Chapitre 49 - Provocations


Le seul moment où Draco pouvait encore communiquer avec Hermione se réduisait au soir, une fois les baldaquins tirés. Appuyé sur un épais ouvrage, éclairé au Lumos de sa baguette, ils s'échangeaient des informations essentielles, comme la forme des nouveaux pompons qu'Hermione parvenait à tricoter pour les elfes, la dernière mauvaise note de Goyle ou la couleur de la nouvelle cravate de Dobby. Aussi, quand elle lui parla de monter un cours secret pour apprendre eux-mêmes aux élèves ce qu'Ombrage refusait de leur enseigner, Draco prit un petit temps pour digérer l'information.

Toutes les ramifications d'un tel projet lui donnaient déjà mal à la tête ; il faudrait surveiller qu'aucun élève ne les dénonce, trouver un lieu dissimulé, un professeur qui accepterait de se mêler aux cours clandestins…

Évidemment, puisque c'était d'Hermione qu'il s'agissait, elle avait déjà toutes les réponses : Harry serait leur professeur, pour le lieu, elle avait pensé à la Salle sur Demande (ce qui l'avait hautement indigné puisqu'il s'agissait de leur endroit, même s'il s'agissait en effet de la seule solution valable), quant au fait de ne pas se faire dénoncer…

« Je leur ai fait signer un parchemin que j'ai ensorcelé. Si quelqu'un parle, on le saura de suite. »

« Là, je veux des détails. Qu'est-ce qui se passera ? »

« Je ne voudrais pas te gâcher la surprise si ça venait à arriver. »

« Je me fiche de la surprise, Hermione, c'est maintenant que je veux savoir. »

Il attendit, tentant d'imaginer quel sortilège elle avait pu lancer. Aucune de ses idées ne fut à la hauteur de ce qu'elle répondit :

« J'ai fait en sorte qu'il écrive « CAFARD » en pustules sur le visage de celui qui s'amuserait à nous trahir. »

Draco pressa son poing contre sa bouche pour ne pas éclater de rire et resta plié en deux jusqu'à être sûr qu'il n'allait pas stupidement alerter ses camarades de dortoir.

« Par pitié, que quelqu'un vous dénonce. »

« Je peux te faire signer le parchemin aussi, si tu y tiens tant que ça. »

« Non, merci. Je tiens à mon visage. »

Quand elle lui proposa de rejoindre lui aussi son petit club de résistance, il refusa, ce dont elle ne s'étonna pas. Il n'avait pas besoin d'attirer plus de soupçons et aucun élève d'une autre maison ne lui ferait de toute façon confiance.

Le lendemain, un écriteau de la « Grande Inquisitrice de Poudlard » fut placardé sur le panneau d'affichage des salles communes, interdisant à tout groupe d'élèves de se réunir. Ravi, Draco passa sa journée à scruter les visages à la recherche d'un « CAFARD ». À la fin d'une journée décevante, il fit même un crochet par l'infirmerie et dut se rendre à l'évidence : personne ne les avait trahis.

Dommage.

Il redescendit dans son dortoir et déposa son sac à côté de son lit avec l'impression que quelque chose clochait. Il mit un temps à réaliser le silence qui régnait sur la pièce. Il tourna sur lui-même.

— Orron ?

Il fouilla tous les recoins et finit par le retrouver au-dessus de son baldaquin. Il était en boule tout au fond, la tête enfoncée dans ses plumes, mais ne dormait pas. Quand Draco tendit la main il finit par approcher par petits bonds. Draco l'examina sur ses genoux. Le Vivet ne semblait pas malade ni souffrant et ses caresses finirent par lisser ses plumes ébouriffées.

— Tu dois languir de voler, dit Draco.

Le Quidditch lui manquait aussi. Les entrainements de l'équipe de Serpentard et Harper, le quatrième année qui l'avait remplacé en tant qu'attrapeur, revenaient constamment dans les conversations de ses « amis ». Il s'en détachait de son mieux, mais son désintérêt ne devait pas être assez crédible pour qu'ils cessent de l'attaquer dessus.

Les semaines qui suivirent, il prit son mal en patience, ignorant les progrès de l'équipe sans lui, bientôt appuyés par les pronostiques du prochain match qui opposerait Serpentard à Gryffondor. La veille, tout le monde ne parlait plus que de ça et il plongea dans La Gazette du Sorcier. Il lisait un article ridicule sur le dernier concert des Bizarr' Sisters quand un bout de la conversation entre Blaise, Crabbe, Goyle, Harper et Graham attira son attention. Du match, ils avaient dévié à comment faire renvoyer Potter de l'équipe de Gryffondor. Il se retint de lever les yeux au ciel. Admettre qu'ils avaient besoin de se débarrasser de lui était admettre qu'ils ne pourraient jamais le surpasser. Une mentalité de perdants.

— Ombrage l'a déjà en grippe. On a juste besoin de lui donner un prétexte, disait Blaise. Il faut que ça se passe sur le terrain de Quidditch, devant toute l'école, autrement elle pourrait se contenter de lui coller une énième retenue.

— Qu'est-ce qu'on pourrait faire ? Ombrage ne le renverra pas de l'équipe pour une faute. Au mieux il quittera le match.

— On a un spécialiste quand il s'agit de pousser Potter à bout, dit Blaise.

L'attention se tourna vers lui. Draco termina son paragraphe, sachant qu'il ne pourrait pas s'extraire de cette bouse de dragon proprement, puis posa son journal.

— C'est à quel sujet ?

— Potter, dit Blaise. Comment s'assurer qu'il soit exclu de l'équipe, définitivement.

Draco les jaugea tous. Protéger Potter creuserait sa propre tombe. Et puis Potter était l'ami d'Hermione, pas le sien.

— C'est simple. Vous n'avez qu'à parler de sa mère. Si ça ne suffit pas, impliquez celle de Weasley. Voire toute sa famille. Si avec ça il ne vous saute pas à la gorge, c'est que vous êtes des incapables, dit-il en repliant le journal. Et attendez la fin du match, il pourrait être trop concentré sur le Vif d'or pour se préoccuper de vos insultes.

Si Potter était assez stupide pour tomber dans un piège aussi grossier, alors il ne méritait pas de faire partie de l'équipe de toute façon, songea-t-il en se levant.

Devait-il les prévenir ? Non, si sa réponse ne produisait aucun effet, les soupçons retomberaient sur lui. Potter se débrouillerait.

Sauf que Potter ne se débrouilla pas.

Tout le match, Harper lui tournait autour comme une mouche agaçante et lorsqu'il referma son poing sur le Vif d'or, Harper le suivit à terre. Depuis les gradins, Draco serra la rampe. Potter venait de se retourner. Les jumeaux Weasley se posèrent derrière lui et il espéra qu'ils parviendraient à l'arrêter. Au lieu de ça, un des jumeaux se jeta avec lui contre Harper alors que les trois poursuiveuses de Gryffondor retenaient l'autre.

Madame Bibine les sépara avant de renvoyer Potter et les jumeaux vers le château. La vieille McGonagall remonta le même chemin peu après. Une tape dans le dos faillit faire passer Draco par-dessus la rambarde. Blaise passa un bras sur ses épaules.

— Cette fois, c'est au revoir Potter, dit-il en pointant la silhouette rose d'Ombrage qui suivait McGonagall. Avec un peu de chance, on va aussi être débarrassé des Weasley. Tout ça grâce à toi. Ne t'en fais pas, je m'assurerai que tout le monde le sache.

Avec une sueur froide, Draco se détacha de lui. Dans le gradin voisin d'où Hermione observait le match, il chercha l'écharpe rouge et or qui l'enveloppait, sans succès. Elle n'avait pourtant pas suivi Potter. Venait-elle lui demander des comptes ? Non, elle n'avait aucune preuve. Il descendit lentement du gradin, il devait garder la tête froide. Tenter de minimiser les dégâts n'était pas la bonne tactique, puisqu'elle impliquait des dégâts. La meilleure option restait d'être innocent, de ne pas tenter de se justifier, sauf si elle l'y obligeait.

En tournant dans l'escalier de bois, il découvrit Hermione qui l'attendait au bas du gradin, seule. Mais elle ne pouvait pas savoir.

— Draco, murmura-t-elle quand il passa à son niveau. Qu'est-ce qu'il s'est passé, pourquoi tu… ?

— Pourquoi je quoi ? répliqua-t-il d'un ton si froid qu'elle eut un moment de recul. Je le découvre comme toi. Et ce n'est vraiment pas le moment.

Il la dépassa. Pour qu'elle le soupçonne déjà, leur relation ne devait pas être aussi importante pour elle qu'il ne le pensait. Si elle revenait le confronter, il prétendrait que les Serpentards mentaient pour détruire toute relation entre eux, ce qui n'était même pas un mensonge.

Sauf que les Serpentards eurent beau insister sur le rôle qu'avait joué Draco dans le renvoi de Potter et des jumeaux Weasley de l'équipe de Gryffondor, Hermione ne ramena plus le sujet. Par contre, la distance entre eux se creusa, l'obligeant à se raccrocher aux plus petits signes, comme les gribouillis qu'elle traçait parfois pendant les cours, même si c'était sûrement plus par ennui qu'adressé à lui. Les jours passèrent ainsi sans lui donner une occasion de se défendre. Amener le sujet lui-même aurait prouvé qu'il n'avait pas la conscience tranquille, surtout à présent que des semaines s'étaient écoulées depuis le match, alors il s'abstenait de lui écrire.

La veille des vacances de Noël, il observait la neige d'un air morose depuis le cours de Défense contre les Forces du Mal quand un trait d'encre apparut sur le coin de son parchemin qu'il avait coincé sous ses notes par habitude. Draco posa son bras pour bloquer la vue de Crabbe et tira sur le parchemin.

« Il faut qu'on parle. Rejoins-moi à la Salle sur Demande ce soir. »