Chapitre 61 - Souvenirs enfouis


À la table dans le salon de ses parents, Hermione observait sa tasse de thé. Le parchemin posé à côté restait vierge et elle n'osait pas y écrire, de peur de mettre Draco en danger. Sauf qu'il ne lui avait rien écrit non plus. Depuis leur retour du ministère, il s'était montré distant, renfermé, ces deux mois de vacances allaient-ils passer sans qu'il ne pense à elle ?

— C'est une situation bien complexe, dit son père, mais tu fais bien de ne pas insister. Il viendra vers toi de lui-même et si ce n'est pas le cas... Hermione, ce garçon te semble important maintenant, mais cela passera.

Elle remua le liquide ambré de sa tasse, son inquiétude se reflétant à sa surface. Elle faillit le renverser quand un « crac » raisonna dans le salon. Kreattur venait d'apparaître devant le canapé. Hermione repoussa sa chaise en arrière. Draco se tenait derrière lui, le regard vague. Une trace rouge teintait sa joue et la chemise blanche de son uniforme était maculée de sang. Il tituba en avant.

Hermione se précipita pour le rattraper avec un cri et il lui tomba dans les bras. Il ne répondit à aucun de ses appels, gisant contre son épaule. Ses parents vinrent aussitôt à son secours et l'aidèrent à l'allonger sur le canapé.

— Draco ? insista Hermione, le cœur battant si fort qu'il lui faisait mal. Draco ? Kreattur, que s'est-il passé ? qu'est-ce qu'il... ?

Son père posa deux doigts contre son cou, observant son souffle, puis examina les zones ensanglantées à la recherche de blessures. Son torse n'en présentait pas, en revanche il découvrit une profonde morsure sur son avant-bras et sa mère s'empressa d'apporter un flacon de désinfectant. Hermione demeura plantée là, à les observer, tentant de rationaliser tout ce sang.

— Kreattur, qu'est-ce que... qu'est-ce qui lui est arrivé ?

— Kreattur ne sait pas. La maîtresse a appelé Kreattur. Elle a demandé à Kreattur de le transporter chez la Sang-de-Bourbe.

Les sourcils froncés, Hermione promit qu'ils prendraient soin de Draco. Kreattur s'inclina, l'air soulagé de pouvoir repartir.

Le reste de l'après-midi, Hermione le passa à lire sur une des chaises de salon, orientée de sorte à avoir toujours le canapé au coin de l'œil. Ses parents s'absentèrent pour faire des courses en ville et passer à la pharmacie. Le jardin se teintait d'orange quand Draco esquissa enfin un mouvement. Il pressa une main sur son visage en grimaçant de douleur. Hermione se hâta à côté de lui.

— Comment tu te sens ?

Draco sursauta et se redressa assis, les yeux écarquillés et la respiration rapide. Il balaya le salon du regard, s'arrêta sur elle, puis recommença à grimacer.

— Qu'est-ce que je fais là ?

— C'est la réponse que j'aurais aimé connaître. Kreattur t'a amené ici. Tu es...

Elle s'apprêtait à dire « couvert de sang », mais préféra distiller les informations pour ne pas le brusquer.

— Tu as mal quelque part ?

— Partout, j'ai l'impression qu'un hippogriffe m'a piétiné, aïe...

Il fit un geste pour agripper son bras et Hermione l'arrêta en urgence, puis releva la manche de sa chemise sur les bandages que ses parents avaient posés.

— Tu as une morsure. Tu te souviens de comment c'est arrivé ?

Draco fronça les sourcils.

— Une... morsure ?

— On s'est quitté à King's Cross, ensuite tu es rentré chez toi, tenta Hermione.

Le regard de Draco se fit comme... absent et son visage pâlit, de plus en plus crispé par la douleur.

— Je n'en ai aucune idée... Je ne me sens pas bien, je...

Il baissa le regard et faillit arracher sa chemise à la vue du sang.

— Ce n'est pas le tien, s'empressa de dire Hermione, mes parents t'ont ausculté, ta seule blessure est la morsure.

Elle l'aida à se rallonger et il ferma les yeux en toussant.

— Je n'en suis pas si sûr... J'ai mal. J'ai mal partout.

Hermione se pencha vers la fenêtre, espérant voir la voiture de ses parents se garer dans la rue. Sa souffrance la heurtait. Que pouvait-elle faire pour lui ?

— On a des médicaments, tu veux un doli...

— Qu'est-ce qui s'est passé ? Je ne me souviens de rien après la gare... De l'eau. Ma gorge...

Elle s'empressa de lui ramener un verre, après quoi il s'écroula de sommeil. Draco ne se réveilla pas avant le lendemain, tard dans l'après-midi. Il continuait de souffrir le martyre. L'absence d'hématomes et de plaies suggérait une blessure magique.

— Est-ce que tu crois que c'était... commença-t-elle avant de s'interrompre pour lui servir du jus d'orange pressé.

Suggérer un Doloris ne laissait que peu de possibilités quant à qui l'avait lancé. La morsure ne faisait qu'appuyer cette théorie. Et s'Il avait agi au beau milieu du manoir des Malfoy alors...

— C'est aussi ce que je crois, répondit Draco d'un air sombre.

— Parce qu'il a appris ce que tu as fait au ministère ?

— À moins que mon père m'ait trahi, c'est impossible et comme ce n'est pas dans son intérêt, c'est impossible. Si je suis encore vivant, c'est qu'il a décidé de s'en prendre à moi pour quelque chose de moins grave. Les autres Serpentards ont dû leur dire, pour nous.

Un bruit un peu sec et du café s'étala sur la nappe. Son père venait de reposer sa tasse. En réalisant qu'elle allait devoir expliquer ce « nous », Hermione se tassa dans sa chaise. Draco lui jeta un regard outré.

— Bien sûr que je n'ai rien dit ! s'exclama-t-elle aussitôt. Je n'ai pas eu beaucoup d'occasions de revenir ici et...

— Tu n'écris donc pas de lettre ?

— Ce n'est pas le genre de nouvelle qui s'annonce par courrier, répliqua-t-elle, même si n'avait pas envisagé de le faire une seule seconde. Parce que toi, tu en as parlé aux tiens ?

— Visiblement, ils savent, répliqua Draco en désignant les bandages qui couvraient son bras. Même si... je n'arrive pas à croire que mes parents l'aient laissé faire ça.

Hermione garda le silence. Ses parents avaient-ils réellement « laissé faire ça » ? Sa perte de mémoire qui persistait les laissait dans le noir total. Entre ça et ses blessures, ce dont il avait besoin était de soins magiques, pas de médicaments et de soupe, alors elle prit ses parents à part.

— Chez les Weasley ? s'indigna Draco lorsqu'elle lui ouvrit la voiture de ses parents. Tu veux te débarrasser de moi ?

Hermione secoua la tête et remonta chercher Orron, perché sur sa cage. La petite boule dorée sur ses genoux, elle se laissa bercer par le ronronnement de la voiture.

La route jusqu'au comté du Devon dura un peu plus de trois heures. Draco dormait profondément, appuyé contre la porte, quand leur voiture traversa le tranquille village de Loutry Ste Chaspoule. Ils s'enfoncèrent ensuite dans les petites routes de campagnes, jusqu'à laisser les derniers réverbères derrière eux. Le terrier apparut bientôt et Hermione se pencha vers Draco. Il entrouvrit les yeux, l'air un peu hagard comme lorsqu'il s'était réveillé chez elle. Elle lui lança un regard inquiet et en guise de réponse, il se rapprocha doucement de son visage. Hermione écarquilla les yeux, le souffle court. La voiture freina soudain, assez sec pour les obliger à se séparer.

Hermione retrouva sa place en toute hâte, en évitant le regard de sa mère qu'elle voyait sourire, puis descendit de la voiture. En sortant à son tour, Draco s'arrêta pour contempler les étages du Terrier, empilés les uns sur les autres dans un ensemble... bancal. Les chaudrons remplis de vieilles bottes qui encadraient l'entrée faillirent lui faire faire demi-tour.

Leur arrivée fit fuir les poulets qui picoraient dans la cour. Leurs caquetages attirèrent Molly Weasley dehors, dans un tablier rose. Elle reçut ses parents avec empressement et des petites brioches faites maison. Une appétissante odeur de bolognaise emplissait la cuisine, provenant d'une grosse marmite en étain. À la table, Arthur Weasley parcourait la Gazette du Sorcier, l'air fatigué. Vu son costume, il venait à peine de rentrer du Ministère. Son visage s'illumina à leur entrée et il s'empressa de leur tirer une chaise. Puis il aperçut Draco. Heureusement, l'étrangeté de la situation — et sans doute aussi le sang qui maculait la chemise de Draco — leur épargna les questions les plus évidentes.

Pendant que ses parents se chargeaient d'expliquer le reste, Hermione demeura en retrait. Draco dut répéter plusieurs fois qu'il ne se souvenait de rien, qu'il n'avait pas été contacté et qu'il n'avait pas la moindre idée de ce qui s'était tramé chez lui non plus. L'inquiétude grandissante dans les regards que s'échangeaient Molly et Arthur ne firent que renforcer la sienne et Hermione finit par crisper ses doigts contre la table. Même l'odeur de la bolognaise commençait à l'écœurer.

— Je pense que le plus simple, c'est que vous restiez ce soir, décida Molly une fois les explications terminées.

— Je vais écrire à Dumbledore, ajouta Arthur en se levant, toute sa fatigue de retour. Molly a raison, vous devriez rester ici tant qu'il ne nous aura pas répondu, ça pourrait être dangereux pour vous.

Il venait de quitter la cuisine qu'une tête rousse glissa par l'encadrement.

— Il paraît que nous avons des invités ? dit Fred.

— J'espère que notre humble demeure est à la mesure de Votre Altesse, ajouta George avec une courbette en direction de Draco.

— Et si on demandait à la volaille qui s'est chargée de m'accueillir ? répliqua Draco.

Molly sépara les garçons d'un geste un peu brut et ordonna aux jumeaux de mettre la table.

— Ils espèrent me faire manger la tambouille des Weasley, là ? demanda Draco à Hermione en époussetant l'endroit où Molly l'avait touché.

— Je peux savoir où est passée ta belle éducation ? répliqua-t-elle à voix basse. C'est commun chez les Sang-Pur d'essayer de passer pour un grossier personnage chez ceux qui t'accueillent ?

— S'il s'agit de traitre à...

— Attention, une tambouille Weasley s'est échappée, s'exclama Fred.

Il pointait sa baguette vers la marmite de bolognaise qui flottait dans les airs. Sa trajectoire filait droit vers eux. Draco avait sorti sa baguette avant qu'Hermione ne puisse esquisser le moindre geste. Son geste pour repousser la marmite la fit entrer en collision avec la porte de l'armoire que George venait d'ouvrir. Le choc fit passer une vague de sauce par-dessus le rebord, aspergeant Draco, le reste s'écrasa à ses pieds dans un « SPLASH ».

Fred et George s'immobilisèrent dans le soudain silence, conscient que toute l'attention était tournée vers eux.

Couvert de la sauce rouge, une flaque étalée à ses pieds, Draco leva les mains devant lui. Anticipant le pire, Hermione se plaça entre lui et les Weasley. Les yeux écarquillés toujours fixés sur ses paumes, Draco recula brusquement. Sa respiration s'accéléra, puis se bloqua et il fit plusieurs pas en arrière, heurta un buffet et agrippa ses cheveux.

— Draco... ?

Il venait de se souvenir de quelque chose ? Hermione baissa les yeux vers la flaque rouge étalée au sol et son estomac se serra.

Pendant un long moment, elle se tint prête, redoutant de le voir s'effondrer une nouvelle fois. Il se tint longtemps, tête baissée, cramponné à ses cheveux. Elle ne trouva le courage de l'approcher qu'en remarquant que de discrets tremblements agitaient ses épaules. Des larmes s'écrasèrent au sol, mais il ne se redressa pas. Elle tendit la main vers lui, sans savoir pourquoi elle hésitait tant pour un geste aussi naturel.


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AmandeEtCerisier, si si effectivement...