Quelques soubresauts. Un sursaut, léger. Stiles se retourna sur le canapé et le regard océanique d'Isaac suivit chacun de ses mouvements tandis que son odorat surdéveloppé analysait son odeur depuis un moment. Stiles enchaînait les mauvais rêves : son sommeil semblait être perturbé et ce, sans arrêt. Toutefois, ce n'était pas aussi violent que lorsque Jackson et Isaac avaient débarqué au chalet. Ce qui les avait affolés en premier ? Ses hurlements. Des hurlements poussés avec une voix brisée. Des hurlements presque inhumains. Les deux loups-garous l'avaient trouvé allongé sur le canapé en train de se débattre comme si sa vie en dépendait, de pleurer comme s'il en avait assez, de se griffer comme s'il avait besoin de se faire mal. Pour la première fois depuis le début de leur arrivée dans cette région, Isaac et Jackson s'étaient regardés et avait ressenti l'inquiétude de l'autre. Une inquiétude unilatérale.

Vint un moment où Stiles cessa d'être agité et Isaac poussa un discret soupir de soulagement. Déjà une bonne heure que l'hyperactif s'était « calmé » mais le lycanthrope n'arrivait pas à le laisser seul. Pas qu'il ressente quelque sentiment spécial que ce soit à son égard, simplement… Ses hurlements le hantaient.

Et la joue de Stiles le narguait. Si sa peau sempiternellement claire et parsemée de grains de beauté avait toujours paru lisse et sans défauts, quatre légères griffures humaines l'ornaient. Elles n'étaient pas bien grandes, pas vraiment profondes non plus, mais témoignaient de la violence inouïe que l'hyperactif s'était infligée. Car le jeune homme avait des ongles extrêmement courts, ce qui signifiait qu'il y était allé extrêmement fort. Parce qu'il avait saigné. Très peu, mais il avait saigné. Isaac et Jackson étaient arrivés à temps, avant qu'il ne s'égratigne davantage. S'ils n'avaient pas choisi de revenir au chalet aussi tôt, que se serait-il passé ? Isaac remercia intérieurement Jackson d'avoir oublié de charger son téléphone cette nuit et d'avoir insisté pour rentrer le brancher. D'ailleurs, le plan de départ était de repartir après cela, mais… La découverte qu'ils avaient faite concernant l'hyperactif leur avait fait revoir leur planning de la matinée.

Stiles recommença très vite à s'agiter et le regard d'Isaac se fixa rapidement sur lui. Si le bouclé lui-même se retrouvait parfois victime de cauchemars dus à son passé chaotique, il n'avait pas le souvenir d'en enchaîner autant en si peu de temps. Stiles semblait, quant à lui, perpétuellement soumis à ses songes. Se reposait-il ? Honnêtement, Isaac en doutait, d'autant plus qu'il le trouvait de plus en plus fatigué depuis deux jours. Dormait-il ? La scène que lui et Jackson avaient abrogée tournant en boucle dans son esprit, Isaac ne chercha même pas à repousser ces questionnements et cette inquiétude concernant l'hyperactif. Il ne l'appréciait pas spécialement. Ça, c'était certain. Pour autant, Isaac se savait un peu plus sensible qu'il ne voulait le montrer, alors… Forcément, dans un sens, ça le touchait. D'autant plus qu'il n'imaginait pas Stiles torturé d'une quelconque manière. Lui, c'était juste l'hyperactif de service, l'humain à l'énergie infinie, au bagout inarrêtable. Outre le fait qu'il puisse être en colère par rapport au peu de valeur qu'on lui accordait parfois alors qu'il méritait effectivement bien mieux par rapport à tout ce qu'il faisait dans la meute, Stiles ne se plaignait jamais. Il n'avait pas de problème. Il souriait ou râlait sans arrêt, selon son humeur – joyeuse ou emmerdeuse.

Forcément, le décalage avec l'image qu'il renvoyait en ce jour était flagrant.

Si Jackson ne se montra pas la demi-heure suivante, Isaac l'entendait presque ruminer dans sa chambre. Le kanima était des plus silencieux mais son odeur, puissante par le trouble qu'elle dégageait, lui arrivait aisément aux narines et pour tout dire, le bouclé le comprenait parfaitement. La violence de Stiles envers… Lui-même était à n'y rien comprendre. Qu'est-ce qu'il le torturait, pour qu'il réagisse de cette manière ? Isaac se concentra complètement sur lui lorsque ses sens l'alertèrent.

Stiles se retourna, encore et Isaac entendit nettement l'embardée que fit son cœur, dont les battements étaient de plus en plus rapides. Le bouclé se redressa brusquement sur son siège, prêt à intervenir en cas de problème. L'envie de réveiller l'hyperactif le démangeait et lui causerait bien moins de souci, mais… Jackson et lui s'étaient mis d'accord sur un point, avant que celui-ci ne parte s'isoler dans son coin : si Stiles s'était endormi ainsi sur le canapé, c'est que quelque part, il avait besoin de repos. Ces deux derniers jours témoignaient effectivement en ce sens. Le seul point qui embêtait Isaac, c'était le fait que son sommeil semblait tout, sauf bon. Comment Stiles faisait-il pour se reposer le reste du temps ?

Il avait tout simplement son oreiller. Son oreiller fétiche. Le seul objet au monde qui avait le pouvoir de le protéger d'une bonne partie de ses cauchemars.

Mais ça, ni Isaac ni Jackson ne pouvaient le savoir.

Stiles sursauta violemment, manquant de faire sursauter Isaac également tant c'était… Brusque et inattendu. Il ouvrit les yeux d'un coup et seul le dossier du canapé entra dans son champ de vision. Dos au reste de la pièce, l'hyperactif ne savait pas ce qui l'attendait. Alors, à peine sorti d'un énième cauchemar qui l'avait laissé pantelant, il s'autorisa à pousser un profond soupir de soulagement. Un peu tremblant. Empli d'une angoisse et d'une souffrance indéniables. D'un coup, sans trop savoir comment ni pourquoi, il se retrouva avec la larme à l'œil, encore sous le choc de la violence et l'horreur de ses propres songes. Il referma les yeux. Prit le temps de se laisser le temps. De recouvrer ses esprits. De s'habituer au fait qu'il s'était réveillé. Qu'il était de retour dans la réalité. De réaliser qu'il restait malgré tout épuisé. Qu'il avait l'impression que le temps qu'il avait passé endormi n'avait servi à rien.

Et bordel. Stiles eut juste envie de craquer. Ce serait si facile… Tant les images qui le hantaient encore étaient horribles et tant ses démons le faisaient souffrir. Les morts savaient tuer… A petits feux. Et l'hyperactif commençait sérieusement à avoir du mal avec cette torture. Le temps passait, mais les souvenirs ne semblaient pas s'étioler et donnaient à ses cauchemars une dimension bien plus réelle qu'ils ne devraient l'être. Et lui, il voulait juste… Dormir, récupérer un peu. Était-ce trop demander ? Il en avait marre, merde ! Sachant fort bien que tenter de se rendormir maintenant n'aurait d'effet que celui de le faire replonger dans l'horreur, Stiles décida de s'activer… Mais il se laissa quelques minutes de plus. Juste pour avoir un peu de temps pour lui et retrouver un état d'esprit acceptable. De moins trembler, aussi. Là, c'était son corps qui se retrouvait entièrement secoué par son choc et toutes ces choses néfastes que chacun de ses songes lui faisait chaque fois ressentir. Alors oui, il s'accorda un moment supplémentaire et retrouva peu à peu une respiration normale. Une larme avait coulé sur sa joue, et elle commençait déjà à sécher. Il n'y en aurait pas d'autres. Il ne le voulait pas. Ce soir, peut-être. Mais pas maintenant.

Stiles se dit que, pour reprendre le cours de sa journée et s'éviter de ruminer tout du long, il vaudrait peut-être mieux qu'il s'active, fasse quelque chose. S'investisse davantage dans la mission qui leur était confiée, à Isaac, Jackson et lui. Pour l'instant, il ne servait à rien, justifiant son absence de valeur dans le groupe particulier qu'ils formaient. Sauf que lui, ce qu'il voulait, c'était dormir. Se reposer un peu. Juste fermer les yeux et laisser passer les heures. Plonger dans un sommeil normal.

Mais les fantômes de son passé semblaient avoir décidé qu'il n'en avait pas le droit.

Stiles se souvenait de ses cauchemars de ce jour. Tous, sans exception. Viendrait un moment où il oublierait, n'aurait que de vagues réminiscences et ce, jusqu'aux prochains. Mais il savait que le premier cauchemar de sa session de la journée était le pire de tous. Le plus effrayant, le plus détaillé. Le plus horrible, le plus réel. Il poussa un nouveau soupir en se redressant et cette simple position lui fit se rendre compte à quel point il était épuisé, à quel point il récupérait peu. Parce que son corps, en plus de lui paraître atrocement lourd, semblait s'être vidé du peu d'énergie qu'il avait encore. Stiles poussa un nouveau soupir et se retrouva en position assise sur le canapé, les coudes sur ses genoux, les mains se frottant le visage avec une mollesse et une fatigue aussi évidentes l'une que l'autre. Le besoin de dormir transpirait de tous les pores de sa peau… Qui le brûlaient, étrangement, tout comme sa joue qui le piquait. Et en passant sa main dessus, Stiles marqua une pause. Il sentait quelque chose de bizarre. Une sorte de croûte, fine. Longue, qui s'étendait. Plusieurs, en fait. Doucement, il releva la tête en fronçant les sourcils, sans cesser de toucher sa joue.

Vit deux pieds, à quelques mètres de lui.

Stiles leva brusquement les yeux et son regard ambré croisa celui, céruléen, d'Isaac. Son cœur manqua un battement et il eut un peu de mal à assimiler ce qu'il voyait. Qu'est-ce que faisait le loup-garou ici ? Et Jackson, où était-il ? Depuis quand étaient-ils revenus ? Stiles jeta un œil par la fenêtre : il faisait encore bien jour, à peu près comme lorsqu'il s'était couché, alors il en déduit qu'il ne s'était pas passé tant de temps que cela, mais… Mais…

- Qu'est-ce que tu fous là ? Souffla-t-il, incapable de s'énerver pour l'instant.

C'était le choc qui l'empêchait de réagir comme il le voudrait. Abruptement, avec ardeur et désinvolture. De remarquer qu'Isaac n'était pas dans un bien meilleur état de lui. Rien dans ses yeux n'était froid, comme d'habitude. Mais surtout, c'était sa présence qui lui paraissait incongrue. Parce qu'Isaac n'était pas censé être là. Il le vit remuer les lèvres, mais ce n'est qu'un instant plus tard que ses paroles lui parvinrent aux oreilles.

- Jackson avait besoin de charger son téléphone…

L'information monta cette fois-ci étonnamment rapidement et Stiles sentit un stress immense le submerger.

- Depuis combien de temps ? Bredouilla-t-il, les yeux presque exorbités.

- Pas loin d'une heure, répondit simplement Isaac, d'un air que Stiles n'arrivait pas à décrypter.

L'annonce eut pour effet de lui couper le souffle un instant. Les ordres mentaux fusèrent. Lève-toi. Active-toi. Fais quelque chose. D'un coup, Stiles eut l'énergie nécessaire pour faire des choses et se força à quitter le confort du canapé en endossant son masque habituel. Quoique le regard avisé de son vis-à-vis voyait bien à quel point il était craquelé… Et s'étonna d'ailleurs de sa présence. Était-ce si facile que ça pour Stiles de l'enfiler ? Ce simple fait fit prendre à Isaac conscience de choses… Dont il ne se doutait pas vraiment et qui, jusqu'à maintenant, n'allaient pas plus loin que de simples suppositions.

- Déjà, Jackson devrait charger son putain de téléphone la nuit, maugréa Stiles. Et puis merde, c'est quoi ça ?

Sa mauvaise humeur parlait, son angoisse également. Mais, incapable d'être inexpressif en cet instant, il privilégiait l'expression d'une colère rassurante que celle d'un stress qu'il peinait à contrôler ? Parce que Stiles ne pouvait pas s'enlever une certaine pensée de la tête. Si Isaac et Jackson étaient rentrés depuis environ une heure de cela… Ils l'avaient vu dormir. Céder à une forme de faiblesse. Stiles avait-il été expressif lorsqu'il cauchemardait ? C'était atrocement possible et il s'agissait de l'exacte raison pour laquelle il s'était empêché de dormir les nuits précédentes. De quoi avaient-ils été témoins précisément ? Et pourquoi ne pas l'avoir réveillé ? Pourquoi l'avoir laissé dormir ? L'avait-on filmé, pour se moquer de lui plus tard ? Pourquoi…

- Tu t'es griffé, Stilinski.

Stiles se retourna un peu brusquement et ne fit pas attention au regard appuyé et concerné d'Isaac. Jackson se tenait sur le seuil du salon, adossé contre le chambranle de la porte. Il avait les bras croisés et sa voix était aussi dure que l'était son regard. Ça au moins, ça ne changeait pas.

Stiles fronça les sourcils. De quoi ? Comment ça ? Il continua de toucher sa joue, de tâtonner. N'importe quoi. Des griffures… Il n'avait limite pas d'ongles. Puis, pouvait-on réellement parler de griffures concernant un humain ?

- Te moque pas de moi, Whittemore, le prévint Stiles, tempérant son agressivité qui ne tendait qu'à ressortir pour cacher aux yeux de tout le stress qui lui nouait déjà le ventre.

D'un coup, il se sentait étouffé et ressentait le besoin de sortir pour prendre l'air. Se rafraîchir aussi bien le corps que l'esprit. Envoyer bouler toutes ses questions intérieures.

Mais d'abord, il devait voir ce qu'il avait à la joue. Stiles sentit alors une espèce d'étau lui enserrer la gorge. En lui, la colère montait. Une colère injustifiée, dirigée envers lui, Jackson, Isaac… Et son sommeil de pacotille. Il avait besoin de la laisser s'exprimer pour endiguer cette angoisse au pluriel. Dans sa tête, des tonnes de questions et une confusion des plus claires. Alors, Stiles prit la décision de tout bonnement ignorer les deux loups dont les regards le brûlait. Il poussa Jackson sans vergogne et détala en direction de la salle de bain, le cœur battant. Sur le chemin – plutôt rapide – qui constituait plus en une fuite qu'autre chose, il essaya vainement d'oublier que ses deux colocataires l'avaient surpris en train de dormir et, sans doute, de cauchemarder. Se força à ne pas penser au fait que l'estime qu'ils avaient de lui et qui était déjà bien basse ne remonterait pas de sitôt. S'obligea à ignorer cette écrasante fatigue qui rendait chacun de ses mouvements lourds, brouillons et profondément énergivores. Si bien que lorsque Stiles arriva à la salle de bain un instant plus tard, il était essoufflé. Essoufflé à cause de son stress de moins en moins contrôlable et de son cruel manque de sommeil.

Stiles se rapprocha du miroir et son propre reflet le pétrifia.

S'il ne se considérait pas déjà dans de beaux draps, le voilà en plein dedans.