Quelques semaines avaient passé depuis les conversations avec Peter Ballard. Ce dernier ne lui avait pas adressé la parole depuis leurs dernières conversations que ce soit pour les livres, le dessin ou l'incident. Il était devenu un fantôme, une ombre qui la suivait malgré ce qu'elle pouvait penser. Un parasite qui commençait à suivre le moindre de ses faits et gestes. Une araignée qui tissait sa toile et elle avait le malheur d'accroché le fil rattaché à cette dernière.

Durant toutes les journées, Annabelle se retrouvait sans cesse en sa présence. Que ce soit le hasard ou non, elle avait cette putain d'impression d'avoir attiré son attention. Si la jeune femme se retrouva dans la salle arc-en-ciel à étudier les sujets de tests, il s'y trouvait plus souvent. Il passait quelques fois dans le couloir près de leur bureau, alors qu'il prenait un autre chemin avant. On lui avait donné des tâches connexes comme apporter les vêtements sales à la buanderie, faire la liste des matériaux médicaux ou encore aller classer des dossiers dans les archives. Elle ne s'en plaignait pas, mais Peter la suivait.

Il se retrouvait souvent à la buanderie après qu'elle y soit rentrée. Il allait à l'infirmerie parce que la petite enfant, Onze, avait mal à la tête où elle était tombée, quand elle y était et l'assistante sentait sa présence passer près des archives. La porte de la salle des archives étaient fermés. Il ne pouvait imposer sa présence. Après tout, elle était seule et la caméra semblait être défectueuse dans la plupart des cas. Par chance, il y avait les autres employés dans la plupart des cas. Alors, elle ne se retrouvait pas seule avec lui et les caméras fonctionnaient toujours.

Elle en était persuadée. Il attendait le moment opportun. Mais pourquoi?

Même mentalement, la rouquine ressentait sa présence grattée dans son esprit. Juste derrière la nuque, attendant qu'elle veuille lui ouvrir la porte tel un chat mendiant de manger. C'était plus que désagréable comme une écharpe qu'on ne pouvait retirer. Ça tirait en arrière et des fois, ça poussait légèrement, insistant.

Le plus souvent, Annabelle arrivait à se concentrer sur autre chose. Son travail le permettait. Elle réussissait à ne pas le regarder et à se concentrer sur ses taches. Comme présentement, dans la salle arc-en-ciel, Annabelle accompagnait la Dr. Ellis pour les observations quotidiennes.

Les enfants s'amusaient avec leur jouet préféré. Il n'était pas rare de voir les numéros Seize et Dix-Sept s'amuser dans une course de voitures miniatures. Ils poussaient la voiture avec leur esprit sans difficulté. Les sujets Deux et Trois jouaient une partie d'échecs et la petite Onze jouait dans son coin seul. Elle ne semblait pas se lasser du jeu de hasard auquel elle s'amusait.

-Comment vas-tu aujourd'hui, Dix? Demanda Dr. Ellis en observant le garçon faire une pyramide avec les jouets sur le sol.

-Je vais bien, merci, répondit-il lentement. J'ai hâte d'aller faire mon test avec papa.

-Et ta tête, ça va? Continua-t-elle à le questionner pendant que son assistance griffonnait les réponses sur le cahier. Les migraines, sont-elles parties?

-Oui. Je n'ai plus mal. J'ai sans doute trop forcé l'autre jour.

Tandis que la veille la femme questionna encore Dix, leur conversation apporta une réflexion à son esprit concernant ses craintes et ses questionnements au sujet de Peter. Et si elle demandait à Brenner?

Cette pensée apporta un mal de tête sévère.

« Non. »

C'était la voix de Peter qui résonna dans sa boite crânienne. Un écho qui la fit sursauter. Juste assez pour croiser l'attention de sa supérieure qui la regardait avec inquiétude.

-Tout va bien, mademoiselle Walker? Demanda la femme en se relevant.

-Je...Oui. Désolé. Continuer.

-Vous êtes plus pâle que d'habitude. Vous devriez aller à l'infirmerie. Je me charge du dossier.

-Non. J'insiste. Ce n'était qu'un léger malaise. Continuer votre travail.

-D'accord. Mais dites moi s'il y a quelque chose qui vous tracasse.

Se penchant à nouveau, elle reprit son travail avec Dix. Son cœur battait si fort dans sa poitrine. Annabelle tourna aussitôt son regard sur Peter qui la fixait. Il lui fit son sourire habituel.

« Ne parle à Brenner de quoi que ce soit. Conseil d'ami. »

Elle détourna de nouveau le regard choqué et stressé à l'idée qu'il puisse comprendre ses pensées dans les moindres détails. La communication était tendue et elle tenta de se détacher de nouveau, tirant de son côté.

« Pourquoi tu te détournes? Ne suis-je pas digne de ton attention? »

Il était frustré d'être ainsi ignoré. Il avait l'habitude avec les autres employés et les enfants, mais elle, non. Il ne voulait pas être ignoré. Plus maintenant.

Peter lâcha un soupir contrôlé. Un effet plutôt hors du commun. Assez pour que Onze se retourne pour le regarder. Le pire était sans doute la poussée d'esprit de Peter qui vint rencontrer la tête d'Annabelle, assez faible pour que les autres ne puissent le sentir et que Soteria ne lui empêcha pas, mais trop fort pour la jeune recherchiste. Le sang se mit à couler de ses narines, maculant ses notes de rouge.

-Vous devriez vraiment aller à l'infirmerie, protesta la Dr. Ellis en se précipitant pour aider sa jeune protégée. Je vous l'avais bien dit. Donnez-moi les notes. Je m'occupe de ça. M. Ballard?

Merde. Elle ne voulait pas être seule avec lui-même s'il y avait des caméras à tous les coins des couloirs. Non.

Peter s'approcha rapidement avant même que la dame l'appelle et il avait déjà sorti un mouchoir pour le lui tendre. Annabelle le prit, en évitant de le toucher et de le regarder.

-Accompagner mademoiselle Walker jusqu'à l'infirmerie, je vous prie. Elle ne sent pas bien.

-À vos ordres, Dr. Ellis.

Merde. Encore merde.

Ils sortirent de la salle. Peter ouvrait la marche en marchant à son rythme. Elle ne le regardait pas spécifiquement. Le mouchoir avait presque déjà arrêté le sang. Son uniforme n'était pas tâché. C'était la seule bonne nouvelle comme si elle pouvait vraiment s'en soucier. Il ne lui adressa pas la parole. Il était resté silencieux, les mains derrière son dos.

La rouquine ne comprenait pas toujours ce qui s'était réellement passé. Avait-elle rêvé la voix de Peter dans sa tête? Tout cela lui semblait réel. Il marchait rapidement. Après tout, il était très grand et elle dut se faire rapide pour le suivre malgré son état.

-Nous voilà arrivés, dit-il en poussant la porte.

Il n'y avait personne. L'infirmière était peut-être partie en pause. Est-ce que Peter savait ça aussi? Attendant le bon moment…Cette pensée fut poussée de côté.

-Non...Ça va. Je vais mieux. Ce n'était qu'un saignement de nez. C'est juste l'air sec du laboratoire. Rien de plus. Je vais y retourner.

Il referma la porte derrière elle.

-Assieds-toi sur le lit. Je vais t'examiner, insista-t-il.

-Je te jure que…

-La Dr. Ellis a insisté et je le dois aussi. Je ne pense pas qu'elle apprécierait de votre part que vous protestez sur votre état de santé. S'il te plaît, assieds-toi.

Il lui fit signe de prendre place sur le premier lit du regard. Elle n'eut pas d'autres choix que d'écouter. Ses arguments tenaient la route. La jeune femme ne voulait pas offenser sa supérieure.

Alors, elle prit place. Le lit s'enfonça sur son poids même si elle pesait comme une plume. La caméra dos à elle, scrutant ses gestes pour l'étudier.

Il avait sorti une boite de mouchoir et une petite lampe pour examiner ses yeux. Tout était blanc. L'uniforme de Peter, les draps, le plancher, et même les meubles. Il était plus frappant à l'infirmerie que dans toutes les autres pièces. Elle détestait ça. Aucune couleur à part le rouge de son sang qui coulait encore légèrement de son nez.

« Tu ne devrais pas avoir d'autres écoulements. J'ai dû aller trop fort, c'est tout. Je m'en excuse. »

-Quoi? Demanda-t-elle toujours surprise, mais aussi dans l'incompréhension lorsqu'il s'approcha d'elle.

Annabelle aurait dû finir par s'habituer à toutes ces choses improbables. Après tout, elle travaillait avec des enfants dotés de capacités étranges, voire impossibles...

Il la regardait. Ses yeux d'un bleu à couper le souffle lui donnèrent envie d'y nager éternellement. Il lui fit un petit sourire, sentant le compliment alors qu'il regardait les siens, vert, la couleur de l'espoir. Ses yeux se détournèrent pour regarder un point vers le coin de la pièce. Une caméra.

« Ne dis rien à voix haute. Tu peux communiquer avec moi par la pensée, mais pas ouvertement. Les caméras voient tout. Brenner pourrait nous voir en ce moment même. Alors, écoute mes conseils. »

-Je vais examiner tes yeux. Ton nez ne semble plus saigner maintenant. As-tu des douleurs à la tête?

Il se pencha pour la toucher. Ses mains se posèrent sur chaque côté de son visage et elle eut l'impression qu'il était doux. Son touché était très délicat et il semblait vraiment se soucier de son bien-être. Il observait ses yeux avec la petite lampe, observant ses réflexes, ne se souciant pas de la caméra, car il était autorisé à faire ça. Il prit un mouchoir pour essuyer le sang séché sur le coin de sa bouche et elle sursauta à son contact.

« La première fois par télépathie est une expérience douloureuse. Elle peut s'accompagner d'un saignement de nez et d'un mal de tête qui vont s'estomper bientôt. »

-Non. Je n'ai pas mal à la tête. Je crois que ça va mieux, répondit-elle en prenant le mouchoir elle-même.

« Peux-tu essayer de me parler par ton esprit?»

« Je...»

C'était tout ce qui sortit de sa tête que Peter réceptionna, déçu, mais pas découragé.

« Ce n'est pas grave pour le moment si tu n'es pas capable... Tu as le don de télépathie. Cela veut dire que tu peux communiquer par la pensée. Ton don était sûrement enfoui au fond de toi ou enfermer. Cela peut être dû à un traumatisme ou à de l'ignorance de ta part. »

Annabelle trouva la difficulté à y croire, et même à respirer. Elle aurait voulu se réveiller ce cauchemar et d'être dans le déni total, que Peter se trompe et rien n'était réel. Elle essaya de nouveau au plus grand bonheur de l'infirmier.

« c...omme les... autres...eux...Les sujets...»

« Qu'est-ce que tu racontes? Tu es plus que ça. »

-Écouter, mademoiselle Walker. Je pense que votre nez est légèrement sec, mais qu'il n'y a rien d'alarmant. Tout va bien.

Soudain, la porte s'ouvrit sur l'infirmière responsable et le Dr. Brenner. Celui-ci eut une réaction des plus bizarres pour Annabelle. Il montra qu'il était perplexe en voyant Peter et il se montra méfiant à son égard. Cela ne dura que quelques secondes, car il vit Annabelle assied sur le lit et se rapprocha avec un sourire aimable. Peter s'éloigna rapidement de Brenner comme s'il avait attrapé un choc électrique dans un coin de la pièce. On aurait dit que les deux hommes ne se supportaient pas.

« Ne lui dis rien. S'il te plaît. »

-J'ai su qu'il était arrivé quelque chose. Dr. Ellis m'a averti de votre état. Comment est-ce que ça va?

L'infirmière arrivait avec les mêmes objets auxquels Peter l'avait examiné.

-Tout va bien. J'ai juste eu un malaise. Je crois que c'est l'air sec, c'est tout. Peter m'a déjà examiné.

-Ah bon? Demanda Brenner.

L'infirmière arrêta chacun de ses mouvements. Martin se tourna vers le jeune homme qui était resté dans le coin, parfaitement silencieux. Il ne parla pas. Définitivement, Peter avait raison sur une chose. Il se passait quelque chose. Il y avait une certaine tension dans la pièce.

-Oui. Il a été très minutieux. Merci, Peter.

Il répondit qu'avec un hochement de tête, mais elle ressentit presque un soulagement qu'elle n'avait pas parlé de leur conversation mentale.

-Donc, il ne s'est rien passé d'étrange? Insista l'homme à la chevelure grise. Ce n'était qu'un malaise et rien de plus?

-Bien sûr. J'ai saigné du nez dans la salle arc-en-ciel, Dr. Ellis a demandé à M. Ballard de venir m'escorter jusqu'ici et il m'a examiné parce que l'infirmière n'était pas à son poste. C'est tout.

Elle disait quand même la vérité sur les événements. Martin hocha la tête pour approuver qu'il eût bien compris.

-Très bien. J'aime prendre soin de mes employés. Ils sont difficiles à remplacer. J'apprécie votre travail et j'étais inquiet que vous soyez malade pour la journée. Vous vous sentez à l'aise de retourner à la salle arc-en-ciel? Demanda-t-il.

-Oui. J'y retourne sur-le-champ. Je suis désolé de vous avoir dérangé pour si peu.

-Tout le plaisir est pour moi. Dr. Ellis sera heureuse de vous retrouver. Continuer votre bon travail, complimenta-t-il. Et merci à Peter aussi. Vous pouvez retourner à la salle arc-en-ciel.

Brenner la laissa partir sans rien ajouter, toujours aussi souriant et Peter ouvrit le chemin.