Hey !

Eh bien, je suis le premier surpris. Je pensais que j'allais sauter une semaine tellement le thème précédent m'avait épuisé, mais même pas ¯\_(ツ)_/¯

J'ai écrit les 2 005 premiers mots d'un coup, et je tiens à remercier ma playlist aléatoire qui m'a sortie toutes les ballades tristes que je possédais. J'étais déjà pas assez au bord des larmes, tiens...

Vous l'aurez deviné, le thème m'avait fait hésiter vu que "sauver le monde", c'est un peu la base de toute la licence Zelda. Alors, une fois de plus, j'ai fouillé dans mes prompts et j'ai décidé de broder autour de l'un d'entre eux (retrouvable à la fin, comme toujours).

J'ai hésité sur le fait que Jehd soit ou non à moitié Gerudo comme je l'avais déjà fait, et finalement ce sera comme vous voulez. Mais Isora et Ulir le sont.

Les visiteurs de Link ne sont pas tous nommés, et c'est volontaire. Déjà, parce que la plupart des personnages "d'intérêt" dans le jeux sont parfois bien plus vieux que lui, donc avec la différence, ce sont surtout leurs descendants qui les remplacent. Mais si vous avez des doutes sur leur identité, n'hésitez pas !

Bonne lecture !


Grand-père avait toujours été quelqu'un d'extravagant.

Ce n'est pas comme si Isora avait vraiment un élément de comparaison, bien sûr.

Elle avait vu le jour dans le petit village de Toal, au même titre que sa mère avant elle, ses arrière-grands-parents, son grand-oncle et sa grand-tante. Grand-père, lui, y avait été trouvé, mais sans doute y était-il né lui aussi.

Quand à papy, lui, il venait de la Citadelle, mais ce n'était qu'un nom, pour elle. Tout ce qui comptait, c'est qu'il n'était pas né ici.

Ce n'est pas non plus comme si elle le connaissait, au fond. Il était mort alors qu'elle était encore toute petite, son nom n'évoquait ainsi pratiquement aucun souvenir. Mais c'était le père de sa mère – enfin, l'un des deux – et elle l'avait vu plus d'une fois les larmes aux yeux alors que quelqu'un y faisait allusion, alors elle ne donnait pas le fond de sa pensée.

Puis ses parents étaient morts à leur tour et grand-père était la seule famille qui lui restait.

Elle s'était accrochée à lui les premières années, par le chagrin d'une part, et la peur de le perdre lui aussi, d'autre part.

Il n'y avait plus qu'eux deux au monde, à ses yeux.

Et c'est ainsi qu'elle avait pris pleinement conscience à quel point son grand-père était extravagant.

Bien sûr, ce n'était pas une nouveauté, elle l'avait toujours su. Mais ce n'était pas pareil de le savoir et de le voir.

Déjà, il n'allait nulle part sans une arme. Il était très souvent sur ses gardes et ne supportait pas qu'on le surprenne, même si c'était juste pour une farce.

Les quelques uns à avoir tenté frissonnaient à ce simple souvenir.

Il passait des heures dans la bergerie à bichonner les chèvres, ou à l'écurie avec les chevaux. Ce n'est pas qu'il fuyait le contact humain, non, mais il était cent fois plus à l'aise avec les animaux, c'était une évidence.

Il ne souriait pas beaucoup, non plus, alors que selon l'aînée Iria, il avait toujours été très souriant. Avant.

C'était ça le problème. Des qu'Isora tentait d'en apprendre un peu plus sur sa famille ou simplement sur grand-père, elle se buttait contre cet « avant ». Mais personne ne semblait savoir ce que ça signifiait.

Il fallait dire qu'ils n'étaient plus qu'une poignée à l'avoir connu « avant » et même eux avouaient ignorer d'où provenait le changement.

— Un jour, Link est parti, et quand il est revenu, il était changé, balaya Fénir. Ce n'est pas quelque chose dont il aime parler. Et nous étions bien trop jeunes à l'époque pour nous y intéresser.

Pendant une poignée de secondes, il caressa la barbiche blanche qui ornait son menton, les yeux perdus dans l'horizon.

— La seule qui pourrait te renseigner c'est Iria. Et je crois que même à elle, il n'a pas tout raconté. Si Colin avait encore été là, peut-être que…

Mais, inévitablement, évoquer un mort coupait court à toute conversation.


Grand-père avait deux maisons. Trois, si on comptait celle de ses arrière-grands-parents, mais celle-ci était habitée par la famille de grand-tata Elke.

Un jour, elle avait été surprise par l'immense tronc d'arbre dans lequel une maison avait été nichée. Elle avait harcelé sa mère de questions jusqu'à ce qu'elle explique que c'était la maison de son père, avant que lui et son mari ne l'adoptent. Elle-même y avait peu vécu, malgré l'offre de son père de s'y installer une fois adulte. Elle avait préféré continuer de loger chez ses parents entre deux excursions en-dehors de la forêt de Firone, comme elle en avait l'habitude avant de devenir mère.

À quelques reprises, Isora avait été tenté de demander à son grand-père l'autorisation d'entrer dans cette maison, ce tronc. Mais à chaque fois, elle se dégonflait à la dernière minute. Si c'était là où il vivait avec papy avant qu'ils n'accueillent Ulir, sa mère, alors ça devait faire partie des endroits plein de souvenirs douloureusement nostalgiques. Et elle n'avait pas le courage de les lui rappeler. Alors, elle laissait filer l'instant et évoquait n'importe quoi d'autre.


Grand-père savait se battre. Ça pouvait paraître évident avec sa manie de se balader partout avec son arme, mais nombreux sont les gens à le faire de manière dissuasive, tout juste capable de différencier la garde de la lame. Mais ce n'était pas son cas.

Il dispensait des cours à qui le lui demandait, jamais avare de conseils.

C'était donc sous sa houlette qu'elle avait appris l'art de l'épée.

D'abord, elle avait commencé avec une épée en bois très détaillée puis, une fois assez à l'aise, il lui avait confié une vraie épée. De son côté, il répliquait avec un poignard.

Il lui avait fallu quelques déculottées pour comprendre que ce poignard était l'arme dont il ne se séparait jamais. C'était la première fois qu'elle le voyait de si près. Mais là encore, elle sentait que le sujet serait douloureux. Alors, elle se contenta de l'observer en silence. Son pommeau semblait posséder un visage, c'était difficile à discerner car l'usure avait patiné le métal, mais elle en était persuadée. La garde, elle, paraissait être des ailes stylisées.

À force de loucher dessus, elle se remémora un des vieux livres dont la petite ferme de grand-père débordait.

Il avait une couverture violette et des dorures elles aussi patinées. Celles-ci représentaient un être étrange. Comme une cocotte avec un visage humain.

Mais elle n'avait jamais pu le lire. Personne n'avait droit de toucher aux livres dans la pièce bleue.

Elle s'y était déjà faufilée à plusieurs reprises, d'où le fait qu'elle connaissait cet ouvrage au moins de visu, autant appâtée par cet interdit que par la curiosité. Et elle ne comprit pas plus une fois dedans.

C'était une simple pièce, à peine différente des autres. Il y avait un bureau étroit à côté d'une fenêtre, et tout le reste était couvert de livres. Des livres et des livres. Et de poussières.

Le bureau, d'ailleurs, n'était pas bien rangé. Il y avait encore une plume posée à côté d'un parchemin sur lequel quelque chose avait été noté. L'encrier avait fermé, par contre. Mais c'était comme si la personne qui avait écrit s'était absentée en pensant revenir peu après.

Mais elle n'était jamais revenue, c'était évident.

Sur la chaise tirée, une veste étrange avec un immense col blanc et des boutons avec des visages avait été posée, elle aussi abandonnée par son propriétaire.

Une fois, elle l'avait essayé, mais elle en avait été incapable. Elle avait un coffre plus important que celui à qui était le vêtement. Même les manches étaient trop étroites pour ses bras !

C'est ce qui la convainquit que ce n'était pas à son grand-père, ou sa mère.

Par déduction, ça devait donc à son papy. Et ça expliquait sans doute l'état d'abandon de la pièce.

Sagement, elle décida de ne plus jamais passer le pas de la porte une fois arrivée à cette conclusion. Il fallait laisser les fantômes là où ils étaient.


Depuis quelques jours, grand-père toussait.

Au début, elle avait été un peu inquiète, mais pas plus alarmée que ça.

N'importe qui pouvait tousser, ça ne signifiait rien !

Puis elle commença à le forcer à s'habiller plus chaudement, à cuisiner des soupes, préparer des tisanes, acheter du miel…

Mais c'était rien, c'était passager. N'est-ce pas ?

Il toussait le jour. Il toussait la nuit. Il ne respirait plus : il toussait.

Malgré ses demandes, elle finit par courir jusqu'à la maison de l'aînée Iria pour lui demander conseil.

Toal n'avait pas de médecin. Tout le monde connaissait les plantes apportant la guérison ou la mort, les petites attentions à réaliser pour soigner les petits maux de la vie. Mais la situation dépassait ses compétences et elle se savait aussi trop anxieuse pour raisonner correctement. Il lui fallait quelqu'un capable de garder la tête froide.

Mais quand l'aînée revint dans la cuisine où elle s'était réfugiée en attendant, elle arborait une mine grave. Et c'était tout ce qu'il fallait pour qu'elle saisisse la situation.

Grand-père allait mourir. Elle allait être toute seule.

Après les salutations d'usage et la promesse de revenir le lendemain, aînée Iria quitta la fermette, la laissant seule.

Non, pas seule.

Elle se précipita jusqu'à la chambre aménagée au rez-de-chaussée, se précipitant au chevet de l'unique famille qui lui restait.

Il toussait toujours, mais la cadence était plus espacée.

Timide, elle s'assit au pied du lit, lui attrapant la main comme si elle pouvait lui transmettre sa force, sa santé, sa jeunesse, pour l'aider.

Grand-père avait toujours été un taiseux.

Elle-même n'avait jamais été très bavarde et à son contact, ça avait empiré. Ils n'avaient jamais vraiment eu besoin de mots, se contentant de gestes ou d'inclinaisons de la tête pour se comprendre entre eux.

Alors, quand il tourna son visage vers elle, les yeux brillants, elle comprit qu'il avait comprit ce qu'elle cherchait à faire.

La main dans la sienne se resserra un instant, avant que l'autre n'atterrisse dans les mèches rousses qu'elle avait hérité de sa mère, les froissant faiblement.

— Tu n'as pas à être triste, souffla-t-il.

À ces mots, elle sentit en effet la peine la quitter. Pour être remplacée par une fureur dont elle ignorait l'existence. Et la violence. Comment osait-il lui dire ça ? Lui qui n'avait jamais pris la peine de camoufler son deuil, s'enterrant dedans et refusant d'en parler ? Lui qui avait gardé intact le bureau de feu son mari et la chambre de feue sa fille ? De qui se moquait-il ?

Malgré elle, Isora se releva promptement, lâchant la main de son grand-père comme si elle l'avait brûlé, les mâchoires serrées.

— T'as raison. La mort d'un inconnu n'a aucune raison de me toucher.

Elle claqua chaque porte sur son chemin, mais aucune ne lui permit de se débarrasser de cette rage froide qui l'animait. Alors, à la place, elle courut se réfugier dans la forêt où elle s'épuisa pendant des heures.


Quand Isora retourna à Toal, elle se sentait honteuse.

La colère était toujours là, terrée dans son ventre, mais rien à voir avec ce qui l'avait poussé à hurler dans l'antique forêt pendant des jours.

Les quelques villageois qu'elle croisa la saluèrent comme s'ils ignoraient ce qu'elle avait fait. Et c'était peut-être le cas.

Quand la fermette dans laquelle elle avait grandi se profila devant elle, elle se retrouva soudainement incapable d'avancer.

La culpabilité lui serrait la gorge avec une étreinte implacable et elle se sentait comme pétrifiée.

Et si, parce qu'elle s'était puérilement absentée, son grand-père était mort, tout seul, sans aide ? Et s'il la reniait à cause de ses mots ? Et si…

Mais tout s'arrêta quand elle entendit le bruit de vaisselle cassée, l'inquiétude la propulsant à l'intérieur avant même d'y penser à deux fois, s'attendant à découvrir son grand-père évanoui dans la cuisine ou n'importe quoi de semblable.

En tout cas, pas aux prises avec une femme âgée. Tous deux semblaient être en pleine partie de sumo, se coinçant mutuellement, dans un enchevêtrement de membres.

Son arrivée attira l'attention des deux belligérants qui se tournèrent vers elle comme ils le purent.

— Ah, Isora ! Ash, tu te souviens sans doute de ma petite-fille ? Ma chérie, tu peux nous aider ? Je crois que je suis coincé…

Un peu étourdie – que ce soit par la situation incongrue, par le fait qu'elle n'ait jamais entendue son grand-père parler autant, par la présence de cette inconnue ou par le fait qu'il semblait avoir oublié ce qu'elle lui balancé à la figure avant sa fuite, elle n'en savait rien – elle s'approcha et entreprit de les démêler aussi patiemment et doucement que possible.

— Isora ? Ah, la fille d'Ulir, la fillette que Telma avait trouvé ?

L'attitude arrogante de cette « Ash » ajoutée à l'espèce de mépris suintant de ses paroles la firent bondir, la colère flambant soudainement.

Mais son grand-père l'arrêta aussi sec, levant la main pour l'inciter à ne pas réagir.

— Ash est une vieille amie. Ne prêtes pas attention à son extérieur, elle n'est pas si méchante, rit-il.

— Link ! Ma réputation ! Et tu n'es pas mon ami, gronda-t-elle.

— C'est Toal, ici, pas la Citadelle. Tu n'as aucune réputation, et encore moins celle de grande guerrière au cœur de pierre, balaya-t-il d'un geste de la main.

Toussant encore un peu, il s'installa à la table à manger, et Isora sentit son cœur se serrer en le voyant si penché sur lui-même, lui qui s'était toujours tenu si droit malgré le travail agricole. Elle ne s'était pas absentée longtemps, et pourtant son apparence si différente de ce qu'elle avait toujours connue la frappa avec la force d'une chèvre de Toal.

Grand-père était vieux. Il était malade. Il allait mourir.

Sa gorge semblait se rétrécir alors qu'elle parvenait à cette conclusion, tout son chagrin s'y bloquant. Alors elle se précipita pour préparer le thé, tentant de s'occuper les mains et l'esprit sur ces gestes mille fois répétés.

Lorsqu'elle les rejoignit, sa gorge était toujours obstruée alors elle ne dit rien, servant les tasses et offrant les pâtisseries. Elle s'assit à leurs côtés, ne sachant pas quoi faire d'autre.

Le silence parut s'étirer alors que les deux septuagénaires prenaient une gorgée et la savouraient, les yeux fermés, comme savaient le faire ceux qui avaient vu et goûté tant de choses durant leurs vies.

— Jade Oolong… ça fait bien longtemps que je n'ai pas senti cette odeur de pêche… Je vois que tu ne l'as pas oublié, soupira Ash.

Pour toute réponse, son ami se contenta de ce sourire. Ce fameux sourire de « celui qui savait, mais ne dira rien ». Il était aussi horripilant que depuis la première fois qu'elle l'avait vu.

— Oublié… quoi ? parvint à articuler Isora.

Sa question parut surprendre les deux autres qui se tournèrent vers elle comme s'ils redécouvraient sa présence, lui faisant aussitôt regretter sa prise de parole.

— Jehd buvait tellement de thé que même son sang devait en avoir le goût, renifla l'épéiste. Quand ils se sont rencontrés et que Link a avoué ignoré l'existence même de ce breuvage, j'ai bien failli croire qu'il allait le séquestrer jusqu'à lui faire rentrer dans le crâne tout ce qu'il savait sur le monde merveilleux de la théine.

Ash roula les yeux à la fin de sa phrase, mais la tendresse transparaissait à travers ses mots et Link riait doucement, malgré la toux qui l'en empêchait.

— S'il l'avait fait, j'aurais sans doute été un prisonnier très coopératif, ajouta-t-il.

— Alors, ça, tu vois, c'est un détail que je ne voulais pas savoir.

— Roh, ça va, j'ai rien dit, juste que…

Mais Ash enfonça ses index dans le conduit de ses oreilles et se mit à scander une chanson, noyant la fin de la phrase du malade.

Isolée, Isora referma ses mains sur sa tasse chaude, pensive. Elle se sentait un peu exclue de leur amitié, comme spectatrice de leur amitié. Elle hésita à les laisser seuls, mais un simple regard vers son grand-père l'en empêcha. Et puis, elle allait peut-être en apprendre un peu plus sur lui, sur son papy ?


Ash ne fut pas la seule à venir leur rendre visite. À la sienne se substitua un groupe de Gorons âgés qui proposa, joueur, de disputer un match de sumo. À ces mots, elle s'était précipitée pour les en empêcher mais les rires profonds qui secouèrent tous les témoins lui firent comprendre que ce n'était qu'une plaisanterie. Elle ne trouvait pas ça particulièrement drôle et aucun d'entre eux ne voulut lui expliquer.

Il y eut aussi des représentants Zora venu présenter leurs respects. De ce qu'elle avait compris, ils étaient venus à la place d'un certain Lars qui ne pouvait pas se déplacer. Cette visite était très protocolaire et bien moins détendue que les précédentes et Isora n'osa pas piper un mot, intimidée. Elle ne connaissait pas grand-chose des peuples vivant à l'extérieur de la forêt de Firone, ils n'étaient que des mots sur du papier, mais elle savait reconnaître les bijoux parant les écailles, les signes extérieurs de richesse et la différence hiérarchique dans le petit groupe. Clairement, ils n'étaient pas n'importe qui.

Mais ce n'était rien comparé à la visite la plus improbable qui soit.

Au début, elle n'avait vu qu'une femme âgée montant à cheval. Les deux paraissaient épuisés alors elle leur avait proposé de se reposer à la fermette, comme on le lui avait enseigné. Mais lorsqu'ils y parvinrent, grand-père était subitement apparu dans l'ouverture de la porte, l'air grave.

Il avait alors posé un genou à terre, un poing sur le cœur et le visage incliné vers le sol.

Le temps semblait avoir retenu son souffle alors qu'Isora observait avec crainte ce qui se déroulait devant elle.

Sans un mot, la vieille femme avait repoussé la capuche de sa cape avant de prendre la parole.

— Relève-toi, chevalier. Nul besoin de decorum en ces lieux et en ces heures.

Cette fois, Isora ne put assister à leur entrevue, son grand-père l'envoyant s'occuper du cheval et refermant la porte derrière eux, après avoir offert son bras à la nouvelle venue.

Confuse et un peu vexée, elle avait obéi et, en descellant la monture, elle avait pu admirer la finesse des sangles, les décorations de la selle. C'était clairement de l'équipement efficace et esthétique, et donc particulièrement onéreux.

Que voulait donc cette vieille femme à son grand-père ? Ils n'avaient pas d'argent. Ils n'en avaient pas besoin à Toal. Le troc et les services constituaient là toute leur économie. La vie pouvait être rapidement dure ici, ils n'allaient pas y rajouter des querelles pour des rubis !

Le cheval avait sans doute senti son tourment car il pressa sa grande tête contre elle, telle une tentative de réconfort qu'elle lui rendit avec plaisir.

Décidément, plus elle en apprenait sur lui, moins elle le comprenait.

Et, « chevalier » ? Personne n'était chevalier dans sa famille, c'était une considération bien trop noble et importante pour eux, simples travailleurs de la terre !

Bien sûr, elle savait que son papy possédait une situation assez importante à l'époque où il vivait à la Citadelle, mais c'était avant qu'il ne plaque tout pour finir à Toal à traire les chèvres !


Finalement, cette visiteuse resta quelques jours sans que rien ne lui soit expliqué.

Se sentant mal à l'aise, la jeune fille alla frapper à la porte de ses cousins pour demander à dormir chez eux jusqu'au départ de cette inconnue. Elle ne retournait à la fermette que pour le ménage et préparer les repas, l'échine parcourue de frissons quand elle avait le malheur de croiser le regard bleu trop perçant.

Quand il fut l'heure de harnacher le cheval, elle le fit avec plaisir et eut l'impression de sentir un fardeau quitter ses épaules alors qu'ils s'éloignaient à l'horizon.

Lorsqu'elle retourna dans sa chambre, elle croisa son grand-père qui garda les yeux fixés dans la direction prise par son invitée, les traits figés dans une expression qu'elle n'avait encore jamais vu, mais qui parut le rajeunir alors que ses yeux brillaient d'une émotion qu'elle n'était pas sûre de reconnaître.

Sous les rides et les cheveux blancs, elle pouvait discerner l'hylien de vingt ans dont parlent les autres aînés, celui qui avait un jour pris une épée et un bouclier pour quitter son village et revenir avec des cicatrices qui n'ont jamais vraiment guéri et un mari qui ne savait pas différencier une courgette d'un potiron.

Troublée, elle préféra quitter la pièce, enfouissant tout ce qu'elle ressentait au plus profond de son esprit.


Il y eut quelques humains, tous plus âgés les uns que les autres, qui passèrent eux aussi le pas de leur porte. Ils ne dirent pas grand-chose, souvent avec de l'émerveillement dans les yeux et une grande tristesse sur les épaules. Certains avaient embarqués leurs familles avec eux, demandant des bénédictions pour elles, ce qui leur était accordé.

Autant les autres transportaient un rien de nostalgie, comme des amis d'enfance se retrouvant après que les années les aient mâchés, autant ce manège était plus inconfortable que la visite de l'hylienne sans nom, la poussant de nouveau à quitter la fermette. Après, ce n'était pas comme si les activités manquaient, elle les avait juste mis de côté depuis la première visite de l'aînée Iria.

Mais parmi ces humains, ces hyliens et ces sheikah, certains se détachèrent du lot. Comme cette guérisseuse au sourire doux qui s'assit aux côtés de son grand-père, attrapant sa vieille main dans les siennes, et restant là, sans qu'un mot ne soit échangé entre eux. Lorsqu'elle reprit la route, des larmes avaient coulé de leurs yeux à tous les deux.

Il y avait des jours où Isora devait interdire les visites. En effet, le temps passait et l'état de son grand-père n'allait pas en s'améliorant, et chaque rencontre demandait une énergie qu'il n'avait pas toujours. Et les occurrences se multipliaient, à sa grande angoisse.

Parfois, elle guidait le vieil hylien dehors, qu'il puisse respirer un air plus frais qu'au fond de la maison. Ils n'allaient jamais vraiment loin, mais c'était bien suffisant pour qu'elle puisse revoir le sourire caractéristique revenir.

C'était d'ailleurs lors d'une de ses sorties qu'elle fut témoin d'une scène tellement improbable qu'elle se demanda longtemps si elle ne l'avait pas rêvé…

Ils avaient pu marcher jusqu'à la source de Latouane aujourd'hui et profitaient d'une pause bien méritée, les pieds dans l'eau si fraîche. Les fleurs embaumaient et le soleil les réchauffait si agréablement que la jeune Gerudo se sentait somnolente.

Elle hésitait à s'abandonner à son envie de sieste lorsque cela arriva.

Ils n'étaient que tous les deux quand, subitement, des êtres inconnus d'elle surgirent.

Ils ressemblaient à des cocottes surplombés par des visages vaguement humains. Ils parlaient, ou du moins émettaient des sons, mais Isora était incapable de les comprendre. Son grand-père, au contraire, ne démontrait aucune trace de surprise et leur répondait dans le même langage.

L'instant parut durer une poignée de minutes et ils finirent par disparaitre comme ils étaient venus. Et grand-père ne mentionna pas cette interlude, comme s'il n'avait jamais existé, renforçant l'idée que ce n'était qu'une rêverie provenant de son cerveau fatigué.


Grand-père n'avait plus été capable de quitter le lit depuis plusieurs jours maintenant.

Les visites s'étaient interrompues, seuls les villageois venaient les voir, interrogeant sur sa santé, mais la réponse restait la même : elle empirait.

L'aînée Iria ne quittait plus les côtés de son vieil ami, maintenant, même s'il n'était plus capable de s'en rendre compte.

La fièvre s'était déclarée quelques jours plus tôt et sa vue semblait brouillée alors que ses yeux bougeaient dans tous les sens, incapables de se fixer sur les visages de sa petite-fille ou de sa plus vieille amie.

Isora aussi n'osait plus quitter la petite pièce, serrant la grande main dans les siennes, la terreur d'être seule anesthésiant toute tristesse possible.

Mais elles devaient bien quitter leur poste, que ce soit pour les nécessités techniques, pour préparer à manger ou pour remplir la bassine d'eau plus fraîche.

C'était la nuit profonde quand cela arriva.

L'aînée Iria avait dû rentrer chez elle sous les demandes de son mari, afin qu'elle se repose un peu, laissant Isora seule pour veiller sur le mourant.

Les rayons de la lune semblaient caresser le visage fatigué, faisant briller les yeux ouverts, leur donnant une vie qui semblait le quitter.

La main dans les siennes s'agitait de petits soubresauts, réflexe des muscles et des tendons, mais elle s'y accrochait comme à une bouée, la portant à ses lèvres pour l'embrasser quand la boule dans sa gorge se faisait trop grosse.

Elle avait clos les paupières le temps d'une prière envers n'importe quelle divinité tendant l'oreille. Elle ne demandait pas des années supplémentaires à l'agonisant, seulement une fin plus douce que celle à laquelle elle assistait.

Mais une soudaine lumière vive traversa ses paupières, la faisant grimacer à l'agression avant de se rendre compte que ce n'était pas normal et de sauter sur ses pieds, prête à en découdre.

La présence inattendue d'un loup au pelage dorée la prit au dépourvu et elle le contempla avec une surprise respectueuse.

Était-ce la visite d'une divinité ?

Le loup parut incliner la tête comme pour la saluer, avant de luire plus fort et que, finalement, la silhouette d'un hylien âgé prenne sa place.

Il s'assit sur la chaise libre d'Iria, saisissant à son tour la main gauche de l'alité, redessinant du pouce l'étrange dessin sur son dos. C'était plusieurs triangles dont la couleur avait fané avec le temps. Le même dessin ornait le dos de la main de l'inconnu.

Celui-ci ne la regardait plus, il semblait aussi en prière alors Isora décida de ne pas le déranger et quitta silencieusement la pièce pour leur donner un peu d'intimité. Dans la cuisine froide, elle glissa des bûches dans le foyer mourant et s'attela à la préparation d'une théière. Peut-être que cet étrange personne en accepterait une tasse ?

Mais lorsqu'elle revint dans la chambre, il n'y avait plus que son grand-père.

Non, c'était pire que ça.

La délicate porcelaine s'écrasa au sol alors qu'elle se précipitait aux côtés du malade, uniquement pour que ses craintes soient confirmées : c'était fini.


"Tu as vécu toute ta vie dans la modeste ferme de ton grand-père.

Mais grand-père vit ses derniers jours et tu t'attends à ce que quelques personnes viennent lui faire leurs derniers adieux.

Douze rois, huit dragons, quatre empereurs, quelques divinités mineures et bien d'autres encore plus tard…

Tu as tellement de questions à poser à ton grand-père…"

Voracity Karn