CHAPITRE 3

.

Trois semaines plus tard

Le bruit de l'eau qui s'écoule et le son d'une radio en fond émanaient depuis près d'une demi-heure de la salle de bain des Summers.

Quand Buffy sortit de sa douche, elle s'enveloppa rapidement d'un peignoir, avant de poser un pied à terre pour se diriger vers la radio et éteindre celle-ci. Elle s'était longuement prélassée sous le jet d'eau chaude, espérant ainsi faire partir cette affreuse migraine qui lui faisait un mal de chien depuis la fin de l'après-midi, comme si tout un régiment de tambours s'amusait à frapper contre ses tempes.

Travailler au Doublemeat Palace avait un effet pour le moins négatif sur sa santé. La chaleur poisseuse des cuisines, le bruit oppressant des lieux quand la clientèle se faisait plus nombreuse, les clients fort peu aimables, ces affreuses odeurs d'huile et de friture… Les maux de tête ne se faisaient plus très rares une fois son service terminé, et ce soir là ne faisait pas exception. Le moindre bruit et la moindre lumière la faisaient plisser des yeux, et elle recherchait à présent le calme, chose qui ce soir là était possible, à son grand soulagement. Dawn était sortie en compagnie d'une de ses amies de classe, accompagnée de la mère de celle-ci —chose dont la jeune femme s'était assurée— et finirait la nuit chez elle. Willow s'était quant à elle rendue au cinéma en compagnie de Tara, mais les deux jeunes femmes n'étaient toujours pas rentrées, ce qui semblait être bon signe, pensa la Tueuse avec un petit sourire. Trois semaines s'étaient écoulées depuis le mariage d'Alex et Anya, et les deux sorcières s'étaient depuis considérablement rapprochées. Quant aux deux tourtereaux, ils s'étaient envolés il y a deux jours pour leur lune de miel, et ne seraient pas de retour avant deux semaines.

Elle se dirigea vers le miroir, effaçant la buée qui l'avait recouverte avec un chiffon qui était disposé sur le côté du lavabo, et contempla quelques secondes son reflet. Elle se trouvait meilleure mine qu'à une certaine époque… Abaissant légèrement son regard, elle arrêta finalement celui-ci sur une marque de morsure qui se trouvait dans son cou. Vestige d'une autre de ses nuits passées avec Spike. L'une des dernières en date. Elle leva une main en direction de celle-ci, la toucha du bout des doigts, et poussa un léger soupir. Ils se laissaient parfois aller bien plus qu'elle ne le voulait en temps normal. À un point qui la terrifiait parfois, pensa t-elle avec un léger frisson.

Mais coucher avec lui, lui faisait perdre tout sens des réalités. Et c'était cette sensation qu'elle recherchait. Elle aimait être avec lui, faire l'amour avec lui, parce que c'étaient les seuls instants où elle s'octroyait le droit de rester elle-même ; de montrer ce qu'elle était, qui elle était, et de ne plus se préoccuper de sauver les apparences. Elle voulait juste… être. Il acceptait le pire d'elle, ne mettait aucune limite, et contribuait à la rapprocher le plus possible des sensations qu'elle ressentait lorsqu'elle se trouvait au Paradis, et c'était à cet instant tout ce qui comptait pour elle : sentir et ressentir. Mais plus le temps passait, plus ses limites étaient franchies.

Combien de temps cela faisait-il qu'ils couchaient ensemble ? Six mois ? Peut-être même plus… Après tout, quelle importance. Il y a longtemps qu'elle aurait dû tout stopper. Mais elle n'y parvenait pas. Il était une dépendance, et elle comprenait aujourd'hui pleinement ses paroles lorsqu'il lui avait dit au début de leur relation —ou plutôt très plaisante aventure, se reprit-elle mentalement— qu'elle aurait besoin de lui, comme il avait besoin de sang. Elle n'aurait jamais voulu l'admettre devant lui, mais elle avait réalisé par la suite combien il disait vrai. Il était dans son sang. Il était devenu sa drogue, sa dépendance. Willow avait été bien plus courageuse qu'elle à l'égard de la magie… Mais rien ne se passait normalement avec Spike. Ce n'était que physique, ça ne devrait être que physique.

Mais finalement, est-ce que ça l'était ? La jeune femme n'était même pas sûre d'avoir une réponse à cette question…

Elle marcha jusqu'à sa chambre et retira son peignoir pour enfiler une nuisette qu'elle s'était récemment achetée. Elle constata avec surprise qu'elle lui seyait à merveille. A l'époque de son achat, ce même vêtement lui allait un peu trop large, mais il épousait aujourd'hui parfaitement ses formes. Elle mangeait mieux depuis quelques semaines et les effets s'en ressentaient sûrement, pensa t-elle.

Attrapant le panier contenant des vêtements fraîchement sortis du sèche-linge, elle partit en direction de son placard pour ranger le tout. Alors qu'elle s'attelait à plier un tee-shirt pour l'entreposer sur une étagère, elle sentit soudain deux mains entourer sa taille et, sous le coup de la surprise, laissa tomber au sol ce qu'elle tenait. Elle tourna vivement le regard en direction de la personne qui se trouvait derrière elle. Elle n'avait même pas été consciente de son approche, certainement trop accaparée par ses pensées. Le vampire décoloré la serrait possessivement contre lui et avait doucement déposé son menton par-dessus son épaule. Buffy, en tournant la tête, retrouva son visage face au sien.

« Spike… » souffla t-elle. « Qu'est-ce que tu fais ici ? »

Il plongea un regard tendre dans le sien et lui répondit d'une voix suave après avoir déposé un rapide baiser sur ses lèvres.

« Eh bien, je suis venu te voir, amour… Ça me semble évident. »

D'humeur lascive, il déposa une traînée de légers baisers le long du cou de la jeune femme, faisant lentement durer le supplice, remontant jusqu'à l'arrière de son oreille. Buffy ferma légèrement les yeux, tout en appuyant son dos contre son torse.

« Oui… Évident… » sortit doucement Buffy au milieu de sa transe.

« Tu sens particulièrement bon, amour, » murmura Spike en poursuivant ses inquisitions.

Elle passa une main contre sa nuque, pressant un peu plus ses lèvres contre son cou. Elle finit par tourner son corps vers lui.

« Tu m'as dit hier que Dawn ne serait pas là ce soir… »

Buffy eut l'air légèrement confuse un instant, puis se reprit. À quoi avait-elle pensé en lui disant ça ?! Sa venue n'avait rien de surprenante.

« Oui, elle… elle est allée dormir chez une copine de classe. »

Spike fit descendre un regard lascif le long de son corps. « Et je me suis dit… »

Buffy replongea son regard dans le sien. « Hum… ? Tu t'es dit… ? »

« Comme tu n'es pas passée ce soir, je me suis dis qu'on profiterait de l'occasion pour… se voir ici. C'est tellement rare qu'on puisse se voir chez toi, et… je trouve ton lit plus douillet, » finit-il en passant une main le long de ses cheveux, le regard taquin.

« Ton lit n'est pas si mal ! » déclara t-elle en haussant une épaule.

« Tu crois qu'on l'a suffisamment testé ? » demanda t-il taquin.

« Suffisamment pour que je puisse affirmer qu'il est mieux que le sol de ta crypte… » poursuivit Buffy en entrant dans son jeu.

« Alors il faudra peut-être qu'on effectue une meilleure comparaison la prochaine fois, » déclara Spike en la regardant avec désir.

« Quelle prochaine fois ? »

« Celle qui suit toujours les 'dernières fois'… »

Buffy échangea un regard troublé avec lui, mais poursuivit en fronçant légèrement les sourcils.

« Et qui te dit que cette fois là n'était pas la dernière ? »

Spike accusa le coup un instant, puis, pour seule réponse, embrassa doucement son front, avant de passer une main caressante dans ses cheveux. La Tueuse resta surprise quelques secondes, et quand elle finit par parler à nouveau, sa voix lui apparut comme rauque et confuse.

« J'ai… euh… un… un mal de tête assez carabiné. Je n'ai même pas fait de patrouille ce soir. »

« J'ai tué deux vampires en venant… » déclara Spike. « Un mal de tête ? » finit-il d'une voix interrogative.

« Les aléas du boulot… » dit-elle d'une voix ennuyée.

Spike secoua la tête négativement.

« Tu mérites tellement mieux que ça, » ne put-il s'empêcher de dire.

« Je n'ai pas le choix, » répondit Buffy avec amertume.

Sachant que tenter d'en discuter ne servirait à rien —suite à ses précédentes tentatives— Spike n'insista pas.

« Tu n'as rien trouvé pour soigner ce mal de tête ? » reprit-il d'une voix un peu plus tendre.

« Si, mais l'aspirine et la moitié de mon armoire à pharmacie n'ont pas vraiment fait effet… Donc, je pense que dormir m'ira parfaitement pour cette nuit. »

Elle commença à le repousser, d'humeur taquine, retirant les mains qu'il avait déposées sur sa taille, pour le faire reculer en direction de la porte de sa chambre.

« Quoi ? » demanda Spike avec incrédulité, alors qu'elle le poussait gentiment, l'obligeant à marcher à reculons. « Tu vas me mettre dehors… ?! »

« Je crois que c'est l'idée, » déclara Buffy déterminée.

« Tu plaisantes ? » sortit-il médusé. « Pour une fois qu'il n'y a pas ta sœur. »

Buffy le regarda sérieusement, mais, malgré tous ses efforts pour le retenir, ne put s'empêcher de laisser se former un fantôme de sourire sur ses lèvres. Spike lui adressait une moue boudeuse.

« J'ai pas l'air sérieuse ? »

« Comme ça, je dirais que non, » répondit Spike en penchant légèrement la tête sur le côté.

« T'as l'air bien sûr de toi, » rétorqua Buffy en haussant un sourcil.

Ils s'étaient à présent arrêtés dans l'encadrement de la porte de la chambre de la jeune femme. Buffy avait cessé de le pousser en arrière, et Spike en profita pour enlacer ses mains dans les siennes, entrelaçant leurs doigts. Buffy tenta un mouvement pour les détacher, mais laissa finalement son peu de conviction l'emporter.

« Tu sais ce qu'on dit à propos des maux de tête ? »

Buffy fut surprise par le soudain changement de sujet et répondit avec confusion.

« Quoi ? Euh, non… ? »

« Il existe un excellent remède pour les contrer. »

« C'est à dire ? » demanda t-elle en ne comprenant toujours pas où il voulait en venir.

« Le sexe. »

La jeune femme laissa passer un court silence. « Le sexe ? » débita t-elle consternée.

Un article que Buffy avait eu l'occasion de lire dans un magazine lorsqu'elle se trouvait dans la salle d'attente de son médecin vint se rappeler à sa mémoire. Il affirmait très justement ce que le vampire décoloré venait de lui dire, à savoir que le sexe avait un effet apaisant, voire même destructeur pour les migraines. Ce qu'il pouvait être agaçant, finit-elle par penser. Il était cependant hors de question pour elle de le laisser l'entraîner sur cette voie. C'était trop facile.

« Tu serais prêt à n'importe quoi… ! » s'exclama t-elle.

« Pour te faire l'amour ? Oui, » poursuivit-il sincère.

Buffy eut un léger sourire, surprise par sa franchise.

« Mais je peux te promettre que ce que je te dis est vrai, t'as qu'à vérifier si ça te chante. »

« Oh, mais je n'en doute pas, » dit-elle en haussant un sourcil. « Et c'est marrant, tu te… dévouerais pour m'aider ? »

Le vampire prit un air innocent et lui répondit avec tout le sérieux du monde. « Tu me connais, l'altruisme, c'est mon crédo. »

Cette fois, Buffy laissa échapper un franc éclat de rire, puis poursuivit sur un ton séducteur à travers ses cils baissés.

« Ça marche vraiment ? »

« Ce serait l'occasion de le découvrir… » déclara Spike avec un sourire en coin.

« Une forme de…test ? »

« Un test relativement plaisant… » répondit-il en haussant un sourcil séducteur.

Buffy approuva et poursuivit d'une voix taquine.

« Et si je refuse ? »

« Là tu vois, j'en doute. »

« Pourquoi ça ? » demanda t-elle en le fixant.

« Parce que premièrement, tu en as tout autant envie que moi, et ça, tu sais très bien que tu ne peux pas me le cacher… » commença t-il suggestif. Les sens surdéveloppés de vampire avaient leurs avantages.

Il lâcha ses mains qu'il tenait dans les siennes, l'attrapa par la taille et la ramena à nouveau contre lui. « Et admets que c'est une proposition plus… attrayante et alléchante que d'avaler des comprimés, ou même que de dormir. »

Buffy eut un petit sourire en réaction, mais se garda de lui répondre quoique ce soit, même si l'expression de son visage suffisait à traduire ses pensées. La dévisageant toujours d'un regard lascif, il poursuivit.

« Deuxièmement, j'ai l'intention de bien m'occuper de toi, amour. »

Croisant le regard amusé de la jeune femme, il pencha son visage vers le sien. Il effleura quelques secondes ses lèvres avec les siennes, et se contenta finalement de les remonter pour déposer un léger baiser sur chacune de ses paupières, descendit ensuite vers ses joues, puis son menton, laissant traîner ses lèvres sensuellement. Buffy ferma les yeux, profitant des douces sensations qu'il lui procurait. Pendant qu'il attardait le contact de sa bouche contre sa peau déjà brûlante, elle finit par rebondir d'une voix taquine.

« Et il n'y a pas de troisièmement ? Parce que je ne suis toujours pas sûre de… oh ! » finit-elle dans une exclamation, interrompant sa phrase.

Il avait descendu sa main, atteignant un point particulièrement sensible, et les effets ne se firent pas attendre.

« J'ai ma petite idée… » sortit enfin Spike d'une voix suave.

Un voile de plaisir tomba devant son regard et elle ferma à nouveau les yeux, sous le regard brûlant de Spike. La jeune femme pencha légèrement la tête en arrière. Profitant de l'opportunité, le vampire se pencha sur elle pour embrasser sa gorge. Plaçant à nouveau son visage face au sien, Spike déclara ensuite avec un petit sourire satisfait :

« Et il y a tes maux de tête, que je suis bien décidée à t'aider à faire partir. »

Il plaça ensuite une main contre sa joue et ramena rapidement ses lèvres contre les siennes pour l'embrasser fougueusement, plaquant leurs corps enlacés dans une profonde étreinte contre le mur qui faisait dos à la jeune femme. Toutes convictions envolées, Buffy ne voyait plus aucune pensée cohérente lui traverser l'esprit. Après de longues secondes d'un baiser passionné dans lequel ils s'étaient l'un comme l'autre laissés totalement aspirés, la Tueuse reprit la parole dans un murmure appréciateur.

« Ça fait quatre excellentes raisons. »

Elle poussa un gémissement lorsque Spike descendit ses lèvres vers sa poitrine.

Ils demeuraient incapables de garder leurs mains loin du corps de l'autre, effectuant de sensuelles caresses qui entraînaient chez eux de profonds soupirs. Ils profitèrent un long moment du simple contact de la peau de l'autre, parcourant le visage et le cou de l'autre de baisers. Le vampire remarqua que les marques qu'il avait laissées au creux de son cou l'une des dernières fois qu'ils avaient couché ensemble étaient toujours présentes. Il se contenta de les effleurer doucement de ses lèvres.

Ressentant le besoin pressant d'un contact plus étroit, Spike la souleva finalement en l'attrapant par les fesses, et la jeune femme enroula ses jambes autour de lui. Il serra étroitement son corps contre le sien, s'emparant à nouveau de ses lèvres dans un baiser sensuel, et Buffy enroula ses bras autour du cou du vampire, approfondissant leur étreinte. Il la porta jusque dans sa chambre, fermant d'un habile coup de pied la porte des lieux, et les amena jusqu'au lit de la jeune femme, sur lequel ils s'écroulèrent sans quitter les lèvres de l'autre.

Buffy ignorait à quel moment il l'avait fait, mais Spike avait désormais quitté son manteau de cuir, qui le collait habituellement comme une seconde peau. Elle déboutonna un à un les boutons de sa chemise, sans jamais quitter l'intensité de son regard. Buffy allongée au-dessous de lui, le vampire prit un temps pour la contempler. Étendue sur le lit, ses cheveux encore légèrement trempés suite à la douche qu'elle avait prise, la respiration haletante, et le regard assombri par le désir, il la trouvait sublime, ce qui stimula de manière encore plus vivace le désir qu'il éprouvait pour elle.

La jeune femme semblait elle aussi contemplative, profitant de la vue plus qu'agréable qu'il lui exposait, et elle l'attira à nouveau contre elle avec ferveur. Il souleva légèrement la nuisette qu'elle portait, dévoilant au passage sa culotte, et déposa de doux baisers au creux de son ventre.

« Je suis à toi… »

À une époque, Buffy se serait insurgée contre cette idée d'appartenance —que ce soit dans un sens comme dans l'autre. Mais plus le temps passait, plus elle réalisait combien ce genre de propos —que Spike affectionnait particulièrement durant leurs étreintes— avaient un fond de vérité. Ils commençaient à s'appartenir, mutuellement.

Elle voulait maintenir ses barrières, ses limites. Mais lorsqu'il lui faisait l'amour, tout cela n'avait plus réellement d'importance. Ce n'étaient que des mots, et en cela, elle pouvait toujours les mettre à distance.

Il retira sa chemise d'un geste rapide, la jetant au sol, et remonta à nouveau vers elle pour s'emparer fougueusement de ses lèvres, laissant traîner ses mains le long de son corps.

Buffy aurait pu penser que ce n'était pas prudent, que Willow risquait de débarquer bientôt et se rappeler que Dawn avait dit qu'elle reviendrait tôt le lendemain matin. Elle aurait pu. Mais "réfléchir" n'était à cet instant précis plus dans ses cordes. Quand elle était avec Spike, quand ils faisaient l'amour, plus aucune pensée cohérente n'avait droit de passage. À ce moment là, elle se laissait vivre et ressentir, à son contact. Malgré toute la force qu'elle déployait, elle ne parvenait pas à se limiter au physique. Cette idée la terrifiait, mais leurs rapports allaient désormais souvent bien au-delà… Il leur arrivait d'avoir des moments de complicité, que ce soit lors de leurs petits jeux sexuels, ou même en dehors. Des moments… qu'elle cherchait ensuite à occulter. Elle le laissait prendre possession d'elle, entièrement. C'était pourtant tout ce dont elle avait besoin. S'abandonner. S'abandonner et ne plus réfléchir. S'abandonner et le voir éveiller chez elle ce feu et cette passion qui lui rappelaient qu'elle était toujours vivante…

Mais ce qu'elle avait toujours voulu voir comme une erreur, puis un moyen de fuir le monde –quelque chose d'utile- puis comme une plaisante distraction, prenait des proportions qu'elle commençait à peine à mesurer. Plus le temps passait, plus ses limites étaient repoussées. Et les choses prenaient un tournant que sa raison lui criait de fuir. Elle se laissait ressentir de plus en plus de choses, et pas que physiquement.

Et quand elle y pensait, elle était terrifiée.

TTTTTTTTTTTTTTTTTTT

TTTTTTTTTTTTTT

TTTTTT

Spike était étendu de tout son long au-dessus de Buffy, plongé dans un état de léthargie. Il avait niché son visage dans le creux de son cou. Tous les deux tremblants et encore sous l'effet de l'orgasme qui venaient de les frapper à l'instant, pour la énième fois de la nuit. Il se déplaça légèrement sur le côté, entraînant Buffy avec lui, afin de pouvoir la laisser respirer. Mais ils ne séparèrent pas leurs corps enlacés. Le vampire blond embrassait à présent le recoin de ses lèvres, et laissait traîner sa bouche le long de la joue de la jeune femme. Il descendit vers la base de son cou, pour mordiller gentiment sa peau légèrement transpirante.

« Alors ce mal de tête ? » demanda t-il entre deux baisers.

« Parti, », déclara t-elle essoufflée. « Enfin, je crois… Je ne sens plus grand-chose à vrai dire… C'est où la tête déjà ? »

Ils pouffèrent légèrement de rire.

« Je dois admettre que… tu es un remède très efficace, » dit-elle à demi-mots.

Buffy le sentit sourire contre sa peau.

« Je t'avais dit que ça pouvait marcher… » répondit-il.

Buffy esquissa un léger sourire, et n'ajouta rien. Spike posa son front contre le sien pendant un instant. Ces moments intimes et tendres se faisaient de plus en plus réguliers depuis quelques semaines, et loin de s'en plaindre, le vampire profitait de la voir s'ouvrir à lui à chaque fois un peu plus.

Il se remémora ces moments de complicité qu'ils avaient partagés peu après son retour d'entre les morts, ces moments où elle s'était ouverte à lui, où il avait été présent pour elle. Les moments comme ceux-ci, ils les avaient perdus à partir du moment où ils avaient commencé à coucher ensemble. Elle ne voulait pas lui céder plus de terrain que ce qu'elle ne lui donnait déjà. Au détriment de leurs longues conversations, ils avaient désormais le sexe.

Mais ce n'était pas ce qu'il voulait. Pas complètement. Il aurait voulu avoir les deux ; le sexe avait beau être plus que fantastique, il voulait qu'elle lui donne plus de son être. Il aimait Buffy, mais la voulait entière —corps et âme. Et malgré les moments qu'ils avaient partagés à une époque, il n'avait commencé à avoir que le corps à partir du moment où ils avaient entamé leur relation. Elle s'était coupée de lui, comme elle s'était coupée des autres, préférant se limiter à la partie physique, cherchant à chaque fois à lui faire un peu plus mal, peut-être pour mieux l'éloigner. Elle s'attendait peut-être à ce qu'il la déteste ? Les choses auraient été tellement plus simples s'il n'avait pas été amoureux d'elle.

Toute cette situation était compliquée. Mais pour elle, il l'avait acceptée. Elle était sa faiblesse, et il se maudissait parfois. Même lors de leurs ébats, ils connaissaient des moments complices. Des regards, des étreintes, des gestes, des mots… qu'elle s'empressait d'occulter une fois qu'elle quittait les lieux.

Quelques secondes étaient passées quand Spike s'entendit intervenir, alors qu'il ne l'avait pas anticipé.

« Tu peux me dire où on va ? »

Il paraissait contemplatif.

« Où on va ? » reprit Buffy avec une lueur d'incompréhension dans le regard.

« Je parle de toi et de moi… »

Il avait sciemment évité de prononcer le mot "nous", sachant pertinemment qu'elle le reprendrait lorsqu'il le ferait. Elle le faisait toujours. Quelques secondes passèrent avant qu'elle ne lui réponde d'une voix légèrement brisée.

« J'en sais rien… On ne peut pas se contenter d'être… ici et maintenant ? »

« Ça ne pourra pas être éternellement le cas. »

Buffy savait pertinemment qu'il avait raison. Cela faisait des mois qu'elle se le répétait en réalité. Mais les mots, bien que présents dans son esprit, refusaient de pénétrer sa raison.

« Mais pour le moment, ça me suffit. »

Spike plongea plus intensément son regard bleu dans le sien.

« Je t'aime. »

Buffy détourna légèrement les yeux mais le vampire renchérit.

« Non, regarde-moi, mon cœur. »

D'abord hésitante, Buffy finit par le faire, et Spike poursuivit.

« Je suis amoureux de toi, et tu le sais très bien. Les choses pourraient être plus simples si tu l'acceptais… et si tu acceptais de te laisser ressentir… quoique tu ressentes. »

« Je ne peux pas, » sortit Buffy d'une voix brisée.

« Pourquoi ? » demanda le vampire, consterné.

Après hésitation, elle finit par lui répondre. « Parce que je ne serais pas moi, je ne serais plus… Buffy… Tu sais, celle que tout le monde connaît. Je ne me reconnais déjà pas… »

Une boule se forma au fond de sa gorge. Elle se maudissait d'être aussi à fleur de peau. Sans qu'elle n'en soit consciente, des larmes apparurent soudain aux coins de ses yeux, mais elle les retint fermement.

« En quoi cela ferait de toi une femme différente ? Buffy, tu as changé. Tout le monde change. On évolue tous, à commencer par tous tes copains. Pourquoi toi, tu n'en n'aurais pas le droit ? »

« Parce que je suis la Tueuse. J'ai des responsabilités, un rôle à tenir, une certaine… "image" à respecter, et je ne peux pas… être avec toi. Je veux dire… être vraiment avec toi. Parce que ça ne me ressemble pas. Parce que ce n'est pas moi, ce n'est pas ce que je suis. »

« Tu n'es pas plus toi-même que lorsque tu es avec moi. Et tu ne peux pas me dire le contraire, parce que tu sais pertinemment que ce que je te dis est vrai… » affirma t-il.

« Ce qu'on fait, c'est mal, » répondit Buffy en changeant de sujet.

« En quoi ça l'est ? »

« Tu n'as pas d'âme, pas de conscience, tu n'as pas l'air de réaliser ce que ça signifie. »

« Je sais que… que je ne suis qu'un vampire, qu'il y a encore des choses qui m'échappent au sujet des règles qui régissent le monde des humains, mais pour toi, je pourrais essayer de m'en approcher le plus possible. Je veux juste que tu me laisses une chance de te le prouver. Te prouver que… ça pourrait marcher… que je pourrais être la personne que tu mérites d'avoir. »

« Je ne peux pas, » dit Buffy en secouant légèrement la tête.

« Ton rôle de Tueuse n'est pas là pour t'empêcher de vivre et ressentir. »

« Quand cela implique les sentiments, dans certains cas, si. »

« Et en quoi vivre et ressentir avec moi serait un mal ? On le fait déjà depuis des mois… »

« Je te l'ai dit. Je ne peux pas t'aimer… Ce qu'on fait, c'est juste… ça m'aide à oublier. »

« Tu te servirais de moi donc ? »

Buffy baissa légèrement la tête, honteuse.

« Foutaises… il n'y a pas que ça… »

« Il n'y a que ça. »

« J'en crois pas un mot… »

« Pourtant, c'est le cas… »

Même à ses propres oreilles, sa voix lui semblait sonner faux. Quelque chose clochait, sans même qu'elle ne parvienne à déterminer quoi.

« C'est seulement ce que tu veux bien admettre, mon cœur. Je sais combien un retour d'entre les morts peut être perturbant… Et je t'aide peut-être à oublier les malheurs de ta vie, mais il n'y a pas que ça, je le sais et je le sens. Toutes ces choses qu'on… fait… ou qu'on se dit quand on… » il s'interrompit, avant de reprendre de plus belle. « Dis-moi que tu le ne crois pas. »

Buffy entrouvrit légèrement la bouche, mais sembla incapable de laisser sortir un quelconque son cohérent pour lui répondre.

« Ce n'est pas ce qui… ce n'est pas ça le plus important, » finit-elle par dire.

« Mon absence de conscience et d'humanité… ? Mon âme n'est peut-être pas là. Pas complètement. Mais une partie de moi… une partie de moi me permet de t'aimer. Je ne sais pas pourquoi. Je ne suis même pas capable de me l'expliquer. Mais c'est une partie de moi qui m'a profondément changé. Une partie de moi que j'ai essayé de repousser, mais… je ne peux pas le faire. Pas quand tu es là, pas quand mes sentiments pour toi sont aussi… forts. »

Il baissa légèrement la tête, et se détacha du corps de Buffy pour se remettre sur le dos, fixant le plafond de la chambre. L'un et l'autre recouverts par la couette de la jeune femme, ils restèrent quelques secondes sans bouger. Mais ce qu'il venait de dire avait intrigué la jeune femme. Buffy finit par se relever sur un coude, et sembla chercher dans ses yeux où il voulait en venir. Le vampire tourna à nouveau son regard vers elle et poursuivit.

« Tu sais, toutes ces années passées avec Drusilla… Les combats, les massacres, le sang… Quand on est un vampire, on y prend vite goût. Mais aujourd'hui… Plus les mois passent, plus je passe de temps avec toi, et plus… cette partie de moi me permet d'aller vers vous… vers toi. C'est le fait d'être amoureux de toi qui me rapproche le plus de l'humanité et je… je ne comprends pas ce que je pourrais faire… d'autre, pour que tu le comprennes enfin. Je n'ai pas choisi ce que je suis, » finit-il dans un soupir.

Il laissa passer quelques secondes.

« Mes sentiments… pour toi… m'ont transformé, et même si je le voulais –et crois-moi, j'ai essayé- ils ne pourront jamais changer. Je sais que ce n'est pas… bien, ou normal, ce que j'éprouve pour toi. Je le sais pertinemment. Mais je suis resté plus d'un siècle avec Drusilla, et elle ne m'a jamais fait ressentir avec autant de force ce que je ressens pour toi… »

Buffy baissa légèrement la tête, à la fois surprise et déstabilisée, avant de porter à nouveau ses yeux sur lui.

« Et si je pouvais tuer ce sentiment, faire en sorte qu'il disparaisse, tout irait peut-être mieux, pour toi comme pour moi. Tout serait plus simple. Les choses reprendraient leur cours. Tueuse, vampire, combat jusqu'à ce que mort s'en suive… Tout redeviendrait normal. C'est sûrement ce que tu voudrais ? » finit-il convaincu.

Buffy baissa le regard. Des émotions contradictoires déferlèrent sur elle et elle sembla incapable de lui répondre. Elle était sûre d'une chose : elle ne voulait pas qu'il cesse de l'aimer. Il n'avait pas le droit de l'abandonner. Jamais. Elle avait besoin de lui, de sa présence. C'était physique. Sentimental, même.

Sentimental ?

Bien qu'elle ne prononce aucun mot, Spike voyait clairement que les choses avaient l'air de se bousculer dans son esprit et elle réagit de la seule manière dont elle était capable.

« Je… Je crois qu'il vaudrait mieux que tu partes, » dit-elle déroutée. « Le soleil va bientôt se lever et tu n'as pas ta couverture, et… et Dawn ne va pas tarder à rentrer pour récupérer ses affaires pour l'école, » finit-elle bégayante.

Spike la contempla un moment, en silence. Il poussa un soupir de déception, puis se leva du lit en récupérant ses vêtements étendus au sol. Il les enfila un à un, tandis que la Tueuse restait résolument plongée dans son mutisme, le regard fuyant. Il finit par ajouter doucement tout en bouclant sa ceinture :

« Je n'attends rien de toi, amour. Je t'aime pour ce que tu es, et que tu veuilles ou pas être avec moi ne changera rien à ça. Mais c'est à toi de faire un choix, parce que moi, je sais ce que je veux. Et cette conversation, il faudra bien qu'on l'ait un jour ou l'autre. Tu peux te voiler la face autant que tu le souhaites, mais ça ne pourra pas marcher éternellement… Il va falloir que tu apprennes -ou réapprennes- à te laisser vivre. »

Il venait de finir d'enfiler son manteau de cuir.

« Mais réfléchis bien, mon amour, où est la vraie Buffy ? Est-ce que c'est celle qui emballe des hamburgers dans ce fast-food miteux et s'amuse à offrir des sourires de façade à ses amis qui ne comprennent même pas ce qu'elle traverse ? Ou est-ce que c'est celle que je vois à chaque fois que tu es avec moi ? C'est à toi de voir laquelle tu préfères être à présent. Celle qui vit dans les faux-semblants et le mensonge, ou celle qui se montre telle qu'elle est ? Je suis sûr que tu trouverais ta place dans mon monde… »

Il la contempla quelques secondes en silence, avant de revenir finalement près du lit, à la grande surprise de la jeune femme. Il se saisit de son menton pour ramener son visage face au sien et déposa un rapide dernier baiser sur ses lèvres. Buffy ferma les yeux, et lorsqu'elle les rouvrit, Spike avait quitté la chambre.

Soudainement accablée par une avalanche d'émotions et pensées inmaîtrisables, assise au milieu de son lit, elle fut parcourue de sanglots et s'effondra en pleurs.

.

À SUIVRE...