Stiles n'était pas censé avoir le droit de boire du café à cause de son hyperactivité. Il en était d'ailleurs conscient. Cependant, cela ne l'empêchait pas de lorgner la cafetière avec une envie non négligeable. Plus que cela, il s'agissait d'un besoin. La nuit qu'il avait passée était rude et ce, sur plusieurs points. Déjà, il s'était forcé à tout faire pour ne pas se rendormir ce qui était embêtant en soi vu qu'il était fatigué. Ensuite, il avait fallu faire avec son hyperactivité : pour se tenir tranquille et ne pas alerter ses deux colocataires, il avait doublé la dose d'Adderall. Enfin, il s'était débrouillé pour s'occuper durant toutes ces heures, histoire de se contrôler. Les médicaments l'avaient, dans un sens, calmé, mais pas complètement.
Et là, à huit heures du matin, Stiles commençait sérieusement à avoir du mal à tenir le coup. Il n'avait aucune idée de ce qu'ils comptaient faire aujourd'hui, mais nul doute que les deux loups profiteraient du moindre aveu de faiblesse de sa part pour l'évincer. Alors, ce fut à contrecœur qu'il prit sa décision. De toute manière, avait-il réellement le choix ? Dormir n'était pas une option, se faire écarter de la mission, non plus. Rester éveillé était une obligation de la première importance. Tandis qu'il se servait une tasse de café, Stiles s'efforça de ne pas songer à la nuit prochaine, tout simplement parce qu'il n'avait aucune idée de la manière dont il pourrait se débrouiller. Il savait que dormir sans son oreiller ne lui promettait rien d'autre qu'un torrent de cauchemars et de pensées négatives. Mais la question de sa disparition continuait de le tarauder. Où avait-il bien pu passer ? Il lui paraissait on ne peut plus invraisemblable que quelqu'un se soit introduit dans le chalet, pour la simple et bonne raison que les deux autres idiots l'auraient senti. Stiles en vint alors à douter de lui-même et chercha à se remémorer son propre comportement tout le long de la journée de la veille. Par chance, il avait une excellente mémoire et l'hyperactif ne pensait pas que celle-ci puisse lui jouer des tours. Ses yeux lorgnèrent la tasse de café qu'il tenait dans sa main. Son esprit continuait de lui souffler qu'il s'agissait d'une mauvaise idée, mais… Il l'avala cul sec. Ce n'était pas comme s'il avait d'autres solutions. Stiles ne devait pas laisser paraître sa fatigue ou du moins, pas plus que nécessaire. Après un passage rapide dans la salle de bain, il conclut qu'Isaac et Jackson ne pourraient pas deviner qu'il n'avait pas dormi de la nuit. Ses cernes n'étant pas des plus prononcés, ça allait. Mais s'il continuait de peu ou pas dormir les prochains jours… Stiles s'efforça de ne pas y penser. Il allait se débrouiller. Retrouver son oreiller. Sous le coup d'une pulsion soudaine, il se fit un second café. Irréprochable. Il se devait d'être irréprochable.
Quelques secondes plus tard, le parquet se mit à craquer légèrement au rythme des pas lourds d'Isaac qui pénétra dans la cuisine en se frottant un œil. Stiles ne lui adressa pas un regard alors qu'il commençait à laver sa tasse de café à la main. Contrairement aux apparences, il était très à cheval sur l'ordre et la propreté. S'il ne faisait généralement pas de commentaires devant les autres, il tenait à continuer de suivre son code de conduite en toutes circonstances.
- Déjà debout ? Sembla s'étonner le bouclé en le voyant ainsi.
Stiles était dos à lui, face à l'évier. Il rinçait sa tasse. Si l'hyperactif ne releva aucune trace d'animosité dans son ton, il tenait toutefois à rester sur ses gardes. C'était maintenant qu'il devait faire attention à ce qu'il disait, ce qu'il se permettait de ressentir, ainsi que son attitude qui ne devait pas différer d'habituellement. Il allait toutefois bien vite falloir qu'il refasse un tour dans le chalet, histoire de vérifier s'il n'avait pas oublié de chercher à certains endroits.
- Ouais, répondit-il seulement.
Il adorait parler et c'était ce qu'il faisait depuis toujours, à tel point que ça avait le don d'en énerver beaucoup, mais cette fois… Stiles se devait de mesurer son débit, de parler le moins possible. Isaac était un loup, tout comme Jackson : plus il parlerait, plus il s'exposerait au risque de se voir découvert. Ses gestes, un peu lents et imprécis, le chagrinèrent un instant. Quand ses deux cafés feraient-ils effet ? L'hyperactif n'oubliait pas non plus qu'il avait doublé la dose de son traitement. L'un annulait-il les effets de l'autre ? Telle était la question qu'il refusa de se poser. Ses médicaments devaient garder son hyperactivité à un niveau tenable et le café, le mettre un peu en forme. De sa position, Stiles ne vit pas la manière dont Isaac fronça les sourcils en le regardant.
- Je vais réveiller Jackson, entendit l'hyperactif.
Un simple « ok » répondit au bouclé. Stiles, de son côté, sécha sa petite tasse avec un torchon et la posa sur le côté de l'évier. A vrai dire, il se demanda s'il n'aurait pas dû déjeuner plus tôt… Partager son premier repas de la journée avec ses deux colocataires ne l'emballait pas des masses, d'autant plus qu'il développait progressivement l'envie de faire les choses de son côté. Cependant, cela ne pourrait éventuellement se faire qu'après une bonne discussion pour décider de ce qui était à l'ordre du jour. Stiles ferait équipe avec Lydia, il saurait instinctivement comment s'organiser, parce qu'ils réfléchissaient et pensaient de la même manière. C'était à peine s'ils avaient besoin de se concerter. Autre point intéressant, et pas des moindres : ils s'appréciaient, chacun à leur juste valeur. En somme, Lydia aurait fait une parfaite coéquipière. A contrario, il se retrouvait avec deux loups qui ne s'appréciaient que moyennement mais qui se rejoignaient sur leur point de vue le concernant : ils le détestaient et devaient faire de gros efforts pour le supporter. Isaac et Jackson s'entendaient malgré leurs dissensions parce qu'ils étaient tous deux d'une nature calme et… Lupine. Tout ce que Stiles n'était pas.
Penser à ses colocataires eut le mérite de lui faire oublier, l'espace de quelques secondes, son problème actuel.
Son ventre se mit alors à gargouiller et Stiles soupira. Avec l'angoisse qui lui nouait le ventre, il avait tout sauf envie de manger. Une certaine pensée lui revint à l'esprit et il fit de son mieux pour museler ce stress qu'il n'avait, dans un sens, pas le droit de laisser s'exprimer. L'hyperactif fit le tour de la cuisine, le regard vide et se saisit d'une pomme, qu'il lava consciencieusement avant de la sécher. Cette fois, il entendit les deux loups arriver et mordit dans le fruit. Patiemment, il les regarda s'activer dans la cuisine et nota mentalement ce qu'ils prenaient. Puisqu'il avait une bonne mémoire, il se souviendrait de tout cela pour le lendemain. Stiles était peut-être agacé de faire équipe avec eux, mais il avait, comme toujours, l'intention de faire des efforts malgré ce qu'il s'était dit au départ. En somme, il retenait ce qu'il voyait pour pouvoir préparer leur petit-déjeuner le lendemain. De cela, il ne pipa mot. Pour lui, il était clair que l'effort était inutile et lui vaudrait bien des moqueries, m'enfin… Il était comme ça : faire les choses bien lui tenait à cœur. Une petite voix dans sa tête lui dit d'arrêter de penser au lendemain alors qu'il était incapable de trouver quelque solution que ce soit pour sa prochaine nuit. Une nouvelle vague de stress le traversa alors, vague qu'il musela aussitôt. Le visage de l'hyperactif ne laissa passer aucune émotion, ne fit montre d'aucune tension. Pour l'instant, Stiles se contrôlait. Ainsi il s'installa à table, l'air de rien et planta ses dents dans le fruit sucré après avoir vaguement salué Jackson d'un signe de tête.
La discussion fut simple, rapide et efficace. Au final, Stiles ne chercha même pas à donner son avis, à part pour acquiescer à la toute fin, sans avoir écouté une seule seconde. Un simple observateur aurait dit qu'il était un garçon des plus contradictoires et dans un sens, c'était vrai. La véritable raison de cette passivité ? Sa fatigue. Pour l'instant, seul son traitement – dont il avait doublé la dose – faisait effet et le ramollissait. Si l'on ajoutait à cela le fait qu'il n'avait pas dormi de la nuit… Au bout d'un moment, il alla se faire un nouveau café tout en écoutant les deux loups parler. Il ne retenait pas toutes les informations, mais captait l'essentiel.
Ils allaient bouger.
xxx
L'idée de prendre trois cafés en une matinée était mauvaise. Plus que cela, elle était stupide. Un café ? C'était déjà trop, alors… Trois ? Fut un moment où Stiles avait été insupportable. Il allait et venait partout, multipliait les tocs et parlait… Beaucoup. Trop, sans doute. Isaac et Jackson, incapables de le suivre, lui demandaient fort régulièrement de « la fermer » et « d'arrêter de bouger, pour l'amour du ciel ! ». En fait, ils s'étaient même débrouillés pour l'envoyer effectuer des tâches ingrates qui l'aideraient à dépenser son énergie sans venir les leur briser. Stiles ne s'était pas plaint : il avait pris plaisir à s'occuper avec la moindre petite activité qu'on lui proposait. Disons que son traitement avait fait effet… Un temps. Concernant le café, eh bien… Il avait pris le dessus un moment. Isaac et Jackson furent presque surpris de le voir perdre l'intégralité de son épuisante énergie en plein milieu d'après-midi. Presque d'un coup. Dès lors, le faire bouger et participer fut un calvaire, mais dans l'autre sens. Ce fut tel qu'excédés, les deux loups décidèrent de le ramener au chalet en lui trouvant quelque chose à faire, quelque chose d'habituel : des recherches. Stiles, passé du stade de pile électrique à larve vivante, ne servait actuellement à rien. Toutefois, ce n'était pas réellement la raison pour laquelle ils avaient tous deux pris cette décision… Non contestée par le concerné qui, même s'il voulut dissimuler sa fatigue, n'y arrivait pas vraiment. Il se prenait le contrecoup de son traitement doublement dosé qui revenait en force maintenant que les trois cafés étaient bien passés. L'éclair d'énergie qu'ils lui avaient donné avait été phénoménal… Un peu trop. Fort heureusement, il était des plus éphémères.
Et là, l'énergumène se trouvait ni plus ni moins dans la voiture. Il attendait les deux loups qui avaient prétexté devoir acheter quelque chose avant de le ramener. Stiles s'était montré étrangement coopératif, ce qui augmentait une méfiance née le matin-même, d'autant plus qu'il ressemblait désormais à un légume, prêt à s'endormir à tout moment. La seule chose qu'il essayait de faire, c'était de le cacher : autant dire qu'il n'y arrivait que moyennement.
- Tu penses qu'il est drogué ? Demanda Isaac en marchant.
Les deux loups se dirigeaient vers un petit magasin visible depuis la voiture. Si au départ, l'excursion était censée être une excuse, il se trouvait que les deux jeunes hommes allaient réellement acheter quelque chose : du café. Isaac s'était rappelé qu'il était allé ouvrir la boîte à dosettes pendant que l'hyperactif était allé se préparer et avait découvert que trois dosettes s'étaient fait la malle. Déjà qu'ils n'en avaient pas beaucoup… C'était facile à remarquer. En adorateur de café, le bouclé voulait s'assurer qu'ils en aient assez pour toute la durée de leur séjour.
- Aucun risque, répondit Jackson, le regard acéré.
- On l'a envoyé à droite et à gauche, rétorqua Isaac, dont l'inquiétude transparaissait dans le regard.
- Je l'ai surveillé.
Parce qu'à chaque fois, il restait dans le champ de vision de Jackson, et le périmètre que couvrait ses yeux d'aigles était large. En fait, il l'avait couvé du regard pendant tout ce temps-là. Même d'ici, il le surveilla : la vitrine du magasin donnait sur la voiture, dans laquelle il voyait l'hyperactif sur son téléphone. Depuis cette soirée durant laquelle on avait mis un cachet dans son verre, Jackson faisait attention. Il ne disait rien, ou du moins, pas grand-chose. Cependant, il gardait à l'esprit que Stiles était avec eux et non contre eux. Alors même si l'épisode de la drogue n'était qu'un hasard, il préférait faire attention. Isaac était du même avis. Forcément, avoir supporté une pile électrique insupportable et finir avec un hyperactif qui se transformait en limace presque d'un coup, c'était étrange. Néanmoins, il était formel : personne ne s'était approché de Stiles, du moins pas assez près pour lui injecter quoi que ce soit. Idem pour son odeur. Elle était clean. Un peu médicamenteuse, mais rien d'inquiétant, dans la mesure où il continuait de prendre son traitement contre l'hyperactivité – Jackson avait vu la boîte d'Adderall traîner au chalet.
Tandis qu'Isaac s'en allait chercher du café sans trop de conviction, Jackson garda un œil du côté de la vitre. Les deux loups le trouvaient étrange depuis qu'ils s'étaient levés, à raison : son comportement et son attitude étaient incompréhensibles. Au départ, il rechignait à aligner deux mots, ensuite il se transformait en un éclair d'énergie qui parlait sans arrêt et là… Il était méconnaissable, transpirait une certaine fatigue qui lui fit se dire qu'ils avaient pris la bonne décision. Au chalet, le châtain s'occuperait et aurait ainsi l'occasion de se reposer, même si Jackson ne voyait pas ce qui l'avait fatigué. Sans doute avait-il passé une mauvaise nuit. En bref, cette décision était la bonne. D'autant plus qu'ainsi, Stiles ne risquait rien. Qu'il y croie ou non, sa sécurité leur importait à tous les deux et ce besoin s'était retrouvé exacerbé depuis cette fameuse soirée. Jackson n'irait pas relier ça à de l'inquiétude – lui, comme Isaac, étaient trop fiers pour se l'avouer. Disons simplement que la perspective de se faire taper sur les doigts par Derek en cas de problème ne les emballait pas des masses, l'un comme l'autre. Et pourtant, il s'agissait d'une excuse, la meilleure qui soit.
Mais, finalement, son idée changea encore, et il décida d'en parler à Isaac lorsque celui-ci eut acheté le café. L'autre loup n'émit pas la moindre objection, comme si cette nouvelle décision le rassurait et tous deux se dirigèrent vers la voiture.
- On rentre avec toi, indiqua Isaac en s'installant sur le siège passager, tandis que Jackson prenait place au poste de conduite. Cet après-midi, on reste tous au chalet.
Stiles, de son côté, était avachi à l'arrière. Il soupira alors, clairement déçu :
- Oh non… Vous faites chier, j'étais heureux à l'idée de me retrouver seul.
Et son cœur ne le trahit pas, mais chacun des deux loups sentait que quelque chose continuait de clocher. Son odeur leur confirma que leur instinct avait raison : elle venait d'être rapidement submergée par une vague de stress… Aussitôt réprimée et ce, trop brutalement pour que cela soit naturel.
