Chapitre 5 : Rendre compte
Au soir de cette pénible entrevue, Hermione Granger nous avait conviés, pour ne pas dire convoqués, au Ministère Lupin et moi pour un rendez-vous discret après le départ de ses dois avouer que j'arrivais passablement énervé par la tension de l'entrevue elle-même et les remontrances sonores dont m'avaient gratifié Narcissa de retour au Manoir Malefoy. J'avais fini par m'enfuir en abandonnant Albus sur place en arguant du besoin d'aller revisionner mon souvenir de cette entrevue dans la Pensine du bureau directorial de Poudlard, poursuivi par la colère de Narcissa:
«Je te garantis bien que tu n'as pas besoin de Pensine, car si tu venais à oublier quelque chose dans ce qui s'est passé aujourd'hui, je serai là pour te le rappeler!»
Je passai par le réseau des cheminées pour accéder directement à mon propre bureau et rejoindre celui vide de McGonagall, sans même prendre la peine de répondre à la question suspicieuse de notre concierge:
«Etes-vous certain, Professeur Rogue, que Madame la Directrice vous a bien donné la permission d'aller dans son bureau en son absence.»
Quelle que soit ma réponse, il allait de toutes façons contacter Minerva pour obtenir une confirmation. Il était donc inutile que je perde mon temps à lui assurer que c'était bien le cas.
Après avoir extrait le filament argenté de mon souvenir pour le déposer dans un flacon, je versai le contenu du flacon dans la Pensine. Puis je pris le temps de m'y replonger pour être certain d'avoir en tête tous les détails, mais avec l'inconvénient d'achever de me mettre de mauvaise humeur. J'étais donc particulièrement remonté, lorsque Lupin me rejoignit à l'heure de partir pour notre rendez-vous au Ministère.
A notre entrée dans son bureau, par sa cheminée pour éviter qu'un retardataire ne nous voie passer par la porte, Hermione Granger discutait avec Harry en agitant un parchemin qu'elle tenait à la main. A ma vue, elle s'empressa de le faire disparaître dans un tiroir. Qu'elle garde ses secrets, j'avais assez à faire avec les miens.
Après deux mots de salutations, Madame laMinistre ne put retenir ce cri du cœur :
«La fille de Voldemort, franchement nous n'avions pas besoin de ça !»
«Elle non plus.» lui fis-je remarquer d'un ton sarcastique qui me valut un regard plein de reproches de la part d'Harry, mais j'étais bien trop agacé par ce qui s'était passé au cours des dernières heures pour pouvoir me retenir. D'autant plus que depuis toujours, cette lionne suffisante avait le don de m'exaspérer.
«Évidemment, je ne lui en fais pas grief.» se défendit Hermione Granger. «Il est clair qu'elle n'est pas responsable de l'identité de ses parents. Je dis juste que cette situation n'est facile pour personne.»
«Cette situation n'a pourtant pas l'air de déranger votre fille.» ironisai-je. Je n'avais pas pu m'empêcher cette nouvelle pique et Harry leva les yeux au plafond comme pour signifier que j'étais décidément incorrigible.
En revanche, Hermione Granger prit ma remarque au premier degré avec ce commentaire irrité:
«En effet, cela ne semble pas préoccuper Rose. Au point qu'elle n'a même pas jugé utile de m'en parler quand elle a appris l'identité des parents de son amie. C'est au moment où j'ai voulu l'inciter à une certaine prudence qu'elle m'a répondu «Pourquoi ? Parce qu'elle est la fille de Voldemort ?»»
«Sans doute, craignait-elle votre réaction.» suggérai-je d'un ton badin.
Je n'aurais pas dû en rajouter, mais j'avais envie de me défouler après les tensions que j'avais supportées lors de l'entrevue avec le vieux fêlé enfermé à Nurmengard et après. Aussi avais-je du mal à résister à l'occasion de m'en prendre à cette cible de choix.
«Dites tout de suite que je suis intolérante, professeur Rogue !» se cabra mon interlocutrice qui d'habitude me donnait quand même du Severus du bout des lèvres en privé.
«Je ne me le permettrais sûrement pas, Madame la Ministre.» persiflai-je en réponse.
De vert, le regard qu'Harry étaient devenu étrangement noir, mais ce fut Lupin qui intervint pour siffler la fin de la partie.
«Bon, on arrête de jouer et on en vient au fait.» grogna-t-il.
Je pris un air offusqué, mais l'altercation m'avait détendu et j'étais prêt àattaquer la discussion.
«Le dénommé Hexaphorus vous a-t-il appris quelque chose d'intéressant ?» enchaîna Harrypour s'assurer de changer de sujet.
Lupin se tourna vers moi, attendant clairement que je me charge de raconter les résultats de notre entrevue.
«Sauf à ce qu'il nous ait trompé, ce que je ne crois malheureusement pas, Hexaphorus nous a laissé entendre qu'il existe une solution magique pour ramener Voldemort à la vie à partir du corps de sa fille. Pour le dire plus simplement, il existerait une solution pour la transformer en lui, et c'est probablement dans ce but que ce qu'il reste des partisans de Voldemort essaient de l'enlever. » résumai-je en allant à l'essentiel.
En dépit de son empire sur elle-même, Madame la Ministre ne put retenir une exclamation atterrée qui se perdit dans le juron que poussa Harry au même moment.
«Et vous dites qu'il est crédible.» murmura Hermione Granger consternée. «Mais vous a-t-il indiqué une solution pour éviter une telle catastrophe?»
«Oui, il m'a suggéré de tuer Delphini Black pour me débarrasser du problème.» balançai-je sans emballer mon propos.
«Vous plaisantez?» s'exclama-t-elle choquée.
«Est-ce que j'en ai l'air?» répliquai-je froidement.
Sous le coup de l'émotion, Madame la Ministre tomba assise sur son bureau.
«Par la barbe de Merlin!» murmura-t-elle d'une voix altérée. « Nous devons tout faire, absolument tout, pour éviter la catastrophe que constituerait un retour de Voldemort. Cependant …»
«J'aime autant vous prévenir qu'il ne faut pas compter sur moi pour «m'occuper» de Miss Black!» l'interrompis-je «Et que ceux que vous en chargeriez pourraient bien me retrouver sur leur chemin, ce qui sans me vanter pourrait leur compliquer sérieusement la tâche et …»
«Ne soyez pas ridicule, Severus.» m'interrompit-elle à son tour. «Il n'est pas question de s'en prendre à une gamine de seize ans qui n'a jamais fait de mal à elle a besoin de vous, ce n'est pas comme garde du corps, c'est pour trouver une solution pour empêcher que sa transformation soit possible. Ou plus simplement pour que le dénommé Hexaphorus vous révèle cette solution qu'il connait forcément.»
«Eh bien, je crains que non. Au début, il a suggéré que la solution était simple par animosité à mon égard, histoire remettre en cause mes qualités de potionniste. Mais quand il a commencé à avoir peur, il a juste proposé de m'aider en confrontant mes idées avec les siennes et non de me donner une vraie solution.» expliquai-je.
«Peur?» releva Hermione Granger. «Mais, peur de quoi?»
«Peur de moi.» admis-je. «Quand il m'a suggéré de me débarrasser de Miss Black, il est possible que j'aie évoqué l'idée que je pourrais plutôt le tuer lui.»
Madame la Ministre leva les yeux vers le plafond avec un air d'effarement tout à fait surjoué. Mais, c'est une autre chose qui avait arrêté Harry dans ce que j'avais dit:
«Pourquoi dis-tu qu'Hexaphorus a de l'animosité à ton égard, je croyais que tu ne le connaissais pas personnellement?» demanda-t-il.
«En effet, je ne le connaissais pas.» confirmai-je. «Mais d'après ce que je crois comprendre. Il attendait que Voldemort vienne le libérer de sa prison de Nurmengard contre l'engagement de préparer pour lui une potion de Régénération en se servant de la petite comme ingrédient de potion. Cela aurait sans doute eu lieu juste après la bataille de Poudlard, si Voldemort l'avait emporté. Je pense que ça fait quinze ans qu'il rumine le fait qu'il est passé tout près de la liberté, au point d'avoir fini par se dire que, si je n'avais pas été présent dans l'entourage de Voldemort, celui-ci aurait eu besoin d'un potionniste bien plus tôt et serait venu le délivrer. Sauf erreur de ma part, c'est pour cette raison qu'il nourrit un tel ressentiment à mon égard.»
« Mais si tu as raison, c'est une catastrophe.» s'inquiéta Harry «Quoi qu'il en dise, jamais il ne t'apportera son aide.»
«Ce n'est pas certain.» relativisai-je. «J'imagine que ce dont sa vie manque le plus c'est de distractions et de défis. Or, le fait de démontrer qu'il est un meilleur potionniste que moi pourrait constituer un défi de choix.»
«Tu fais dans la psychologie toi maintenant.» plaisanta Lupin.
«C'est à force d'avoir de mauvaises fréquentations à Poudlard.» répliquai-je, ce qui le fit rire.
Le regard d'Harry allait de l'un à l'autre. Manifestement, il s'interrogeait sur l'évolution de notre relation. Il faut dire qu'après l'avoir détesté toute ma vie et pour une raison qui m'échappait, je trouvais désormais le loup-garou nettement plus supportable.
Madame la Ministre avait pour sa part des préoccupations moins futiles.
«Etes-vous certain que Delphini Black soit réellement en sécurité au Manoir Malefoy?» me demanda-t-elle soudain.
Je dus avoir l'air suffisamment surpris pour qu'elle se sente obligée de préciser le sens de sa question d'un air agacé:
«Mais enfin, Severus, vous voyez bien ce que je veux dire. Lucius Malefoy était un partisan convaincu de Voldemort, ne pourrait-il pas être tenté de livrer la petite Black à ceux de ses anciens complices qui veulent l'utiliser pour tenter de faire revenir son père.»
Ce fut à mon tour de rigoler.
«Je ne vois pas ce que j'ai dit de drôle.» observa-t-elle d'un ton pincé.
«Désolé, Madame la Ministre, si je vous ai semblé irrévérencieux.» répondis-je sur un ton à peine ironique. «Mais c'était l'idée que Lucius puisse avoir envie du retour de Voldemort qui m'amusait.»
«Et en quoi je vous prie, est-ce amusant?» reprit-elle visiblement vexée par ma réaction. «Monsieur Malefoy se serait-il reconverti en ami des moldus et des nés-moldus?»
«Probablement pas.» admis-je. «Lucius a tout juste appris à se taire.»
«Et alors, qu'est-ce qu'il vous fait dire qu'il ne souhaite pas Son retour?» insista-t-elle.
«A l'époque où Voldemort avait établi ses quartiers au Manoir Malefoy, Lucius était devenu son principal souffre-douleur, il l'a systématiquement moqué, torturé moralement jour après jour en menaçant de s'en prendre à Narcissa et Drago, et parfois même physiquement. Alors, je peux vous assurer que Lucius n'a pas plus envie que vous de voir Voldemort revenir à la vie.»
Tous les trois me regardaient d'un air étrange.
«Pourquoi est-ce que tu n'as jamais parlé de ça?» me demanda finalement Harry.
Je haussai les épaules:
«Parce ce que ça n'excuse rien.»
Pour éviter de voir Harry m'interroger à propos de ce qui avait pu m'arriver à moi pendant les années Voldemort, dont je n'avais guère envie de lui parler et particulièrement pas devant Lupin et Hermione Granger, j'enchainai :
«Au-delà de ça et quels que soient ses défauts, Lucius a le sens de la famille. De sa famille. A partir du moment où Narcissa considère sa nièce comme sa propre fille, il sera prêt à la défendre au péril de sa vie. Delphini Black est donc parfaitement en sécurité au Manoir Malefoy, mais uniquement tant qu'elle n'en sort pas.»
«Ce qui nous ramène à notre problème de fond.» soupira Madame la Ministre. «Comment faire pour bloquer le processus, pour empêcher que Delphini Black puisse être transformée en Voldemort? Puisqu'il me semble que c'est la seule façon pour assurer durablement sa sécurité et la nôtre en même temps.»
«Je suis d'accord.» approuvai-je
« J'imagine que ceux qui cherchent actuellement à enlever Delphini Black, sont aussi ceux l'avaient sous leur garde quand elle était petite. Du coup, je me demande pourquoi ils ne l'ont pas transformée beaucoup plus tôt.» intervint Lupin.
«D'après l'intuition que j'ai à ce stade du processus de transformation, il fallait que Miss Black ait atteint une taille adulte pour que cette transformation puisse être mise en œuvre. Ils se sont donc contenter d'attendre qu'elle ait suffisamment grandi en la gardant sous contrôle. Mais c'était sans compter avec l'autre abruti de Dreamteam. C'est forcément lui qui a monté pour son propre compte le stratagème qui a conduit au retour de la fille de Bellatrix en Angleterre et à Poudlard (*). C'est ainsi qu'elle a dû échapper par le plus grand des hasards aux nostalgiques de Voldemort qui essayent de remettre la main sur elle aujourd'hui.» expliquai-je.
«Je vois que tu as quand même bien avancé dans ta réflexion.» voulut se réjouir Harry.
«Très insuffisamment malheureusement.» relativisai-je. «La plupart des aspects pratiques de cette magie me paraissent encore obscurs. Or, je dois impérativement tout comprendre pour imaginer un moyen de bloquer définitivement ce processus.»
«Comment pouvons-nous faire, Severus, pour vous aider dans votre réflexion?» réagit Hermione Granger.
J'avais déjà réfléchi à cette question:
«Il faut que vous fassiez collecter pour moi toutes les informations disponibles sur les potions destinés à permettre la transformation humaine. Régénération. Métamorphose. Adoption de sang. En résumé, tout. Elles seront d'autant plus difficiles à trouver qu'une telle magie est strictement interdite et donc que de telles potions sont censées ne pas exister. D'ailleurs, il n'y a rien à Poudlard sur ces sujets, même dans la Réserve. Mais j'imagine que quelque part dans les sous-sols de ce Ministère, il existe des documents qui ont été saisis sur ces questions, et je suis certain qu'en menant quelques investigations supplémentaires bien ciblées vos services seront capables d'en faire resurgir d'autres. Voilà comment vous pourriez m'aider, car je vais devoir lire le plus de chose possible pour trouver une solution.»
Harry m'adressa un regard empreint d'une gravité inhabituelle:
«Es-tu certain d'avoir envie de faire ça?»
«A la vérité, je suis même certain d'avoir envie de ne pas le faire. Mais, dans la mesure où tout cela ne peut être fait que par quelqu'un qui à la fois possède suffisamment de connaissances en matière de magie noire et qui jouisse de suffisamment de crédit auprès du Ministère comme auprès des Malefoy pour trouver une solution acceptable par tous. Je vois mal qui d'autre que moi pourrait s'en charger.» observai-je.
(*) Voir «Le journal de Severus Rogue (2): la malédiction des Black».
