Bonjour à toutes et à tous !
Merci à Cassye pour son commentaire, et merci à la communauté silencieuse.
J'attaque le gros final d'un point de vue écriture. C'est fou de se dire que, ça y est, on touche la conclusion du bout des doigts.
Ce chapitre est le dernier de l'Acte 2. J'ai vraiment hâte de vous emmener avec moi au cours de cette dernière partie, je pense que c'est celle dont je suis la plus fière à ce jour. Petit bonus plus bas pour fêter ça !
Réponses aux reviews :
Cassye : Merci infiniment pour ce retour très élogieux ! Les scènes d'action sont toujours complexes, mais je trouve qu'elles apportent une bonne "conclusion" à la fin d'un Acte ! Sache en tout cas que dans les vraies parties de D&D, la destruction de décors est une option complètement valide ! En ce qui concerne Isobel, les seules fois où je l'ai vu dans la colonie illithide avec son père, c'est si nous la tuons en tant que Dark Urge. Il me semble que Ketheric la ranime en une sorte de zombie, mais il existe peut-être une version des faits que j'ignore ! Merci encore à toi, en espérant que la suite te plaira !
Recommandation musicale : Baldur's Gate 3 Original Soundtrack - The Road to Baldur's Gate de Borislav Slavov.
Chapitre 32 :
Derrière les nuages
Leur bûcher funéraire n'était guère impressionnant. Avec les décombres de la colonie illithide, les aventuriers avaient confectionné un lit de fortune. Les cendres de l'incendie commençaient déjà à s'y propager, alors qu'ils installaient la dépouille de Ketheric Thorm. Nymuë n'avait ni discours, ni mots d'adieu pour l'ancien général. Ces obsèques sommaires étaient les seules qu'ils étaient aptes à offrir, et puis, Thorm avait déjà eu une tombe après tout.
"S'il avait remporté le combat, le grand général ne se serait pas donné autant de mal avec nos cadavres, maugréa Astarion.
- En effet, confirma l'elfe noire. Il nous aurait ramenés à la vie pour que nous puissions le servir. Mais lors de ses derniers instants, il a lutté contre lui-même.
- Pour Isobel, précisa Ombrecoeur. Pas pour nous."
La musicienne observa la carcasse, déjà grise, de l'ancien maître des lieux. Après des siècles à fuir la mort, celle-ci s'emparait enfin de ce qui lui revenait de droit. Le corps de Ketheric était froid, et seule sa gemme violette dégageait encore un tant soit peu de chaleur. S'armant de son poignard, Nymuë s'attela à désincruster la pierre. C'était un drôle d'objet, aussi long qu'une main, mais très peu large. L'artefact était fait d'une matière inconnue de la jeune femme, bourdonnant d'une énergie à la fois éloignée… et familière. Sa magie reconnaissait ce qui pulsait du joyau ; seulement, son contenu était infiniment plus ancien… et plus puissant.
Le prisme astral émit un bruit sourd, dans le sac à dos d'Ombrecoeur. Alors que la prêtresse l'examinait, un portail similaire à celui invoqué par Vlaakith se matérialisa dans le dos des compagnons. Chacun d'eux saisit son arme, prêt à affronter le courroux de la reine githyanki… mais seul l'Empereur sortit du portique.
"Vous pouvez faire ça, maintenant ? s'enquit Nymuë. Quitter le prisme ?
- Un répit temporaire, dû à l'absence du cerveau vénérable, les informa le flagelleur. Maintenant qu'il est en route pour la ville, son influence en ces lieux est affaiblie."
Ses pupilles orange glissèrent vers la gemme. Pendant une seconde, elles brillèrent d'une lueur inquiétante. Lorsqu'ils avaient été confrontés à l'Absolue, l'elfe noire avait discerné de l'avidité chez l'illithid. Elle réalisait maintenant qu'il s'agissait en fait de fascination.
"Remarquable, chuchota-t-il. Vraiment. La situation commence enfin à s'éclaircir. L'Absolue n'est ni une déesse, ni un être humain. C'est un cerveau vénérable, retenu captif par les trois Élus… La couronne le contrôle, et ces pierres contrôlent la couronne. Voilà comment ils sont parvenus à le soumettre."
Nymuë contempla un moment le joyau pulsant entre ses mains. Cette chose - si minuscule ! - était un fragment permettant de dominer toute une conscience collective… Elle peinait à y croire. Quels ennemis monstrueux étaient les leurs, s'ils avaient réussi à se rendre maîtres d'une telle créature !
"D'où viennent ces pierres ? s'enquit Ombrecoeur.
- A en juger par leur aspect et leur aura, je dirais que la couronne a été forgée au Néthéril, répondit l'Empereur. Un ancien royaume dont la maîtrise de la magie rivalisait avec celle des dieux en personne.
- De mémoire, cela ne leur a pas bien servi, railla l'elfe noire.
- En effet. Cependant, certaines de leurs œuvres subsistent encore… Comme cette couronne, sertie de pierres infernales. La voilà, la véritable source des pouvoirs des parasites. C'est cette magie du Néthéril qui décuple leur potentiel."
"C'est aussi la raison pour laquelle personne n'est apte à nous soigner…" comprit Nymuë. Karsus, l'ancien maître du Néthéril, avait été un mage renommé à son époque. A un tel point qu'il avait fondé son propre royaume dans les cieux, aspirant plus que tout à s'élever parmi les dieux. Les légendes racontaient qu'il avait réussi, l'espace d'une seconde… mais que cette aspiration avait manqué annihiler la magie toute entière, en plus de lui coûter la vie. Quelles autres créations, Karsus avait-il pu réaliser ? Et que se passerait-il si elles tombaient entre de mauvaises mains, elles aussi ?
"Connaissez-vous nos ennemis ? demanda Astarion.
- Juste l'un d'eux, répondit le flagelleur. Le seigneur Enver Gortash, trafiquant d'armes et esclavagiste de son état. C'est un fervent disciple de Baine, le dieu de la Tyrannie. L'autre est un mystère pour moi. Mais à la façon dont elle s'exprime, je tablerais sur une disciple de Bhaal… le dieu du Meurtre.
- Et Ketheric, lui, était un disciple de Myrkul… réfléchit tout haut Ombrecoeur.
- L'Absolue est une couverture, acquiesça l'Empereur. Une façade, derrière laquelle se cachent les trois dieux de la mort : le tyran, l'assassin et le nécromancien. Dangereux lorsqu'ils opèrent séparément… Redoutables quand ils s'allient. Nos véritables adversaires ne sont autres que leurs Élus.
- Ils ne sont pas invulnérables, contra Lae'zel. Nous venons tout juste de le démontrer !
- Et vous n'avez pas d'autres alternatives que de poursuivre ce que vous avez commencé, approuva l'illithid. L'espoir est un luxe réservé à ceux qui ont le choix. Dans la bataille qui se profile, ce sont nos vies, et celles de tous les habitants de Faerun qui sont en jeu. L'armée de l'Absolue marche en ce moment même sur Baldur's Gate. Entre ses murs, ivre de puissance, un cerveau vénérable se prépare à infecter tous les malheureux se trouvant à sa portée. Il n'attend plus qu'une chose : qu'on lui en donne l'ordre. Nous devons prendre le contrôle du cerveau avant que cela ne se produise, et nous emparer de leurs pierres. Nos chances de succès sont bien minces, mais l'échec n'est pas envisageable. Autrement, ce sera la fin de tout. Je serai votre bouclier, et vous, vous serez mon bras armé."
A cet instant, Nymuë retint un rire. L'Empereur avait le sens du discours, elle lui devait bien ça… mais quelle sorte de bouclier serait-il, exactement, installé bien au chaud à l'intérieur du prisme astral ? A utiliser un pouvoir qui n'était pas le sien ? La musicienne se demandait ce que l'illithid gagnait, dans tout ça. Elle était prête à croire que sa conscience d'autrefois lui était revenue, que des bribes de la personne qu'il était demeuraient au fond de lui… Mais elle n'avait pas la naïveté de le penser altruiste. A l'origine, le cerveau vénérable servait le désir de conquête des flagelleurs mentaux, afin d'atteindre ce qu'ils appelaient "le Grand Dessein". Peut-être bien que ce flagelleur-ci, plus éveillé que les autres, trouvait séduisante l'idée de remplacer la conscience collective par la sienne.
Lorsque l'Empereur regagna l'artefact, la jeune femme jeta un nouveau regard sur la gemme infernale. De durs combats étaient encore à venir… et elle n'était pas sûre de connaître tous ses ennemis.
Une bonne partie des Tours de Hautelune s'était effondrée. Le hall d'entrée et la salle du trône avaient survécu, et étaient maintenant occupés par les vainqueurs. A l'aide de ses Ménestrels, Jaheira avait établi un campement de fortune afin de soigner les blessés, réquisitionnées les ressources, et traquer les cultistes restants.
"Que s'est-il passé, là-dessous ? les apostropha-t-elle dès leur retour à la surface. Une chose énorme est apparue dans le ciel… un cerveau, et s'est dirigé vers le Sud. Toute l'armée de Ketheric s'est mise à le suivre, certains fidèles abandonnant même le combat en cours. Nous avons éliminé toutes les âmes éveillées tenant l'entrée, mais le plus gros a quitté les lieux.
- Ils marchent en direction de Baldur's Gate." répondit Nymuë.
L'elfe noire et ses compagnons se reléguèrent pour informer la vétérante de ce qu'ils avaient découvert. Le cerveau vénérable, les Élus des trois dieux morts, les pierres infernales… Jaheira ne les interrompit à aucun moment. Elle ne parut ni amusée, ni incrédule à la suite de leur récit, les prenant au contraire très au sérieux.
"L'histoire se réécrit, déclara-t-elle, et nos ennemies se multiplient. Quand on en abat un, deux autres viennent prendre sa place !"
Surprenant le regard étonné de Nymuë, la Ménestrelle sourit :
"Dois-je vous rappeler la lutte contre Bhaal, ayant menacé de détruire Baldur's Gate il y a un siècle ? J'ai eu affaire aux trois dieux morts plus souvent qu'à mon tour, hélas. Et je ne vous parle même pas des flagelleurs mentaux. En revanche, je n'aurais jamais imaginé les voir un jour faire cause commune…"
Les aventuriers échangèrent une oeillade sombre. Si même Jaheira affichait des réserves… quelles étaient leurs chances, réellement ? Face aux divins et aux monstres, ils étaient bien peu de choses…
"Ne perdez pas espoir, reprit la vétérante face à leur mine sinistre. Vous avez tué un immortel, et ce faisant, vous avez privé l'armée de l'Absolue de son général. Vous avez une pierre infernale, et vous êtes sur la piste des deux autres. Ces élus ont tout lieu de vous craindre, et mes hommes et moi aimerions nous tenir à vos côtés le jour où vous les affronterez. Tenez."
La Ménestrelle leur tendit une pierre grise, recouverte de runes énigmatiques. Un souvenir traversa Nymuë comme un éclair ; un artefact du même type, brutalement rejeté par Revan alors qu'elle terminait d'emballer son sac à dos.
"C'est une pierre de communication." reconnut Ombrecoeur.
Les choses auraient pu être si différentes, s'il avait accepté, songea la musicienne. Aurait-elle appelé son mentor à son secours, après le crash du Nautiloïd ? Serait-il venu ? Le regard de la jeune femme se tourna vers ses compagnons, terminant par le haut-elfe aux cheveux blancs.
Les aurait-elle rencontrés, eux ? Au fond, c'était un mal pour un bien que Revan ne se soit pas lancé à sa recherche. Impétueux comme il l'était, les cultistes auraient fatalement fini par lui mettre la main dessus.
"Isobel et Dame Aylin en ont une également, les informa Jaheira, et j'ai pris la liberté d'envoyer un messager au Bosquet d'Emeraude. Vous et moi avons d'anciens alliés, là-bas. Et j'ai comme le pressentiment que vous en aurez besoin, lorsque viendra l'heure de frapper.
- Est-ce vraiment une bonne idée ? demanda l'elfe noire. Nous ignorons quelles sont les forces de nos ennemis, ou même l'étendue de leur armée. Peut-être nous battrons nous à un contre cent, à Baldur's Gate. Tous ces gens… nous ne pouvons pas être la source de leurs espoirs.
- Vraiment ? rit la Ménestrelle. Pourtant, ne les avez-vous pas sauvés, quand vous le pouviez ? Aucune bataille n'est jamais garantie. Ce qui est certain, en revanche, c'est l'inéluctabilité de votre défaite si vous baissez les bras maintenant. Mais ça n'a pas l'air d'être votre genre, n'est-ce pas ?
- Comment votre messager se rendra au Bosquet ? s'enquit Ombrecoeur. Les ombres…
- … disparaîtront bien assez tôt, compléta Jaheira. Maintenant que Ketheric n'est plus, la malédiction qui affectait ses terres a disparu avec lui. Il faudra des années pour que la nature reprenne ses droits, mais en temps et en heure, la vie reviendra à Hautelune. La Route du Renouveau devrait elle aussi être dégagée. Elle vous mènera tout droit à Baldur's Gate.
- Jaheira… murmura Nymuë. Merci."
L'espace d'une seconde, la vétérante eut presque l'air surprise. Mais le moment passa, alors qu'un groupe de Ménestrels entrait faire son rapport. Sur un dernier sourire, Jaheira leur désigna la salle du trône où l'ombre imposante de Dame Aylin avait tenu la plupart des guerriers à l'écart, puis se tourna vers ses hommes.
Les aventuriers rejoignirent l'Aasimar et la cléresse, occupées à se dévisager tendrement. Lorsqu'elle remarqua leur arrivée, la fille de Séluné les accueillit avec un plaisir sincère :
"Ah, vous voilà ! s'exclama-t-elle. Je vous attendais. Approchez ! Sentez ma voix faire vibrer toute votre ossature alors que je proclame notre victoire. Séluné, Vierge Lunaire, entends-moi : Ketheric Thorm, traître et apôtre de Myrkul, est enfin mort ! Ma compagne bien-aimée, ma très chère Isobel, est saine et sauve, et elle a retrouvé sa juste place dans mes bras.
- Aylin ! se scandalisa ladite bien-aimée.
- Bénis soient ceux ayant tué le malfaisant !
- Nous n'aurions jamais pu y arriver sans vous, répondit Nymuë en retenant un rire.
- Ensemble, nous sommes particulièrement redoutables, c'est vrai. Tout Faerun tremble en nous voyant approcher ! Mon Isobel chérie souhaite que nous demeurions vos alliées, et cela me fait plaisir de l'entendre. Nous nous établirons à l'auberge de l'Ultime Lueur, avec les troupes de Jaheira. Quand votre appel viendra, nous ferons partie des forces venant anéantir vos ennemis.
- Je me demandais… s'enquit Astarion. Comment une enfant divine telle que vous a pu terminer en plein cœur de la Gisombre ?
- Ketheric ne m'a jamais fait confiance, même quand il vénérait la Vierge Lunaire, déclara amèrement Dame Aylin. Dès le premier jour, il s'est senti menacé par l'amour réciproque qui nous unissait, Isobel et moi.
- Il y avait de quoi être sceptique, rétorqua le roublard. Après tout, vous êtes immortelle…"
Nymuë sentit ses yeux errer sur elle, mais son compagnon se détourna rapidement. "Où veut-il en venir ?" pensa-t-elle.
"Je conçois que cela puisse sembler étrange, intervint Isobel. Il existe un… déséquilibre, entre Aylin et moi. Mais l'aimer m'a semblé aussi naturel que m'aimer moi-même. La mort m'a déjà prise une fois, et je sais qu'un jour je vieillirai et la rencontrerai à nouveau. Mais en attendant… ne devrions-nous pas avoir le droit de juste vivre ?"
Le haut-elfe demeura silencieux, perdu dans ses réflexions. L'Aasimar serra la main de sa chère et tendre :
"Quand Isobel est morte, maudit soit le jour où cela s'est produit, je l'ai pleurée, et Ketheric aussi. Mais sa souffrance était telle que rien ne pouvait lui faire entendre raison. Il s'est tourné vers Shar, la maudite Dame de l'Égarement, dans l'espoir qu'elle l'aide à trouver la paix. Elle a commencé à murmurer à son oreille, empoisonnant peu à peu son esprit. Puis un jour, Ketheric et son ignoble conseiller, Balthazar, m'ont attirée dans la Gisombre en prétendant que quelqu'un avait besoin de mon aide. Là, ils m'ont enfermée dans leur cage infernale. Toutes sortes de Tribuns de la Nuit se sont alors succédé pour me tuer, encore et encore. Chaque fois, je revenais à la vie car telle est ma nature. Et Ketheric ne cessait de se nourrir de mon immortalité.
- Ce qui nous amène à une question non répondue…" murmura Isobel en désignant Ombrecoeur.
Depuis le début de la conversation, la prêtresse ne décrochait pas son regard de la fille de Séluné. Nymuë ignorait, de la peur ou de la détermination, ce qui dominait chez sa camarade. Mais il était temps pour elle d'obtenir des réponses.
"Que savez-vous à mon sujet ? demanda-t-elle abruptement. Vous avez évoqué mon passé, dans la Gisombre, la fois où j'ai été pourchassée par des loups. Et à part l'assistance présente, je n'en avais parlé à personne. Je suis certaine de ne jamais l'avoir dit à vous, en tout cas.
- Tout ce que je peux vous dire, vous le savez déjà, divulgua l'Aasimar. Vous avez été extrêmement bien formée, par des maîtres impitoyables qui ont fait disparaître tous les aspects de votre personnalité ne correspondant pas à leurs plans. Tout cela, ils vous ont forcée à l'oublier.
- C'est moi qui l'ai choisi, protesta Ombrecoeur. Pour la mission. Afin de protéger les sec…
- Les secrets de Shar, je sais. Il n'y a rien de nouveau. Votre déesse se préoccupe bien plus de ses précieux complots que de ses fidèles, même les plus dévoués. En me libérant, vous avez tranché le lien existant entre ce chien de Thorm et moi-même. Un lien de souffrance par lequel il m'infligeait mille tourments.
- Venez-en au fait, siffla la prêtresse.
- Lorsque j'ai posé les yeux sur vous, j'ai tout de suite senti qu'un lien similaire vous reliait à deux personnes se trouvant loin d'ici. Un lien qui a demeuré, mais qui s'est affaibli lors d'un rite d'initiation en l'honneur de Séluné, il y a plusieurs décennies.
- Un rite d'initiation ?" interrogea Nymuë.
Dame Aylin hocha la tête :
"Il est commun, pour les disciples de la Vierge Lunaire, de mettre à l'épreuve leurs enfants au cours d'une nuit dans les bois. Ils doivent retrouver le chemin de la maison par leurs propres moyens, en se fiant aux rayons de Lune guidant leurs pas. Mais lors de cette nuit, Ombrecoeur… les choses se sont mal passées. Une enfant n'a jamais réussi à rentrer chez elle. Elle s'est faite enlever.
- Ces deux personnes à qui je suis liée… souffla la demi-elfe. Qui sont-elles ?
- Vous le savez déjà. Vous avez oublié leur visage, mais ils sont un reflet du vôtre. Votre mère et votre père sont encore en vie.
- Non, ce n'est pas possible ! Je suis orpheline.
- Et qui vous l'a dit ? répliqua l'Aasimar. Votre famille adoptive ? Ce n'est pas votre faute. Vous étiez jeune et impressionnable. Ils vous ont enlevée, car ils voulaient vous briser et vous façonner comme ils le souhaitaient. Mais vous n'êtes plus une enfant. Vous êtes devenue une femme, et vous savez ce qu'il faut faire.
- Mes parents…"
La prêtresse se tourna vers ses compagnons, les yeux écarquillés :
"... Je dois absolument les sauver." chuchota-elle.
Nymuë acquiesça, tandis qu'Astarion et Lae'zel haussaient résolument les épaules :
"Je suppose que cela se rajoute à notre interminable liste, soupira le roublard.
- Éliminer un maître vampire, sauver Orphéys, libérer vos parents… maugréa la githyanki.
- Vous avez oublié les deux dieux morts et le cerveau vénérable, Lae'zel, glissa innocemment l'elfe noire.
- Tch'k. Une promenade de santé.
- Vos parents sont détenus par ceux qui vous ont enlevée, Ombrecoeur, poursuivit Dame Aylin. Vous allez devoir retourner à leur repaire, mais laissez-moi vous prévenir… Vous considériez peut-être autrefois ces individus comme des camarades, des amis, des mentors ou même des amants. Aujourd'hui, ils sont tous vos ennemis.
- Alors, je vais avoir besoin de tous les avantages possibles, déclara résolument la prêtresse. Merci.
- Je ne fais que rembourser mes dettes. Vous m'avez rendu ma vie, il est normal que je vous offre en retour la possibilité de récupérer la vôtre."
L'expression de la fille de Séluné s'assombrit soudain, ses yeux fixés sur la main blessée de la demi-elfe :
"Shar continuera de vous tourmenter. Elle n'est que haine et rancœur. Elle ne s'arrêtera pas tant que vous n'aurez pas décidé d'agir.
- Je suis habituée à la douleur, répliqua la prêtresse.
- Il ne s'agit pas juste d'un mal physique, enfant de Lune et de Ténèbres. Aussi longtemps que vous porterez cette marque, une part de vous appartiendra à Shar. Aucun autre royaume divin hormis le sien ne vous sera ouvert après votre mort. L'influence de votre blessure grandira avec les années. La souffrance, aussi. Beaucoup ont dépéri, ou sont devenus fous en luttant contre cette obscurité intérieure. Votre quête va bien au-delà de sauver vos parents : vous allez devoir vous sauver vous-mêmes. Laissez la Vierge Lunaire vous guider, comme elle a toujours souhaité le faire.
- Toute ma vie, on m'a abreuvée de mensonges, murmura Ombrecoeur. Et j'ai été assez crédule pour y croire."
Nymuë entendit une brusque inspiration, sur sa droite. Les mâchoires de Lae'zel étaient serrées, ses membres crispés. Malgré toutes leurs différences, la guerrière et la prêtresse avaient eu affaire à la même trahison…
"Je pense qu'une partie de moi l'a toujours su, reprit la demi-elfe. Une partie dont Shar ne voulait pas que je me souvienne. Qu'elle envoie son comité d'accueil : je serai prête."
La prêtresse pivota en direction de ses camarades, qui hochèrent la tête de concert :
"Nous serons prêts." confirma Nymuë.
Peu de temps après avoir fait leurs adieux, les compagnons reprirent la route. Les rayons timides du soleil illuminaient leur chemin, caressant une terre ayant été longtemps privée de cette étreinte. Déjà, la mort de Ketheric Thorm se faisait sentir : les ombres n'erraient plus autour des voyageurs, l'air se faisait moins pesant… La malédiction avait vraiment pris fin. Des oiseaux virevoltèrent au-dessus de leur tête, s'installant sur un arbre proche. Jaheira avait raison, songea Nymuë. Bien assez tôt, la vie reviendrait à Hautelune.
Ils marchèrent près de trois jours, ne s'arrêtant que pour se restaurer et dormir. L'armée de l'Absolue n'avait pas cherché à masquer ses traces, et la piste était facile à suivre. Le quatrième jour, en fin d'après-midi, ils atteignirent une vieille grange abandonnée. Son toit était à moitié effondré, et ses murs fragiles. Mais pour les aventuriers fatigués, elle faisait figure de bâtiment luxueux.
"C'est la toute première habitation que nous croisons depuis notre départ de Hautelune, nota Lae'zel. J'en déduis que Baldur's Gate n'est pas loin ?
- Moins d'un jour de marche, approuva Nymuë. J'ai beau y avoir vécu quinze ans, j'ai du mal à reconnaître les alentours de la ville…
- Nous passerons d'abord par Aigreterre, les informa Ombrecoeur. C'est là que se trouve l'accès principal menant à la Voie du Dracosire, siège des patriars, puis ensuite à la ville-basse."
La prêtresse contempla le feu pendant quelques secondes, perdue dans ses pensées :
"Je pense… que nous y serons attendus." murmura-t-elle.
Depuis leur départ, la demi-elfe n'avait pas évoqué ce qu'elle avait appris auprès de Dame Aylin. Trop occupés à parcourir les distances les séparant de Baldur's Gate, les compagnons n'avaient pas non plus abordé le sujet. Les soirs précédents, elle avait agi comme de coutume, bien que peut-être plus silencieuse. Et elle n'était pas la seule… Astarion, ainsi que Nymuë elle-même, s'étaient petit à petit renfermés alors qu'ils approchaient de la cité. La githyanki avait respecté ce mutisme, ayant elle-aussi son propre fardeau à porter. Rentrer à la maison n'avait jamais paru aussi effrayant…
"Des fidèles de Shar devraient guetter notre arrivée, reprit la prêtresse. Je pense que nous pouvons nous servir d'eux pour retrouver mes parents. Leur invitation sera un piège tendu par la mère supérieure, bien sûr, mais tant que nous jouons le jeu, ils ne nous attaqueront pas.
- Que devons-nous chercher ? s'enquit Nymuë.
- La ville-basse est le point de passage le plus évident. Si je voulais intercepter un nouvel arrivant, je me trouverais un emplacement juste après le pont, et j'attendrais en me mêlant à la foule.
- En parlant de réunion de famille…" maugréa Astarion.
L'elfe noire se tourna vers leur camarade, lui-aussi devenu un modèle de discrétion depuis la visite de Raphaël. La jeune femme n'avait pas eu l'occasion de connaître ses pensées au sujet du rite de l'Ascension… et elle soupçonnait que cette question était la cause de ses absences récentes.
"Avec Baldur's Gate se rapprochant, notre proximité avec Cazador augmente. Je crains que nous ne recevions une… visite, de la part de mes frères et sœurs. Cela nous permettrait de récolter des informations sur ce fameux rituel…
- Vous pensez que les autres rejetons savent comment l'arrêter ? s'enquit Ombrecoeur.
- Il y a de fortes chances qu'ils nous attaquent par surprise, éluda Astarion. Sûrement de nuit. A moins que Cazador n'ait changé leurs instructions, ils doivent majoritairement se trouver dans les bouges de la ville, à chercher de nouvelles proies. Je suggère de poursuivre les tours de garde, quand bien même nous atteignons le cœur de la cité."
Il leur offrit son sourire le plus angélique, sans rencontrer un franc succès, cependant. Les yeux gris de Nymuë le scrutaient d'un air insondable.
"Ce Gortash, et cette Orin, reprit Lae'zel. Ils sont établis à Baldur's Gate depuis des mois. Des années, peut-être même ; l'élu de Baine est censé être un politicien. Ils doivent avoir un réseau, des agents à chaque coin de rue… Et bien que je déteste ce genre de jeu perfide, force est de leur reconnaître la maîtrise du terrain.
- Lae'zel n'a pas tort, approuva Ombrecoeur. Nous risquons de nous faire arrêter - ou pire - dès que nous franchirons les portes de la ville.
- J'en doute, répondit l'elfe noire. Dans la colonie illithide, Gortash a prétendu être le "héros allant sauver Baldur's Gate". Le plan des dieux morts, quel qu'il soit, suppose une couverture, autrement ils ne se cacheraient pas derrière la façade de l'Absolue. Ce qui veut donc dire qu'ils ne nous attaqueront pas ouvertement.
- Et ils ont besoin de la pierre de Ketheric que nous transportons, ajouta Astarion.
- Tout juste. Ce dont nous avons besoin, c'est de notre propre réseau d'information, histoire d'être sur un plan d'égalité avec les deux Élus. Et il se trouve que j'ai des pistes…"
La musicienne s'interrompit, gigotant légèrement face à la pleine attention que lui donnaient ses camarades :
"Vous pensez à votre mentor ? demanda la prêtresse.
- Oh, oh, rit Astarion. Nous allons enfin en apprendre un plus sur les "activités illégales" que vous avez si innocemment mentionnées…
- Revan, soupira Nymuë, mon mentor, est membre de la Guilde depuis plus de vingt ans."
Un silence pesant accueillit ses paroles, rompu par un sifflement impressionné de la part du roublard :
"Et moi qui avait simplement imaginé un groupuscule de voleurs sans le sou… Vous ne cessez de me surprendre, darling.
- La Guilde ? interrogea Lae'zel.
- Un des principaux réseaux criminels de Baldur's Gate. Faux-titres, trafic de marchandises, mercenaires…
- Charlatans, marché noir, contrebande… chantonna Astarion.
- … Ils règnent depuis les égouts de la ville, en rivalité - ou, parfois même, en coopération - avec le Zentharim. Neuf-Doigts protège jalousement son business, et a toujours tenu à l'œil les nouvelles têtes. Si quelqu'un a une idée des activités de l'Absolue au sein de la cité, c'est elle.
- Neuf-Doigts ? hésita Ombrecoeur.
- Le leader actuel de la Guilde. Je ne l'ai jamais rencontrée en personne, mais Revan l'a en haute estime.
- Donc, vous viviez dans les égouts durant votre temps à Baldur's Gate ?
- Pas vraiment. Je n'ai jamais été membre à part entière de la Guilde, juste… "la gamine de Revan". Je rendais des services de temps à autre, provoquais des distractions lors des cambriolages, accompagnais mon mentor sur le terrain… Mais c'est tout. Cela m'a donné le droit à une chambre, un petit pécule, et l'accès direct aux souterrains de la Guilde afin d'éviter toute… rencontre non sollicitée à la surface. Mais je n'ai jamais accédé à leur quartier général.
- Revan était contre ? interrogea Astarion.
- Non, déclara fermement la musicienne. Je l'étais."
Les aventuriers n'insistèrent pas, contemplant plutôt l'horizon alors que le soleil terminait sa longue descente. Bientôt, une lumière apparut en contrebas. Puis une seconde, et une troisième encore.
"Qu'est-ce que c'est que ça ?" souffla Ombrecoeur.
Nymuë se leva. Se dirigeant vers le vieux moulin à demi-effondré, elle entreprit d'en escalader la paroi, ses compagnons sur ses talons. Elle se hissa à son sommet, jusqu'à une plateforme donnant vue sur la vallée.
"Incroyable…" chuchota Astarion dans son dos.
Il avait grimpé plus vite que leurs deux camarades, dont les cris de colère laissaient deviner une ascension quelque peu périlleuse. La main du roublard effleura la sienne tandis que, sous leurs yeux, scintillait Baldur's Gate.
"Nous y sommes, ajouta le roublard. La maison…"
Ses doigts frôlèrent la joue de Nymuë, déposant sur ses lèvres un baiser plus léger qu'une plume. La jeune femme sourit avant de répondre à son étreinte.
Ils étaient chez eux.
Notes de fin :
Fin de l'Acte 2 mes amis !
Merci à vous si vous m'avez lu jusqu'ici. Je pense sincèrement tenter d'imprimer cette histoire une fois qu'elle sera achevée et entièrement relue/corrigée. Avec mon conjoint, nous avons réalisé une couverture à l'occasion de ce jour glorieux, et c'est ça que je vous partage aujourd'hui ! Le lien est directement sur mon profil. L'image de base ne nous appartient pas, je l'ai acheté auprès d'un vendeur Etsy (RainyDayDesignCoUK) qui m'a gentiment autorisé à la réutiliser et à la modifier dans un cadre privé. Je précise bien entendu que tout ça est pour mon usage personnel et ne sera jamais commercialisé.
Sachez que les pierres de communication sont des vrais objets utilisables dans D&D. Dans une ancienne campagne, mes camarades et moi-même avons eu une situation similaire à BG3, où le grand final nous permettait de réunir tous nos alliés pour une immense bataille. Le moyen de joindre nos différents débiteurs étaient des pierres de communication, ce que je trouve infiniment plus pratique qu'un random pop de tout le monde dans le palais ducal.
Semaine prochaine, premier chapitre de l'Acte 3, vous n'imaginez même pas comme j'ai hâte. A bientôt !
