TW : Mentions de viols et violences.
« Monsieur Malfoy ? »
Il leva les yeux. Il n'avait pas entendu la porte s'ouvrir, plongé dans ses pensées. De toute évidence, Nguyen était étonné de le voir dans sa salle d'attente. Après une moue, il lui fit quand-même signe d'entrer dans son bureau, et ils s'assirent tous deux en silence.
« Que puis-je faire pour vous ?
– Vous devez déjà savoir que je pars demain.
– Bien sûr. Félicitations pour cette libération anticipée.
– Je voudrais faire une dernière séance de psychologie avec vous. »
L'infirmier haussa les sourcils en s'enfonçant dans son fauteuil. Il hésita quelques secondes, puis demanda d'un air intéressé :
« Vous avez l'impression que la pratique vous a aidé ?
– Pas vraiment. Mais je n'ai jamais abordé le fond du problème. C'est peut-être pour ça que ça n'a rien donné. Si vous n'êtes pas trop débordé, j'aimerais essayer de faire ça sérieusement. »
Nguyen hocha la tête, fouilla dans son tiroir, sortit un parchemin et une plume, puis lança son habituel « Je vous écoute ? »
Il lui fallut une minute entière avant d'ouvrir à nouveau la bouche. Il n'était pas facile de rassembler ses pensées, de se convaincre que tout ça avait du sens…
« La première fois… commença Drago. C'était justement ici. Dans cette pièce, je veux dire. »
Il prit une longue inspiration. La pièce n'était plus la même. Les meubles avaient changé, une vague odeur d'encens cachait le parfum du sang. C'était quand-même les mêmes murs, le même sol, la même petite fenêtre…
« C'était le jour de mon arrivée sur l'île. On était pesés, mesurés, auscultés. Et puis il y avait la fouille corporelle. C'est comme ça que ça a commencé, je suppose. Je ne l'ai pas vraiment mal vécu, à l'époque : C'était un peu humiliant, mais pas douloureux. Je crois que ça m'a même amusé, sur le moment, de penser que certains pouvaient cacher des choses à cet endroit-là. Non, je n'ai pas pris conscience tout de suite de ce qui s'était passé : Je pensais que nous étions tous passés par là. Peut-être que si je m'étais insurgé, dès le premier jour, les choses auraient différentes. Mais je ne le pense pas.
« Non, le problème, c'est surtout qu'ils rasaient le crâne de ceux qui avaient les cheveux trop longs. Une question d'hygiène. Les miens étaient relativement courts, mais on m'a rasé tout de même. Je crois que la couleur ne lui plaisait pas. Comme vous pouvez le deviner, le lendemain, ils avaient repoussé. Il a pris cette excuse-là, mais je crois… Je crois que ça aurait pu être n'importe quoi. »
Il soupira, puis posa ses yeux sur la plume qui noircissait doucement le papier.
« En fait, j'aurais dû le comprendre dès le début. À cause des insultes. Avec lui, c'était toujours la même insulte. Je ne me suis pas méfié, parce qu'il ne faisait que me frapper, m'étrangler ou me noyer. Mais la façon dont il s'adressait à moi… J'aurais dû comprendre ce qu'il voulait au fond. Je pense que mon père l'a compris tout de suite, lui. Mon père est intelligent. Alors un jour, nous en avons discuté, ensemble. Je pense… Je suppose que c'était la bonne décision à prendre. Si nous n'avions pas cédé, il aurait fini par obtenir ce qu'il voulait, mais nous n'aurions rien eu en échange. À l'époque, nous étions encore en mesure de négocier. Alors j'ai obéi. Peut-être… Peut-être que c'est ma faute. Je n'aurais peut-être pas dû céder aussi facilement. »
Il se mordilla les lèvres.
« Et puis ensuite, j'imagine qu'il était trop tard : c'est arrivé de plus en plus souvent, de plus en plus violemment. Peut-être que j'aurais dû refuser que ça aille aussi loin, encore une fois. Je ne sais pas. Au début, nous en parlions encore, avec mon père. Je n'avais plus vraiment le choix, mais je comprenais au moins ses raisons. Je crois… Je crois que j'aurais dû lui dire à quel point ça me coûtait. Peut-être qu'il aurait eu pitié de moi, peut-être qu'il aurait refusé. Peut-être qu'on aurait pu trouvé une autre solution. »
Ses yeux commencèrent à picoter et sa gorge à gonfler.
« Ensuite, il y a eu l'autre. Il nous avait surpris et je suppose qu'il a aimé ce qu'il a vu. Avec lui, c'était différent : Ce n'était pas l'acte physique en lui-même qui lui plaisait. C'était l'humiliation, la soumission. Je crois que c'est à cause de lui que les choses sont devenues si compliquées par la suite. C'est ma faute, j'ai été stupide : Je savais pourtant qu'il fallait obéir. Et j'obéissais sur tout, mais… Mais un jour, il a voulu que je dise des mots, et… » Drago renifla doucement. « Et je ne voulais pas les dire. J'ai été stupide. Je pense. Peut-être… Peut-être que les choses auraient été différentes si j'avais obéi ? Je ne sais pas. Il n'a pas aimé que je résiste, alors il m'a jeté au milieu du corridor 3, et il a fait ça devant tout le monde, et je pense… Je pense que c'est à partir de ce moment-là que les choses ont dégénéré, parce qu'à partir de ce moment-là, ils savaient. »
Les larmes se formèrent, sa voix se brisa, mais il poursuivit :
« Donc après, il y a eu les autres. J'aurais dû refuser dès le premier, je pense ? Ça semblait logique, sur le moment : C'était la façon la plus simple de s'assurer sa loyauté. Alors nous avons accepté. Je n'aurais pas dû, c'était ma faute. Les Surveillants étaient nos ennemis, alors c'était différent. Je n'aurais pas dû accepter qu'eux aussi aient le droit. Parce qu'après lui, il y a eu… Je voyais bien que je perdais de plus en plus de valeur. Et puis il y a eu l'autre. Et… Mais lui n'a jamais été violent. Avec lui, ça allait. Je ne sais pas, je pense… C'est à partir de ce moment que j'ai compris qu'ils ne voulaient pas tous la même chose. C'est ma faute, je n'y avais pas pensé avant ça. Alors j'ai voulu savoir ce qui lui plaisait à lui, vous comprenez ? J'étais idiot, je… Je me comportais comme un imbécile parce que je voulais que ce soit plus rapide, mais quand finalement, j'ai été dans sa tête, ce que j'ai vu… »
Cette fois, un sanglot lui échappa et il renifla pour le ravaler. Il sentit une larme s'échapper. Contre elle, il ne fit rien : Elle ne l'empêchait pas de parler. Son discours se fit tout même de plus en plus haché et incohérent :
« Après ça, c'est véritablement devenu l'enfer. Ils savaient, et tous les autres ont fini par savoir aussi, alors… C'est peut-être à ce moment-là que j'aurais dû me révolter ? Je ne sais pas. C'est devenu quotidien : il y avait toujours quelqu'un. Toujours. Peut-être… Certains n'étaient pas brutaux, peut-être que j'aurais dû leur en parler ? Je ne sais pas. Je… Je pleurais, alors je suppose que ça se voyait ? Je ne pleurais peut-être pas assez fort. Certains n'aimaient pas que je pleure. Les choses allaient plus vite quand j'essayais de faire ce que chacun attendait, alors peut-être… C'est surement parce que j'ai été trop obéissant. J'aurais peut-être dû me révolter. Il y a eu… Avec lui, c'était vraiment affreux. Il était tellement ridicule, vous comprenez ? Il… Il avait peut-être un problème de santé, alors il utilisait des objets, et ça durait des heures, et je pleurais, je hurlais, je suppliais, et puis à la fin, il ne tenait même pas dix secondes, et je me disais… Je me disais… Et puis, il y avait celui qui… Lui il était comme l'autre. Ils avaient les mêmes fantasmes, et je puais la pisse, mais je suppose… J'imagine qu'il valait mieux ça que… Je sais pas. Ils n'étaient pas tous cruels. Un jour, ils étaient deux, et je n'ai jamais autant souffert, et j'ai refusé, je jure que j'ai refusé, mais au final, il a réussi, et il m'a demandé de chanter, et j'ai obéi : C'était son anniversaire, il m'a demandé de chanter, et moi, j'ai obéi. Et j'ai bien vu qu'il avait pitié de moi, j'aurais dû lui avouer. Et puis, il y avait… Ils… Ils ne cherchaient pas tous à me faire du mal, mais… Il était bourré, et il a vomi, et j'ai eu le droit à une serviette, mais ça n'a pas suffi, et ils s'en sont aperçu, et ça a été horrible, et puis ils… Lui ne m'a pas fait de mal, mais j'entendais les autres qui l'encourageaient, et c'était affreux quand-même… »
Drago renifla encore. Cette fois-ci, les larmes coulaient sur ses joues. Son débit de paroles n'avait plus aucun sens, sa voix était entrecoupée de sanglots.
« Et puis il y a eu… Et puis… Je ne sais pas, je suppose que c'est ma faute. J'aurais pu dire non à des tas de moments, et je ne l'ai pas fait, et puis il y des moments où j'ai dit non, et ils me l'ont fait regretter. Je ne sais pas. Je pense que j'étais stupide, je… Et puis il est arrivé, et c'était pareil, il l'a vu, et peut-être… Peut-être que ça lui a plu ? Je ne sais pas. J'aurais dû… J'aurais peut-être dû parler ? Il m'a demandé si j'étais d'accord, et j'ai répondu… J'ai répondu : Une cellule personnelle ? J'aurais dû… Je ne sais pas… Je ne sais pas, parce qu'au final, les choses se sont améliorées ensuite. Mais je ne sais pas. C'est peut-être quand-même ma faute si ça a mis si longtemps. J'aurais dû… Peut-être que si dès le début, j'avais dit la vérité, peut-être… Mais aujourd'hui, je vais bien », affirma-t-il alors que son visage était inondé de larmes. « Aujourd'hui, je vais bien, alors je suppose… Je suppose que cette fois-là, j'ai bien fait ? Je ne sais pas. »
Un dernier reniflement, puis Drago termina : « Voilà, c'est comme ça… C'est comme ça que ça s'est passé. »
Il respira doucement, puis essuya ses joues avec le bout ses manches. Il n'avait pas de mouchoir, alors il renifla de nouveau.
La plume avait cessé de bouger il y a longtemps. Elle n'avait pas rempli la moitié du document.
Il soupira, puis avec une voix à nouveau maîtrisée, il demanda :
« Est-ce que vous avez tout noté ? »
Le poignet et la main qui tenait la plume eurent un sursaut. Il y eut un raclement de gorge, puis la voix de Nguyen résonna doucement :
« Non, mais je… Je pense que je pourrais compléter plus tard.
– Bien.
– Je… croassa la voix de Nguyen derrière son bureau. Je ne crois pas que ce soit votre faute.
– Non, je… Je suppose que je n'aurais pas pu faire grand-chose différemment, en réalité.
– Je veux dire que je ne pense pas que vous soyez responsable.
– Non, je… Je pense que ça me rassure de me l'affirmer. Comme ça, je ne suis pas juste une victime.
– Je suis désolé. »
Drago secoua la tête de droite à gauche. Lui aussi était désolé. Ça ne changeait pas grand-chose à l'affaire.
« Est-ce que vous vous sentez mieux ? demanda doucement Nguyen.
– Pas vraiment, admit Drago. Mais je… Peut-être que je n'ai pas donné assez de détails. Peut-être que j'aurais dû citer des noms… Peut-être que je n'ai toujours pas raconté ce qu'il fallait.
– Je ne saurais pas vous dire… Je crois… Je pense que la quantité de détails ou le nombre de mots a peu d'importance. L'idée est juste de parvenir à les prononcer. »
Drago se mordilla les lèvres, puis osa finalement relever les yeux vers ceux de l'infirmier. Son regard était bizarre : On sentait qu'il ne savait pas vraiment quoi faire. Mais c'est ce que disait le livre moldu, après tout : Il n'était pas supposé donner son avis, juste écouter, et poser des questions quand Drago se trouvait à court de mots. Peut-être qu'il se débrouillait bien, en fait.
Les mots qu'il fallait prononcer, Drago ne les avait toujours pas dits. C'était presque le cas, cependant. Non ? Il en était capable, c'est juste qu'il ne le voulait pas. Pas encore.
« Bien… » Drago se redressa, lissa ses cheveux en arrière, sa robe sur son ventre… Au moins, il aurait essayé. Le livre citait une dizaine de séances avant d'obtenir des résultats. Il faudrait peut-être insister encore. Il existait forcément des psychologues en Italie. Il devait être possible de trouver un médecin moldu spécialiste de la technique ayant une épouse ou un enfant Sorcier, et…
Nguyen se leva également derrière son bureau. Il ne savait visiblement pas quoi faire de ses mains, où poser sa plume. Finalement, il accorda un hochement de tête poli à Drago, presque un salut.
« Au revoir, Monsieur Malfoy, souffla l'infirmier. J'espère que vous vous plairez en Europe.
– Au revoir, Monsieur Nguyen. Bon courage dans votre travail. »
Et on rappelle que le pauvre Nguyen s'est vu imposé cette technique par Harry alors qu'il n'y croit pas X) En vrai, j'admire les gens capables de réagir correctement quand qqun leur parle de traumas... Moi, je sais que ce n'est pas mon cas. Je suis comme Ron, je me contente de cligner des yeux comme une idiote en ne comprenant pas, et je propose de cuisiner un truc pour se changer les idées...
Je vous cache pas que ce chapitre a été l'un des plus difficiles à écrire pour moi, beaucoup plus que les scènes de viols détaillés : Lors de celles-ci, Drago se coupe émotionnellement de ce qui se passe, et j'arrive donc facilement à faire pareil... Là, je voulais qu'il soit honnête et ouvert, et je me suis donc forcée à me mettre dans sa tête... Je ne sais pas si ça se ressent à la lecture... Je suppose que pour la plupart des gens, les descriptions détaillées sont plus difficles à supporter ?
