Ignorant la présence d'Isaac comme s'il l'avait oubliée, Stiles s'installa au poste de conduite avec l'impression de se glisser dans un endroit qu'il ne connaissait pas. Le volant lui apparaissait trop grand, les commandes, trop petites… Où devait-il mettre la clé, déjà? Une fois qu'il eut repéré son emplacement, il l'y fourra et avant d'allumer le moteur, entreprit de régler le siège. Mais ce fut désagréable tant la prise de ses mains sur les petites manivelles et autres commandes lui paraissait faible. Il avait l'impression qu'elles pouvaient lui échapper des doigts en un instant s'il ne faisait pas attention. Et c'est lorsqu'il fut prêt que l'intensité et la force de sa fatigue se rappelèrent à lui. Son champ de vision lui apparaissait tel qu'il était, à savoir flou et vacillant. Sa respiration régulière lui paraissait forcée, comme s'il ne s'agissait plus d'un réflexe de son corps, mais d'un effort. Et justement, son corps lui-même lui sembla s'alourdir, s'alourdir, s'alourdir… A tel point qu'il crut être en train de s'enfoncer dans le moelleux du siège – une idée qui, étrangement, ne le dérangea pas. Elle ne le choqua même pas tant il se sentait partir ailleurs. Puis c'était sacrément confortable et… La portière s'ouvrit et une main lui agrippa le bras avec une certaine fermeté, mais sans lui faire mal.
- Ça va pas le faire, descends.
Si Stiles lui résista à peine, il n'en pensa pas moins mais ne s'empêcha pas de pester contre ce corps faiblard et plus lourd que jamais. Merde, il en venait à devoir s'accrocher aux épaules de cet enfoiré d'Isaac parce que ses propres jambes flageolaient… Il eut néanmoins suffisamment d'énergie pour lui dire ceci:
- Laisse-moi, je dois y aller, il me faut…
- Tes somnifères, j'ai compris, le coupa un peu sèchement Isaac en passant un bras autour de lui. Je sais, suis-moi.
Quelques secondes plus tard, Stiles finissait sur le ciel passager après que ses jambes flageolantes l'y aient emmené, sous la direction d'un Isaac soucieux. Le loup-garou ne le quittait pas des yeux et ne le lâcha pas avant de s'être assuré qu'il était bien assis. De là, il ferma la portière, fit le tour de la voiture. C'est avec surprise que Stiles le vit prendre la place côté conducteur et effectuer ses propres réglages.
- Mais… Commença-t-il à se plaindre.
- Je vais t'emmener te les chercher, tes somnifères, le coupa à nouveau Isaac en démarrant la voiture.
Stiles allait répliquer quelque chose, mécontent qu'il était, mais eut un éclair de lucidité et décida de ne rien dire. Qu'importe la façon dont il atteindrait son but, c'était la finalité qui devait compter. Et tant qu'il arrivait à obtenir ces comprimés dont il avait si terriblement besoin… Le reste pouvait bien passer au second plan. Puis si Isaac tenait à le conduire à la pharmacie et, par extension, à perdre un peu de son temps libre au chalet, c'était son problème, pas celui de Stiles. Le loup-garou n'aurait donc pas à se plaindre à leur retour – et s'il le faisait, l'humain pour qui il se déplaçait crierait sans vergogne à l'hypocrisie. Mais Stiles oublia très vite cette pensée parasite, et pour cause: sa fatigue reprit le dessus. Les ronrons du moteur, bien que normalement peu agréables à l'oreille, agirent sur lui comme une berceuse… Si bien que les sons de son environnement perdirent en puissance et en intensité. Tout lui sembla devenir lointain, jusqu'à ce qu'il voyait. Ses paupières papillonnèrent avant de se fermer, trop lourdes pour lui. Son corps se détendit malgré lui et c'est à ce moment précis que sa conscience s'évapora, pas avant. Le sommeil l'avait arraché au temps présent, pressé de tenter de recharger ses batteries. Son esprit en avait tout autant besoin que son corps…
… Et c'est ce que constata Isaac qui avait non seulement vu mais également senti l'humain s'endormir. Dire que cet idiot voulait conduire… Le loup-garou secoua la tête. Heureusement qu'il l'avait entendu bouger de sa chambre et heureusement que de son côté, il avait eu la curiosité de venir voir ce qu'il comptait faire. Et bordel, ce qu'il avait bien fait de décider de lui prendre le volant. Honnêtement, bouger l'embêtait dans la mesure où il ne partait au départ pas pour ça et qu'il avait simplement envie de se poser au chalet et de réfléchir à la suite de leur mission. Mais Isaac savait revoir ses priorités lorsqu'il le fallait. En l'occurrence, empêcher l'un de ses coéquipiers de faire une grosse bêtise en était une, et pas des moindres. Il songea d'ailleurs au fait qu'il n'avait pas prévenu Jackson et considéra qu'il l'informerait de sa sortie avec Stiles une fois qu'ils seraient à la pharmacie. De toute façon, le kanima lui faisait confiance et ne s'affolerait pas de son absence, qu'il comprendrait lorsqu'Isaac la lui aurait expliquée.
Mais alors qu'il roulait à une allure quelque peu raisonnable, Isaac jeta un nouveau coup d'œil à son passager qui, il devait bien l'avouer, l'inquiétait pour de bon. Il s'était endormi si vite qu'il devait lui manquer bien plus de sommeil qu'il le pensait au départ. Avait-il réellement besoin de somnifères? Isaac trouvait quand même qu'il s'était glissé dans les bras de Morphée bien trop facilement pour avoir réellement besoin d'une aide pour dormir… Enfin soit, cet achat, c'était le choix de Stiles et il l'empêcher de le réaliser. Le manque de cohérence de la situation le marqua tout de même suffisamment pour qu'il se méfie. Il devait y avoir autre chose… Une raison spécifique à cette décision. Il disait avoir du mal à dormir… Le problème devait être ailleurs. Peut-être qu'il se réveillait trop vite, trop tôt, trop souvent et qu'il gaspillait malgré lui son sommeil si précieux. Le peu d'informations qu'Isaac avait en sa possession rendait les possibilités trop grandes pour qu'il puisse être précis dans ses déductions. Le fait est que ni Jackson ni lui n'abandonnerait le combat pour savoir ce qui lui arrivait. Pour le coup, il n'en allait pas simplement de la réussite de leur mission. Ce n'était pas normal que son état se dégrade de cette façon, d'autant plus… Qu'il semblait aller relativement bien, lors de leur arrivée dans la région. Il était ronchon et quelque peu colérique sur les bords mais surtout… Aussi énergique qu'à son habitude.
Alors qu'est-ce qui avait changé?
Isaac se posa la question tout le long du trajet, qui ne dura pas plus de vingt minutes. Vingt minutes durant lesquelles, en plus de conduire, il surveilla son passager du coin de l'œil. Il dormait paisiblement sans que ses traits ne soient perturbés par la moindre tension – sans doute était-il trop fatigué pour cela. Isaac ne savait pas s'il devait prendre ça comme une bonne ou une mauvaise nouvelle. Au moins, il ne cauchemardait pas… Et ne semblait pas être près de se faire du mal à nouveau. Tant mieux, pensa-t-il, l'air concerné. Parce qu'il n'avait pas envie de voir d'autres marques zébrer son visage. Il se rappela malgré lui de cette violence à laquelle Jackson et lui avaient mis un terme avec angoisse. Jamais il n'aurait imaginé que Stiles puisse se mettre dans des états pareils. De quoi avait-il rêvé? Qu'est-ce qui avait bien pu le plonger dans un tel état de détresse? Isaac avait beau creuser, il ne voyait pas… Et ce fait le fit se rendre compte d'une chose… Du fait qu'au final, il ne connaissait rien de Stiles, si ce n'est ce qu'il daignait bien montrer.
Et c'était peut-être bien cela le problème.
Isaac se gara en soupirant, très peu avancé quant à la résolution de ce problème qui remontait grandement dans sa liste de priorités. Il tourna la tête vers son passager et partit pour le réveiller… Avant de se raviser. Puisqu'il était si fatigué et en venait à quémander des somnifères pour grapiller quelques heures de sommeil, autant le laisser se reposer. Isaac reporta son attention sur la pharmacie, qui se trouvait à une dizaine de mètres de lui. Il sortit de la voiture et la verrouilla, la mine soucieuse.
Il se rassura en se disant qu'il n'en avait que pour quelques minutes.
