar même si ce dernier lui aurait probablement
jeté un sort en représailles. Même sous sa capuche, l'expression acide de la brétonne était évidente
et il s'en délecta.
- Vous avez trouvé ça au tertre des Chutes Tourmentées ? Bravo.
Il ne voulait pas de ses félicitations. L'essentiel se situait surtout dans sa capacité à comprendre
qu'elle avait franchi une limite… et que ne pas réitérer cette erreur se révélerait sage.
N'était-ce donc pas étrange qu'une guerrière aussi compétente réside dans un si petit village ? À
quel point était-il suspect de la trouver ici, dans le bureau de Farengar, et ce dernier l'identifiant
comme la source menant Syraël dans ces ruines ? Plus que tout, si elle appartenait à une faction
rivale gardant le tertre hors d'atteinte de mains ineptes, alors le geste sage aurait été de se précipiter
après les bandits pour les empêcher d'arriver jusqu'à la Pierre.
- Merci, je pense que je le mérite vu les difficultés imprévues qui se sont dressées sur ma route,
répondit Syraël tout en appréciant à la fois l'occasion qu'elle venait de lui offrir ainsi que la façon
dont ses remerciements lui écorchaient la bouche.
Or, plutôt que d'agir ainsi, elle s'était rendue à Blancherive sous un prétexte fallacieux pour
retrouver Farengar et obtenir de nouveaux renseignements. Ce qui n'avait aucun sens à moins
que… eh bien qu'il n'y ait jamais eu de "faction rivale". Juste Delphine et ceux qu'elle représentait,
ce qui le faisait douter de son appartenance possible au Penitus ou au Thalmor qui s'opposait l'un à
l'autre.
- Des complications ? questionna Farengar, intéressé par de possibles informations pertinentes
supplémentaires.
Et, pour s'emparer de ce qu'ils convoitaient, une information sensible s'était retrouvée "par hasard"
entre les mains des bandits voisins dans un moment suspicieusement mal choisi.
- Oui. Voyez-vous, lorsque je suis arrivé, il s'est avéré que Rivebois avait subi une récente attaque
de bandits qui avaient volé la Griffe d'Or nécessaire pour entrer dans le tertre. La situation s'est
compliquée quand Ralof, un habitant du village et un guerrier compétent, a décidé de les poursuivre
afin de récupérer le bien de son concitoyen. Il s'est bien battu mais, si je n'étais pas arrivé juste à
temps, il aurait perdu la vie dans cette tentative.
La dernière phrase fit se raidir la silhouette alors qu'elle pinçait les lèvres. L'accusation et la colère
froide clairement visible sur le visage de Syraël était tout ce dont elle avait besoin pour saisir qu'il
comprenait son implication dans ce fiasco.
C'était Delphine qui se trouvait derrière l'attaque sur Rivebois.
- Un unique guerrier contre toute une meute de bandits ? Quel imbécile... soupira le sorcier avant
que sa nuque ne le pique.
Relevant la tête, il vit que le magelame l'observait fixement, un reste de rage scintillant dans ses
yeux et l'amenant à se demander s'il n'avait pas commis une bêtise. Heureusement pour lui, l'elfe
finit par acquiescer d'un geste sec.
- Stupide, en effet. Mais aussi courageux. Quoi qu'il en soit, le comportement du chef des bandits
était étrange car il paraissait... particulièrement bien informé sur le but de la Griffe. Ce qui signifie
qu'il devait avoir un informateur intéressé car cet idiot ne connaissait même pas l'existence des
draugrs, pourtant omniprésents dans les ruines de Bordeciel.
Comprenant enfin ce que l'elfe sous-entendait, Farengar écarquilla les yeux avant de se tourner à
moitié vers Delphine puis d'avorter son mouvement, peu sûr de lui. Avalant difficilement, il se sentit
toutefois confusément soulagé quand les yeux glaciaux de Syraël se posèrent sur l'encapuchonnée
qui ne bougea pas, complètement immobile.
- Bien sûr, ce n'est qu'une hypothèse... mais si j'ai raison, alors ça signifie que cette personne a
sciemment mis tout un village auquel je suis redevable, ainsi que l'un de mes amis, en danger de
mort pour un objectif quelconque. Et franchement ? Je me contrefiche de ce que c'est, mais si cela
devait se reproduire, je n'hésiterais pas à traquer la coupable et à lui faire payer. Qui qu'elle soit et
quoi qu'elle veuille.
Après un court silence durant lequel les deux se scrutèrent en chien de faïence, de chaque côté d'un
mage mortifié, Delphine finit par quitter les lieux. Une fois qu'elle eut dépassé prudemment l'elfe
qui le permit, elle se retourna pour lancer à Farengar :
- Envoyez-m'en un exemplaire quand vous l'aurez déchiffrée. Pour le reste, nous n'avons plus rien à
nous dire.
Après qu'elle fut partie, Farengar cligna des yeux et déglutit avant de lancer un regard empli de
reproches et d'exaspération à l'elfe qui n'en tint pas compte.
- Deviez-vous vraiment agir ainsi ?
- Elle devrait s'estimer heureuse que j'aie davantage de respect pour Balgruuf et vous que d'envie
de lui trancher la gorge ici et maintenant. Votre manque d'indignation est votre problème, tout
comme ma colère est le mien.
Reniflant avec dédain, le mage de cour commença à organiser ses papiers, en classant certains et en
en mettant d'autres de côté.
- Hmf. Je ne vous avais guère pris pour un vertueux défenseur du peuple. À strictement parler,
ceux-ci ne nous seront pas très utiles pour élucider ce mystère. En outre, cela me concerne lorsque
vous faites fuir mes investisseurs.
- Le peuple ? Non. Les miens et ceux dont je suis l'obligé ? Elle devrait apprendre à choisir ses
cibles avec davantage de prudence. À strictement parler, un accident est vite arrivé. Quant à vos
investisseurs, je ne pense pas que cela s'avérera un réel problème à court et moyen termes,
maintenant que le jarl s'intéresse de près à vos recherches et aux résultats obtenus.
- Son attitude problématique et les financements débloqués par le jarl sont à peu près les seules
raisons pour lesquelles je ne vous ai toujours pas jeté un sort, vous en êtes conscient ?
Alors là, Farengar pouvait toujours essayer. Il était peut-être talentueux, mais Syraël aurait parié
qu'un universitaire comme le nordique ne se serait pas comparé à un guerrier comme l'elfe dans un
combat. Bien qu'il doive peut-être tranquilliser un peu la situation s'il voulait toujours profiter de
ses services.
- En effet et j'en suis désolé. Mon but n'était pas de vous mettre des bâtons dans les roues, mais,
pour des raisons évidentes, je ne pouvais laisser un tel acte sans avertissement. Pour me faire
pardonner, que pensez-vous d'un peu de temps, choisi à votre convenance, pour échanger sur les
écritures draconiques que j'ai vues, ainsi que les panneaux de la Chambre aux Histoires ?
Pinçant ses lèvres face à la tentative évidente mais efficace, Farengar acquiesça juste une fois avant
d'achever son tri. Il plaça plusieurs parchemins presque aussi grands que lui dans un tonneau près
du mur car ils pourraient servir de ressources à son écritoire arcanique, juste à côté.
Se rapprochant du bureau pour voir le livre que le nordique avait voulu montrer à Delphine, Syraël
tomba sur un vieux tome aux pages jaunies. Le titre Propriétés du jarl Gjalund ne lui était pas
familier et, même si c'était de toute évidence un simple livre de comptes, autant ne pas le laisser se
perdre.
- Puis-je vous l'emprunter ? s'enquit le magelame, n'y touchant pas malgré son envie de le retourner,
conscient que le contraire serait impoli.
- … Très bien, accepta Farengar en lui tournant le dos, lâchant un énorme soupir. Mais même une
conversation occasionnelle entre érudits ne vaut pas que je supporte d'autres disputes de ce genre. Si
vous recommencez, je vous jetterai dehors avec le ou la belligérante. Je vais laisser passer pour
cette fois en remerciement de votre contribution et parce qu'elle et moi arrivions à la fin de notre
accord, mais si vous chassez encore un investisseur, c'est à moi que vous aurez affaire, c'est
compris ?
- Limpide, accepta le mercenaire, comprenant le désappointement de Farengar. À votre place, je ne
l'accepterais pas non plus. Tant que j'y pense, seriez-vous aussi d'accord pour m'envoyer une copie
traduite quand vous aurez fini de déchiffrer la Pierre ? Je suis curieux de savoir ce qui valait que je
risque ma vie et celle de mon ami. Si vous le pouvez bien sûr.
- Si vous voulez. Maintenant, oust ! J'adore mon travail, mais j'ai été débordé ces derniers jours et
votre dispute plus tôt n'a pas arrangé les choses.
- En fait, j'espérais vous acheter-
- Non. Plus tard. Quand j'aurai eu le temps de finir mes projets. Et de me calmer. Sauf si vous êtes
prêt à payer le double du prix habituel ?
Alors ça, pas question.
- Ce ne sera pas nécessaire. Je vais juste prendre congé. Moi aussi, je dois me reposer. Je vous
souhaite la même chose.
Fraîchement réprimandé, il prit la direction de la sortie de Fort-Dragon. D'accord, c'était de sa
faute, mais cette garce s'avérait la seule cible de sa colère, elle-même justifiée. Non pas que la
réaction de Farengar soit inappropriée cependant. Ou imméritée. Juste désagréable.
Agacé, il accéléra le pas lorsqu'il entendit le hurlement d'une servante qui criait au meurtre. Il était
trop fatigué pour un nouveau drame ce soir.
Enfin... encore fallait-il qu'il tienne son engagement envers Adrianne. Il se devait aussi de réfléchir
à ce qu'il venait d'apprendre.
… Et ce que cela signifiait pour lui.
Remarques de Fin de Chapitre :
Cette réputation d'Imprenable vient du fait que la ville de Vendeaume n'est tombée qu'une seule
fois au cours de son histoire pluri-millénaire. Une fois, lors de la Guerre de Succession qui s'est
déroulée à l'aube de l'ère Première. Même la Crise d'Oblivion n'est pas parvenue à passer ses portes.
[Oui, je sais que, selon le lore de TESO, ce nombre se porte à deux mais, franchement, entre le
nombre de trucs canons et non-canons d'un jeu hors de la série centrale, ça n'a pas vraiment
d'importance à mes yeux. Je considère que Vendeaume est tombée une fois, mais vous pouvez tout à
fait dire que c'est arrivé deux fois. De toute façon, en quatre-mille ans, ça claque toujours.]
Mon dieu, ça y est. Introduite dans le chapitre 2 et mentionnée dans presque tous les chapitres
depuis, Eivska a enfin obtenu une voix. Je suis fière d'elle ! Pas vous ?
Vous l'aurez sans doute manqué vu qu'il ne s'agit que d'une incise dans la taille de ce chapitre
mais, si Lucan embrasse la Griffe d'Or, ce n'est ni un hasard ni un fétichisme étrange. Quoique,
venant de lui… bref. Beaucoup d'entre-vous connaissent certainement le cliché du marchand qui
mord une pièce d'or pour vérifier son authenticité par rapport à la malléabilité du métal.
Mais il existe aussi une autre solution, moins connue. En réalité, l'or est un métal qui se réchauffe
moins rapidement que les autres au contact de la peau. Ainsi, les marchands les plus avertis
pouvaient déterminer s'il s'agissait d'une contrefaçon ou non simplement par contact de leur
langue/lèvres sur le métal, grâce à la transmission de chaleur.
Parce que Lucan ne pouvait pas mordre la Griffe pour des raisons évidentes, il a donc choisi le
baiser pour s'assurer que Syraël n'avait pas tenté de le doubler. Ce qui lui a donné une intéressante
conversation avec Camilla par la suite, mais nous nous éloignons du sujet.
…
Oui. J'ai osé faire de l'option "Voyage Rapide" un sort de téléportation réel. Et, oui, j'accepte
les lancers de tomates pour ça. Bien entendu, je lui ai octroyé des limitations différentes de celles du
jeu qui, quant à elles, dépendent de ses restrictions de support.
Mais bon, vu le nombre de sorts de téléportation existant dans le canon, je pense que ça se justifie
quand même.
Aussi, pour l'instant, je le classe dans le Mysticisme faute de mieux car ce n'est ni de la
Conjuration, ni de la magie Temporelle (spatiale sans toucher à cette dimension qu'est le concept de
"Temps") ou quoi que ce soit d'autre que je connaisse. Mais si vous avez de meilleures
propositions, je suis toute ouïe.
Ce n'est pas parce que je ne déteste pas Delphine que Syraël doit l'apprécier. Surtout que… bon.
Il a raison d'être en colère ! Autant j'admire le pragmatisme et la résolution nécessaires, autant il
faut dire ce qui est : c'était un vrai coup de pute de la part de Delphine !
... Et je ne peux même pas dire que c'est entièrement mon idée car seule l'interprétation l'est, pas les
événements.
Liste des sorts utilisés :
Silence Absolu Contraint la cible au silence en lui faisant temporairement croire qu'elle ne peut
plus parler, ce qui réduit son éventail de sorts utilisables à ceux qu'elle peut réaliser sans
incantation. Mal exécuté, le sort peut avoir des conséquences désastreuses durables sur la capacité
de la victime à parler son langage d'origine.
Sommeil Persuade une ou plusieurs cibles (selon la capacité du lanceur) qu'elles ressentent une
fatigue intense, les poussant à s'endormir sur place. Tant que le sort est maintenu, elles ne se
réveilleront pas, mais il est plutôt énergivore dans le temps.
Brise-Serrure Le lanceur brise les serrures indépendamment de leur complexité tant qu'elles ne
sont pas protégées par magie. Néanmoins, le bruit provoqué peut le faire rapidement repérer,
rendant ainsi nécessaire de s'assurer le champ-libre avant tout usage. De plus, une fois ouverte, la
serrure est fichue et ne peut plus être utilisée. Syraël ne l'utilise plus depuis longtemps sans un
renfort d'Illusion derrière.
Purge Ce sort est capable de purger la plupart des poisons de l'organisme, bien qu'il nécessite
une concentration constante de l'utilisateur pour être utilisé et est inefficace si la toxine a déjà
atteint le cœur à moins d'être un maître assez habile pour rattraper le poison malgré cela. Mais il
prend toujours de longues minutes à agir.
Fraude Absorbe une grande part de l'énergie vitale de sa cible pendant une minute si celle-ci
bénéficie d'un effet de guérison. Redoutable contre les guérisseurs et les paladins.
Voyage Rapide L'utilisateur crée un portail lui permettant de traverser de longues distances en
très peu de temps. Sa précision dépend du niveau de connaissance du sorcier de son point
d'arrivée, la distance parcourue, du pouvoir alloué à son ouverture et sa stabilité, de la maîtrise
spatiale, ainsi que de son expérience. Autant de facteurs dont la défaillance d'un seul peut causer
des catastrophes.
