Chapitre 58 - Audience au ministère


— Tu sais que ça doit être toi, disait Potter à une Hermione livide. Personne n'a plus de chances que toi de les convaincre.

— Enfin... dit Weasley avec un regard en biais qui agaça Draco.

Ils se trouvaient devant la cabine téléphonique du ministère de la magie, l'entrée des moldus. Hermione était capable de réciter leur plaidoyer seule, elle était à l'origine de la majorité des idées et surtout, ni Potter que le ministère traitait de pseudocélébrité en manque d'attention depuis des mois ni Weasley et sa dégaine ne convaincraient l'assemblée du Magenmagot. Seule, ses chances seraient bien meilleures.

— Non. Non, non je ne peux pas faire ça, dit Hermione en les implorant tour à tour du regard. Nous ne sommes même pas censés être ici. Il faut les interrompre dans une séance, jamais ils ne m'écouteront et je ne peux pas... On ne devrait pas... Non je ne peux pas !

Potter et Weasley échangèrent un regard entendu, comme s'ils s'étaient déjà résignés. Draco décida de les ignorer et posa une main sur son épaule.

— Tu n'aimes pas avoir à faire irruption là où tu n'es pas censée être, mais c'est pour une cause juste. Il n'y a pas que nous que tu protèges, mais tous les sorciers nés-moldus, toutes les créatures magiques. Si quelqu'un est bien placé pour savoir à quel point leur sort a empiré quand le Seigneur des Ténèbres a assis sa puissance, c'est toi.

Elle laissa échapper un son à mi-chemin entre gémissement et étranglement, mais ne tenta pas de se dérober. Après une attente interminable, elle acquiesça avec une grimace. Lorsque Ron ouvrit la porte de la cabine téléphonique, Draco se prépara à rentrer. Ce fut au tour d'Hermione d'agripper son poignet.

— S'il te plaît, reste.

La terreur que criait son regard s'empara de lui à son tour, comme lorsque le lien était encore entre eux. Si quelqu'un le voyait au ministère, cela remonterait forcément à ses parents, mais réussir porterait un coup peut-être décisif au Seigneur des Ténèbres. La pression sur son poignet se relâcha.

— Je ne peux pas te demander ça, dit-elle d'une voix tremblante.

Elle allait au-devant de peurs au moins aussi grandes que les siennes. S'il refusait maintenant, quand la seule chose qu'il pouvait lui offrir était un soutien, il aurait réellement perdu toute valeur.

— Je vais venir, dit-il en tentant de dissimuler le tressaillement que ce choix venait de lui causer.

Hermione le gratifia d'un sourire faible et ils descendirent tous les quatre dans la cabine téléphonique qui s'ouvrit dans le vaste atrium. Le sol de bois sombre, si poli qu'il en devenait brillant, si familier aussi, lui parut comme un avertissement. Comme les trois autres s'enfonçaient dans le flot de sorciers et sorcières pressés, Draco fit de même, avec l'impression qu'il ne pourrait revenir sur aucun de ses pas. C'était peut-être vrai. La trahison était trop grande. Au milieu de l'allée bondée, lorsqu'ils dépassèrent la fontaine de la Fraternité magique, il lui sembla que la statue d'or du sorcier le condamnait du regard. Hermione jeta un regard sévère à la statue, anxieuse, mais encore capable de s'indigner de l'air d'adoration que le sculpteur avait donné au visage de l'elfe, du centaure et du gobelin, adoration bien évidemment tournée vers la sorcière et le sorcier.

Draco posa la main sur l'épaule d'Hermione et lui glissa à l'oreille :

— Totalement d'accord avec toi, le manque de réalisme de cette statue est scandaleux. Dobby pourrait nous observer avec un air pareil, mais un gobelin et un centaure ?

Sous sa main, il sentit un rire secouer Hermione, mais reçut un regard noir de Weasley.

— Parce que tu crois vraiment que c'est le manque de réalisme qui la dérange ?

— Tais-toi Weasley, tu n'es pas invité dans cette conversation.

Hermione se mordit la lèvre.

— Je vais rajouter ça à la liste des choses à changer quand je travaillerai ici, répondit-elle avec un petit sourire.

— Très bonne idée. N'hésite pas à remplacer ça par une statue de moi.

— J'y penserai.

Un vieux sorcier moustachu les toisa sur le chemin. Ramené à la réalité, Draco s'écarta prestement d'Hermione. Connaissait-il son père ? Non, il était plus probable qu'il s'interroge sur leur présence au ministère. Derrière la foule, Draco remarqua une autre personne qui allait s'interroger sur leur présence : Éric Munch, le sorcier-vigile qui se tenait devant les portes dorées.

À ce moment, Arthur Weasley surgit derrière Éric et lui glissa deux mots. Après un court débat, le sorcier-vigile leur fit signe de franchir le portail. Draco passa le dernier et ignora le mouvement de recul du père Weasley à vue. Sous son crâne dégarni, il paraissait de plus en plus nerveux.

— L'audience du Magenmagot ne va pas tarder à se terminer, je vous ai fait entrer, je ne peux pas faire plus.

— Merci pa, dit Ron. On va se débrouiller.

— Bon, très bien... pas de bêtises hein ?

Draco roula des yeux. Pas de bêtises ? La fin des cours officielle était dans une semaine et ils se trouvaient hors de l'enceinte de Poudlard. Il venait de les aider à entrer par effraction au ministère, son discours n'était même pas cohérent, pas étonnant que son éducation ait donné des enfants comme la belette et les jumeaux.

Dans l'ascenseur qui descendait vers l'étage 9, Draco sentit son trac monter en flèche. Il n'était même pas celui qui interviendrait, pourtant les bribes d'arguments qu'Hermione répétait sans interruption d'une voix basse l'angoissaient. Les portes grillagées s'ouvrirent sur un couloir noir, éclairé par des tâches de lumière bleutée. Draco tourna vers le petit escalier menant aux salles d'audience du niveau 10 et ils lui emboitèrent le pas. Ils n'avaient pas descendu trois marches quand Weasley lança :

— Harry ?

Draco se retourna, prêt à leur remonter les bretelles. Potter se tenait parfaitement immobile, les yeux fixés sur le fond du couloir. Il semblait avoir vu un fantôme. Voire pire qu'un fantôme, car il ne répondait ni à Weasley ni à Hermione. Draco remonta quatre à quatre. Il n'y avait rien d'autre qu'une épaisse porte au fond du couloir.

— Tu réalises que nous ne sommes pas là pour faire du tourisme, Potter ? s'exclama-t-il en se plantant devant lui.

Potter tenta de se décaler pour poursuivre sa fixation, mais Draco le poussa dans les marches. Les marmonnements ininterrompus d'Hermione les y suivirent, s'étranglant dans sa gorge quand les voix provenant de la salle d'audience numéro un les atteignirent. Elle ralentit inconsciemment l'allure, le visage crispé.

— Tu dois le faire, dit Draco. Je suis venu jusqu'ici, ce n'est pas le moment de te défiler.

Il posa la main sur la porte et elle perdit ses dernières traces de couleur.

— Attends, attends, dit-elle d'une voix sifflante. Je... je dois dire...

Elle fouilla dans ses poches d'un geste tremblant pour en ressortir le médaillon de Salazar Serpentard que Kreattur leur avait confié.

— Ça va aller, l'encouragea Weasley. Tu es toujours très bonne pour répondre aux questions en cours.

— C'est vrai que c'est comparable, s'agaça Draco.

Il attrapa les épaules d'Hermione et sentit sa raideur sous ses doigts.

— Tu as étudié le sujet, pas eux. Tu n'es pas ici pour être notée. Tu es ici pour les éduquer.

— Pense à tous les profs qu'ils ont virés, ajouta Weasley.

— Exactement, ajouta Draco, regarde ce qu'elle a fait à votre copain Hagrid et à la vieille McGo. Pense à tout le retard qu'Ombrage nous a fait prendre en défense contre les forces du Mal. Tout ça pour des intérêts purement politiques.

Hermione respirait vite, toujours paniquée. Draco la serra doucement contre lui, entourant son dos, une main dans ses cheveux. Elle s'accrocha à lui en retour. Il savoura le sentiment de supériorité que le geste lui donnait sur les deux autres qui devaient se contenter de les regarder. Savoura aussi le contact qui était bien trop rare à son goût. Elle recula, cramponnée à sa chemise, puis le relâcha.

Après quelques respirations, elle se tourna vers la salle de l'audience. Draco se plaqua contre le mur, aussitôt imité par Potter et Weasley. Elle poussa la porte et ils eurent le temps d'entendre les exclamations que provoqua son intrusion avant qu'elle ne se referme. Alors que Draco recommençait à se ronger les sangs, Weasley tira de longs fils de couleur beige de sa poche.

— Des oreilles à rallonge, murmura-t-il en réponse à sa question silencieuse. Une invention de Fred et George.

Il enfonça un bout dans son oreille et laissa l'autre passer dans l'interstice sous la porte. D'abord réticent à enfoncer dans son corps quoi que ce soit donné par un Weasley, Draco finit par en récupérer un. Il devait savoir ce qu'Hermione disait. Le brouhaha de voix, aussi claires que s'il se trouvait dans la salle, le fit sursauter. Hermione tentait sans relâche d'exposer la raison de sa présence, et sa persistance finit par percer le chaos.

Draco se détendit imperceptiblement. Quand il échangea un coup d'œil avec Weasley, il se retint de justesse de partager une émotion positive avec lui.

— Je dois remonter.

Cette fois, c'était Potter. Il se tenait derrière eux, immobile, son fil de chair à la main. Draco retira l'oreille à rallonge.

— On aimerait tous être ailleurs, Potter.

— La porte qu'on a vue, c'est celle qui apparaissait dans mes rêves. C'est celle que ton père protégeait, Ron.

— Et ? répliqua Draco avec une pointe d'angoisse.

Si le balafré osait dire ce qu'il redoutait, il allait l'étrangler.

— Ça veut dire que ce que l'Ordre protège est ici ! Je n'ai pas arrêté de repenser à la vision de Sirius, à pourquoi Voldemort voulait m'attirer ici.

— Génial, et ?

— Je dois savoir ce qu'il y a derrière cette porte.

Évidemment. Cet imbécile.

— Elle est en train d'affronter le Magenmagot entier, seule, tu n'as pas intérêt à... !

— Que je reste ou pas, ça ne changera rien, répliqua Potter. Tu es là non ?

Potter ! Reviens ici.

Il avait déjà disparu dans les escaliers menant au neuvième étage. Ron hésita, visiblement tiraillé.

— Il dit lui-même que le Seigneur des Ténèbres voulait l'y attirer et il s'y précipite, siffla Draco. Non, mais quel imbécile !

— Il est borné des fois, admit Weasley en faisant un pas vers les marches. Je ne peux vraiment pas le laisser y aller seul.

— Non bien sûr que non, répliqua sèchement Draco en sortant son parchemin et sa plume miniature de sa poche. S'il se passe quoi que ce soit. Tu m'écris là-dessus. Et tu as intérêt à vérifier que je ne vous écris pas.

Draco laissa tomber la plume et le parchemin entre les mains de Weasley. D'un « Accio », ceux d'Hermione vinrent glisser sous la porte de la salle d'audience et il pria Merlin que cela ne perturbe pas son discours en les récupérant.

Resté seul, Draco ramassa le fil couleur chair. Hermione tentait de recentrer l'attention du Magenmagot sur ses propos, sûrement à cause de la distraction qu'il venait de causer.

— Enfin c'est incroyable, intervint soudain une voix qu'il reconnut comme celle de Cornelius Fudge. Pourquoi devrions-nous perdre notre temps à écouter une élève qui enfreint le règlement de l'école pour venir ici ?

— Parce que le retour de Vous-Savez-Qui est réel.

— Oh, une seconde, mais je sais qui vous êtes. Notre chère Rita Skeeter a dressé un portait plutôt flatteur à votre sujet l'année dernière. Vous être l'amie de Harry Potter qui cherchait à s'assurer un... contact avec le gagnant, qui qu'il soit, n'est-ce pas ?

Draco pressa son poing contre la porte. Comment osait-il la traiter d'allumeuse devant autant de sorciers de haut rang ? Tout ça basé sur le ramassis d'imbécilités écrit par une journaliste dont il connaissait forcément les méthodes ?!

— Si tout ce que vous connaissez de moi est ce que vous avez lu dans ces articles, vous ne connaissez pas grand-chose de moi, répliqua Hermione avec dédain. Je n'ai...

— Vous niez être l'amie de Harry Potter ?

Non, mais...

Fudge éclata soudain de rire.

— Je saisis ce qui se passe ici. C'est une née-moldue voyez-vous. Une grande amie de notre cher Survivant. Ce n'est pas de sa faute, vous connaissez Harry Potter, il a dû farcir son esprit avec ses fables et les prétendus dangers qu'elle et sa famille courent. Après un an, pas étonnant qu'elle se soit laissée impressionner.

— Le danger nous concerne tous ! Sorciers, gobelins, centaures, elfes de maison...

Draco grinça des dents. Ce qu'il lui avait dit face aux statues de l'atrium ressortait au pire moment possible. De nouveau, le rire de Fudge étouffa sa voix.

— Vous êtes venue nous parler d'elfes de maison et de gobelins ?

Alors qu'Hermione s'embourbait dans leur défense, Draco attrapa sa plume miniature et écrivit en vitesse : « Vous devez revenir, c'est un massacre. » Weasley ne tarda pas à répondre.

« Merde. On ne peut pas, on est entrés dans une salle pleine de portes qui ne font que tourner. On s'est complètement perdus. »

« Je n'en ai rien à faire. Ils savent qu'elle est amie avec Potter et ils ont étendu ses mensonges à elle. Il faut que tu interviennes. Rita Skeeter ne t'a dressé aucune réputation, toi. »

Il y eut un long, trop long moment pendant lequel Weasley cessa de répondre. Derrière la porte, Hermione continuait de se débattre face à leurs accusations. Sa présentation était devenue son procès.

« Weasley ! »

« Désolé. Harry vient de trouver la salle de son rêve. C'est bizarre c'est rempli de boules ? »

« Je vais vous les faire bouffer vos boules si vous ne revenez pas ici tout de suite. »

« S'ils savent qu'elle est amie avec Harry, ils feront forcément le lien pour moi aussi. Mon père travaille ici tu te rappelles ? Toi par contre, ils prennent ton père au sérieux et tout le monde peut attester que Harry et toi vous détestez. Ce n'est pas à mo »

« Weasley ? Weasley j'espère que tu n'es pas sérieux. »

Draco attendit une réponse qui ne vint pas. Il se tourna vers la porte et arracha l'oreille à rallonge avec un vertige. Intervenir ? Lui ? Impossible. Jamais il ne pourrait. Ses parents... Non, il ne pouvait pas. Mais s'il laissait Hermione échouer, quelles conséquences, quels dangers courrait-elle ? Les tortures qu'il avait lues dans les livres d'histoire se mélangèrent à l'attaque des Mangemorts à la coupe du monde de Quidditch. S'ils échouaient et qu'un Seigneur des Ténèbres au sommet de sa puissance apprenait qu'il se trouvait avec eux, quand ils avaient tenté de parler au ministère ? On les avait vus tous les quatre dans l'atrium, même brièvement, et à Poudlard on le savait lié à Hermione. Nauséeux, Draco posa la main sur la poignée glacée. Ou peut-être était-ce ses doigts qui gelaient. Il l'abaissa et poussa la lourde porte, s'attirant aussitôt l'attention de tous les sorciers et sorcières assis dans les gradins.

Les yeux ronds, Hermione le regarda approcher dans le silence. Cette fois, même Fudge se tut, comme sonné par l'improbabilité de la situation.

— Draco Malfoy, se présenta-t-il d'une voix forte en lui prenant le médaillon de Salazar Serpentard. C'est moi qui lui ai parlé de ceci.

Sa vision était floue et il avait envie de vomir. Il tendit ses muscles pour maîtriser son geste quand il leur montra la relique percée.

— Vous êtes des sorciers de talent, si je ressens la magie noire qu'il contient, sûrement, c'est aussi votre cas ?

Il les laissa intégrer qu'il avait raison avant de poursuivre.

— Vous savez, au fond, que le Seigneur des Ténèbres est revenu. Il y a eu trop de disparitions inexpliquées, trop d'activités souterraines pour que vous puissiez passer à côté. Ou alors vous vous raccrochez à l'explication qu'il est impossible de revenir d'entre les morts ?

Une porte dérobée, en hauteur derrière le gradin des jurys, s'ouvrit alors que Draco poursuivait son discours. Sa voix mourut. Ses longs cheveux blonds noués par un ruban aussi noir que la longue canne qu'il portait, son père venait d'entrer la salle d'audience. Son regard le transperça avant de se poser sur Hermione qui étouffa un hoquet de surprise.

Il était trop tard, bien trop tard pour reculer. Il avait déjà dévoilé une bonne partie de sa main, s'il ne jouait pas ses cartes maintenant, il aurait perdu sur tous les tableaux.

— Il y a une explication très simple, dit-il d'un ton toujours maîtrisé, mais qu'il sentait trembler. Il n'est jamais mort. Et ce pour une bonne raison ; le médaillon de Salazar Serpentard était un de ses Horcruxes.

Cette révélation causa un grand désordre dans les gradins alors que ceux qui avaient déjà entendu parler d'Horcruxes expliquaient ce qu'ils savaient aux autres, les rendant progressivement blêmes. Draco en profita pour asséner le coup final.

— Si vous ne me croyez toujours pas, je vous suggère de perquisitionner le coffre des Lestrange. La coupe d'Helga Poufsouffle s'y trouverait, paraît-il.

Cette fois, la voix seule de Fudge ne suffit pas à éteindre le chaos ni à empêcher qu'ils dépêchent des Aurors à Gringotts. Un mélange de victoire et de peur envahit Draco. Son père le toisait toujours. Son expression était devenue dangereuse. Hermione murmura « merci » sans toutefois oser l'approcher de trop près.


Eeeet la partie II est finie 𑁍ࠬܓ

Merci de l'avoir suivie jusqu'ici et à mardi pour la troisième et dernière partie !