Chapitre 32 - À chacun sa voie
D'un coup de lame, Draco scinda son bézoard en deux et en jeta une moitié à la surface d'une potion puis tira sur le col de sa chemise. Les vapeurs lui donnaient chaud et il devait laver ses cheveux presque tous les jours pour ne pas les avoir gras. Il jeta un coup d'œil à sa chevalière. Si Granger avait été avec lui, il n'aurait pas eu besoin de s'affairer comme un elfe de maison au-dessus de ces stupides potions.
Tout ça pour quoi ? Parce que son père imaginait des choses ridicules entre Granger et lui ?
Il jeta des pétales d'aconit un peu trop vite et faillit se brûler sur le rebord en cuivre.
— Ça suffit.
Il posa un sort de protection sur les chaudrons et sortit de ses appartements en pestant contre Merlin, Salazar et tous leurs descendants. Par les fenêtres, le violet des nuages se mêlait à un orangé profond. Son père n'avait pas de rendez-vous prévu dans l'après-midi, vu l'heure il devait se trouver dans son bureau. En s'y rendant, Draco capta des voix provenant du salon voisin et ralentit le pas.
Ce ton doucereux… Nott ? Que leur voulait le père de Nott ? Est-ce qu'il délivrait quelque chose commandé par son père ? Des rires traversèrent la porte, répondant à sa question. Une petite réunion informelle. Il s'apprêtait à faire demi-tour, parce qu'évoquer Granger dans une réunion pleine de sympathisants du Seigneur des Ténèbres n'aurait pas été sa meilleure stratégie, quand il capta le mot « moldu ».
Draco se figea. Parlaient-ils de lui ? Quelqu'un avait-il découvert sa petite escapade des vacances ?
À pas lents, il revint vers la porte et s'adossa au mur, les bras croisés comme s'il attendait simplement qu'ils sortent. De là, l'interstice lui livrait la conversation avec clarté.
— … pour une petite balade ? Ils devraient plutôt nous remercier pour ces bons souvenirs, disait le père de Goyle, hilare. Ils devaient s'ennuyer à surveiller les campings.
— Tu peux rire, Goyle, répondit Nott d'un ton sec, mais le Ministère aime ses petits moldus. S'ils poussent les interrogations…
— Ne te fais pas de souci pour rien, le coupa la voix traînante de Lucius. Personne ne remontera à nous.
Draco tenta de chasser l'image de la coupe du monde de Quidditch, des tentes, de la ruée des sorciers affolés qu'il observait tranquillement depuis l'orée de la forêt.
— Je ne vous ai pas convoqué pour ça, poursuivit Lucius.
Draco revit la famille de moldus qui flottait à plusieurs mètres au-dessus du groupe de Mangemorts, revit sa propre indifférence. Dans un flash, il imagina les Granger à leur place et fit un pas en arrière, une sueur froide roulant dans son dos.
Qu'est-ce qui lui prenait tout à coup ?
La voix du père de Crabbe le fit sursauter.
— La mienne aussi. Ça veut dire quoi ?
— Ai-je de te rappeler la dernière fois qu'elle a été aussi visible ? dit Lucius d'un ton sombre.
Un silence tomba.
— Il est de retour… ?
Draco s'appuya contre la tapisserie. Les motifs anciens dansèrent devant ses yeux. De retour ? Impossible. Il s'écarta de la porte de plusieurs pas et remonta les escaliers, le regard dans le vide. S'Il revenait, quels changements surviendraient dans sa famille ? Dans le monde des sorciers ?
Draco s'attarda devant le couloir qui menait à la tour où Hermione se trouvait enfermée. Plusieurs fois, il fit tourner sa chevalière, mais finit par regagner ses appartements sans l'enlever.
La seule chose qui pouvait « redevenir visible » était la Marque des Ténèbres. Le Seigneur des Ténèbres ne devait pas revenir, pas tant qu'il était lié à Granger.
Il leva le sort de protection pour inspecter les potions.
Qui avertir ?
Ses « amis » étaient aussi partisans du Seigneur des Ténèbres que sa famille. Dumbledore ? Il risquait de s'attirer des soupçons et de mettre son nom en danger. Rogue était un Mangemort et les Aurors posaient le même problème que Dumbledore. À part eux, qui avait déjà affronté le Seigneur des Ténèbres, en était ressorti vivant et ne disposait pas d'assez d'autorité pour mettre sa famille en danger ?
Draco se figea au-dessus du chaudron.
Non. Jamais au grand jamais. Merlin lui en soit témoin, il ne s'abaisserait pas à ça.
.*.
La fin des vacances arriva après de longues journées à cravacher, et avec elle, l'aboutissement de leurs potions. La chevalière posée sur le bureau, Draco encapsulait les différents liquides. Une des huit préparations allait peut-être enfin les libérer de cette foutue malédiction.
« Si on teste tout aujourd'hui, je crains qu'on n'atteigne pas Poudlard en vie. »
Draco eut un rictus agacé.
« Ta confiance envers notre travail me ravit. »
« Moi c'est la vie qui me ravit. Nous n'aurons qu'à faire les premiers essais dans le train, au moins nous serons en route vers Madame Pomfresh. »
Le coffret contenant les flacons finit calé dans un coin de sa valise.
« Si Dobby était encore à notre service, je ne perdrais pas du temps à faire mes bagages. »
Hermione l'ignora superbement, mais l'irritation qui l'envahit lui donna au moins satisfaction. Draco boucla ses affaires à la va-vite ; s'il oubliait quelque chose, un hibou le lui rapporterait. Après avoir claqué la valise, il descendit dans le hall en marbre.
« Draco, je crois qu'on va avoir un problème. »
« Je sais, figure-toi. »
En temps normal, un de ses parents aurait transplané avec lui à la gare de King's Cross, mais il ne pouvait pas leur demander de transporter Granger et lui refusait de toucher un domestique. En arrivant dans le hall, le claquement de talons le fit se tourner. Sa mère venait vers lui.
— Ton père a été appelé au ministère, je me charge de t'emmener à la gare.
— Et Granger ?
Un feu dans sa poitrine l'aveugla soudain, effaçant le manoir, crissant par-dessus les sons, perçant son crâne. Draco se cramponna à l'intérieur de ses poches, sans savoir comment il tenait encore debout.
— Draco ?
— Allons-y, articula-t-il péniblement à la silhouette floue qui lui tendait son bras.
La pression sur son poignet l'entraina dans un tuyau qui le comprima, le priva d'air, pour le relâcher sur un quai bruyant et enfumé. Aussi vite qu'elle était venue, la douleur retomba et il se redressa. Rien n'avait échappé à sa mère.
— Cet antidote n'est pas au point, marmonna-t-il.
Narcissa plissa le nez.
— Depuis quand testes-tu les potions sur toi ?
— Depuis que je me soucie de mes futures BUSE.
— Ton père te le déconseillerait. Tu te souviens de la potion qui avait modifié ses cheveux ?
— Je suis sûr que le rose ne lui allait pas si mal. Au pire des cas, je pourrai toujours manquer les cours.
— Je vois que ton souci pour tes BUSE a vite disparu.
— Il faut savoir ce que tu veux, répliqua-t-il d'un ton sec. Je suis censé préserver ma dignité ou mes notes ?
— Préserve les deux si possible, répondit-elle en le poussant vers la locomotive écarlate.
Draco la salua et contourna les quelques familles présentes alors que retentissait le craquement du transplanage. Au premier marchepied déployé, il entra dans le couloir qui longeait les wagons. Il remontait vers la queue du train quand une sensation le fit s'arrêter net. Draco baissa les yeux vers ses mains.
Tout son corps venait de se détendre, comme s'il nageait depuis des jours à travers un marécage d'orties. Il frissonna. Il ne s'était pas senti aussi bien depuis… quand ?
Il s'arrêta devant les portes vitrées d'un wagon. On y avait déjà déposé sa valise dans le porte-bagages. Hermione était assise en dessous, un manuel posé sur ses genoux et la cage du Vivet à côté d'elle. Elle ne lisait pas, elle fixait le vide, la bouche entrouverte. Quand elle se tourna vers lui à travers la vitre, il sut qu'elle avait ressenti exactement la même chose.
Une fois le store du wagon descendu, Draco s'assit sur la banquette en face d'elle.
— Je n'avais pas réalisé… commença-t-elle. Ça veut dire que le périmètre a continué de se resserrer.
Elle pinça ses lèvres. Ce qu'elle pensait était limpide ; si se trouver d'un bout à l'autre du manoir avait eu cet effet, passer toute une nuit dans leurs dortoirs respectifs serait invivable.
