Si Stiles n'était pas lesté par une si grande fatigue, sans doute aurait-il appliqué sa stratégie habituelle pour s'en sortir par la force. Il se serait rendu insupportable et aurait trouvé le moyen de faire en sorte que Jackson et Isaac cessent d'essayer de lui tirer les vers du nez, au moins pour un temps. Le problème, c'est qu'il n'en était actuellement capable. Comment se transformer en petite boule d'énergie quand la simple idée d'être gardé ici et de se savoir en position d'infériorité lui donnait envie de pleurer. De pleurer comme un enfant complètement perdu quant à ce qu'il lui arrivait. Où diable était passé son oreiller ? Pourquoi dormait-il si mal sans lui ? Pourquoi, de manière générale, avait-il un sommeil si compliqué à appréhender et à comprendre ? Stiles ferma les yeux un instant et se passa une main sur le visage. Véritablement éreinté, il voulait tout, sauf se questionner quant à ce sujet… Alors en parler à Isaac et Jackson ? Déjà qu'il aurait eu du mal à se confier à Lydia ou Scott…
- J'ai pas envie de parler, finit-il par lâcher d'une voix qu'il imaginait plus sûre d'elle.
Pas brisée comme elle le laissait entendre. Stiles voulait garder ses émotions les plus intimes pour lui, pas les partager comme son visage le faisait par le simple fait qu'il n'arrivait pas à conserver la moindre froideur. L'humain l'aurait aimé – plus que tout au monde. Se montrer faible seul, aucun souci. Se montrer fragile face à Lydia ou Scott, c'était un peu gênant mais ça passait.
Devant Isaac et Jackson… Il n'y avait pas plus dérangeant. C'était une torture. Stiles rouvrit les yeux un peu plus péniblement qu'il ne l'aurait imaginé, mais n'eut aucun problème à garder son regard baissé. Il ne désirait pas croiser les prunelles qu'il avait l'habitude de voir moqueuses, ou froides à souhait. Le kanima comme le loup-garou étaient doués en ce qui concernait le fait de faire sentir mal autrui. Cette idée qu'ils étaient supérieurs à lui revint en force dans la tête de l'hyperactif. Un frisson le parcourut de façon si brusque qu'il faillit sursauter tant la sensation était forte et désagréable. Il espéra alors que ni l'un ni l'autre n'essaierait de lui mettre une réelle pression, autrement… Je ne tiendrai jamais. Or, il s'était suffisamment donné en spectacle, suffisamment ridiculisé, suffisamment… Montré sous son pire jour.
Jackson se pencha sur lui et son regard se fit glacial.
- Que tu en aies envies ou non, on s'en branle.
Isaac tapota son épaule d'un geste un peu vif et fort. Jackson lui jeta un coup d'œil rapide mais empreint d'une colère contenue. On ne lui disait pas ce qu'il avait à faire. Stiles se devait de coopérer. Ils étaient une équipe. Malgré eux, certes. Si l'une des trois parties faiblissait, il était du devoir des deux autres d'en apprendre plus sur sa condition pour régler le problème au plus vite et, ainsi, continuer à s'occuper de la mission qui leur avait été confiée.
- Ça, j'avais remarqué, s'éleva péniblement la voix de Stiles, qui apparut encore une fois de façon différente.
Elle était plus éraillée, plus rauque et donnait l'impression qu'il était prêt à déverser toutes les émotions qu'il retenait en lui – d'hypothétiques larmes, aussi. Ainsi Isaac, qui se tenait un peu en retrait, nota ce fait dans un coin de son esprit – un détail comme celui-ci ne devait pas être ignoré. Stiles ne pleurait jamais et s'était toujours refusé à faire l'étalage de ses émotions en public… Cette fois-ci était donc inédite… Et avait de quoi inquiéter.
Jackson, de son côté, haussa un sourcil. Stiles lui répondait… Mais sans aucune conviction. Ses mots, qu'il imaginait fort bien empreints d'une certaine acidité, faisait plus montre d'une espèce d'état… Autre. L'humain lui paraissait désabusé, vaincu par rapport à une idée qu'il devait sans doute juger comme étant vraie. En outre, il ne se battait pas contre elle.
Et un Stiles qui ne se battait pas contre quelque chose qui le dérangeait… Ce n'était définitivement pas normal.
De son côté, l'humain n'en menait pas large. Il avait l'habitude de se contenir, de faire en sorte que ses émotions n'aient qu'un impact moindre sur lui… Mais c'était dur, très dur. Parce que son corps avait besoin de repos, tout comme sa tête et qu'il n'était pas en mesure de le leur accorder. Serait-il retourné se coucher si on ne l'avait pas réquisitionné pour cet interrogatoire ? Peut-être pas. Il aurait eu bien trop peur de vriller comme cette fois où il s'était griffé jusqu'au sang. Quelle horreur, pensa-t-il à ce sujet. Stiles n'avait pas la moindre envie de donner une raison supplémentaire à ces deux loups-garous de se préoccuper de lui, d'autant plus qu'il détestait cette idée. Elle ne le rendait que plus faible, plus vulnérable. Jackson et Isaac avaient le pouvoir et par leur statut lupin… Enfin, qu'ils arrêtent de nier le fait qu'ils cherchaient à lui être supérieur, c'était lassant. A ses yeux, leurs tentatives concernant se sujet étaient flagrantes. Ils se mettaient toujours à deux contre lui, toujours. Et pourtant, ils ne s'entendaient pas très bien non plus au départ : à croire que la nature rapprochait les êtres semblables tandis qu'elle continuait de creuser le fossé avec les gens comme lui.
Alors oui, Stiles avait bien remarqué que l'on se fichait de son avis – c'était toujours pareil, de toute façon. Et dans son état, il n'avait pas envie de fournir le moindre effort. Ses secrets ne regardaient que lui et de toute façon… Ils n'avaient aucun intérêt, lorsque l'on y réfléchissait bien.
- On est une équipe, on doit taffer à trois, reprit Jackson, alors…
- Oui, j'ai compris, je vous sers actuellement à rien et mon sommeil… Agité est perturbant. Aucun problème, je vais arranger ça, le coupa Stiles d'une voix où l'amertume prédominait largement sur tout le reste.
Enfin, comment retrouver des nuits calmes ? L'humain n'en avait aucune idée, mais il n'avait d'autre choix que de faire en sorte que les choses s'arrangent au plus vite. Il fallait que Jackson et Isaac lui lâchent la grappe au plus vite.
Et qu'il trouve le moyen de s'isoler un moment, pour… Réfléchir, en priorité. Ensuite, peut-être extérioriser ce désespoir épuisant et… Pourquoi pas tenter de dormir ? Aussitôt, Stiles relégua cette idée aux oubliettes. La perspective de poser la tête sur… Un oreiller le terrifiait – surtout depuis qu'il savait ce dont il était capable.
Néanmoins, il ne pouvait décemment pas faire durer la situation – il lui fallait une solution. En cela, les somnifères qu'il cherchait cette nuit lui paraissaient être… Une espèce de salut, la seule chose à pouvoir l'aider au moins un temps. Encore qu'il avait toujours envie de retourner le chalet, persuadé que son oreiller était là, quelque part, tout près… Si près qu'il en était frustré. Mais en même temps, la certitude frisait la paranoïa, l'espoir vain. Stiles avait déjà cherché ici et là, partout, une fois. Pourquoi réapparaîtrait-il soudainement ?
- Là n'est pas le problème, intervint Isaac en soupirant. Tu peux bien comprendre que te voir… Enfin je sais pas, on voit ton état se dégrader de jour en jour.
Stiles ne put retenir le léger rire qui le prit. Il était… A la fois mesquin et désabusé, empreint de mille et une nuances d'émotions, lesquelles rendaient tout autant son odeur que son geste difficiles à analyser. Mais Isaac retint les yeux toujours très légèrement brillants et cette fatigue qui semblait peu à peu s'imprimer sur ses traits. Ses propres prunelles claires accrochèrent les marques, lesquelles guérissaient petit à petit. D'ici quelques jours, il n'en resterait plus grand-chose. Et cette expression si particulière qui ne rendait chacun de ses mots que plus amers.
- Arrêtez ou je vais finir par croire que vous vous inquiétez pour moi, bande de cons.
L'insulte, dans sa bouche, sonnait de façon étrange. Pas parce qu'il n'avait pas l'habitude d'en déclamer à leur égard, plutôt parce qu'elle semblait… De trop. Utilisée cette fois-ci pour la forme. En outre, elle ne venait pas du cœur. C'était comme si Stiles tentait péniblement de… Récupérer ce qu'il devait considérer comme son rôle habituel.
Mais Jackson, piqué par la première partie de la phrase de l'hyperactif, se redressa brusquement. Les mots l'avaient comme… Brûlé.
Isaac entendit le cœur du kanima s'affoler, lequel donnait implicitement raison à la pique de Stiles, mais… Le visage de Jackson se ferma. Il bomba le torse et une froideur certainement pas naturelle gagna son regard. C'est sur un ton acerbe qu'il cracha :
- On s'inquiète pour la mission, pas pour toi, pauvre idiot.
Sans laisser le temps à qui que ce soit de réagir ni même regarder en arrière, il sortit rapidement de la pièce. Isaac, bien trop surpris par ce qu'il avait senti, ne fit pas le moins du monde attention à Stiles.
Car le cœur de Jackson en avait raté, des battements. Et pas qu'un peu.
