Jackson n'aimait pas dormir autrement que seul et détestait devoir partager son lit – y compris lorsqu'il ne s'agissait pas du sien. Autant dire que la perspective de passer le reste de la nuit avec, dans les bras, un hyperactif dont il n'avait pas coutume d'apprécier la présence ne lui faisait pas vraiment plaisir. Néanmoins, il ne pouvait se plaindre car cette idée était la sienne. C'était la seule qu'il avait eue, à vrai dire et Isaac n'avait rien trouvé à y redire.
Jackson était parti du principe, comme son homologue aux cheveux bouclés, que laisser Stiles seul était une mauvaise idée. Il s'agissait en fait du meilleur moyen pour qu'il se blesse à nouveau. Ce « détail » mis à part, il aurait fini par faire un bruit monstre. Si ses cauchemars lui faisaient avoir des gestes violents, ils pouvaient très bien le faire hurler comme la fois précédente. Autant dire qu'une nuit comme ça, ce n'était pas possible.
D'un autre côté, celui que Jackson gardait aussi muselé que possible, il ne voulait pas laisser Stiles dans un tel désarroi et n'avait pas la moindre envie qu'il se blesse à nouveau. D'autant plus que la manière dont son sommeil devenait agité, la façon dont il se dégradait… Oui, ça l'inquiétait définitivement et il savait qu'Isaac ressentait la même chose. Pourquoi Stiles semblait-il sombrer dans un monde d'horreur et de terreur chaque fois qu'il fermait les yeux ? Que lui était-il arrivé pour que ses rêves n'aient d'onirique que l'idée générale ? Jackson comprenait le concept de « cauchemar », il en avait, comme tout le monde, déjà fait. Pour autant, ce n'était pas quelque chose censé être aussi récurrent. Chez Stiles, c'était quelque chose qui semblait devenir automatique.
Dans le but de permettre à Isaac de se reposer un peu, le jeune homme en ayant déjà fait beaucoup, Jackson s'était tout naturellement proposé pour le remplacer momentanément. Une nuit, qu'est-ce que c'était dans une vie ? Jackson partait du principe que le sommeil de Stiles s'améliorerait rapidement : il suffisait juste qu'ils prennent le temps de discuter tous les trois à son réveil et que cet idiot d'hyperactif fasse l'effort de ne pas leur mentir. En l'état actuel des choses, ce serait complètement idiot. S'ils n'étaient pas amis, ils devaient travailler ensemble, alors l'écoute était de mise. D'autant plus que Jackson et Isaac étaient suffisamment intelligents pour mettre leurs différences de caractères de côté. Après tout, ils faisaient partie de la même meute, s'étriper et laisser un membre de leur équipe hétéroclite serait tout aussi stupide que dégueulasse. Alors voilà, si Stiles avait besoin de parler, s'il avait des choses à dire, il le pourrait. L'essentiel était qu'il recommence à dormir correctement car en dehors des désagréments que cela engendrait pour le sommeil des autres habitants du chalet, c'était surtout sa propre santé qu'il bousillait – et c'était d'autant plus vrai qu'il était humain. Il avait besoin de repos, encore plus qu'Isaac. Et ça, ça faisait enrager Jackson.
Pourquoi diable cet idiot d'hyperactif ne semblait-il pas faire cas de son propre état ? Pourquoi gardait-il sans arrêt le silence sur ses problèmes ? S'il avait peur ou si quelque chose dans sa vie lui pesait, il fallait le dire. Jackson en convenait : lui-même ne se serait pas instinctivement confié à Isaac ou à Stiles s'il était dans le même cas. Pour autant, c'était ce qu'il aurait fini par faire dans le cas où la situation devenait difficile à gérer et que son état seul avait des chances de mettre le semblant de cohésion de l'équipe en péril.
C'était d'autant plus le cas qu'humain ou pas, Stiles restait le stratège de la meute et par extension, de leur groupe.
Le fait est que Jackson n'avait dormi que d'une oreille, Stiles dans ses bras. Qu'il était fatigué et réveillé depuis quelques minutes déjà. Il scruta les battements de cœur de l'hyperactif : calmes, parfaitement réguliers, tout comme sa respiration. Son oreille distraite capta des pas dans le couloir, ceux d'Isaac, qui venait tout juste de se lever.
Jackson s'accorda un soupir : au moins, il y en avait deux qui avaient pu bien terminer leur nuit. Car dès lors que Jackson l'avait emprisonné dans cette étreinte protectrice, Stiles n'avait plus bougé. Le kanima n'appréciait pas l'idée de servir de doudou, mais le fait est qu'il n'avait trouvé que ça pour l'empêcher de récidiver et de se faire mal. Il avait pensé à l'attacher, comme Isaac. Cependant, le côté un peu trop cruel de la chose l'avait rebuté. Puis son côté pragmatique lui avait parfaitement fait comprendre que des cordes l'auraient tout autant blessé que s'il avait été libre de ses mouvements.
Dos à la porte, Jackson entendit celle-ci s'ouvrir doucement, et le chuchotement d'Isaac lui parvint aisément aux oreilles :
- Ça va ?
- Ça va, fit Jackson sur le même ton en se tournant à moitié vers lui.
A une question simple, une réponse simple. S'il y avait bien une qualité que le kanima pouvait trouver à son homologue loup, c'était bien sa simplicité, doublée d'une prévenance naturelle. Isaac s'exprimait en général de manière simple et efficace et même s'il n'appréciait pas son interlocuteur ou si leur entente était moyenne, il faisait en sorte de rester cordial… Et de s'assurer, dans le même temps, que tout allait bien.
- Comment était ta nuit ?
- Courte.
De son côté, Jackson ne s'embarrassait pas d'informations superflues, de palabres inutiles. Le peu qu'il avait dormi n'était pas extrêmement reposant, parce qu'il était difficile pour lui de se laisser complètement sombrer tout en sachant qu'il devait être prêt à agir à tout moment pour empêcher un humain stupide de se faire du mal parce qu'il avait la fâcheuse tendance de garder ses névroses pour lui, au point qu'elles le bouffent sitôt le sommeil venu.
- La sienne ? Fit Isaac en désignant l'hyperactif endormi d'un mouvement de tête.
- Calme.
Entre eux deux, la communication avait toujours été efficace, cette fois-ci peut-être plus que toutes les autres. Il n'y avait pas grand-chose à dire, pas pour l'instant en tout cas. Pour le reste, il faudrait attendre le réveil de Stiles.
- Je le laisse dormir encore un peu, lui indiqua Jackson.
Il détestait le simple fait de chuchoter. Pour lui, c'était une chose trop peu naturelle pour laquelle il devait forcer sur sa gorge s'il voulait être discret. Néanmoins, il gardait à l'esprit le fait que Stiles était épuisé et… Même si lui-même se sentait fatigué, il considérait la situation de Stiles comme sérieusement problématique et il n'était pas question qu'elle continue de s'aggraver. Dans de telles conditions, impossible pour le trio de continuer de mener leur mission à bien. Enfin ça, c'était une excuse, mais Jackson n'était pas complètement prêt à s'avouer que son état l'inquiétait de façon individuelle… Qu'en réalité, cette quête, il pouvait la mettre de côté. L'important, pour lui, c'était de trouver une excuse pour agir tout en sauvant les apparences – une vieille habitude, chez lui.
De son côté, Isaac hocha la tête et lui dit, sans cesser de chuchoter, qu'il allait préparer le petit-déjeuner et qu'il n'aurait qu'à le rejoindre, avec Stiles. C'était là qu'ils pourraient commencer à discuter, Jackson le savait. Il était hors de question de passer cet épisode sous silence.
Lorsqu'il se retrouva de nouveau seul avec l'humain, le kanima s'autorisa un regard sur son visage. Il était étrange de le voir si paisible, presque… Comme s'il ne s'était rien passé, comme si ses cauchemars ne l'avaient jamais torturé. Etrange également de voir les marques de cette terreur qui, Jackson le savait, disparaîtraient rapidement tant ces blessures-là étaient superficielles. Mais le métamorphe, pragmatique, trouvait très triste que Stiles en soit arrivé là. Lui qui prônait l'amitié et la confession lorsque ça n'allait pas, pourquoi diable ne faisait-il pas de même ? Ses rêves insupportables ne sortaient pas de nulle part, ils avaient une origine. C'était là qu'il faudrait axer l'interrogatoire une fois que Stiles serait réveillé. Car non, il ne s'agirait pas d'une simple discussion et Jackson, tout autant qu'Isaac, ne laisserait pas l'hyperactif s'en sortir avec une excuse bidon. Le kanima espéra d'ailleurs que l'humain coopèrerait sans faire d'histoire : du temps, ils en avaient perdu. A côté de cela, il y avait cette position dans laquelle il se trouvait. Merde, il avait dormi avec Stiles et même s'il n'avait, la plupart du temps, fait que somnoler, les faits étaient là. Il continuait d'ailleurs de garder un contact physique proche avec l'hyperactif, un bras passé autour de son corps un peu plus fin. Pour lui, il s'agissait le moyen le plus rapide et le plus efficace d'agir en cas de pépin. Quoique depuis qu'il s'était glissé dans son lit, il n'y avait plus eu aucun souci. Stiles avait cessé de gigoter, de sembler subir son sommeil. Ses sourcils ne s'étaient plus froncés.
Et quand Jackson voyait à quel point il dormait profondément et sans bouger, il se rendait compte d'à quel point il avait manqué de sommeil. Il lui faudrait d'ailleurs plus d'une nuit pour rattraper toutes ces heures qu'il avait perdues : Jackson et Isaac veilleraient au grain. Hors de question qu'on le retrouve à nouveau en train de faire du mal. Il ne fallait toutefois pas que ça dure et ça, les deux métamorphes s'en assureraient.
Histoire d'occuper son temps intelligemment, Jackson ne patienta pas sans rien faire. En fait, il consacra le peu de forme qu'il avait à réfléchir. Réfléchir et essayer de trouver un semblant de raison à cette situation par lui-même. De mémoire, Stiles avait subi les affres du monde surnaturel, lui aussi. Possédé par un démon japonais, mordu par un wendigo… Les choses n'avaient pas été des plus simples pour lui et pourtant, il ne s'en plaignait pas, allant presque jusqu'à faire oublier le fait qu'il n'y avait pas que le côté surnaturel de la meute qui s'était retrouvée victime de quelque chose. A côté de cela, il y avait toutes ces heures qu'il avait passées debout, à enquêter sur telle ou telle créature, à chercher des solutions aux différentes situations à laquelle la meute pouvait faire face.
Et cette réflexion rappela à Jackson pourquoi il trouvait Stiles si idiot. S'occuper des autres était une bonne chose, le tout était de le faire sans s'oublier. Or, que faisait l'hyperactif pour lui ? Quand avait-il ne serait-ce que pensé à son propre bien-être, à ses envies, à sa protection ? Rien de ce qu'ils avaient vécu tous ensemble ne pouvait laisser qui que ce soit indemne – il fallait être naïf pour oser affirmer le contraire.
Stiles avait donc sans doute laissé quelques névroses se développer et s'étendre à l'intérieur de lui sans rien faire pour stopper leur progression… Et voilà où ils en étaient. Jackson à servir de doudou – la façon dont l'hyperactif s'était blotti contre lui dans la nuit était ridicule – et Stiles… A ne plus savoir dormir sans risquer de se faire du mal.
Jackson soupira. Le temps passait, Stiles continuait de dormir. Or, il fallait réellement qu'ils commencent à bouger. De sa main libre, le kanima se saisit de son téléphone portable en se tournant légèrement et alluma l'écran. Dix heures. Il détestait être encore au lit à cette heure. Il tourna à nouveau la tête vers l'humain. Si l'idée de connaître sa réaction quant à sa présence dans son lit ne l'enchantait guère, il allait toutefois bien falloir qu'il le réveille. Et c'est ce qu'il fit, prêt à dégainer des excuses toutes faites. Quelque chose qui ne laisserait pas entendre à Stiles qu'il s'inquiétait un peu pour lui, mais plutôt qu'il avait agi par obligation, histoire d'éviter de nouvelles complications inutiles.
Disons que Jackson n'avait pas besoin de s'encombrer de préoccupations supplémentaires qui pourraient éventuellement tout faire, sauf aller dans son sens.
Alors, il le secoua – doucement – en l'appelant – pas trop fort. Stiles bougea légèrement, fronça un peu les sourcils, peina à ouvrir les yeux. Il était véritablement épuisé.
