Bonjour tout le monde.
Désolée d'avoir tout laissé en plan pendant pratiquement trois mois, j'ai tellement forcé en décembre que je me suis retrouvée incapable d'écrire pour du Zelda depuis.
Le thème précédent (Adoption d'un enfant/d'un animal) me bloque énormément, alors j'ai décidé de passer au suivant, vu qu'il s'est écrit tout seul lui, malgré mon inexpérience. Quand je serai capable de le terminer, je le remettrai à sa place et vous préviendrai ;)
Pour ce thème, je me suis appuyée des posts Instagram de "Alzheimer_facts" que je vous invite à lire. Jehd présente les syndromes crépusculaires et de Mesulam. Il se peut que je les ai mal compris et mal écris et je m'en excuse. Dans ma famille, c'est plutôt Parkinson, quand le cancer ne vous emporte pas avant.
Bonne lecture !
Au début, ce n'était rien.
Qui n'avait pas quelques pertes de mémoire ? Qui n'était pas entré dans une pièce en se demandant ce qu'elle pouvait bien y faire ? Qui, à leurs âges, n'était pas épuisé et légèrement étourdi ?
Ils n'étaient plus aussi jeunes que lors de leurs rencontres, la vie avait été douce avec eux mais il fallait bien accuser les années qui étaient passées, à un moment.
Souriant, Link apprécia la caresse du soleil sur son visage alors que les dernières brumes du sommeil le quittaient. Le lit était chaud et confortable, les oiseaux dehors chantaient, c'était une belle journée qui commençait.
Sans ouvrir les yeux, il se tourna sur le flanc, enlaçant Jehd dormant encore à ses côtés, le pressant contre lui alors qu'il embrassait son crâne, grapillant encore quelques secondes avant d'avoir à se lever.
L'appartement était frais, presque un peu trop, quand il s'extirpa de leur couchage et il prit à peine le temps d'enfiler ses chaussons pour ajouter des bûches à leur poêle, ravivant les braises mourantes. Tant qu'il y était, il en profita pour remplir la bouilloire et la déposer dessus.
Leur logement n'était pas particulièrement sale ou désordonné, mais l'ancien aventurier mettait un point d'honneur à en faire le tour afin de ramasser ce qui traînait et de redresser le reste. Sans même y penser, il redressa le bras du gramophone, rangeant le disque avec les autres. Ils commençaient à en avoir une petite collection…
Pendant ce temps, la température se réchauffait et la bouilloire siffla bientôt, le rappelant dans la cuisine où il prépara la théière, cette fois, déposant sur la table le nécessaire pour leurs petits-déjeuners. Il allait bientôt être l'heure de sortir Jehd du lit, mais il avait encore le temps de se préparer.
La porte de leur salle de bain n'avait plus été fermé depuis une bonne décennie, au moins, si ce n'était plus, et parfois Link se demandait s'il ne valait pas mieux la retirer. Puis autre chose l'interpellait ou il repoussait la corvée plus tard, l'oubliant. Ce n'était pas comme si ça gênait qui que ce soit, et il avait fait sauter la serrure suite à une crise particulièrement violente.
Sa toilette avait été rapide, factuelle. Ça faisait bien longtemps que le plaisir du bain ne faisait plus partie de sa vie. Et il ne s'en plaignait pas, bien trop occupé à tendre l'oreille, attentif au moindre son témoignant du réveil de son mari et prêt à tout laisser en plan pour le rejoindre.
Ce matin, il avait de la chance, il avait pu se coiffer et même se raser !
C'était une belle journée qui commençait.
Sifflotant, il retourna dans leur chambre, ouvrant les rideaux et les fenêtres. Il avait déjà préparé la tenue de Jehd la veille donc il pouvait directement passer à l'étape suivante.
S'asseyant sur son côté du lit, il se pencha, l'embrassant sur la joue avant de se redresser et de saisir son épaule, la secouant tout doucement. Il fallait lui laisser le temps de se réveiller, de rassembler ses idées, de se souvenir où il était, et alors seulement ouvrira-t'il les yeux.
Auprès des animaux, Link avait appris la patience, que la vie avait son propre rythme et qu'il était inutile de le brusquer. Durant sa quête, ç'avait été tout le contraire, il fallait courir, toujours courir, aller à contre-courant, tenter de rattraper le temps si c'était même possible, quitte à en finir déchiré.
Puis Jehd avait ramassé les morceaux de lui, les avait recollé entre eux et lui avait réappris la patience.
Et maintenant, ils se l'enseignaient mutuellement.
Link sortit de ses pensées au grognement poussé par l'ancien chercheur et il s'empressa de lui tendre ses lunettes, l'aidant à les enfiler tout en le redressant, empilant les oreillers afin que son dos puisse reposer contre. D'une main légère, il peigna lentement la chevelure folle, la repoussant en arrière afin qu'elle ne gène pas Jehd.
Il lui avait avoué détester avoir les cheveux dans les yeux. Il méprisait cette fichue mèche rebelle qui ne se soumettait à aucun des cosmétiques qu'il avait pu utiliser tout le long de sa vie et rebiquait. Au moins n'atterrissait-elle nulle part dans son champ de vision…
Veiller à ce que cela n'arrive jamais fut l'une des premières missions dont il dut s'acquitter, plus particulièrement quand ils furent forcés de retirer le moindre objet coupant de leur logement, les retenant dans un tiroir fermant à clef. Clef qui le quittait jamais depuis.
Sans quitter son sourire, Link observa le bleu turquin devenir plus vif au fur et à mesure que son compagnon se réveillait complètement. Il sauta hors du lit quand il commença à scruter leur chambre, contournant le meuble pour le rejoindre.
— C'est le matin chéri, prêt pour une nouvelle journée ?
Il repoussa la couette et lui tendit les mains, l'invitant à les saisir pour sortir du lit.
Aujourd'hui, Jehd attrapa les deux poignets. Sa prise était correcte et Link sentit son cœur battre plus fort alors qu'il le manipulait, l'aidant à se tenir debout et à enfiler ses propres chaussons, puis s'asseoir sur la chaise de la coiffeuse où il commença à le déshabiller, alternant douceur pour retirer chaque pièce de vêtement afin de ne pas le brusquer, et vitesse pour le couvrir afin qu'il ne prenne pas froid.
Bien qu'il n'ait jamais mis un orteil dans les contrées désertées par le peuple Gerudo dont il portait la moitié du sang, il en avait hérité une résistance à la chaleur qui se traduisait par une sensibilité à toute température inférieure à 12°C, d'où sa tenue constituée de multi couches afin de conserver sa chaleur corporelle.
Il était donc important, aussi vital que confortable, de respecter ce besoin, au même titre que de faire infuser son thé préféré de la même manière qu'il l'avait fait pendant presque quarante années. Ou de respecter son besoin de silence le matin en-dehors de quelques phrases anodines.
Quand Link lui tendit à nouveau les mains, la prise était déjà moins affirmée, mais ça ne voulait rien dire, alors son sourire ne faiblit pas pendant qu'il le guidait dans la cuisine et l'installait devant son petit-déjeuner, servant son thé matinal avant de s'asseoir à ses côtés pour engloutir rapidement son propre bol de gruau, l'espionnant du coin de l'œil.
Chaque étape de leur quotidien était une épreuve. Une évaluation permettant de déterminer quel tournant allait prendre le reste de la journée.
Jehd fixait son couvert d'un air concentré avant d'avancer la main, tentant de le saisir. Mais soit il visait à côté, soit il finissait par lui échapper, éclaboussant la table de céréales.
Le rôle de Link, cette fois, était d'attendre cette mince frontière avant d'agir. Il ne pouvait pas arracher la cuillère de ses mains avant qu'il n'ait tenté car ce serait lui nier cette liberté et il était dangereux de laisser la frustration s'installer.
Il était là pour l'aider, pas pour l'accabler.
Souriant toujours, il remplit la cuillère d'un peu de gruau et la tendit à ses lèvres, le laissant les refermer dessus avant de recommencer.
L'anse de la tasse, elle, présenta moins de difficulté et il put lui laisser cette partie alors qu'il le nourrissait puis qu'il lavait la vaisselle.
— Il y a un très beau soleil aujourd'hui, ça te dit de t'installer au salon pour lire un livre ?
La défaillance de sa vue n'avait pas été une surprise, elle n'avait jamais été bonne, le condamnant aux lunettes très jeune, et pourtant elle marqua le début d'une période sombre à laquelle Link ne voulait surtout pas penser.
Il avait vécu des épreuves qu'il ne souhaiterait à personne, des qui le tenaient encore éveillé, des décennies plus tard, hanté par leurs fantômes, mais il retournerait dans ces cauchemars mille fois plutôt qu'avoir à revivre ces quelques mois qui auraient pu marquer la fin de beaucoup de choses.
L'idée parut plaire à Jehd et sa prise sur ses poignets parut plus sûre, ravissant Link qui se pencha pour l'embrasser sur la pommette, son cœur lui semblant redoubler dans sa poitrine.
Le fauteuil près de la fenêtre était une chose parfaitement immonde. Il choquait l'œil de n'importe qui ayant eu le malheur de le voir. Non seulement il détonnait au milieu de la décoration, mais il était d'une couleur indéfinissable mais clairement hideuse.
Et comme tout fauteuil ignominieux, il était honteusement confortable.
L'histoire l'amenant jusqu'à sa possession de l'archiviste avait été perdu et Link regrettait de ne jamais l'avoir demandé. Alors il se consolait en l'y installant dès que l'occasion se présentait, comblé du sourire satisfait que Jehd ne manquait d'afficher alors que ses mains abîmées frôlaient le tissu recouvrant les accoudoirs, suivant le tracé de motifs effacés avec le temps.
Rapidement, il ouvrit la fenêtre, laissant entrer la douce brise de ce début de printemps puis attrapa une couverture épaisse dont il entoura les jambes de son mari avant de s'asseoir à côté de lui sur le tabouret rembourré comme il en avait pris l'habitude, ouvrant le livre à la page marquée.
— Tu te souviens ce qui s'était passé la dernière fois ?
Il n'obtint aucune réponse, tout juste un froncement de sourcil, mais le regard de Jehd resta fixe, sur quelque chose devant lui.
Link feuilleta le chapitre précédent pour le relire en diagonale, le résumant en parallèle. Une fois cela fait, il attrapa la main à côté de lui, entrelaçant leurs doigts, et commença la lecture.
Avant de le rencontrer, il avait tout juste les bases. Écrire son nom et lire des phrases simples. En calcul, il était plutôt bon et avait été plusieurs fois requis par le maire ou Négocia quand il fallait faire l'inventaire ou la comptabilité.
Midona lui avait enseigné quelques rudiments Twilis mais il avait fini par tout oublier.
L'érudition de Jehd l'avait époustouflé et lui avait donné l'impression de n'être qu'un minable, en même temps. Mais, loin de se moquer, celui-ci l'avait encouragé et épaulé dans son apprentissage complet de l'hylien, patient malgré sa frustration ou ses crises de colère, jusqu'à ce qu'un jour il finisse de lui-même par attraper un des livres de l'immense bibliothèque du chercheur et le lise. Comme ça. Pour le plaisir.
Certes, ce n'était ni le plus épais ni le plus pointu, mais l'expression lumineuse sur le visage de celui qui n'était encore qu'un ami à l'époque l'avait tellement retourné qu'il lui avait déclaré ses sentiments sans trop y réfléchir, le cœur et l'esprit renversés par la vague de bonheur ressentie.
Et maintenant, c'était lui qui lui faisait la lecture, son alliance trop petite appuyant contre les doigts froids qu'il enlaçait des siens.
Il gardait son ton bas, concentré sur les caractères imprimés pendant des heures, cillant à peine lorsque la porte d'entrée claqua et qu'Ash les salue de loin, le pas traînant.
Il alla la rejoindre dans la cuisine une fois arrivé à la fin du chapitre et avoir embrassé le front ridé.
L'ancienne épéiste rangeait les courses à des endroits précis, habituée à cette nécessité depuis dix ans, au moins. Elle lui jeta un œil par-dessus l'épaule à son arrivée mais ne s'arrêta pas pour autant.
— Comment ça va, dehors ?
— Je t'ai posé le courrier, se contenta-t-elle de répondre.
Ils sortaient autant que possible, mais c'était bien loin de l'époque où la vigueur de leur jeunesse leur permettait de dormir à la belle étoile, quand il faisait trop sombre pour retrouver leur chemin. Alors, ils allaient en promenade, mais Link était plus concentré sur l'énergie toujours plus déclinante de Jehd que sur les passants ou les rumeurs qu'il pourrait attraper.
Depuis la première fois où l'archiviste était entré dans sa vie, il en était devenu le centre.
Les deux amis discutèrent à voix basse, attentifs au moindre bruit pouvant provenir du salon où le propriétaire des lieux somnolait, pendant que Link parcourait ses lettres.
Le sceau royal le fit soupirer et il n'essaya même pas de le briser, jetant le rouleau de parchemin dans le feu sans ciller. Ash n'émit aucun commentaire bien qu'elle fronça les sourcils. C'était une dispute qui avait déjà été maintes et maintes fois répétées. Ils pouvaient être têtus tous les deux, mais ils savaient que ça ne servait à rien de continuer.
Si ce lèse-majesté était si grave, ça ferait bien longtemps qu'on serait venu chercher l'ancien héros par le fond du pantalon !
— Tu veux le saluer ? proposa-t-il finalement. C'est une bonne journée.
— Non, c'est bon. Une autre fois, assura-t-elle.
Elle quitta les lieux, tentant de ne pas montrer son empressement, mais c'était peine perdue, son ami ne la connaissait que trop bien.
Comment pourrait-il le lui reprocher ? Ash et Jehd étaient des amis de longue date, pratiquement depuis l'enfance. C'était trop dur pour elle. Il n'allait pas la forcer.
Traversant le salon pour refermer les fenêtres, il sourit, attendri. Son mari s'était endormi dans son fauteuil, les lunettes de travers. Il se percha sur son tabouret et l'observa, repoussant du bout des doigts mèches folles et lunettes. S'assurant d'être le plus léger possible, il poursuivit son exploration, lissant les rides d'expressions et suivant les traits du visage, le redessinant comme il l'avait fait des nuits durant, éveillé par les cauchemars ou après leurs étreintes.
Il était si beau…
Les sourcils se froncèrent subitement, preuve du réveil imminent et il dut cesser son manège, déçu.
— Hé chéri, tu as fais une petite sieste. Ash a apporté les courses, il y a un plat qui te ferait plaisir, pour déjeuner ?
Mais le froncement de sourcils était toujours là. Pire, au lieu de lui répondre, il s'accentua, toute l'expression du visage se durcissant.
— Qui êtes-vous ?
Le froid qui l'envahit ne parvint pas à être chassé par le plaisir de l'entendre parler, de prononcer une phrase logique et compréhensible. Les larmes étaient si dures à retenir…
Si Link sourit, c'est parce qu'il sait qu'à la seconde où il n'en sera plus capable, il tombera en morceaux. C'est son bouclier. C'est son masque.
Force aux familles, aux proches, aux soignants, aux aides. Aux malades.
Voracity Karn
