Stiles retrouva une allure à peu près habituelle dès le lendemain et ce fait était si surprenant que ni Jackson ni Isaac ne savait s'ils devaient considérer cela comme normal. Son étincelle de combativité habituelle ayant repris sa place dans son regard ambré, l'on décida de ne pas s'y attarder, ni même de le charrier avec ça. L'incident de la veille l'avait ébranlé sur le coup au point de le rendre silencieux. Si Jackson eut une fois envie de se moquer de lui gentiment, Isaac l'en empêcha d'un regard. Ces deux-là n'étaient pas amis à proprement parler, disons… Qu'ils avaient quelque chose en commun : leur nature surnaturelle. Alors, dans un sens, ils se comprenaient et se supportaient bien plus facilement qu'autrefois.
Le groupe passa la journée à visiter la ville l'air de rien, et s'il y en eut bien un qui embêta les autres et tenta de les faire sortir de ses gonds pour s'amuser et se venger de cette scission toujours existante entre eux, ce fut bien Stiles. Parce que Jackson et Isaac le traînèrent un peu partout sans jamais lui demander son avis. C'était à peine s'ils prenaient la peine de lui expliquer où ils allaient et pourquoi. Ils continuaient leurs repérages pour l'instant. Alors, Stiles, parce qu'il n'était pas du genre à se laisser faire, se fit un plaisir de les emmerder avec une subtilité parfois extrême, parfois sommaire. Si les deux loups-garous en avaient plus qu'assez, le fait qu'ils se trouvent à l'extérieur et par conséquent, en public, les empêchait de faire quoi que ce soit. Stiles eut ainsi le champ libre pour s'en donner à cœur joie. Il partait du principe que tant que ses deux « amis » ne le respecteraient pas au point de le mettre sur un pied d'égalité avec eux, il continuerait. La diplomatie n'avait jamais fonctionné, alors il tentait autre chose. Et si ça ne marchait pas, tant pis : il aurait tout de même eu le plaisir de leur en faire voir de toutes les couleurs. Ainsi, il avait parfaitement mis de côté l'incident de la veille. Si son introspection l'avait aidé à relativiser à ce sujet, cette journée à embêter ses deux coéquipiers lui permit de passer à autre chose, reléguant cet épisode à l'état de souvenir.
Le trio ne rentra au chalet que le soir venu, après avoir mangé au restaurant. Aucun des loups n'avait envie de cuisiné et Stiles avait refusé catégoriquement de se mettre au service de ces deux idiots qui comptaient le laisser s'occuper du repas sans même lui demander s'il était d'accord. Ainsi, il ne restait plus à chacun qu'à s'occuper un peu puis d'aller se coucher. Ce soir, pas de mission dans un quelconque bar : Stiles avait trouvé ça stupide mais, sachant que son avis ne serait pas pris en compte, n'avait rien dit, parce qu'il voyait le bon côté des choses. Il avait ainsi l'occasion de passer une soirée tranquille, sans drogue, sans Isaac, sans Jackson. Au chaud, dans sa chambre, en tête à tête avec lui-même. Ses bouquins – son deuxième sac en était rempli – son téléphone et ses pensées. Il ne lui fallait pas grand-chose. Souvent, s'enfermer dans sa tête l'aidait à passer le temps – une technique redoutable mais difficilement contrôlable. C'est donc satisfait qu'il ouvrit la porte de sa chambre.
Au départ, il sentit juste une gêne, mais ne remarqua rien d'anormal. Il savait juste que quelque chose clochait dans ce qu'il voyait, sans pouvoir dire précisément quoi. Et puis, son regard s'attarda sur le lit. Un lit qu'il se souvenait d'avoir fait parfaitement et sans un pli, comme il avait l'habitude de le faire. Un lit qui était effectivement parfait et sans un pli. Oui, mais… Sans oreiller, aussi. Là, Stiles se retrouva perplexe et vérifia, au cas-où, si son coussin fétiche ne se trouvait pas, par hasard, par terre. Il fit le tour du lit. De la chambre. Vérifia dans les placards.
Rien.
Il y avait bien un oreiller prêté par le chalet dans l'étagère du haut, mais ça, c'était on ne peut plus normal. Jackson et Isaac en avaient chacun un aussi. L'air de rien et parce qu'il savait que leur demander directement ne servirait à rien, Stiles alla d'autorité vérifier dans les chambres des deux loups si l'un d'eux n'avait pas décidé, pour l'embêter, de lui piquer son oreiller. Par chance, Isaac était aux toilettes et Jackson se douchait. Ainsi, il eut le champ libre, mais revint dans sa chambre, bredouille. Il fouilla le reste du chalet – toilettes et salle de bain exclues –, en vain. La préoccupation commença doucement à le gagner. On ne perdait pas un oreiller comme ça. Pas de cette façon, en ne faisant… Que dormir avec. Alors il fit de nouvelles recherches dans sa chambre, de manière plus frénétique. Parce que son oreiller… N'était pas n'importe quel oreiller. C'était le seul avec lequel il arrivait à dormir. Passer une nuit sans, c'était prendre le risque d'enchaîner les cauchemars jusqu'à ne plus arriver à fermer les yeux. Stiles l'avait déjà expérimenté. Sans pouvoir se l'expliquer, ce coussin lui permettait de garder une hygiène du sommeil plus qu'acceptable. Ne le trouvant toujours pas, Stiles commença à paniquer. A se demander ce qui avait pu se passer. A angoisser quant aux nuits qu'il risquait de passer. On avait l'habitude de le voir comme un garçon énergique, joyeux, espiègle et aussi amoureux de la nourriture que du sommeil et en soi… C'était vrai. Mais son esprit plutôt vif n'était pas aussi tranquille qu'on se l'imaginait. Stiles gardait des choses, en lui. Ses malheurs, il n'en parlait pas, parce qu'il trouvait ça stupide et avait tendance à un peu trop relativiser sur son bien. Cela ne l'empêchait bien sûr pas de vivre : ses silences pouvaient simplement se répercuter sur son sommeil, le rendre plus agité. Avec son oreiller fétiche, ça allait. Il évitait, la plupart du temps, de se laisser aller à songer à ses démons. Mais sans ? Que ferait-il sans ?
Stiles souffla et se reprit aussi vite que possible. Ici, il n'avait pas le droit de se laisser aller, pas alors qu'il avait deux emmerdeurs prêts à se moquer de lui à la moindre occasion. Pour la drogue, ils n'avaient rien dit – encore heureux, il ne manquerait plus que ça ! – mais pour un oreiller ? Pour un oreiller, ils lui riraient au nez sans hésiter. Parce qu'il était sans doute l'un des seuls êtres humains sur terre à avoir besoin de son oreiller pour dormir. Pour qui passerait-il s'il le leur avouait ? Une chose était certaine : sa disparition n'était pas normale. Néanmoins, à cette heure-ci… Il n'y avait pas grand-chose à faire et même si c'était douloureux, Stiles décida de sortir l'oreiller de prêt du chalet et d'y mettre une taie. Il ne devait surtout pas attirer l'attention de ses… Colocataires. C'était stupide. Il chercherait mieux demain. Sans qu'ils ne sachent quoi que ce soit de son trouble.
Ainsi, il réprima au maximum ses émotions et posa l'oreiller sur son lit, s'efforçant d'écarter l'idée qu'il allait mal dormir. Se prépara à cette nuit qu'il appréhendait déjà. Se coucha calmement, deux heures et trois quarts d'heure plus tard, après avoir retardé au maximum le moment où il devrait fermer les yeux. S'il avait calmé son stress, il ne pouvait s'empêcher d'appréhender. Pas au moins de se rendre malade, mais bien au point d'avoir un nœud au ventre. Heureusement, il se contrôla suffisamment pour qu'aucun des deux loups, chacun vaquant à ses occupations, ne fasse attention à son odeur. Il savait qu'ils auraient fini par accourir, si jamais son angoisse était trop forte. Pas pour l'aider, non : pour lui dire de se calmer parce que cet effluve, peu agréable pour eux, les dérangeait. Ils ne lui avaient jamais dit une chose pareille, mais Stiles préférait prévoir les choses, tout avoir sous contrôle. Tout… Ou le plus possible.
Ce soir-là, le lit lui parut froid, sans doute parce qu'il ne se sentait pas à l'aise. Stiles remonta la couette jusqu'à son menton et ferma les yeux. Au départ, il ne trouva pas le sommeil. Il se tournait et se retournait dans le lit, changeait sans arrêt de position. Cela dura longtemps. Des heures. Jusqu'à ce que la fatigue s'accumulant prenne le dessus et le plonge dans un sommeil profond. Profond, oui, mais aussi agité. Son pressentiment se vérifiait déjà quelques minutes après son endormissement. Il bougeait sans arrêt, tendu comme un arc.
Lorsqu'il se réveilla, ce fut une longue demi-heure plus tard, en sueur, les mains sur sa bouche, comme pour retenir ce cri qu'il avait failli pousser. Ce cri qui en aurait réveillé plus d'un mais qui, par chance ou malchance, mourut dans sa gorge. Stiles repoussa sèchement sa couette et se leva sans faire attention à la faiblesse de son corps à moitié endormi. Se rendormir n'était pas une option, tout simplement parce qu'il voulait éviter que les images qui l'avaient torturé réapparaissent. Stiles enfila une veste et se réfugia dans le salon. C'était idiot et sans doute lâche de sa part, mais il ne se sentait pas de réessayer. Pas tout de suite. Pas avec deux loups qui ne savaient rien de lui dans la même habitation. Stiles poussa un soupir des plus tremblants et essuya les rares larmes qui avaient eu l'audace de couler sur ses joues bien pâles, rendues d'autant plus blanches avec la lumière de la lampe du salon, pas très chaude.
Un frisson le parcourant, Stiles s'enroula dans un plaid et s'allongea sur le canapé.
Mais il ne ferma plus l'œil de la nuit.
