J'ai passé cinq jours consécutifs dessus. Vous avez intérêt à savourer èé
Plus sérieusement, il se peut que le prochain chapitre soit publié avec du retard à cause, entre autre, du temps que j'ai passé sur celui-ci.
Côté bonne nouvelle, c'est le dernier chapitre de janvier ;)
Par contre, j'ai l'impression d'avoir raté le thème... Pas vous ?
Bonne lecture !
« Jehd avait pris un temps infini à se mirer, s'assurant que son apparence était parfaite, non pour une raison vaniteuse mais selon la norme imposée par le protocole en vigueur à la cour, ainsi que le mouvement de la mode actuelle. Le moindre détail importait et pouvait servir de levier pour réduire à néant la réputation la mieux établie.
Il n'était pas entièrement satisfait du résultat, mais l'heure tournait et être en retard à une célébration royale était pire qu'une tenue mal ajustée. Alors, tant pis pour sa satanée mèche rebelle, il devrait la subir. Ce ne sera pas la première fois, en plus, celle-ci refusant de se plier à la moindre de ses tentatives pour la cacher parmi les autres.
Ash venait justement de se présenter devant chez lui, l'air aussi peu engageante qu'à l'ordinaire et la faire attendre augmenterait d'autant plus son irascibilité.
— Dépêche-toi, grogna-t-elle.
Avec un sourire d'excuse, il lui présenta son bras qu'elle prit uniquement pour le décorum, les mâchoires tellement serrées qu'il s'attendait à tout instant à entendre ses dents céder.
Habitant non loin du palais, ils avaient décidé de s'y rendre à pied, s'évitant ainsi les frais inutiles d'un carrosse, même si ça faisait partie, là aussi, du protocole, mais parfois il valait mieux faire preuve d'intelligence que de suivre aveuglément ce genre de préceptes. Ça et son amie avait vertement refusée qui l'aide à en monter ou descendre ce qui aurait été pire encore.
Il se demandait encore maintenant comment il avait pu oublier ça.
Pensif, il avançait mécaniquement, ses pieds connaissant le chemin pour l'avoir parcouru depuis des années - depuis qu'il était en âge de marcher, pratiquement - et suffisamment confiant en Ash pour qu'elle lui empêche de se ridiculiser. Ou, en tout cas, de se salir. Ils évitèrent le ballet des carrosses et surtout les giclées de boues que les roues en bois projetaient sur leur passage et bien vite les hauts murs de l'enceinte du château furent devant eux.
Ils allèrent entrer quand une bordée de jurons avec un fort accent se fit entendre, attirant l'attention de quiconque se trouvant dans les environs. Un sacré paquet de monde, en somme.
D'un fiacre un peu en retrait et contrastant fortement avec les autres voitures rutilantes et marquées des sceaux de grandes familles nobles, on pouvait voir la porte s'arquer comme si elle était coincée et luttait contre les tentatives d'ouverture de l'occupant. Le cocher serrait ses rênes, anxieux sur ce qu'il devait faire et le comportement à tenir dans un lieu pareil.
Ce n'était que la cour du château, mais même ici il y avait des manières à tenir !
Jehd balaya les environs du regard et constata qu'il y avait deux attitudes : les nobles qui se détournaient, estimant que ça ne les regardaient pas, et les autres qui reflétaient la même expression que le cocher.
— Ash, ça te dérange si je ne t'accompagne pas ? Je vais prêter secours à cette pauvre âme.
— Tu me prends pour qui ? Une demoiselle en détresse ? râla-t-elle en arrachant son bras de sa prise. On se retrouve à côté des boissons.
Et sans rien ajouter de plus, elle s'avança de son habituel pas vif, sa robe s'enroulant autour de ses chevilles.
Soupirant, il l'observa jouer des coudes et disparaître dans le château, avant de se diriger à son tour vers le fiacre dont provenait de nouvelles injures - bien que cette fois, dans une langue qu'il n'était pas sûr de reconnaître.
Le cocher lui adressa un regard suppliant quand il le dépassa, mais n'esquissa aucun geste.
La porte eut une accalmie et il en profita pour y toquer, attirant l'attention de la personne s'y trouvant.
— Bonjour ? Vous allez bien ?
— Il y a quelqu'un ?
— Oui, je m'appelle Jehd. J'ai vu que vous aviez des difficultés à sortir. Puis-je vous offrir mon aide ?
— Plutôt deux fois qu'une ! Cette saloperie est coincée !
— Laissez-moi voir…
Rapidement, il trouva la cause - la charnière était grippée - et put ainsi débloquer la situation, repoussant la porte et tirant les marches.
Avec les diverses prises de parole, il avait bien compris qu'un individu masculin s'y trouvait, mais il ne s'attendait pas à ce qu'il ait l'air… Qu'il ait l'air.
— Merci, j'ai bien cru que j'allais devoir la trancher.
Absentement, Jehd lui tendit la main pour l'aider à descendre, même si cet inconnu la fixa, l'air surpris, avant de s'en emparer.
Il l'observa lui tourner le dos pour payer au cocher sa course puis lui faire de nouveau face, un large sourire illuminant son visage.
— Je m'appelle Link !
— Jehd.
Il lui serra la main, à peine sortit de son étourdissement, et força un sourire en réponse, se sentant crispé. Mais impossible de se détendre, il faudra faire avec.
— Vous allez au bal ?
Non seulement sa souplesse semblait avoir mis les voiles avec son raisonnement, c'était un peu triste pour un doctorant…
Heureusement pour sa fierté, il ne releva pas et se contenta de hocher la tête.
— Ah. Alors, allons-y ?
Jehd bégaya sa réponse et lui emboîta le pas, toujours un peu sonné. Mais quand ils se séparèrent à peine les pierres du porche foulées, il eut l'impression qu'un trou s'ouvrit dans son torse et qu'il était aspiré à travers, alors qu'il l'observait s'éloigner au milieu d'inconnus.
Peiné, il se fraya un chemin jusqu'au bar où il retrouva Ash qui avait déjà entamé les boissons, et n'était sûrement pas son premier verre. Sans un mot, elle lui en tendit un dont il s'empara, bien qu'il ne fit qu'y tremper ses lèvres.
La soirée promettait d'être morose à souhait, finalement.
Après que la reine ait salué ses convives et s'était fendue d'un mot d'accueil, elle avait donné le signal pour que les musiciens empoignent leurs instruments et commencent à jouer.
La vraie raison de leur réunion pouvait attendre une ambiance plus… détendue.
Jehd et Ash passèrent quelques danses à échanger des commérages alors qu'ils faisaient tapisserie, plus pour passer le temps que par réelle méchanceté.
Si seulement ils pouvaient s'absenter ! Mais non, en tant que membre de la Résistance, il était de leur devoir de faire acte de présence, au même titre que les autres bien qu'ils ne les avaient pas encore croisé. Une fois que le véritable discours sera donné, ils pourront alors s'éclipser après la valse d'honneur où il aura bien intérêt à surveiller ses pieds et ceux de sa partenaire. Particulièrement si celle-ci se trouvait être Ash, ce qui sera certainement le cas.
— Les célébrations royales sont d'un ennui, marmonna-t-elle en réprimant un bâillement. On n'aurait peut-être pas dû se casser autant la tête et finalement laisser tout le travail à ce foutu héros, tu ne crois pas ?
Craintif, son ami observa les environs pour s'assurer que personne n'avait pu entendre les propos quasi irrévérencieux dont les conséquences seraient beaucoup trop risquées… C'était proche d'un lèse-majesté !
— Oh, détend-toi, tout le monde s'en fout, personne ne nous écoute. Nous sommes d'affreux roturiers osant respirer le même air qu'eux, ça suffit pour qu'ils nous tournent le dos et nous ignorent.
En effet, il n'y avait bien que les serviteurs pour croiser leurs regards, les autres invités faisant de leur mieux pour éviter d'être tournés dans leurs directions. Cette démonstration lui rappelaient bien trop de mauvais souvenirs pour que ça ne le blesse pas, alors au lieu de s'appesantir dessus, il vida sa boisson et arracha celle d'Ash de sa prise, l'attrapant par le coude.
— Allons danser !
— Mais tu ne sais pas danser !
La dernière fois que Jehd avait foulé une piste de danse devait remonter aux cours privés auxquels ses parents l'avaient inscrit, durant son enfance et une partie de son adolescence. Il n'avait jamais vraiment pu user de ses connaissances dans le milieu, le décès de son père puis la guerre ayant enterré cette possibilité avant même qu'il n'atteigne l'âge d'entrer en société.
Les réminiscences de ces longues heures à surveiller ses pieds puis à guider sa partenaire lui revinrent petit à petit alors qu'il traînait son amie parmi les autres danseurs, contrecarrant ses tentatives de fuite.
Ash était indubitablement plus forte que lui, mais il n'était pas aussi faible qu'il aimait faire croire. Les livres qu'il compulsait pouvait peser plusieurs kilos, et ne parlons pas de quand il fallait les ranger…
— Détends-toi, marmonna-t-il. Tu es trop crispée.
— Et à qui la faute ? gronda-t-elle dangereusement. C'est bien parce que tu es un ami que je ne t'ai pas arraché les bras, mais tu flirtes avec mes limites. Que tes doigts s'approchent encore de mes hanches et tu devras composer avec des moignons.
— C'est la posture, se dédouana-t-il.
Mais dans le doute, il décida de faire une entorse à la procédure et de remonter ses mains loin du bassin de l'épéiste. Elle n'était pas vraiment connue pour sa patience ni pour ses blagues. Quand elle promettait quelque chose, elle le réalisait.
Mais comme il le craignait, sa prise fut moins bonne pour le porté et ils churent sans grâce, attirant l'attention alors qu'ils se dépêtraient des jupons de la demoiselle. Ladite demoiselle les fouillait, d'ailleurs, les sourcils froncés.
— Tu t'es fait mal ? Je suis vraiment désolé, je ne pensais pas…
— J'ai perdu une chaussure, chuchota-t-elle furieusement. Je ne peux pas rester pied nu, ça se verra tout de suite.
Pour l'occasion, elle s'était fendue d'une paire de talons que Jehd l'avait très peu vu porter. Si un manquait, elle allait être déséquilibrée de manière bien trop visible pour qu'ils parviennent à faire semblant.
— Relevons-nous, on va la retrouver, elle ne doit pas être loin.
Mais rien à faire, la chaussure absente n'était visible nulle part.
Un peu inquiets, ils quittèrent la piste de danse en tentant de garder un air dégagé malgré l'évident déséquilibre d'Ash qui s'appuyait sur lui. Il leur fallait trouver une solution, et rapidement. Mais ils furent interrompus dans leurs recherches par quelqu'un se râclant la gorge à côté d'eux.
Se redressant, ils se tournèrent dans sa direction, cachant leurs inquiétudes derrière un sourire de façade.
— C'est à vous ?
Jehd ne s'attendait pas à ce que ce soit l'hylien rencontré tantôt, et encore moins qu'il tienne l'escarpin fugueur.
— Le voilà ! s'enragea Ash en le lui arrachant des mains pour l'enfiler aussi sec.
— Euh, merci, bafouilla l'archiviste. Comment avez-vous deviné…?
— Votre chute n'a pas vraiment été discrète, rit-il. Mais je ne m'attendais pas à me faire à moitié assommer au passage !
La réalisation se fraya lentement dans son esprit alors qu'il avait l'intention de l'accompagner dans son amusement, l'effroi prenant finalement place.
— Oh mes déesses, vous n'avez pas été blessé ?! Je suis confus, ce n'était pas volontaire !
— Tout va bien, j'ai la peau épaisse et je porte même ma cotte de maille. Aussi aiguisé que soit le talon, aucun mal ne m'a été fait. J'ai surtout été surpris d'être attaqué par une chaussures. C'était un ennemi auquel je ne m'étais pas attendu, par contre !
Rien dans son attitude ne présageait d'une possible colère ou d'un sermon. Non, Link semblait presque… amusé ? par la situation.
Par Hylia, aimait-il donc se faire frapper par des chaussures ? Quel drôle de bonhomme…
Un peu sonné par la situation saugrenue - mais aussi par son physique agréable, il ne pouvait le nier - Jehd se retrouvait une fois de plus à court de mots, ce que le regard d'aigle d'Ash ne manqua pas, si son sourire en coin signifiait quelque chose.
— Nous n'avons pas été présentés, s'incrusta-t-elle en coudoyant son ami et tendant la main en direction du nouveau venu.
— Oh, mes excuses ! Je m'appelle Link !
Il lui serra la main avec vigueur, un grand sourire aux lèvres.
— C'est une tenue surprenante que vous portez-là, releva-t-elle en pointant l'objet de sa curiosité de sa main libre.
— Oh, serait-ce une imitation de la célèbre tenue du héros légendaire ?
Maintenant que son amie l'avait pointé, Jehd avait presque la bave aux lèvres d'en savoir plus. Il y avait bon nombre de représentations dudit héros à travers divers supports, mais aucune n'était vraiment précise sur l'habit, en-dehors de sa couleur verte et du bonnet emblématique. Il en aurait bien fait le tour, perdu dans ses pensées comme il l'était, mais Ash l'attrapa bien vite par le col, lui remettant les pieds sur terre. L'embarras lui rougit les joues quand il se rendit compte de ce qu'il avait eu l'intention de faire.
— Pardonnez mon impolitesse. Je me suis… oublié.
Mais là non plus, Link ne parut pas lui en vouloir et balaya son excuse d'un large sourire.
— Ce sera un plaisir d'en parler plus longuement, mais une autre fois ? Mon amie doit m'attendre. Passez une bonne soirée !
Et sur ces belles paroles, il les quitta, disparaissant une fois de plus parmi les convives.
Il était vraiment petit.
— Link, hein ? répéta Ash en lui jetant un regard entendu, les bras croisés.
Que Din damne les amies d'enfance trop fouineuses et possédant une bonne mémoire. Celle-ci allait avoir sa mort sur la conscience.
— Vous vous connaissez depuis longtemps ?
Elle l'attrapa par le bras, le traînant pratiquement derrière elle alors qu'elle les emmenait à la place quitté plus tôt.
— Connaître, connaître, c'est un bien grand mot. C'est celui qui était coincé dans le carrosse, quand nous sommes arrivés, tu t'en souviens ?
— Jehd, je ne suis pas assez ivre pour oublier quelque chose qui est survenu il y a moins de deux heures, particulièrement un incident aussi cocasse.
Puis elle lui adressa ce regard. Ce regard qu'elle lui adressait à chaque fois qu'il montrait plus que l'habituel intérêt poli envers n'importe qui, et plus particulièrement quand c'était un homme.
Définitivement, il regrettait amèrement le jour où il lui avait confié son inclination pour eux. Il aurait définitivement mieux fait de jongler avec ses poignards, ça le poursuivrait moins.
— Je te défends de poursuivre ton commentaire, siffla-t-il entre ses dents serrées.
— Oh, qui ça, moi ? Mais quel genre de commentaire pourrais-je bien faire ?
Son air faussement innocent ne trompait personne, et lui encore moins. Quand elle se servit un nouveau verre et parcourut la foule les entourant avec intérêt, il sut que la soirée allait être encore plus longue que ce à quoi il s'était attendu.
Elle allait être interminable.
Aussi spacieuse que pouvait être une pièce, et aussi haut que pouvait se trouver son plafond, il ne fallait pas longtemps pour qu'un nombre aussi important de personnes réunies au même endroit fasse augmenter la température. Couplé à l'armée de bougies nécessaire pour l'éclairage, l'atmosphère était proprement étouffante.
Jehd ne fut donc pas surpris quand il croisa d'autres personnes dans les jardins du palais, sans doute dans la même quête que la sienne : un peu d'air frais et respirable.
Ils avaient enfin croisé le reste de la Résistance un peu plus tôt et avait donc échangé quelques mots avec eux avant que le besoin de respirer librement se fasse pressant, surtout avec l'imminence de la véritable cérémonie.
Il n'avait eu qu'à suivre le mouvement de foule pour enfin admirer le travail des jardiniers du palais et inspirer profondément la légère brise qui agitait les végétaux.
Peu désireux de se retrouver coincé dans une nouvelle conversation, il décida de marcher un peu, histoire de se dégourdir les jambes mais aussi de savourer le calme relatif que le soleil couchant apportait aux jardins.
Les serviteurs s'empressaient d'allumer les lanternes afin d'éviter les accidents aux quelques promeneurs, des tâches lumineuses naissant au fur et à mesure de leur avancée.
Jehd les laissait passer, bifurquant vers un banc un peu à l'écart afin de s'y asseoir quelques minutes, coupé de l'agitation grâce aux haies qui s'y trouvaient.
Quelle ne fut pas sa surprise en retombant sur un visage qu'il commençait bien à connaître, et plus encore en découvrant sa situation.
— Vous voilà de nouveau en bien fâcheuse posture, commenta-t-il malgré lui.
Il frissonna au regard noir qui lui fut adressé mais plus encore quand il fut remplacé par un air réjoui après un rapide éclair de surprise.
— Jehd ! Vous tombez à pic !
— Besoin d'une nouvelle main secourable ?
— Et plutôt deux fois qu'une.
Prenant l'invitation au vol, il s'avança et se glissa dans son dos pour s'attaquer à l'ouvrage.
— Comment vous y êtes vous pris, si je peux être curieux ?
— Pas la moindre idée.
Allez savoir comment, Link était parvenu à s'emmêler dans les branches drues des haies, son bonnet symbolique et ses mèches châtains s'accrochant aux feuilles pointues en une tentative de fusionner avec.
— On ne voit rien, râla soudainement Jehd. Le mieux serait que je retirer le chapeau, est-ce que ça vous dérange ?
— Ce n'est qu'un chapeau, j'y survivrai, répondit-il d'une voix absente alors qu'il fouillait dans son sac.
Avec un son de victoire, il en extirpa une lanterne qu'il alluma rapidement, apportant ainsi une lueur bienvenue pour le bien de sa tâche minutieuse.
— Parfait. Ne bougez plus, voulez-vous ?
Le bonnet abandonné aux buissons, Jehd se concentra sur la chevelure décoiffée, la travaillant mèche par mèche pour la libérer.
Malgré lui, il en apprécia le toucher mais sut rester suffisamment maître de lui-même pour ne pas sombrer à son impulsion d'y passer la main. Enfin, pas plus que nécessaire, quoi.
Le couvre-chef put lui aussi être sauvé sans que le moindre fil n'en soit arraché, ce qui fut un soulagement pour l'archiviste.
Même si ce n'était qu'une imitation, les détails minutieux qui le décoraient étaient trop précis et donc précieux. Silencieusement, Jehd admira le travail effectué, ses doigts caressant le tissu avec révérence.
Il savait que ce n'était pas le bonnet original, mais c'était plus fort que lui. Rien que la ressemblance suffisait à le troubler.
Il quitta l'espèce de transe dans laquelle il s'était plongé, par l'intervention d'une main gantée attrapant la coiffe et la tirant.
— Heureusement que vous étiez là, je suis loin d'être aussi pointilleux, je l'aurais sans doute arraché sans soin.
Link eut le mérite de paraître un peu coupable quand Jehd tourna vers lui son célèbre regard de hibou sonné - comme l'appelait Ash - et légèrement courroucé. Comment osait-il traiter cet artefact aussi cavalièrement ?
Mais il oublia rapidement le sermon qu'il avait l'intention de lui servir quand ses yeux reposèrent de nouveau sur lui, son cœur battant subitement plus fort.
Le ciel s'était embrasé à la fin de la course du soleil, offrant les derniers rayons orangés adoucissant tout ce qui baignait dedans. Ajouté à ça l'éclat de la lanterne se renforçant à mesure que la luminosité baissait, son vis à vis paraissait être nimbé d'une lueur douce et chaude, semblable à l'aura des déesses. Avec sa tenue si proche de celle du Héros du Temps, sa chevelure ébouriffée comme s'il venait de se lever, et cette interrogation dans ses yeux à la couleur si perturbante…
Si Jehd avait été quelqu'un d'impulsif, il n'avait aucun doute sur le fait qu'il aurait comblé l'espace entre eux pour lui ravir un baiser. Mais il était tristement rationnel et se reprit rapidement, rajustant ses lunettes en s'éclaircissant la voix.
— Vous voici libre ! Je vais retourner à la salle de réception, il commence à faire un peu froid…
— Je vous raccompagne, dans ce cas.
Alors que Link remettait le bonnet en place, se recoiffant vaguement du bout des doigts, l'archiviste se fit la réflexion que pas à un seul moment il n'avait perdu son sourire, l'affichant depuis la première seconde où ils s'étaient rencontrés. Existaient-ils encore des gens à la capitale dont la bonne humeur n'avait pas été aspiré par les taxes ?
Après, au vu de son accent et de certaines de ces manières, il y avait de fortes chances pour qu'il ne soit à la Citadelle que depuis peu de temps, mal dégrossi de son village de campagne.
Par bien des manières, il lui rappelait Moï, bien que celui-ci se rendait suffisamment ici pour avoir appris comment donner le change et ne plus être jugé par sa provenance, bien que le naturel pouvait rapidement revenir au galop.
Ils cheminèrent sans échanger le moindre mot, éclairés par la lanterne de Link, le gravier grinçant sous leurs pieds.
Le silence avait une petite nuance gênée, Jehd ne pouvant s'empêcher de rejouer la scène de tantôt dans son esprit puis de piquer un fard aussitôt alors que son imagination s'emportait et lui présentait divers scenarii de ce qui aurait pu être la suite. Il se tançait intérieurement pour ne pas avoir au moins tenté une approche, n'importe quoi pouvant lui mettre la puce à l'oreille sur son éventuelle inclination en son encontre. En plus, c'était le lieu et le moment idéal ! Cet alcôve végétal offrait une intimité relative propice à ce genre de déclarations et était éloignée de toute âme qui vive.
Même y essuyer un refus aurait acceptable, car personne d'autre n'en aurait été témoin.
Mais l'opportunité s'était envolée et ils devaient retourner à cette pesante cérémonie. Peut-être pourront-ils se recroiser avant son échéance, mais il en doutait. Et plus encore après.
Ce fut donc un sourire crispé aux bords légèrement amers qu'il offrit en réponse à la salutation alors qu'ils se séparaient une fois de plus, le cœur serré.
Quand il retrouva Lafrel, Moï et Ash, il arracha le verre de cette dernière, et le vida d'un mouvement de glotte avant de le lui rendre, faisant face à leurs surprises.
— Tu sais qu'à cette heure, notre chère épéiste ne tourne plus au jus de fruits ?
— Parfaitement.
Ils tentèrent de reprendre leur conversation, le fixant toujours de leurs yeux écarquillés, mais gardèrent le silence encore quelques secondes, le temps de traiter l'information.
— Farore soit damnée, que t'est-il arrivé pour que tu décides de faire une entorse à ton refus de consommer de l'alcool ? le pressa son amie. T'es tombé sur un couple adultère ?
— Je ne veux pas en parler.
Sur cette dernière déclaration, il clôt la discussion et ils reprirent la leur, comme si de rien n'était. Mais ils savaient tous que l'événement reviendra sur le tapis plus tard, peu importe ce qui arriverait.
— Tu m'as vidé mon verre, tu m'accompagnes me resservir, décréta Ash en l'embarquant une fois de plus avec elle.
Elle aurait pu le traîner absolument n'importe où qu'il n'aurait émis aucune objection, tout juste conscient de ce qui se déroulait en-dehors de ses pensées, en pleine introspection.
— Qu'est-ce qui t'arrives ? Tu es bizarre depuis le début du bal. Tu couves quelque chose ?
— Non non. J'ai juste… Je suis fatigué, j'ai hâte que tout cela finisse, soupira-t-il en se frottant le front. Et je commence à douter du bienfondé de ma présence ici. Ce n'est pas comme si j'avais vraiment pris part de manière active aux activités de la Résistance.
— Tiens, ça faisait longtemps depuis la dernière fois que tu ne m'avais pas fait un syndrome de l'imposteur, se moqua-t-elle.
Elle le rattrapa par le coude et retourna auprès de leurs amis, gardant ce fichu rictus ironique sur les lèvres.
— Jehd nous refait une crise, leur déclara-t-elle en le relâchant. La soirée va être longue, je vous le laisse cette fois.
Il était régulièrement sujet à de telles inquiétudes, que ce soit lié à ces études ou à sa place dans la Résistance, chaque membre était donc rôdé à cette attitude de sa part. Au lieu de tenter de le rassurer, Moï et Lafrel l'invitèrent à prendre part à leur échange, l'occupant efficacement au point qu'il fut surpris quand la reine monta de nouveau sur la plateforme surélevée pour s'adresser à eux, les musiciens achevant leur morceau en parallèle et les danseurs quittant la piste docilement.
Elle demanda le silence, plus pour la forme car un plus un son n'était émis.
— Mes loyaux sujets, commença-t-elle. Vous n'êtes pas sans savoir que notre royaume a traversé une période bien sombre. Ce que vous ignorez c'est qu'elle a pris fin à l'aide de personnes bien ordinaires ayant décidé de mettre en commun leurs savoir-faire afin de renverser l'Usurpateur. C'est donc à l'occasion de cette célébration que je souhaiterais les remercier mais aussi les récompenser.
Jehd eut l'impression que ses oreilles étaient aux abonnées absentes, grésillantes, plus aucun son ne les traversant alors qu'il était embarqué par la Résistance au complet, Telma les ayant rejoint en cours de route, les yeux brillants. Ses pieds ne lui semblaient plus toucher le sol et il fixait sa destination à la manière d'un condamné à mort contemplant la potence. S'il n'avait pas été tenu si solidement, nul doute qu'il aurai pris la fuite.
Ses jambes lui semblaient être constituées de gelée alors qu'il grimpait à la suite d'Ash et se plaçait à ses côtés.
Faire subitement face à une masse constituée de nobles dont l'attention était entière tournée vers eux - vers lui, ils le regardaient lui. Ils devaient se demander ce qu'un gamin dégingandé et propre sur lui devait faire au milieu de ces guerriers aux allures terribles - manqua de le faire défaillir.
Mais une force qu'il s'ignorait posséder prit le dessus et il parvint à rester droit, le regard stable fixé sur les armures brillant au fond de la salle. Le discours de la reine, par contre, devint inaudible, son esprit bourdonnant sans fin. Il fallut qu'Ash le pince à la cuisse pour qu'il parvienne à raccrocher avec la réalité et ainsi attraper la ligne le concernant, lui permettant de s'avancer afin qu'une médaille brillante soit épinglée au revers de sa veste par la reine elle-même.
La reine elle-même.
La reine elle-même.
C'était fichu, son cerveau ne fonctionnerait plus jamais de la même manière à partir de maintenant.
Il recula plus par réflexe que par initiative, oubliant presque comment respirer.
Les yeux sur eux - sur lui - semblaient sombres d'envie et de mépris et il craint un instant pour sa vie.
Tout cela était grotesque. Il allait se réveiller dans son petit appartement encombré et toute cette situation disparaîtra comme n'importe quel autre rêve. Ou subsistera juste assez pour qu'il puisse le raconter à Telma quand il viendra la saluer, qu'ils en rient ensemble avant de retourner à leur routine.
Mais non seulement ça n'arriva pas, mais en plus ce n'était pas fini.
— Et parmi tous ces gens courageux qui se sont levés contre la tyrannie de l'Usurpateur, j'aimerais particulièrement remercier celui qui a levé son épée pour le jeter à terre.
Dans leurs dos, le bruit de quelqu'un grimpant à son tour sur la plateforme se fit entendre, mais Jehd s'était changé en pierre et ne parvint pas à se retourner. De toute façon, il aura tout le loisir d'étancher sa curiosité vu que cette personne s'arrêta au bord, plus proche de la foule que lui ne l'était.
C'était Link.
C'était Link.
— Link, du village de Toal, héros élu par les déesses, accepte de notre part nos remerciements les plus sincères.
Dans un mouvement souple qui avait dû être répété, celui-ci posa un genou à terre, la tête baissée, alors que la reine se fendait d'une légère courbette pour accentuer ses propos, avant de se redresser et de s'emparer de l'épée de cérémonie qu'un serviteur lui avait apporté.
— Devant cette cour et les déesses, qu'Hylia et les Trois Dorées en soient témoin, je t'adoube. Relève toi chevalier et rend ta patrie fière. Ne te rend jamais coupable de parjure et continue sur ce chemin qui est le tien.
Jehd était à l'endroit idéal pour observer Link, et la vision de ce visage sérieux, aux sourcils froncés et au sourire absent fut un choc, plus grand encore que de découvrir qu'il était celui qui avait détrôné l'Usurpateur. Ils ne se connaissaient que depuis à peine une heure… deux ? Bref, depuis le début de la réception, mais pas un seul instant ne l'avait-il vu sans ce sourire éclatant qui, en comparaison avec son expression actuelle, le rajeunissait de quelques années.
Limite, aurait-il pu croire à l'existence d'un frère jumeau, s'il n'avait pas repéré un minuscule bourgeon accroché à une boucle de cheveux, rappel de l'accrochage précédent.
Son cœur battait si fort qu'il en était sourd. Mais ce n'était rien encore quand leurs regards se croisèrent et qu'il vit le coin de ses lèvres s'agiter, comme si un sourire tentait de forcer la voie mais qu'il en était empêché.
Non, ça devait être lui qui s'inventait des choses.
La cérémonie parut durer des heures et Jehd descendit de l'estrade encore plus sonné qu'il n'y était monté, ses oreilles bourdonnant plus fort, sans savoir si c'était dû aux applaudissements tonitruants qui avaient salué leurs courages à tous ou si c'était d'avoir réalisé que Link - le gentil, solaire, souriant, très beau - Link était le héros qui les avait tous sauvé.
Si Ash et Telma ne le tenaient pas aussi fermement, nul doute qu'il serait déjà étalé sur le sol, telle une marionnette dont on aurait coupé les fils.
— Tout va bien mon gars ? s'enquerra Moï. Tu es encore plus pâle que tout à l'heure, tu es sûr de ne pas être malade ?
— Maintenant que les médailles ont été distribué, nous pouvons nous éclipser, renchérit Laffrel. Tu devrais rentrer chez toi et te coucher, Jehd. Te connaissant, tu as dû angoisser toute la nuit précédente à en oublier de dormir. Ça doit être le contrecoup.
Miraculeusement, il parvint à ne pas trop bafouiller et à refuser. Non seulement il se sentait parfaitement bien, merci, mais en plus il était parfaitement au courant que non, il ne pouvait pas se contenter de recevoir une récompense et de prendre la poudre d'escampette comme ça ! Il était attendu de lui qu'il participe à une danse au moins, et vu le fiasco de tantôt, il avait d'autant plus intérêt !
Ils eurent un petit instant de flottement une fois de retour parmi les convives, hésitant sur les pairs à créer. L'un d'eux devait inviter la reine comme le dictait le protocole, mais ainsi ils se trouvèrent en nombre impairs, trois hommes pour deux femmes en plus.
Décidé à rester de côté au moins pour le coup d'envoi, Jehd s'écarta du groupe et s'éventa à l'aide de sa main. La tension s'abaissait lentement, desserrant l'étau qui avait fait pression sur lui durant ce court instant. Il avait presque l'impression de sentir ses organes se réinstaller aux bons endroits et son sang circuler correctement !
Amusé par cette réflexion un peu stupide, il se sourit à lui-même avant de se rendre compte qu'on tentait d'attirer son attention. Et, une fois de plus, ce « on » se trouvait être Link. Celui-ci lui tendit la main, l'air amical. Quand il aperçut son air interrogateur, il se répéta :
— Puis-je vous inviter à danser ?
— … Moi ? coassa-t-il.
Sa main s'abattit violemment sur ses lèvres mais c'était déjà trop tard, il avait parfaitement entendu cet horrible son. Mais il n'en eut pas l'air dérangé et lui rendit son regard, clairement impatient.
Alors, au lieu de lui répondre, il attrapa sa main tendue qu'il agrippa des deux siennes, telle une bouée qui lui permettrait de garder la tête hors de l'eau, alors qu'il sentait revenir le bourdonnement et le coton reprendre les places qu'ils venaient à peine de quitter.
Link avançait avec une assurance qu'il était loin d'égaler et quand ils s'arrêtèrent non loin de Telma, ils échangèrent un regard décontenancé mais ne purent s'attarder dessus, les premières notes retentissant de nouveau.
Si Lafrel et Moï surent mener leurs partenaires convenablement, Jehd et Link eurent quelques cafouillages, tous les deux essayant de prendre la tête du mouvement, avant que le héros ne se penche à son oreille.
— Tout ce que je connais, c'est les danses traditionnelles de mon village.
— Alors, pourquoi…? Laissez-moi faire, soupira-t-il.
Il s'attendait à devoir lutter pendant au moins deux autre couplets mais à son grand étonnement, il n'en fut rien, Link s'abandonnant immédiatement à lui, accompagnant chaque pas comme s'ils avaient répété cette valse toute leurs vies.
Profitant d'un ensemble de pas qui les rapprochait, Jehd se pencha vers l'oreille pointue, curieux.
— Si vous ignorez comment valser, pourquoi m'avoir invité ?
— Comment ça ?
Quand il se recula, il croisa son air perdu, ce qui le troubla d'autant plus. Seraient-ils tous les deux les cibles d'une mauvaise plaisanterie ? Mais aucun de ses amis n'affichaient cet air calculateur comme ils le faisaient dans ces moments-là, lui souriant même quand leurs regards se croisaient.
— C'est vous qui m'avez incité à vous inviter ! se défendit Link.
— Impossible, c'est vous qui m'avez adressé la parole !
C'était une situation folle. Les manigances proviendraient-elles de plus haut ?
— Parce que vous m'avez fait signe de m'approcher ! Je pensais que c'était pour ça !
— Je vous aurais fait signe de… de quoi ?
La danse reléguée à la fin de sa liste des tâches prioritaires, Jehd laissa sa mémoire musculaire prendre le dessus alors qu'il fouillait celle rétrospective, concentré. Quand et comment aurait-il pu l'induire en erreur ? Le seul moment où ç'aurait été possible était alors qu'ils se trouvaient tous les deux (avec d'autres gens) sur la plateforme, et hormis avoir l'air plus mort que vivant, il n'avait pas fait grand-chose.
— Tout à l'heure. Avec votre main. Vous m'avez fait signe de m'approcher.
Link n'avait plus l'air aussi sûr, lui aussi commençant à avoir finalement des doutes, et leur rythme se ralentit, les faisant rater une mesure, mais ils n'en avaient cure, à deux doigts de s'immobiliser, ayant tout oublié sur leur situation et les spectateurs.
— Tout à l'heure ? J'avais un peu chaud, c'est tout. Attendez… Non ?
C'était plus fort que lui, Jehd sentit ses zygomatiques tirer alors qu'un sourire se forçait, et plus encore quand un rire menaça de s'échapper. Il manqua même de le lâcher tout à fait pour laisser libre-court au fou rire qui menaçait.
À la place, il tira un peu fort sur leurs mains jointes et rattrapa leur retard sur les deux autres couples, réprimant son amusement autant que possible. Il sentait ses yeux s'humidifier à cause de ça, et sa bouche était tordue sous l'effort, mais ce n'était ni le lieu ni le moment pour céder à l'hilarité. Plus tard.
S'agrippant plus fortement au cuir sous ses doigts, il évita consciencieusement le regard inquisiteur pesant sur lui. Ses poumons s'agitaient alors que le ridicule de la situation jouait encore et encore dans sa tête.
Heureusement, la mélodie prit fin et ils durent se saluer avant de rejoindre les rangs amassés, permettant ainsi aux nobles de reprendre leurs trémoussements guindés, pendant que la reine les quittait et que le petit groupe se rejoignait.
Le menton contre la poitrine, Jehd fixait le sol, les épaules tressautant, ce qui inquiéta Ash, et plus encore quand il porta la main à ses yeux.
Il n'en fallut pas plus pour que son sang ne fasse qu'un tour et qu'elle s'attaque verbalement à son cavalier, regrettant de n'avoir pu prendre avec elle une arme.
— TOI ! Qu'as-tu dit à mon ami ?! Tu crois que parce que la reine vient t'adouber, tu peux te permettre tout ce que tu veux ?!
Reculant sous l'index accusateur, Link tendit les bras devant lui, comme pour se protéger, avant que les adultes ne les rejoignent, le sauvant.
— Ash, arrête, je réponds de Link, si quoi que ce soit, je doute qu'il était malintentionné.
Moï tapota l'épaule de l'archiviste qui se redressa subitement, la main plaquée contre les lèvres et des larmes coulant de ses yeux, alarmant ses proches qui s'amassèrent autour de lui, faisant barrage entre les inconnus de la salle et leur ami éploré. À ses côtés, Link ne savait plus où se mettre, clairement dépassé par la situation. Que se passait-il ?
De force, Ash, retira la main obturant la bouche, clairement énervée et prête à se jeter sur le tout nouveau chevalier. Mais quand elle le fit, ils se figèrent, alors que le premier éclat de rire retentit, vite suivi par d'autres.
Sous leurs regards atterrés, il s'écroula pratiquement sur place, ne se rattrapant qu'in extremis en enlaçant Ash, son rire le secouant jusqu'à se changer à des hoquets, lui permettant alors de se reprendre suffisamment pour se redresser et essuyer les larmes d'hilarité.
Il se sentit un peu coupable en faisant face aux expressions perdues de tout le petit groupe, et plus encore de la part de Link qui s'enfonçait dans la consternation.
— Navré, je crois que mes nerfs ont eu raison de moi, articula-t-il.
Il sortit son mouchoir de poche et entreprit d'effacer les dernières traces de larmes mais aussi la sueur qui avait légèrement perlé.
— Ça fait bien longtemps que je ne t'ai pas entendu rire aussi franchement, soupira d'amusement Laffrel en secouant la tête, un rien de blâme dans la voix. Tu es trop sérieux, gamin, tu dois apprendre à souffler de temps en temps.
— Va lui chercher un verre d'eau, claqua Ash en se prenant de nouveau à Link.
Celui-ci disparut aussitôt sous son regard énervé, les sourcils froncé.
— Tu vas lui faire peur, la taquina Telma. Pauvre garçon, il passe de héros auréolé de gloire à cible de notre petite Ash… Il risque de ne pas oublier de sitôt cette soirée.
Ils se déplacèrent, se rapprochant d'un mur, autant pour laisser de l'espace à ceux qui voulaient se rapprocher de la piste que pour obtenir une relative intimité. Et une protection pour leurs dos, pour les plus paranoïaques.
— Revoilà ton chevalier-servant, Jehd, s'amusa la tenancière. Il obéit bien, en tout cas ! Moï, tu crois qu'il accepterait de travailler à la taverne ? Avec le départ d'Iria, je manque de bras…
Au lieu de lui répondre directement, il leva les yeux au ciel et soupira, comme s'il était fatigué de cette conversation.
Mais contre toute attente, lorsque Link arriva à leur hauteur son expression préoccupée vira en un grimace d'effroi. Il se précipita, bousculant ceux l'entourant sans y prendre garde pour s'arrêter devant Jehd qui papotait calmement avec son amie, prit un peu d'élan et vida l'eau qu'il était partit quérir dans le même mouvement, ciblant ses cheveux.
Le liquide eut à peine le temps de tremper la chevelure qu'un silence effaré s'étendit parmi leur groupe, mais aussi parmi les rares témoins les entourant, leurs regards portés soit sur le coupable, soit sur sa victime qui s'était figée, des mèches rousses pendouillant tristement autour de sa tête et des gouttes glissant le long des verres de ses lunettes.
Ash allait définitivement faire disparaître le héros élu des déesses de la surface du royaume.
Telma s'empressa auprès de l'archiviste pour tenter d'éponger maladroitement le gâchis, utilisant un mouchoir péché au fond d'une de ses poches, repoussant les mèches folâtres en arrière. Pendant ce temps, Moï avait abordé Link, le secouant doucement par l'épaule pour lui faire quitter sa torpeur tout en repoussant Ash, bien décidée à lui arracher les yeux. De ses mains ou à l'aide de ses talons, elle hésitait encore.
— Qu'est-ce qui t'as pris, Link ? le questionna doucement Moï. Ce n'est pas ton genre d'humilier quelqu'un. Est-ce parce qu'il a ri tout à l'heure ? Ce n'était pas de toi, il a simplement évacué la tension, il ne fallait pas le prendre personnellement.
L'espace de quelques secondes, le jeune hylien l'observa sans comprendre, le verre vide serré dans ses mains.
— Je voulais juste éteindre le feu, mâchonna-t-il.
— Le… feu ? Mais quel feu ? La bougie ?
En effet, juste dans le dos de Jehd s'élevait l'un des nombreux cierges permettant d'illuminer la vaste salle de réception. Heureusement, l'eau ne l'avait pas atteint et il continuait vaillamment à remplir son office.
Moï eut beau la scruter, il ne parvint pas à comprendre son schéma de pensée. Alors, à la place, il l'attrapa par le bras et le fit s'avancer.
— Viens t'excuser.
— Mais…
Link avait l'air clairement de penser avoir bien agi, même s'il était aussi évident qu'il était un peu perdu et que la situation lui avait échappé.
— À défaut d'excuse, les interrompit Jehd, je souhaiterais surtout une explication.
Un serviteur lui avait apporté une serviette ce qui lui avait permis de se sécher d'une manière plus satisfaisante que le pauvre mouchoir de la tenancière et il remettait en place sa coiffure, même si sa célèbre mèche rebelle ne l'entendait pas de cette oreille. Son col et son nœud faisaient grise mine, retombant mollement, parachevant le tableau.
Link ne put s'empêcher de déglutir à cette image, ses pommettes rosissant légèrement alors que soudainement, l'inaccessible archiviste arborait une apparence plus fragile, presque timide, et plus encore lorsqu'il retira ses lunettes pour en essuyer les verres, ses yeux myopes cillant chasser les quelques gouttes résiduelles.
— Je… tenta-t-il de dire. J'ai cru que vous aviez pris feu.
L'aveu s'acheva en un marmonnement honteux alors qu'il baissait le nez, l'extrémité de ses oreilles rougissant.
— Je me demande bien comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion.
— J'ai peut-être une idée, intervint Lafrel. Viens par là, gamin.
Le sourire qu'il arborait n'était pas pour le rassurer, mais il obtempéra, rechaussant ses verres.
Lafrel le replaça à l'endroit exact où il se tenait avant de se faire asperger et brossa un peu ses cheveux pour leur donner du volume.
— C'est bien ce que je pensais, conclut-il.
Il se tourna vers Link, les yeux brillants d'amusement contenu.
— J'ai raison ?
L'interpellé passa de Jehd au vieil homme et inversement durant quelques secondes pendant que leurs amis l'imitaient, tentant de comprendre le raisonnement.
— Oui, avoua-t-il d'une petite voix.
C'était affreux, il ne savait plus où se mettre. Déjà qu'il accumulait les circonstances peu reluisantes, le voilà en train de saboter une bonne fois pour toute la moindre chance qu'il aurait pu avoir avec lui… S'il pouvait, il se collerait des claques !
— Loin de moi l'envie de briser cette complicité, mais ça ne m'éclaire pas plus.
— Oh, pour être éclairé, tu vas l'être, ricana Lafrel. En te tenant comme ça, la flamme du cierge se reflète dans tes cheveux, ce qui peut donner l'impression que tu as pris feu.
Difficile de savoir qui de Link ou Jehd était le plus embarrassé, leurs joues se parant d'un rouge vif pratiquement semblable. Ils évitèrent soigneusement de croiser les yeux de l'autre alors que l'amusement secouait les résistants restants.
— J'ai eu bien des commentaires sur la couleur de mes cheveux, mais celui-là, c'est une première, finit-il par soupirer théâtralement. J'ai besoin d'un verre, mais celui-là il finira dans mon gosier.
Sans rien ajouter de plus, il s'éloigna en direction du bar, rapidement rejoint par Ash. Ils gardèrent le silence jusqu'à ce qu'ils portent leurs nouvelles boissons à leurs lèvres, les goûtant.
— Quelle soirée, commenta-t-elle finalement.
— Et elle a démarré il y a moins de deux heures, se plaignit-il.
— Maintenant que tu le dis…
Ils échangèrent un regard entendu et commandèrent quelque chose de plus fort, juste pour l'occasion.
— Après, ce qu'a dit Lafrel est vrai, reprit Ash un peu plus tard.
Ils avaient décidé de ne pas revenir tout de suite, mais elle avait ralenti l'alcool, Jehd retournant aux mocktails.
— À quel moment ?
Se léchant les lèvres, il tenta de se remémorer les propos de l'ancien précepteur mais ça commençait à devenir un peu flou.
— Que si tu le souhaites, tu pouvais filer à la gerudo. Nous avons sacrifié à la bienséance, c'est bien suffisant.
— Tu comptes partir ?
Un gros soupir accueillit cette question.
— Peu de chance. D'après Moï, ça se verrait tout de suite, je suis trop reconnaissable.
— Ash, je suis roux, c'est pratiquement impossible pour moi de ne pas me faire repérer. Et puis, je te manquerais trop.
Ils se charrièrent puis retournèrent auprès de leurs amis qui semblaient avoir un peu abusé de la bouteille à leur tour, ou du moins à l'exception de Telma. Mais la connaissant, c'était aussi possible, elle possédait une sacrée résistance à l'alcool grâce à ses années dans sa vente. Ils les accueillirent avec de grands cris un peu enroués.
Jehd ne put s'empêcher de remarquer Link qui semblait un peu à l'écart, la question étant de savoir si c'était de son fait ou du leur, alors il décida de l'aborder.
— À la recherche d'un peu de temps seul ?
Surpris, il se raidit et se redressa vivement, comme un soldat à une inspection surprise, avant de se ressaisir et de grimacer un sourire, mais la différence avec ceux dont il avait été témoin précédemment était si frappante qu'il n'aurait pas pu l'ignorer, même s'il l'avait voulu.
— Encore navré pour tout à l'heure, je ne cherchais pas à vous humilier.
Le nez bas et les yeux rivés sur le bout de ses bottes, le grand héros avait tout du gamin repentant. Ou du chiot qu'on avait disputé.
Ému à cette comparaison, Jehd s'avança et lui tapota l'épaule, attirant son attention.
— J'ai surtout été décontenancé, ce n'est pas tous les jours qu'on se fait arroser. Vous me pensiez en danger, vous avez réagi par réflexe, ça arrive à tout le monde.
— Moï m'a expliqué que vous aviez reçu énormément de réflexions sur la couleur de vos cheveux.
— Ah. Ça.
Son ton prit une légère teinte amère et il détourna le regard, regrettant subitement de ne pas avoir pris quelque chose de plus fort, prenant une nouvelle gorgée de sa boisson.
— Les hyliens roux ne sont pas fréquents. Ils sont souvent issus de métissages, principalement auprès d'humains, mais aussi d'avec les gerudos. Et je ne pense pas avoir besoin d'expliquer au vainqueur de Ganondorf lui-même quelle mauvaise presse le roi des voleurs et son peuple ont auprès des gens d'Hyrule.
Malgré lui, repenser aux brimades qu'il avait vécu ternit sa bonne humeur et sa bouche prit un pli amer. Il plongea son regard dans le fond de son verre, contemplant absentement le liquide qui y restait.
— Tu connais Toal ?
Le passage au tutoiement et la question sortant de nulle part le surprirent, lui faisait redresser la tête pour croiser les yeux d'un bleu si unique.
— C'est un village plus au sud, dans la région de Latouane. Complètement isolé du reste du monde. J'étais le seul hylien à y grandir. Littéralement, je n'ai pas connu mes parents.
Pensif, Link joua avec les attaches de ses protège-bras.
— Je n'ai pas vécu la même chose que toi, bien sûr, les gens y sont adorables, mais il n'empêche que j'étais le seul à avoir des oreilles pointues ou à être orphelin. Et tu sais comment peuvent être les autres enfants.
— Sans le moindre doute.
Un silence songeur prit place entre eux.
Jehd jeta un œil vers le reste de la résistance qui semblait bien s'amuser, inconscient de leur propre ambiance, le décidant.
— Hé, il nous reste plusieurs heures avant la fin de la réception. Que penses-tu de retourner dehors ?
— Bonne idée, je parie que je manque à un certain buisson.
Le sourire qu'il afficha n'était toujours pas aussi brillant que les tous premiers, mais il y avait déjà un mieux et Jehd se sentit y répondre, se réchauffant légèrement à cette vision.
Telma fut la seule à les repérer mais un simple geste de la main suffit pour la rassurer et les salua en levant son verre, comme si elle leur portait un toast.
Le retour à l'air frais fut un soulagement, bien que le contact avec ses vêtements humides fut une désagréable surprise, provoquant chez lui un frisson suffisamment violent pour être repéré.
— Tu veux qu'on y retourne ? lui proposa-t-il charitablement.
— Non non, ça devrait aller. Il fait vraiment étouffant à l'intérieur.
Machinalement, il se frotta les bras, tentant de les réchauffer au milieu des températures basses, mais sans effet.
Du coin de l'œil, il le vit se gratter la tête, préoccupé, avant qu'il ne détache la protection de ses bras et ne les lui tende.
— Ce n'est pas grand-chose, mais ça peut te protéger un peu.
— De quoi ? Aurais-tu l'intention de te jeter sur moi ? se moqua-t-il en s'en emparant.
Le double-sens de sa phrase ne l'atteint qu'après avoir été témoin du rougissement de Link et il fit semblant d'être absorbé par sa contemplation des motifs pour ne pas affronter son regard. Il doutait d'être capable de le soutenir, peu importe ce qu'il pourrait y trouver.
Et que pourrait-il y trouver, de toute façon ?
Maladroitement, il tenta de les attacher mais des mains secourables s'ajoutèrent aux siennes, assurant les lacets et les nœuds avec une habitude évidente.
Jehd ne parvint pas à écarter son attention du manège, ses yeux suivant chaque mouvement des doigts, glissant sur la peau brunie par le soleil, abîmée par les travaux et les combats, les cales… Lentement ils remontèrent jusqu'au dos d'une des mains, puis le poignet épais, le bras aux muscles déliés… Mais rapidement la côte de mailles bloqua son avancée et le réalisation de ce qu'il était en train de faire le frappa, reculant presque sous le choc.
L'embarras était si brûlant qu'il crut bien prendre feu, cette fois. Peut-être Link avait-il un autre verre d'eau à portée de main ?
— Tu as plus chaud ?
— Je te demande pardon ?
— C'est mieux comme ça ? Tu as plus chaud ?
Ils se tenaient toujours la main, la chaleur exsudant de la peau brunie était troublante, surtout pour lui qui les avait constamment froide, mais il était hors de question qu'il s'en écarte. Mais ce n'est pas comme si c'était lui qui décidait… Le cœur serré, il se préparait mentalement à son retrait, à la disparition de cette agréable source de chaleur, au retour du froid qui pouvait raidir ses doigts quand les températures baissaient… Mais rien.
Timidement, Jehd releva la tête, plongeant son regard dans le sien, à la recherche de… à la recherche de quoi ? Il n'en savait trop rien. Peut-être juste la preuve qu'il n'était pas le seul à rosir à proximité de l'autre, que lui aussi avait l'impression que tout son monde s'effondrait autour de lui dès qu'il attirait son attention… Quelque chose. N'importe quoi.
S'il osait, il tenterait même de l'embrasser.
Link ne bougeait pas, comme figé.
L'appréhension ? L'incompréhension ? L'idée que lui, le stupide et faiblard archiviste, puisse avoir un tout petit élan de cœur pour lui, le grand héros de leur ère, devait lui passer par-dessus la tête, mille lieux au-dessus.
— Pourquoi ne me l'as-tu pas dit ? finit-il par souffler.
— Te dire quoi ?
— Tout. Que tu étais le héros. Que tu étais celui qui avait triomphé des ténèbres et avait libéré Hyrule. Que tu étais le successeur du héros du Temps.
— Tu ne l'as pas demandé.
Mais Link ne parvint plus à soutenir son regard quand il répondit, le détournant, frottant un bras nu de sa main libre.
— Pourquoi ? le pressa-t-il.
— Je… Je ne voulais pas que tu t'approches moi pour de mauvaises raisons. Je ne suis pas un héros. Je suis… je suis bien plus que ça.
Le vent manqua bien d'arracher quelques mots de ses lèvres, heureusement que Jehd était assez proche pour éviter ça.
— Alors, comment aurais-tu souhaité que je t'approche ?
Leur prise mutuelle semblait irradier de chaleur, remontant le long de son bras, contournant l'épaule, glissant jusqu'au creux de sa poitrine où il se roulait en boule, battant au rythme de son cœur.
— Comme tu l'as fait avant le discours de Zelda. De la reine, pardon.
La brise agitait quelques mèches alors qu'ils concentraient leurs attentions sur l'autre à l'exclusion du reste du monde, bien qu'ils furent soudainement trop intimidés pour se plonger dans les yeux de l'autre, préférant contempler son apparence.
— Quand je t'ai aidé à sortir de ce fiacre ou lorsque tu as rapporté sa chaussure à Ash ?
Le rappel de ces actions de seulement quelques heures auparavant - quelques heures, vraiment ? N'était-ce pas des jours, des semaines, une éternité plus tôt ? - provoqua un rire bas et Jehd se sentit fondre un peu plus à ce son. C'était injuste, tout en Link respirait la séduction calme et paisible. Un simple battement de cils suffirait pour jeter n'importe quelle demoiselle en pâmoison alors que lui… et bien, Jehd ressemblait à Jehd.
Tout cela devait être une rêverie avinée et il se réveillera sous une table ou bien chez lui après qu'une âme charitable aura bien voulu le ramasser et l'y traîner, n'est-ce pas ?
— Pas vraiment nos moments les plus glorieux, avoua Link.
— Tout dépend. Comparé à se recevoir un verre d'eau dans la figure ou aider une pauvre âme en détresse aux charges avec une haie…
— J'ignore pourquoi, mais je sens que ces anecdotes vont me poursuivre longtemps.
— Pour t'en assurer, il n'y a qu'un moyen de le savoir, le défia-t-il, soudain frappé d'un élan d'audace.
— Vraiment ? Quel est-il ?
Ils s'étaient doucement rapprochés, le nez se frôlant presque, les mains toujours liées, leurs yeux s'ancrant enfin pour ne plus jamais se séparer.
— Pour t'en assurer, répéta-t-il, il te faudrait être auprès de moi, en tout temps et à toute heure. Partager chaque conversation que je pourrais avoir avec quelqu'un d'autre. Rester à mes côtés où que j'aille et quoi que je fasse.
— Ça ressemble à un plan.
— Ça ressemble à un plan, confirma-t-il.
— Un plan que j'adorerais voir être mis en œuvre.
Il piqua un fard à ces mots, et plus encore au sourire confiant qui lui était adressé. Pouvait-il y croire ? Link croyait-il à tout ce qu'il disait ? L'espoir levait timidement la tête alors que son cœur paraissait battre plus fort, plus vite, l'assourdissant.
— C'est une promesse ? balbutia-t-il faiblement.
— Plutôt une certitude.
Leurs lèvres se pressèrent les unes contre les autres avec timidité et un rien de maladresse, mais c'était plus que suffisant pour chambouler Jehd qui tendit sa main libre pour s'agripper au col, les rapprochant au point que leurs bras soient coincés entre eux deux, mais il était hors de question de bouger, de changer de position ou quoi que ce soit. À peine se décalèrent-ils pour accoler leurs fronts ensemble, l'air ravi et les pommettes roses. Quand Link entoura sa taille de son bras, resserrant leur étreinte, Jehd se fit la réflexion que la course du temps pouvait bien s'arrêter pour eux deux, qu'ils pourraient tout aussi bien vivre dans ce petit espace séparant une seconde de la suivante, et ce pour l'éternité.
Son cœur débordait tellement d'émotions qu'une larme traitresse lui échappa et coula le long de son nez, rattrapée par Link qui s'était contenté de relever le bras qui l'étreignait sans les séparer pour autant.
Était-ce lui qui était terriblement musclé ou lui pathétiquement maigre, permettant ainsi ce tour de force ?
Finalement, la question lui importait peu, décida-t-il, alors il se contenta de ravir un nouveau baiser avant de déposer sa tête sur une épaule, un peu étourdi par tous ces événements, sans oublier l'alcool.
Comment aurait-il pu imaginer le tournant qu'aurait pris cette soirée ? Être reconnu par sa majesté la reine Zelda avait déjà été un bouleversement en soi, un accomplissement irréalisable dont il n'aurait pu rêver. Apercevoir le héros, de loin, un aperçu parmi la foule, aurait suffi à le garder éveillé des nuits durant.
Maintenant, il était évident qu'il serait incapable de fermer l'œil pour un bon bout de temps. Et peut-être pas uniquement de son fait.
La vilaine pensée lui fit piquer un fard plus terrible encore et il enfouit finalement son visage contre le tissu rêche, sa main cognant presque son menton dans le mouvement, celle de Link glissant jusqu'à son épaule, la serrant d'une manière réconfortante, comme s'il voulait s'assurer qu'il était bien là, qu'il n'était pas un songe prêt à disparaître, qu'il était tangible.
Ils s'enlacèrent ainsi pendant de longues minutes, dans le silence, retenant presque leurs respirations de peur de briser l'instant présent, que quelque chose ne survienne et ne les sépare.
— Ah, vous étiez là !
Quelque chose comme un Moï sérieusement aviné leur tombant dessus comme une tonne de pierres, empestant l'hydromel comme s'il s'était baigné directement dans le fût, un air un peu trop enjoué sur le visage pour ne pas en rire malgré la situation gênante.
Avec reluctance, Link se recula et se débrouilla pour soutenir son père adoptif, s'apprêtant à retourner à l'intérieur, mais il se stoppa, relevant la tête pour croiser à nouveau le regard confus avec un rien de tendresse dans le sien, comme pour le rassurer : ce qui se passait entre eux était loin d'être fini. Ce n'était que partie remise.
— Je vais t'aider, offrit-il alors.
Maladroitement, il tenta de l'imiter, jetant le bras libre de l'humain par-dessus son épaule et soutenant son poids alors qu'ils avançaient péniblement pour retourner à l'intérieur.
— Le mieux serait de le confier à Telma ou Lafrel, qu'ils se chargent de lui, mais les retrouver dans cette foule…
— Oh, je n'ai aucun doute sur notre aisance à les repérer, soupira dramatiquement Jehd.
En effet, vu l'état d'ébriété de Moï, il n'avait aucun doute sur celui des deux épéistes et, par extension, leur volume sonore. Le plus ardu fut donc de se frayer un chemin jusqu'à eux sans perdre le colis dans la foulée. Et les déesses savaient combien les deux tourtereaux l'envisagèrent à plusieurs reprises, surtout quand il eut l'audace de leur demander ce qu'ils faisaient tous les deux tous seuls dehors. Mais ils furent assez adultes pour se contenter de rosir et de serrer les dents, augmentant leurs foulées.
Link n'aurait jamais cru qu'un jour il serait aussi soulagé en apercevant Telma.
— Oh, mes pauvres, il n'a pas fait trop de bêtises ? s'inquiéta-t-elle aussitôt.
Elle les déchargea de l'ivrogne, cillant à peine du poids mort s'appuyant subitement sur elle.
— La routine, balaya Link d'un haussement d'épaules. J'ai l'habitude.
À ces mots, Jehd se rendit compte que lui et Moï provenaient du même village et devaient donc se connaître depuis de longues années. Peut-être même savait-il qui était ce garçon dont il ne cessait de leur rebattre les oreilles avec ses exploits de toutes sortes, mais ce sera pour une autre fois.
Telma leur tourna le dos, apostrophant Lafrel pour qu'il vienne l'aider à gérer leur ami, et durant cette intervalle, il croisa le regard de Link qui lui adressa une œillade intimidée avant qu'un sourire plus franc ne se fraye un chemin et qu'il ne tende la main pour l'inviter à se rapprocher. Quand l'image de ses bras nus lui giflèrent le cerveau, il se rappela soudain que l'étreinte autour des siens étaient dues aux protections qui n'étaient pas les siennes et que l'observateur le plus inattentif devait avoir une bonne idée de leurs activités plus tôt - même si elles avaient été plutôt sages.
Tendant la main à son tour, il s'empara de la sienne et se rapprocha de lui, le laissant l'enlacer d'une manière beaucoup trop naturelle pour quelqu'un qu'il n'avait rencontré que quelques heures plus tôt, calant la pointe de son menton sur son épaule.
— Plus personne ne fait attention à nous, et si nous en profitions pour nous éclipser ?
Le murmure à son oreille occupa à lui seul tous ses sens avant que Jehd ne parvienne à interpréter ses propos et ne rougisse aussitôt, son imagination s'emballant malgré lui. Sans doute l'alcool consommé plus tôt.
Interprétant son rougissement comme une réponse positive, Link l'embrassa dans le cou avant de le tirer après lui, s'éloignant des résistants en s'assurant de ne pas se faire repérer, les dirigeant cette fois vers la sortie.
— Où as-tu l'intention d'aller ? l'interrogea Jehd, à bout de souffle.
La question eut le bon goût de le faire ralentir alors qu'il réfléchissait.
Il ne pouvait décemment pas l'emmener à la chambre qu'il occupait le temps de son séjour - déjà parce qu'il la partageait avec Moï, mais aussi parce qu'il ne voulait pas qu'il interprète mal ses intentions à son égard - mais tous les commerces et autres lieux qu'il connaissaient étaient fermés à cette heure avancée de la nuit.
— Aucune idée, admit-il. Je ne suis pas assez familier avec la Citadelle pour savoir où nous pourrions nous rendre sans réveiller la moitié de la ville.
— Que, que dirais-tu de te rendre chez moi ?
L'audace de ses mots approfondit son fard, mais Jehd concentra tout son courage pour poursuivre.
— Il n'y a rien de licencieux dans ma proposition, juste… nous y serions au calme et seulement… tous les deux ?
— J'en serai ravi.
Et pour prouver ses propos, il le rapprocha pour lui voler ses lèvres avant de s'en écarter et de le tirer à sa suite en riant, hélant un fiacre patientant dans la cour pavée, s'engouffrant dedans sans écouter le cocher qui l'interpella, manquant de peu de trébucher sur les genoux de convives qui le fixèrent sans un mot, éberlués.
— Descend de là, gloussa Jehd. On peut rentrer à pieds.
S'embrouillant dans ses excuses et dans ses pieds, le héros fut tiré à l'extérieur de la voiture sous les rires de son ami qui fut celui qui les tira, cette fois, le guidant jusqu'à son appartement, où il le lâcha enfin, enfouissant son visage dans l'angle de son cou, tentant d'apaiser les battements hiératiques de son cœur qui semblait vouloir s'arracher de sa poitrine. Mais non seulement ça ne fonctionna pas, mais ça empira lorsque Link resserra son étreinte sur lui et lui releva la tête pour l'embrasser lentement.
Une nouvelle vie commençait pour eux. »
— Et c'est ainsi, les enfants, que j'ai rencontré votre père, acheva rêveusement Jehd.
— On se serait tellement passé de tous les détails, déplora dramatiquement l'un d'entre eux.
La fratrie hocha la tête en accord très rapidement.
-J'ai vu que vous aviez besoin d'aide pour sortir de votre carrosse.
-Vous avez accidentellement lancé votre chaussure de danse à travers la salle de bal et m'avez frappé dans le dos... ou était-ce un accident ?
-Laissez-moi vous aider à dégager votre bonnet de cet arbre. - Link coincé
-Chevilles scandaleuses et/ou cheveux défaits
-Vous faisiez signe à quelqu'un d'autre avec votre éventail de vous rejoindre dans les jardins et j'ai cru que vous me regardiez... c'est gênant.
-Ne m'en veuillez pas de vous jeter de l'eau dessus, milord, mais votre perruque a pris feu, je pense que vous vous êtes approchée trop près des bougies.
-Vraiment, pourquoi cette fête a besoin de bougies de 5 heures, est-ce que je peux traîner avec toi ? Tous mes amis sont déjà ivres et il reste encore quatre heures.
-Tu m'as surprise sans gants ! Je suis pratiquement nu !
-Désolé, c'est la mauvaise chaise à porteurs.
Tout en une soirée (ou presque) - « Et c'est comme ça, les enfants, que j'ai rencontré votre père »
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