27 Septembre : Chasseur 5
Boya fixa le ciel avant de soupirer lourdement.
Il neigeait.
Le vent avait commencé à souffler depuis quelques minutes à peine. Il allait forcir jusqu'à la nuit pour atteindre un pic juste avant que les premiers rayons du soleil ne se montrent puis tomberait d'un coup. A mesure que l'air se réchaufferait, le vent se ferait à nouveau plus fort jusqu'au soir suivant.
C'était un cycle quasi immuable auquel Boya assistait tous les jours depuis des semaines.
Il avait essayé de partir pourtant.
Vraiment.
Il s'était préparé mais lorsque le moment de partir avait été là, il avait réalisé qu'il avait oublié quelque chose, pour un autre truc encore. Un machin qu'il ne pouvait abandonner puis un bout de vêtement qui avait disparu. Boya avait tant et si bien tourné en rond que la nuit était tombée et que la journée sans tempête avait été comme prévu, la dernière.
QingMing n'avait fait aucun commentaire. Boya lui en était reconnaissant.
Les deux hommes avaient conscience de l'acte manqué du chasseur.
Depuis, le renard et l'humain vivaient en relative bonne harmonie. Assez pour que QingMing invite Boya pour sa méditation matinale dans la neige. Après avoir claqué des dents malgré les épais vêtements que le renard lui avait fournit, Boya s'était détendu dans la chaleur du renard qui l'avait prit entre ses pattes et enroulé dans ses queues. Depuis, ils méditaient plusieurs heures chaque matin dans cette embrassade étrange que Boya n'aurai jamais imaginé partager avec un démon un jour. Il lui arrivait régulièrement de se réveiller la nuit, la main sur son épée et de la lever pour l'enfoncer dans le cœur du démon qui dormait à coté de lui.
C'était Boya qui lui avait offert de le partager. C'était lui qui prenait de la place dans son lit. Si quelqu'un devait dormir par terre, ce n'était certainement pas au démon.
QingMing avait remercié mais proposé de partager. Ils étaient des adultes responsables. Ils pouvaient se comporter comme tel.
Depuis ils dormaient chacun sous leur couverture mais sur le même matelas d'herbes odorantes et de fourrures confortables.
Comme chaque nuit, après avoir longuement observé le démon, Boya soupira et rangea son arme. II aurait du le tuer dès qu'il l'avait pu.
Il aurait du faire son devoir.
Il en était incapable.
C'est un gout de cendres dans la bouche qu'il se recroquevilla sous sa couverture. Il se sentait
misérable.
Plus que tout, il avait honte de trahir le souvenir de sa mère.
Il finit par se lever, incapable de dormir davantage.
Le chasseur enfila les vêtements que lui avait donné le démon, les grosses bottes de cuir huilées et rembourrées, une grande fourrure sur ses épaules puis il sortit sur le pas de la grotte. Il s'assit sur l'un des gros rochers pour observer le ciel.
"- Que..."
Qu'est ce que c'était que ces lumières colorées dans le ciel ? Les dieux s'amusaient-ils ?
"- Ces lumières sont fréquentes dans le nord." La voix du renard n'était pas inattendue même si pas forcement très bienvenue. Boya aurait voulu rester seul. "Personne ne sait comment elles apparaissent. Certains disent que ce sont les dieux qui font la fête, d'autre que c'est le ciel qui pleure, quelque uns que c'est le soleil qui crache très fort vers nous et que c'est le ciel qui nous protège de sa colère. Je ne sais pas ce qui est vrai, mais l'hiver, c'est fréquent."
"- C'est joli."
Le grand renard se coucha près de lui. Boya frémit lorsque ses queues s'enroulèrent autour de lui pour le réchauffer.
"- Oui. Cela peut durer des heures."
"- Je devrais vous tuer."
"- Je sais."
"- Je n'y arrive pas."
"- Je sais."
"- J'ai honte."
"- Je sais."
"- Vous n'allez rien dire ?"
"- Je ne peux régner sur votre cœur, Boya Daren. Je me suis attaché à vous. Comme vous vous êtes attaché à moi." Boya rougissait affreusement mais ne réfuta pas la chose. "Vous partirez au printemps et vous m'oublierez, comme il se doit. Vous enverrez un de vos collègues sans doute, pour tenter de me tuer. Il s'y essayera. Ou pas. S'il s'y essaie, je défendrai ma vie comme il se doit. S'il y perd la sienne, ce sera sa propre responsabilité. S'il décide de me laisser en paix, je ne l'attaquerai pas." Comme il n'avait pas attaqué Boya quand il avait réalisé sa présence. "Je ne suis pas un violent, Boya Daren. Je n'ai jamais tué d'humain pour me nourrir ou m'amuser, mais je me défends s'il le faut. Et je n'en conçoit pas plus de remords que vous autres chasseurs en avez de tuer des démons. C'est normal. C'est notre nature. Mais sachez que je garderai le souvenir de votre présence au fond de mon cœur avec grand tendresse" Assura encore le grand renard.
Couché comme il l'était, sa tête était au même niveau que celle de Boya.
Boya se recroquevilla dans ses queues. Il n'aimait pas être mis aussi brutalement face à la réalité.
"- Je n'ai pas envie de partir, QingMing."
"- Votre vie n'est pas ici, Boya Daren. Pas encore en tout cas. Cette virgule dans votre existence n'est que cela, une virgule. Si vous vous souvenez de moi dans quelques années et que votre devoir vous conduit encore dans le nord, vous n'aurez qu'à revenir me voir. Je serai heureux de revoir un ami."
Boya sentit les larmes rouler sur ses joues. C'était la faute de ces lumières nocturnes bien sur. Ca ne pouvait être autre chose évidemment.
Il se tut pour profiter du reste de cette virgule le temps qu'elle durerait.
