Bonjour à toutes et à tous !

Merci à Cassye pour sa review, ainsi qu'aux lecteurs anonymes.

J'ai eu beaucoup de mal à écrire ce chapitre, qui est une scène importante et fortement attendue pour le développement de notre vampire favori. Mes difficultés viennent du fait que je n'ai tout simplement... jamais écrit ce genre de contenu. Même au sein de mes lectures personnelles, j'ai très peu approché la figure du vampire à quelques ouvrages près. J'espère donc que - malgré mes appréhensions - ce chapitre ne vous décevra pas.

Réponse aux reviews :

Cassye : Merci pour ton retour ! Quand on parle à Gandrel sans connaître la nature vampirique d'Astarion, il semblerait qu'il y ait deux endings possibles (selon un jet de perspicacité réussi ou non). Si on fail le jet, on ne comprends pas qu'Astarion est tendu face au Gur, et il finit par l'assassiner. Et si on réussi, alors une nouvelle ligne de dialogue apparaît pour qu'on puisse le calmer. J'ai juste eu de la chance lors de mon playthrough, et ai trouvé que c'était une réaction correspondant davantage à Nymuë :) Pour les gobelins, tu vas rire, mais dans mes parties de D&D avec mes amis, nous les jouons constamment comme ça. Toujours à être premier degré et à lancer des crétineries, ça nous fait beaucoup ricaner x) Contente que tu aies aimé en tout cas, tu risques de retomber sur mon côté goblinesque dans les chapitres à venir...

Je vous souhaite une bonne lecture !


Chapitre 8 :

Visite nocturne

Ombrecoeur et Nymuë rejoignirent leurs camarades, bredouilles. Il s'avéra que la fouille de la forge ne fut guère plus fructueuse : à leur arrivée, les sacs de Lae'zel et d'Astarion étaient vides de nouvelles richesses. Toutefois, la première exhibait triomphalement une lame de bonne facture, tandis que le second cachait difficilement son hilarité. Ils l'avaient dérobée à un gobelours, alors que celui-ci était en pleine activité avec une ogresse. Les arrivantes frémirent de dégoût à l'écoute des détails scabreux.

Il fut décidé de dresser le camp à l'intérieur d'un vieux moulin ; le repaire des gobelins n'était plus très loin, et demain une journée difficile. Alors qu'ils montaient leur tente, la prêtresse se montra curieuse :

— Avez-vous des êtres chers qui vous attendent chez vous ?

— M'attendre, vous voulez dire, derrière la porte ? rétorqua Lae'zel. Pourquoi faire ?

— "Pour le plaisir de votre compagnie" serait un mensonge. J'en conclus qu'aucun githyanki ne débarquera pour vous sauver ?

— Les miens ne perdraient pas de temps pour une chose aussi futile. Je fais partie d'une vaste armée, et ne serai en aucun cas un fardeau pour ma reine. De plus, j'ai eu une quantité innombrable d'amants, et je ne tolérerais pas qu'ils me manquent de respect.

— Dites plutôt que personne ne s'est donné cette peine, railla Ombrecoeur. Mais je vous rejoins sur un point : les histoires d'un soir sont moins monotones.

— Vous aussi, "vos innombrables amants" peuplent la cité ? taquina Nymuë.

— Je cultive la diversité. Et vous, Astarion ? Un tendre cœur ?

— Tendre ? Je les préfère savoureux.

— Je ne veux vraiment pas savoir ce que vous sous-entendez par là…

Le rire de Nymuë cessa bien vite, quand elle réalisa que c'était à son tour de répondre :

— Oh ! Euh… Non. Personne. Juste quelques connaissances, un tuteur aussi à Baldur's Gate, mais rien de sérieux.

— Si vous avez besoin de suggestions… susurra le roublard.

— … J'irai demander au gobelours et à l'ogresse !

Une série de ricanements accueillit cette répartie. Malgré les appréhensions concernant le lendemain, l'atmosphère joyeuse subsista tout le long de la soirée. Astarion se porta volontaire pour le premier tour de garde, et Nymuë s'installa à l'extérieur pour profiter des étoiles.

Cette nuit, elle souhaitait délaisser la méditation au profit d'un sommeil plus réparateur. Elle pensait sincèrement que leur plan était assez solide pour leur permettre d'entrer à l'intérieur du camp gobelin, mais la supercherie ne tiendrait pas si leurs recherches s'éternisaient. Autant être prête.

Sans grande surprise, des images d'Elyon la visitèrent à peine les paupières closes. Elle s'agita, oscillant entre rêves fiévreux et cauchemars. Ses compagnons étaient assoupis depuis longtemps lorsqu'elle s'éveilla à nouveau ; peut-être était-ce son instinct qui lui soufflant que quelque chose clochait.

Ou peut-être se révélait-elle chanceuse.

Deux iris rouges luisaient au-dessus d'elle. Astarion était accroupi près de sa couchette, ses lèvres à proximité de son cou… déployant des canines anormalement longues. Lorsqu'il la vit le fixer, il se releva vivement :

— ... Et merde, souffla-t-il.

Nymuë saisit son arme. Elle jeta un regard furieux au haut-elfe qui leva les mains en signe de reddition :

— Non, non ! Ce n'est pas ce que vous croyez, articula-t-il rapidement. Je n'avais pas l'intention de vous faire du mal ! J'avais juste besoin de votre…et bien…sang

Là, dans la lumière incertaine du feu de camp, elle le vit pour ce qu'il était vraiment : un vampire. Un esclave de sa soif permanente. Serrant ses chaînes au point d'en avoir mal, l'elfe noire se força au calme alors qu'elle calculait ses chances de s'en sortir :

— Qui joue la comédie maintenant ? grinça-t-elle. Le sanglier, le chasseur… Combien de temps encore pensiez-vous nous abuser ?

— Ce n'est pas ce que vous croyez ! se défendit-il. Je ne suis pas un monstre ! Je bois le sang des animaux. Sangliers, cerfs, kobolds… tout ce que je peux trouver.

De nouveau, elle distingua ses traits tirés, son teint maladif, les cernes sous ses yeux. Ses rondes fréquentes, son absence lors des repas… Avait-il lutté pour se nourrir, tout en cachant sa véritable nature au reste du groupe ? Ses pupilles écarlates suivaient ses mouvements, cherchant à deviner ses pensées. Régulièrement, elles glissaient vers l'arme au bout de ses chaînes. Dépourvu de sa moquerie coutumière, Astarion paraissait presque… désespéré.

— Je suis trop lent, en ce moment, poursuivit-il. Trop faible… Si j'avais juste un peu de sang, je pourrais avoir les idées claires… Mieux me battre… S'il vous plaît.

Cela n'avait aucun sens. Nymuë avait vu le roublard se déplacer en plein soleil à ses côtés. S'il était réellement une créature de la nuit… n'aurait-il pas dû s'évaporer ?

Et quand bien même, quand bien même se décidait-elle à le croire… Que faire de lui ? Il ne les avait pas attaquées jusqu'alors certes, mais il ne s'était guère montré honnête non plus. C'était la faim qui, ce soir, lui avait fait prendre des risques inconsidérés. Non, la vérité était qu'Astarion avait besoin des membres de ce groupe pour survivre. Chacun d'eux devait faire contre mauvaise fortune bon cœur, s'ils souhaitaient s'en sortir.

Lentement, elle déposa son arme. Les épaules du haut-elfe parurent allégées d'un poids.

— S'il vous plaît ? répéta Nymuë. Vous venez d'essayer de me mordre ! Pourquoi ne m'avoir rien dit ?

— Dans le meilleur cas, je pensais que vous diriez non… Plus probablement, que vous me planteriez un pieu dans le cœur. Il fallait que vous me fassiez confiance. Et vous pouvez me faire confiance.

Sa raison lui hurlait de le chasser du camp. De réveiller Ombrecoeur et Lae'zel dans la minute. Par les dieux, elle l'aspergerait d'ail s'il le fallait.

Mais il avait besoin d'aide. De son aide.

"C'est du suicide, pensa-t-elle. Autant me trancher la gorge moi-même. Qui dit qu'il saura contrôler ses pulsions ? Et même s'il fait preuve de bonne foi, que se passera-t-il si sa larve prend le dessus ? Il est trop dangereux, trop imprévisible. C'est tout décidé."

Elle ouvrit la bouche :

— Je le sais. Je vous crois.

Astarion écarquilla les yeux. Il avait calculé les probabilités en faveur de sa mort imminente. Son interlocutrice paraissait tout aussi surprise.

— Merci, murmura-t-il. Pensez-vous pouvoir me faire confiance… un peu plus longtemps ? Une petite gorgée suffira, promis.

— Je ne tiens pas particulièrement à me transformer, rétorqua-t-elle.

— Aucun risque. Je suis à peine un rejeton de vampire : ma morsure ne vous changera pas.

C'était la chose la plus stupide à faire au monde. Et pourtant, Nymuë réalisa qu'elle pensait ce qu'elle disait : pour une raison qu'elle-même n'expliquait pas réellement, elle avait confiance en Astarion. Était-ce dû à leur situation ? A leur survie les obligeant à compter les uns sur les autres ? Ou était-ce un désir plus égoïste encore, celui d'être indispensable à quelqu'un, l'espace d'un instant seulement ?

— Je vous préviens, pas plus que le strict nécessaire, accorda-t-elle.

— Je… non, bien sûr. Pas une goutte de plus. Mettons-nous à l'aise, d'accord ?

Il l'invita à s'allonger sur son matelas de fortune. Nymuë s'y attela, son instinct de survie à l'agonie. Tout en elle lui hurlait de se jeter sur son poignard. Comme s'il devinait ses pensées, Astarion éloigna son arme, alors que ses bras entouraient son visage.

Dans d'autres circonstances, cette position aurait pu être suggestive. La jeune femme aurait pu être troublée, sans les crocs prêts à se planter dans sa jugulaire. Les yeux d'Astarion dévoraient sa nuque, contemplant la veine qui, elle le savait, pulsait juste sous son oreille. La peur faisait battre le cœur de Nymuë à un rythme effréné, son pouls s'accélérait. Le haut-elfe lui souriait avec sa majesté habituelle, mais elle ne se faisait pas d'illusions : lui-même ignorait s'il pouvait contrôler sa soif.

Ou s'il en aurait envie.

Elle sentit son souffle au creux de sa gorge, faisant virevolter ses cheveux. L'instant d'après, ses canines perçaient sa chair.

Elle se refusa à gémir : la douleur était vive, comme une pointe de glace au milieu de son cou. Son sang palpitait à travers ses veines, alors que le vampire la ponctionnait de ses forces.

Presque aussitôt toutefois, la sensation s'évanouit. Son rythme cardiaque continuait à s'accélérer, mais son corps, lui, ne ressentait plus rien. Ses membres étaient lourds, son cerveau étourdi : elle avait l'impression d'être sur le point de s'endormir. L'elfe noire percevait distinctement la présence intruse nichée en elle, mais le monde autour… s'évaporait. Les couleurs devenaient floues, les sons indistincts. Sa conscience s'émiettait.

Elle se sentait vivre. Elle se sentait mourir.

— Maintenant… ça suffit, murmura-t-elle.

Même à ses propres oreilles, sa voix sonnait trop basse. Les yeux d'Astarion croisèrent les siens ; pendant une seconde, une affreuse seconde, la même pensée les traversa.

Elle était trop faible pour se débattre.

S'il voulait l'achever, la drainer jusqu'à plus soif, elle ne pourrait rien y faire. Elle vit que ça lui plaisait. Avoir quelqu'un sous son emprise, être au contrôle. Il n'y avait aucune pitié dans son regard, seulement une soif immense, inépuisable, à laquelle il pouvait enfin s'abandonner.

Ses mains serrèrent sa chemise, tentant - vainement - de le repousser. Mais le roublard maintenait ses épaules et sa nuque serrés contre lui, dans une étreinte qui bientôt lui serait fatale.

Alors Nymuë lâcha son vêtement, fit glisser ses doigts jusqu'à ses pupilles rouges, si rouges. Ils effleurèrent son visage, le forçant à la regarder :

— J'ai dit stop.

Il se releva avec une vivacité hors du commun. A l'opposé de sa compagne, sa figure trahissait un pur émerveillement :

— C'était… c'était vraiment incroyable.

— Parlez pour vous, haleta-t-elle.

Le moindre mouvement lui donnait le tournis. Elle se sentait… vide. Le roublard, en revanche, baignait dans la béatitude. Il léchait les quelques gouttes de sang - de son sang ! – restantes avec un appétit non dissimulé.

Les choses avaient failli très mal tourner. Quelques minutes de plus, et elle serait devenue un cadavre exsangue.

— J'ai enfin l'esprit clair, continua-t-il. Je me sens plus fort et, quelque part… heureux.

Pour son crédit, il avait l'air effectivement plus énergique. Ses gestes étaient agiles, rapides ; il pourrait sûrement arrêter un projectile en plein vol, si la jeune femme se sentait la force de tester cette théorie.

"Merveilleux, songea-t-elle. Si je meurs cette nuit, je pourrais toujours me consoler en me disant que les résultats étaient au rendez-vous."

— Je suis impatiente de vous voir face aux gobelins, articula-t-elle difficilement.

— Ça ne devrait pas prendre longtemps, s'exclama-t-il. Notre petite équipe a le don pour se mettre dans des situations périlleuses… Et maintenant, si vous voulez bien m'excuser ! Votre sang m'a fait du bien, mais j'ai besoin de quelque chose de plus… consistant.

L'elfe noire s'effondra sur sa couchette alors qu'il s'éloignait en direction de la forêt. Plus fort, et plus confiant : prêt à chasser. Il s'immobilisa à la lisière du camp :

— C'est un immense cadeau que vous m'avez fait, vous savez… Je ne l'oublierai pas.

Nymuë ne lui répondit pas. Elle s'était déjà endormie.

Au matin, elle eut la surprise de constater qu'on l'avait déplacée à l'intérieur de sa tente. Sa reconnaissance envers le promeneur nocturne s'éteignit quand une douleur sourde lui rappela les événements de la veille.

Elle palpa sa gorge : deux entailles rouges marquaient sa jugulaire. Le fumier n'avait fait preuve d'aucune délicatesse ! On aurait pu penser qu'un vampire saurait y faire pour prendre son repas proprement, mais elle payait le prix de ses mauvaises décisions.

Hormis une légère migraine – et la désagréable impression d'être un morceau de viande - elle se sentait étonnamment en forme. Parée à affronter des gobelins, s'ils ne leur tendaient pas une embuscade en premier, bien sûr.

À l'aide d'un linge propre, Nymuë nettoya ses plaies et constata qu'elles ne saignaient déjà plus. Elles demeuraient cependant peu discrètes, bien visibles sous ses cheveux courts. La jeune femme enfila son armure de cuir bleu-gris, lassa ses bottes, ses protèges-bras, puis récupéra dans ses affaires un vieux ruban noir, vestige de ses années passées à La Belle Etoile. Observant son reflet d'un œil dubitatif, elle noua son cache-cou de secours de sorte à dissimuler la morsure.

Cela ferait l'affaire, faute de mieux. Elle n'avait vraiment pas envie de tomber sur un autre Gandrel. Ou de répondre aux questions indiscrètes de ses camarades.

Le jour était levé depuis peu et le soleil commençait sa longue ascension. Elle était la dernière debout, Lae'zel et Ombrecoeur étant déjà en train de démonter leur tente. Elle les salua d'un signe de tête, avant de se diriger vers le dernier membre de leur équipe.

Astarion avait déjà empaqueté ses affaires, et patientait près de ses bagages en consultant un livre. La force soudaine qu'elle avait entraperçue chez lui était toujours apparente ; adieu fatigue, ou air malingre. Pour aujourd'hui, les rôles étaient inversés. Alors qu'elle s'approchait, Nymuë le vit l'étudier du coin de l'œil ; ses yeux se posèrent sur le foulard autour de son cou, avant de revenir vers son visage. Il s'était composé un air parfaitement détendu, mais la jeune femme était certaine d'y avoir vu comme du soulagement.

— Bonjour, la salua-t-il. Comment vous sentez-vous ?

"Oh, comme un charme, manqua-t-elle de riposter. Mon parasite ne m'a pas encore tuée, un groupe de cultistes nous recherche activement, et nous nous apprêtons à attaquer des gobelins en étant en sous-nombre. Ah, et parmi les trois individus sur lesquels ma vie repose, l'un d'eux m'a transformée en casse-croûte cette nuit."

À la place, elle répondit :

— Je vais bien, j'ai juste un peu la tête qui tourne.

— Cela passera. Estimez-vous heureuse que je ne sois pas un "vrai" vampire. Une morsure de l'un d'eux, et vous risqueriez de vous transformer en rejeton, tout comme moi. Vous hériteriez de leur soif, mais d'une petite partie seulement de leurs pouvoirs.

— Ce qui explique les balades en plein soleil ? se renseigna Nymuë.

— Oh, non. Je devrais avoir été réduit en cendres par cette lumière. Cela faisait bien deux cents ans que je n'avais pas vu le soleil, lorsque le vaisseau s'est écrasé. Quelqu'un, ou quelque chose, semble vouloir me garder en vie… Quitte à changer les règles du jeu.

Son visage s'anima subitement, comme s'il partageait enfin la fébrilité l'ayant saisi depuis le début de leur voyage :

— Profiter du soleil, traverser un cours d'eau, entrer chez les gens sans y avoir été invité… Tout cela, c'est de la pure mondanité désormais. Quant à mes autres spécificités… J'imagine que nous verrons ce qu'il en est petit à petit.

— Vous pensez que… le parasite ?

— C'est ma théorie, confirma Astarion.

— Récapitulons, réfléchit l'elfe noire. Vous êtes un vampire. Vous pouvez marcher en plein jour... Oh, et un chasseur de monstres est à vos trousses.

L'expression de son compagnon s'assombrit, signe que la jeune femme venait de s'aventurer en terrain dangereux.

— Vous me voyez venir, Astarion. Si je veux être sûre de ne pas avoir commis d'erreur cette nuit, il me faut en savoir plus.

— Pourquoi diable vous obstinez-vous à déterrer le passé ?

— Parce que cette nuit, vous avez emprunté ma nuque !

Son regard était si furieux que Nymuë n'eut nul besoin de parasite pour deviner la suite. Il se demandait s'il avait bien fait de ne pas l'achever. Si risquer les foudres de Lae'zel et Ombrecoeur n'aurait pas été une meilleure option.

— J'étais un esclave, cracha-t-il finalement. Un rejeton de vampire gardé par Cazador Szarr. Un pantin, incapable de lui désobéir.

Nymuë fronça les sourcils : le nom ne lui disait rien. Pourtant, si un vampire traînait depuis des lustres à Baldur's Gate, Revan ou d'autres membres de leur réseau aurait dû le remarquer… non ?

— Peut-être le suis-je encore, continua Astarion. Je n'ai jamais pu résister aux ordres de mon maître. Mais maintenant, par un heureux coup du sort, je me retrouve en dehors de sa sphère d'influence.

Sa voix s'était faite plus basse, dangereuse. Elle ne laissait aucun doute quant à sa détermination :

— Je ne le laisserai plus jamais me contrôler, feula-t-il.

L'elfe noire l'étudia : après les événements de cette nuit, la compassion était probablement la dernière chose qu'elle devrait ressentir, mais il était difficile de ne pas discerner chez Astarion un écho de sa propre histoire. Jamais elle n'aurait cru, sous ses airs pédants et enjôleurs, que le haut-elfe ait connu un tel traitement. Il était son opposé en société ; assuré, magnétique, attirant tous les regards, tandis qu'elle faisait de son mieux pour se fondre dans la foule malgré ses traits distinctifs. Pas le genre d'homme qu'on pensait assujetti.

"D'un autre côté, notre masque favori est celui qui nous éloigne le plus de la vérité."

L'observant toujours, elle hocha la tête. Le vampire parut brièvement s'apaiser.

— En ce qui concerne le chasseur de monstres, reprit-elle, doit-on craindre que ses recherches persistent ?

— Avec un peu de chance, il croisera une bande de gnolls lors de ses explorations nocturnes, et nous n'entendrons plus jamais parler de lui, siffla-t-il dédaigneusement.

— S'il revient, il y a peu de chances qu'il vous soupçonne, vu vos aptitudes récentes… Mais pourquoi se lancer à vos trousses en premier lieu ? Qu'avez-vous fait ?

— Rien du tout ! Je me suis fait capturer, tout comme vous. Mais il semblerait que Cazador veuille me récupérer… Il nous faut simplement rester extrêmement vigilants, garder la tête froide, et surtout, tuer tous les chasseurs de monstres que nous croisons.

— Personne ne va tuer qui que ce soit, répliqua froidement l'elfe noire. Et en parlant de ça…

Elle fit glisser un pan de son foulard, révélant les marques sur sa jugulaire. Astarion observa les ecchymoses, mais Nymuë fut indignée de voir que - loin d'être désolé - il paraissait au contraire profondément satisfait :

— Je me suis déjà excusé ! s'écria-t-il d'un air faussement affecté. Que voulez-vous de plus ? A moins que vous ne veniez me demander de vous taquiner de nouveau la carotide…

De froide, l'expression de Nymuë devînt glaciale : "Tu ne t'es pas excusé du tout, petit baratineur de mes deux.". Gardant son calme, elle développa :

— Il faut que je sache comment nous allons vous nourrir à l'avenir. Ma "carotide", comme vous dites, ou celles de nos camarades n'est pas une option.

— Je ne toucherai pas aux innocents, je vous en donne ma parole, déclara-t-il plus sérieusement. En revanche, en ce qui concerne nos futurs adversaires…

Il ressemblait à un enfant sur le point de découvrir un nouveau terrain de jeu.

— …Et bien, vous savez ce que je suis, maintenant. Et, sous votre discrétion, cela signifie que je peux utiliser toutes mes armes pour me battre, mes crocs y compris. S'il m'arrive de sucer le sang d'un bandit ou deux lorsque personne ne regarde, quel est le mal ? Ils seront tout aussi morts dans un cas comme dans l'autre.

Nymuë réfléchit ; elle n'était pas entièrement convaincue de la moralité de cette proposition, mais quitte à choisir entre sa jugulaire et celles de futurs antagonistes, sa décision était toute prise :

— Ça me semble très bien, décida-t-elle. Heureuse que nous soyons d'accord à ce sujet.

— Tout comme moi, susurra-t-il en réponse. Sachez que je vous suis reconnaissant de la manière dont vous avez réagi. En général, c'est le moment où les gens sortent les torches et les fourches…

— Ça peut toujours s'arranger, déclara une voix derrière eux.

L'elfe noire se retourna : Ombrecoeur et Lae'zel avaient terminé de défaire leur tente et les avait rejoints, les poings sur les hanches.

— Vous n'avez pas été particulièrement discrets cette nuit, vous savez ? siffla la prêtresse. Les tentes, ce n'est pas ce qu'il y a de plus isolant.

— Notez une chose, Astarion, lança la guerrière. Si Nymuë ne vous avait pas donné son sang cette nuit, votre tête serait présentement détachée de vos épaules. Seule sa décision de vous aider a retenu ma lame… jusqu'à ce matin, en tout cas.

— Compte tenu de la nature de notre groupe, je suis prête à l'accepter, intervint Ombrecoeur. Nous sommes tous des monstres en devenir, après tout. Si celui-ci sait se comporter…

Astarion ne répondit pas, mais ses yeux se plissèrent au sous-entendu de la demi-elfe. Nymuë, quant à elle, jeta un regard courroucé à ses deux camarades : elles avaient assisté à la conversation de la veille, et n'avaient pas remué le petit doigt ? C'était à se demander s'il existait quelqu'un de fiable dans cette bande !

— Ça suffit, ordonna-t-elle. J'ai confiance en lui. Il ne nous fera pas de mal.

— Vous avez confiance en un vampire ? cracha Lae'zel.

— J'ai confiance en Astarion, rectifia l'elfe noire. Que cela vous plaise ou non, nous avons besoin de lui.

— Je crois que je trouve les gobelins plus sympathiques, marmonna la prêtresse.

— Nous voilà de nouveau tous amis ! conclut le vampire.

Nymuë soupira : peut-être, finalement, était-elle le membre le plus équilibré de cette compagnie.


Notes de fin :

Ça, Nymuë, c'est ce que l'on appelle du déni.
Un chapitre assez long, j'espère avoir atteint mes objectifs avec cette scène vampirique. Je n'ai pas voulu faire quelque chose de sensuel ici, plutôt insister sur l'aspect "prédateur" et désespéré d'Astarion.

Au prochain chapitre, nous arrivons chez les gobelins !

Je vous dit à dimanche, au plaisir de lire vos retours d'ici là.