Chapitre 53 - Division
Ils passèrent la majorité de la seconde semaine des vacances dans la chambre verrouillée de Regulus Arcturus Black à étudier différentes théories. Un après-midi, Harry descendit discuter avec Sirius dans le but de placer le mot « Horcruxe », il remonta bredouille une petite heure plus tard.
— Tu vois Potter, fit Draco alors que Harry se laissait tomber à côté de Ron sur un des coussins installés en cercle sur le sol, c'est là que tes visions seraient un peu utiles. Tu ne veux pas te faire posséder quelques minutes et nous dire ce qu'il projette ?
Assise au sol elle aussi, le dos contre le pied du lit, Hermione leva les yeux au ciel.
— Tu ne veux pas retourner chez toi ? répliqua Harry. Tu pourrais nous dire ce qu'il projette encore plus facilement.
Draco se laissa tomber en arrière, le dos contre le pied du lit, et glissa contre l'épaule d'Hermione avec un sourire en coin destiné à Ron.
— Non, sans façon.
Elle l'aurait frappé avec ses notes pour cette basse tentative de provocation s'il n'avait pas fermé les yeux, toujours appuyé contre elle.
Après plusieurs jours sans découverte, le médaillon caché dans la valise d'Hermione, ils reprirent le Poudlard Express en direction du château, persuadés que la bibliothèque ou au moins la réserve leur apporteraient enfin une réponse.
« Comment ça, rien ? »
« J'ai même obtenu une autorisation du professeur McGonagall pour entrer la réserve. Il n'y a rien au sujet des Horcruxes. » écrivit Hermione.
Elle, Ron et Harry étaient installés à la bibliothèque, face à une montagne de livres, les yeux secs à force de lire des tables de matière et des paragraphes écrits en pattes de mouche.
« Je n'arrive pas à croire qu'on ait rien trouvé. »
Appuyé contre son poing, Ron suivait machinalement ce qu'elle écrivait.
« Eh bien, ce n'est pas tout à fait vrai. »
Draco marqua une petite pause qui fit grommeler Ron.
« Le fait qu'on ne trouve absolument rien signifie au moins une chose ; soit Kreattur nous a donné un nom incorrect, mais comme vous auriez sûrement relevé un nom similaire, je n'y crois pas, soit il s'agit de magie noire. Et d'une magie si dangereuse qu'elle n'est même pas mentionnée. Étant donné qu'on parle du Seigneur des Ténèbres, je veux bien y croire. »
— Super, et comment on est censé trouver quoi que ce soit dans ces conditions ? commenta Ron.
Hermione retranscrit sa question en adoptant une tournure un poil moins défaitiste.
« J'y ai réfléchi, je ne vois qu'un seul endroit. Il y a une boutique de magie noire dans l'Allée des Embrumes. Mon père s'y rendait parfois. »
Penché par-dessus son épaule, Harry se redressa.
— Il doit parler de Barjow et Beurk.
« Barjow & Beurk. »
Le week-end venu, Hermione, Harry et Ron s'emmitouflèrent dans leurs capes d'hiver et descendirent aux cuisines du château où les elfes s'affairaient. Avec ses baskets rouge vif flambant neuves, Dobby se démarquait du lot. Ses oreilles s'agitèrent en les voyant débarquer le samedi matin à la première heure du jour.
— S'lut Dobby, dit Ron en bâillant. Déjà aux fourneaux ?
— À ton avis, le petit-déjeuner arrive comment dans ton assiette quand tu t'installes pour manger ? lui répondit la voix de Draco.
Lui aussi portait une cape chaude et des gants quand il passa le portrait cachant l'entrée des cuisines. Mais pas d'écharpe. Hermione retint un sourire. Elle tricotait tous les soirs avant de s'endormir et après plusieurs tentatives avortées, son petit projet prenait enfin forme.
— On a besoin de se rendre à l'Allée des Embrumes. C'est dans tes cordes Dobby ?
La bouffée d'indignation d'Hermione fut coupée par le regard brillant de Dobby. Ravi de pouvoir leur rendre service, il les fit transplaner dans une ruelle vide qui n'arborait que de boutiques à l'abandon avant de retourner aider les elfes avec le petit-déjeuner. En reculant, Ron se prit les pieds dans un empilement de chaudrons qui prenaient la neige sous des vitres cassées, condamnées par des planches.
— Oups.
— La discrétion. C'était notre but, Weasley.
— Ça va, il n'y a personne, répondit Ron en redressant la pile des chaudrons. Alors, elle est où ta boutique de magie noire ?
Draco observa la ruelle pour se repérer, puis s'engagea dans une direction. Ils suivirent ses pas dans la neige jusqu'à la plus grande boutique de la rue, qui portait l'enseigne « Barjow & Beurk ».
— Vous allez me laisser entrer, dit Draco. Il ne vous connait pas, il ne vous dira jamais rien.
Hermione le retint.
— Si ton père le connait bien, tu n'as pas peur qu'il aille lui dire que tu étais ici ?
— Ça ne sera pas difficile à justifier, dit-il en posant une main sur la sienne pour la décrocher. Une conversation avec des Serpentards de dernière année et tout à coup je m'intéresse à des sujets trop sensibles pour que Poudlard m'apporte la réponse.
Il entra donc seul chez Barjow & Beurk pendant que Hermione, Harry et Ron se tenaient en retrait au coin de la ruelle. Hermione le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il se perde au fond de la boutique puis s'appuya contre le mur de briques glacé. Tout irait bien, bien sûr, mais un mauvais pressentiment lui serrait les entrailles.
Ron semblait ruminer quelque chose et elle détourna le regard, sachant pertinemment qu'elle n'aurait pas envie de l'entendre. Malgré tout, il finit par lancer :
— Je ne voulais rien dire, parce qu'au final c'est ton choix, mais tu es… sûre de toi ? Malfoy ?
— Tu crois vraiment que je serais avec lui si ce n'était pas le cas ?
— Hermione, il passait son temps à te traiter de Sang-de-Bourbe, je ne comprends pas plus ce qu'il fait avec toi que ce que tu fais avec quelqu'un comme lui !
— J'avoue que je ne comprends pas non plus, Hermione, dit Harry d'un ton maussade.
— Ne soyez pas idiots tous les deux, jamais je n'aurais lié quoi que ce soit avec ce Malfoy-là. Mais il est, et j'en étais la première surprise, il est capable de se remettre en question.
— Oh oui, et c'est pour ça qu'il te cache à sa famille et à ses amis ? fit Ron.
— Hermione, il n'a pas tort.
Elle s'obligea à garder un ton bas malgré la boule dans sa gorge.
— Vous avez bien vu qu'il ne vous provoque plus comme avant. Il… il fait des efforts avec Dobby et Kreattur… !
— Et soudain le droit des elfes l'intéresse ? rétorqua Ron dont le ton montait. Enfin c'est évident, il fait ça pour obtenir quelque chose de toi. Qui sait s'il n'est pas en train de nous espionner. On le laisse écouter nos discussions, on lui ouvre en grand le quartier général de l'Ordre !
— Hermione, ajouta Harry. Être ton ami, j'avais déjà dû mal à le croire, mais…
— Il est seul ! répliqua-t-elle. Vous n'avez aucune idée de comment les autres…
— Oui, d'accord, mais de là à sortir avec toi. Enfin, même toi tu as forcément trouvé ça bizarre non ?
Sa vue se brouilla. Ils n'écoutaient rien, ils refusaient d'entendre. Comme cela pouvait-il lui paraître bizarre ? Cela faisait des mois qu'ils sortaient ensemble.
— C'est notre ennemi, insista Ron. Tu sais qui sont ses parents. Ils veulent la peau d'Harry et toi tu es en train de te laisser séduire.
— Tu insinues que je mettrais Harry en danger… ? articula-t-elle d'une voix étranglée.
— Il est entré au Square Grimmaurd, dit Harry d'un ton prudent. Il sait ce que nous préparons. Sois honnête, tout ce temps, est-ce qu'il s'est vraiment comporté comme un petit-ami ?
— Bien sûr que oui ! Il…
Il faisait ce qu'il pouvait compte tenu de la distance que les Serpentards les obligeaient à adopter, mais tous les soirs, par écrit… Par écrit tout le monde pouvait prétendre tout et n'importe quoi. Mais dans les moments qu'ils passaient ensemble, aucune fausse note ne l'avait alarmée et puis il avait accepté de la suivre au Square Grimmaurd pour profiter du peu de temps qu'ils pouvaient passer ensemble… ou du moins de la moitié du peu de temps qu'ils avaient. Une larme mouilla sa joue, puis une autre. Il avait eu une bonne raison de repartir, le lui reprocher serait injuste. Bien sûr, à cause d'elle il avait un accès sur nombre d'informations sensibles, mais elle lui faisait confiance. Rien de tout ça ne pouvait être un mensonge.
— C'est bien ce que je pensais, fit Ron. Mais on peut encore le dégager.
— I-il nous aide...
— Tu n'y crois même pas. Et puis il l'a dit lui-même non ? On ne peut pas se fier à une information qui vient de l'ennemi.
Un mouvement dans la boutique la fit essuyer ses joues en catastrophe. Ne pas fondre en larmes lui coûta un effort colossal lorsque Draco revint vers eux et elle concentra ses efforts à fixer la neige boueuse, penser à autre chose.
— Je peux savoir ce qu'il s'est passé ? demanda Draco.
— Rien qui te regarde, dit Harry.
— Très bien… En tout cas, Barjow sait ce que sont les Horcruxes. Vous n'allez pas aimer la nouvelle.
— Je ne suis pas sûr qu'on ait vraiment besoin de l'entendre.
L'ambiance perdit deux ou trois degrés.
— Hermione ?
La gorge nouée, les yeux brûlants, sachant que le moindre mot la ferait craquer, elle ne releva pas les yeux. Elle ne pouvait pas lui faire face.
— Je vois, dit-il d'un ton froid.
Ils n'échangèrent plus un mot et se séparèrent dans les cuisines du château. En remontant dans la tour de Gryffondor, elle aurait préféré que Ron et Harry ne la suivent pas. Ils ne lui firent pas ce cadeau.
— Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? demanda Ron alors qu'ils franchissaient le portrait de la grosse dame.
Hermione fit volte-face, s'attirant les regards de tous les Gryffondors présents.
— Lui parler.
— Quoi ? Tu n'as rien compris de ce qu'on t'a dit !
Elle enfonça son index dans la poitrine de Ron avec colère.
— Si, j'ai très bien entendu ce que vous avez dit et je ne vois pas pourquoi je ne lui laisserais pas une chance de se défendre.
— Il va juste essayer de t'embobiner !
Elle recula d'un pas alors que la salle commune se transformait en une peinture floue de rouge et d'or.
— Hermione, tu sais que je dis ça pour toi, ne fait pas cette tête, tout le monde nous regarde, murmura-t-il, le bout de ses oreilles écarlates.
Elle tourna les talons. Ses larmes coulèrent à la première marche de l'escalier et elle se réfugia dans son dortoir, entre ses rideaux à baldaquin. Sur son oreiller, l'écharpe tartan qui mêlait des lignes noires, argentées et vertes, les couleurs de la famille Malfoy, fit redoubler ses sanglots. Elle s'assit lentement et ramena son ouvrage sur ses genoux, une douleur aiguë lui broyant le cœur. Qu'Harry et Ron aient raison ou non, leurs mots revenaient sans cesse la poignarder. Des larmes s'écrasant sur la laine, elle la serra contre sa poitrine.
Ils se trompaient forcément. Elle comprenait leurs doutes, ils ignoraient tout ce qu'elle savait, ils ne pouvaient pas savoir.
D'une main tremblante, elle récupéra son morceau de parchemin. Une ligne s'y traçait, formant des ronds, des angles, s'effaçant au fur et à mesure. Elle s'empressa de prendre la plume miniature que Draco lui avait offerte.
« Je suis là. »
La ligne s'interrompit. Sous ses mots, la réponse de Draco s'inscrivit :
« Parfait, rejoins-moi au lac, dans la forêt interdite. »
Elle replia le parchemin. Dans le miroir de leur salle de bain, ses yeux lui apparurent rouges et gonflés. Elle soupira et rajusta sa cape, l'écharpe dans ses bras. Il n'était pas encore midi et la salle commune bondée lui permit de ressortir sans se faire remarquer.
Une couche de gel recouvrait l'herbe du parc, la faisant craquer sous ses semelles. La forêt n'était pas aussi terrifiante, de jour, et elle retrouva le chemin du lac sans peine. Draco se tenait devant sa surface gelée, les bras croisés. Il se retourna lorsqu'elle écarta la branche entre eux et lança sans attendre :
— Bon qu'est-ce qu'ils t'ont dit ?
Hermione remit délicatement la branche en place après son passage. Le lac de glace brillait sous le ciel bleu qui le surplombait. Elle souffla un nuage de vapeur.
— Ils ont dit que d'imaginer que toi, tu puisses être avec quelqu'un que tu traitais constamment de Sang-de-Bourbe, ça n'avait aucun sens. Que tu m'utilisais pour obtenir des informations sur l'Ordre du Phénix et sur Harry, puisque tes parents sont des Mangemorts. Et que tous les changements que tu avais pu faire ne sont que des moyens de m'embobiner, pas de véritables remises en question. Que je me suis laissée séduire et que je…
Sa gorge se comprima.
— … je mets Harry en danger, articula-t-elle avec peine.
— Donc les cadeaux pour Dobby, mon exclusion de l'équipe de Quidditch, l'attitude des autres Serpentards ?
— Ils diraient que c'est de la comédie.
— Je vois.
Malgré le ciel d'un bleu éclatant, le froid sembla s'intensifier. Peut-être parce que c'était ses doutes qui parlaient, pas ceux d'Harry ou de Ron.
— Dans ce cas il suffit que tu ne me transmettes plus la moindre information. Ça ne m'empêchera pas de vous dire ce que je découvre.
— Ce n'est pas juste pour toi.
— Pour être honnête, ça ne me fait ni chaud ni froid. Tant que tu ne doutes pas.
Sous sa cape, elle resserra sa prise autour de l'écharpe.
— Je suis désolée.
— J'imagine que ça ne suffira pas, dit-il d'un air sombre. Puisque le balafré et la belette ne te lâcheront pas tant que tu seras avec moi.
— Draco…
Son sang se glaça. Est-ce que la discussion prenait le chemin de la rupture ?
— Écoute, je vais me débrouiller pour leur faire entendre raison, dit-elle d'une voix tremblante.
Draco se retourna vers le lac, pensif.
— Ça ne marchera pas si c'est toi qui t'en charges. Laisse-moi y réfléchir.
Elle acquiesça avec prudence. Un nuage passa au-dessus de la trouée dans les arbres, projetant son ombre sur la surface scintillante. Le vent se levait. Ses dents se mirent vite à claquer.
— Tu devrais rentrer. On se voit lundi en cours.
Le cœur lourd, elle sortit l'écharpe de sous sa cape.
— Avant de rentrer… commença-t-elle. Pour Noël j'ai…
Mais les larmes revenaient trop vite. À la place, elle passa l'écharpe autour de ses épaules et la noua autour de son cou. Elle s'y accrocha un moment. Au moment de partir, Draco retint son poignet.
— Tu vas rester avec moi. Tu dois pouvoir attester que je n'ai pas eu l'occasion de parler aux autres Serpentards.
Il ne lui donna pas plus de précisions pendant qu'ils montaient à la volière. Il lui demanda seulement d'écrire à Harry de les rejoindre et d'emporter sa cape d'invisibilité avec lui. La chouette blanche s'envola par une des fenêtres creusées dans la pierre avec son message et ils patientèrent en silence, appuyés contre les murs pour éviter les courants d'air glacés qui traversaient la volière.
Des pas ne tardèrent pas à résonner sur les marches extérieures et Harry entra, Hedwige perchée sur son bras. Son expression se durcit à la vue de Draco.
— Qu'est-ce que tu me voulais ? demanda-t-il pendant que sa chouette s'envolait reprendre sa place au milieu des autres hiboux.
— Selon toi, tout ce que je fais n'est qu'une vaste manipulation c'est ça ? Dis-moi, dans votre brillante imagination, les autres Serpentards juste jouent le jeu c'est ça ?
— Oui, évidemment.
— Parfait. Alors, tu vas mettre ta cape d'invisibilité et tu vas me suivre, Potter.
