A travers la vitre, Stiles apercevait déjà le chalet. D'ici quelques secondes, Jackson garerait la voiture. D'ici quelques secondes, il lui faudrait les suivre à l'intérieur. D'ici quelques secondes… Il ne saurait plus quoi faire. La proposition – imposée – par les deux loups lui était tout d'abord allée parfaitement parce qu'il savait qu'ainsi, il aurait l'occasion de relâcher ce contrôle étonnant qu'il avait sur lui-même. Stiles s'était d'ailleurs dit qu'il pouvait tenter de dormir un peu et que cela serait sans risque : seul, il pouvait se permettre d'arrêter de faire semblant. De chercher son oreiller – encore – sans qu'on lui pose la moindre question, et de tenter un petit somme. Sauf que ces deux idiots avaient changé leurs plans. Dire que pour une fois, Stiles était heureux d'être écarté ! Il retint un soupir. Il était si fatigué… Mollement, il sortit de la voiture lorsque celle-ci s'arrêta.

Quelques secondes après, les trois jeunes hommes étaient à l'intérieur. En bon humain normalement constitué, Stiles retira son écharpe, son manteau et son gros pull. En col roulé, ça allait. Les radiateurs fonctionnaient parfaitement et il voyait déjà Isaac s'en aller en direction de la cheminée pour l'allumer, ce qui ne rendrait la température que plus agréable encore.

Mais d'un autre côté, cela ne ferait que donner davantage envie à l'hyperactif. Une ambiance douce, la chaleur réconfortante des flammes, un chalet chaleureux, un canapé extrêmement bien fourni niveau coussins… Stiles pesta intérieurement : c'était un appel littéral à la sieste ! Sauf qu'il ne devait pas céder.

Stiles réussit à tenir par il ne savait quel miracle. Néanmoins, il ne put reprendre de café : il avait bien vu comment la boisson l'avait rendu et… L'épuisement abusé qui en découlait. Toutefois, l'hyperactif fut mou dans tout ce qu'il faisait et ses recherches progressèrent à une vitesse exécrable. Le soir venu, il se mit à préparer le dîner sans prévenir personne, sans rien demander non plus. Il avait besoin de s'occuper, de rester actif. Peu importe s'il restait lent. Au moins, il faisait quelque chose. L'action contre la fatigue. S'il s'asseyait et ne faisait rien… Il s'endormirait et ça, il en était hors de question.

C'est alors que le problème de sa nuit se rappela insidieusement à lui. Il n'avait toujours pas retrouvé son oreiller, alors… Comment allait-il pouvoir faire ? Veiller encore une fois ? Il vaudrait mieux éviter. Plus sérieusement, Stiles ne pouvait pas passer son séjour à craindre chaque nuit qui tombait. Des cauchemars… Il en avait fait et il en ferait encore. Si la disparition de son oreiller fétiche restait un mystère, il essaya de se dire qu'il pouvait passer outre. Puis… Merde, il devait apprendre à dormir sans. Peut-être qu'il finirait même par le retrouver. D'ailleurs, il se demandait sérieusement si l'un des deux loups ne l'avait pas volé et planqué pour l'embêter. Il ne voyait pas pourquoi ces idiots perdraient leur temps à faire cela, d'autant plus qu'il faisait exprès de ne pas réagir et surtout, de ne leur poser aucune question.

Ainsi, il continua de faire comme si de rien n'était et finit par appeler ses coéquipiers pour manger. Si le repas se passa dans un silence des plus inconfortables, Stiles ne rechigna pas à l'idée de s'occuper de débarrasser et de faire la vaisselle. Enfin, il ne dit rien mais les loups le virent directement s'activer une fois que tous eurent terminé. Etonnamment, Isaac lui proposa de prendre sa place et en temps normal, sans doute Stiles aurait-il directement accepté, mais pas cette fois-ci. L'hyperactif lui dit que cela ne le dérangeait pas et enjoignit les deux être surnaturels d'aller vadrouiller ailleurs – avec ses mots à lui, mais sans aucune agressivité. Stiles avait besoin de bouger, de s'occuper. De retarder le moment fatidique où il devrait aller se coucher.

Evidemment, débarrasser la table et faire la vaisselle ne lui prirent pas beaucoup de temps. Néanmoins, il voulut s'isoler assez rapidement et choisit par conséquent de rapidement dire bonne nuit à ses deux coéquipiers qui, chaque fois qu'il se mettait dos à eux ou disparaissait de leur champ de vision, s'échangeaient des regards allant de la perplexité à l'inquiétude.

Parce que plus Stiles faisait des efforts pour dissimuler sa fatigue et son stress, plus ceux-ci se voyaient.

Néanmoins, le châtain savait que cela importait peu : ni Isaac ni Jackson ne viendraient lui poser la moindre question. Leur mésentente avait au moins cet avantage-là, celui de lui accorder une certaine tranquillité. Puis… Soyons honnêtes. Les hypothétiques problèmes d'un humain comme lui ne pouvaient pas intéresser des loups dans leur genre, d'autant plus qu'on parlait ici d'un oreiller. Son oreiller fétiche. A part lui, qui en utilisait un ? Stiles devait prendre sur lui : en attendant de pouvoir fouiller dans les chambres de ses comparses, il fallait qu'il passe outre. Qu'il apprenne à dormir autrement. Dans tous les cas, il essaierait de rester seul au chalet le lendemain. Comme ça, il referait une nouvelle inspection de l'endroit – complète, cette fois-ci.

Son oreiller était forcément là, quelque part.

En tous les cas, Stiles traîna le plus possible et ne consentit à lâcher son téléphone que lorsque ses yeux se fermèrent tous seuls à de trop nombreuses reprises pour qu'il puisse ignorer sa fatigue. Le jeune homme regarda l'heure une dernière fois avant d'abandonner le combat.

Trois heures et quarante-cinq minutes. Un exploit, quand on savait à quel point il était épuisé. Stiles s'était amusé à télécharger tout un tas de jeux en tous genres et à traîner sur tous les différents réseaux sociaux – dont certains qui prenaient la poussière depuis des mois dans son téléphone.

Mais voilà, il fallait bien qu'il finisse par arrêter et dormir…

… Pour se réveiller en sursaut trois quarts d'heure plus tard. Tremblant. En sueur. A deux doigts d'hurler. Le corps aussi épuisé que l'esprit. Les larmes aux yeux. Stiles se redressa péniblement dans son lit et éclaira la chambre à l'aide de la fonction lampe de poche de son téléphone. Il s'assit au bord de sa couche et poussa un soupir des plus fébriles. Il était fatigué. Trop fatigué. Et évidemment, il ne pouvait ni dormir, ni laisser sa terreur s'exprimer. Parce qu'il n'était pas seul.

Et bordel c'était dur.

Stiles s'accorda du temps. Du temps pour respirer, pour retrouver un rythme cardiaque acceptable. Du temps pour bien s'ancrer dans le crâne qu'il était réveillé et plus dans le monde des rêves. Et sachant fort bien qu'il ne pouvait pas prendre le risque de retenter sa chance et dormir maintenant, il se leva et fit comme la veille : il retourna dans le salon et passa le reste de sa nuit à lutter contre l'immense vague de sommeil qui le submergeait déjà.

Au petit matin, il mangea un bout et prépara les petits-déjeuners des deux loups qui ne tarderaient pas à se lever – après s'être fait deux cafés. Stiles savait que, lorsque ceux-ci feraient effet, il serait insupportable. Alors, il prit son traitement en doublant à nouveau les doses tout en sachant que ce n'était pas une bonne idée. Oui, il en était conscient. Mais que pouvait-il faire d'autre ?

Stiles ne sut décrire les regards que lui lancèrent Isaac et Jackson une fois levé. A vrai dire, il n'y accorda pas grande attention et se retrancha dans sa chambre assez rapidement avec son ordinateur. De jour, il risquait moins de s'y endormir… Enfin c'était ce qu'il pensait, car il piqua du nez à plusieurs reprises.

Aux alentours de dix heures, les loups l'informèrent qu'ils avaient un tour à faire en ville. Stiles n'écouta même pas leur explication et migra à nouveau sur le canapé en se réjouissant qu'ils ne demandent pas à ce qu'il les accompagne. Sans doute devaient-ils en avoir assez de sa compagnie forcée – autant dire que ça l'arrangeait. Lorsqu'Isaac lui demanda – depuis quand frôlait-il l'amabilité ? – si rester seul un moment ne le dérangeait pas, Stiles lui assura que non et se retint d'ajouter qu'il n'attendait que ça.

Alors forcément, lorsqu'ils s'en allèrent, il attendit un peu avant de se réjouir réellement et se força à faire quelques petites recherches. Cependant, il ne tint pas plus de dix minutes avant de fermer son ordinateur. Il n'y arrivait plus. Ses cafés ? Peut-être avaient-ils fait leur effet, mais c'était du passé. Il était mort, épuisé. Deux jours sans dormir, c'était sa limite. Alors, c'est avec un plaisir non dissimulé qu'il s'allongea sur le canapé, posa sa tête sur l'un des coussins et laissa le sommeil le happer de manière quasi-instantanée. Avant de complètement sombrer, une pensée fugace lui traversa d'esprit.

Peut-être que le jour, il ne cauchemarderait pas.

xxx

Dans sa tête, tout se mélangeait. Il les revoyait, tous les deux. Donovan et le Nogitsune. Ils se fondaient parfois en un même être. Puis il y avait Scott, aussi. Ses mots tranchants comme la lame particulièrement affutée d'un couteau. Ils s'étaient enfoncés en lui avec la même facilité que Donovan se laissant pénétrer le torse par cette barre de fer. D'un coup, il prit l'apparence du Nogitsune et fondit à l'intérieur d'un Stiles terrorisé. Un Stiles qui se battit avec son esprit pour empêcher le démon renard de le posséder complètement. Parce que s'il y parvenait… Il y aurait d'autres morts. Les gens de la meute. D'autres innocents. Des personnes au hasard. Et le chaos règnerait.

En lui, Allison hurlait. Aiden aussi. Mais pas pour les mêmes raisons. Le dernier soupir de Donovan, qu'il réentendait souvent, fut tout aussi fort que ces cris déchirants.

Si tout ce qui se passait autour de Stiles lui paraissait flou, il ressentait le déferlement de haine et de violence avec une facilité folle. Les morts lui vrillaient des tympans tandis que le Nogitsune s'emparait de lui en le mettant face à ses exactions. Il le torturait sans vergogne pendant que Donovan apparaissait pour le mordre encore et encore avant de se faire empaler par cette barre de fer sous ses yeux.

Stiles hurla. Il avait besoin que tout s'arrête. Que toute cette merde cesse. Il en avait trop vu. Trop subi. Fait trop de mal, aussi. S'il fallait le tuer, qu'on en finisse. N'était-ce pas ce qu'il aurait dû faire, enfermé dans l'une des illusions du démon ? Ce katana, qu'il tenait pointé en direction de son ventre, il lui suffisait de l'enfoncer une bonne fois pour toutes. Parallèlement à cela, Scott ordonna fermement de ne pas le faire. Mais pas parce qu'ils se trouvaient au chœur d'une hallucination crée par le Nogitsune, non.

Parce qu'il avait tué.

Et qu'il devait payer.

Enfoncer la lame lentement et pas complètement. Souffrir. Agoniser. Comme toutes ses victimes, qu'elles soient directes ou indirectes. Car il était souillé par le sang qu'il avait fait couler, contaminé par la mort qu'il avait provoquée.

Stiles hoqueta et ressentit une vive douleur le parcourir alors qu'il était allongé, sans trop savoir comment, sur une surface enneigée. Le Nogitsune lui tenait les bras et Donovan les jambes – n'était-il pas en train de plonger ses crocs dans sa cuisse ? La douleur, cuisante, le paralysa un instant. Il n'avait plus d'air. Sa position, alors qu'on le maintenait au sol, ne l'aida pas à reprendre sa respiration.

Mais le pire, ce fut lorsqu'il vit son meilleur ami se pencher au-dessus de lui, un air glacial collé au visage. Lentement, il abaissa la lame du katana et la fit pénétrer dans sa peau avec une lenteur des plus sadiques. Son regard souriait, pas sa bouche. Il était pâle, aussi pâle qu'Allison, qui se pencha à son tour sur lui et murmura à son oreille des mots qu'ils n'avaient pas besoin d'entendre. Des mots qui lui renvoyaient sa culpabilité en pleine face. Qui lui firent aussi mal que toutes ces choses qu'on lui infligeait. A nouveau, il supplia que tout s'arrête, qu'on lui accorde le droit de… Mourir. Juste mourir. S'il n'avait pas le droit de vivre, qu'on lui ôte ce cadeau de la nature. Mais Scott lui dit d'un ton monotone qu'il ne méritait pas de connaître la paix. Pas si vite. Pas si tôt. Jamais.

Violence. Haine. Douleur. Sang. Chaos.

Puis d'un coup, plus rien. Plus rien du tout.

- … Les !

Le néant. Vide. Plus de cris. Mais Stiles n'en pouvait plus. Il supplia qu'on le laisse dormir tranquille. Juste une fois. Il tremblait. Comme une feuille. Sentait-il à quel point son corps était secoué de spasmes ? Sentait-il à quel point ses joues étaient mouillées ? Sentait-il à quel point la poigne sur ses poignets s'était desserrée ? Non, parce qu'il était épuisé.

- … Stiles, bordel !

S'il finit par trouver l'énergie d'ouvrir les yeux, il n'eut pas celle de comprendre ce qui lui arrivait, ni ce qu'il voyait. Peut-être croisa-t-il un regard nuageux et un autre, océanique – aucun moyen pour lui d'en être certain puisqu'il referma les yeux.

Il n'avait pas la force d'en supporter davantage pour l'instant.