Et voilà déjà le second chapitre, histoire que vous aillez quand même quelque chose à lire.

À la semaine prochaine pour la suite, bonne lecture!


Réagissant avec une vivacité que je n'aurais jamais attendue chez elle, Mrs Winston me saisit le bras et me tire violemment en arrière, juste au moment où le camion allait m'écraser. Je tombe sur le dos et le bébé en moi, par réflexe, se met à pleurer. Je laisse faire, trop choquée moi même pour faire quoi que ce soit. Quelque part dans ma tête, je bénis ce réflexe, naturel, qui contribuera à faire passer l'incident pour un accident. Qui pourrait imaginer qu'un enfant de trois ans essaye de se tuer, de toute façon? Mrs Winston, paniquée, me serre dans ses bras. Je déteste son contact, mais les battements affolés de son cœur me permettent de reprendre mes esprits. Je me mets en pilotage automatique, je n'ai pas le temps de faire le point pour le moment. Finalement, elle se détache enfin de moi et m'examine. Je me suis écorchée le bras en tombant. Elle me gronde un peu, puis essaye de me porter pour rentrer à la maison. Je ne me laisse pas faire et me tortille dans tous les sens jusqu'à ce qu'elle finisse par céder, me laissant trottiner sur mes jambes trop courtes. Je n'échappe cette fois pas à sa poigne, qui enserre ma menotte grassouillette avec douceur mais fermeté.

Une fois à la maison, elle désinfecte ma plaie et me met un pansement, sans que je proteste. Quel enfant de trois ans protesterait ? Elle me félicite d'avoir été courageuse et de ne pas avoir pleuré, avant de me dire une dernière fois d'être prudente, et de m'installer devant les dessins animés. Après dix minutes d'une série « pour petites filles bien sages » remplie de rose bonbon, de poupées et de vieux certainement pédophiles, j'en suis certaine : Mrs Winston est un être maléfique entièrement dédié à faire de cette... seconde vie un enfer pour moi. Apparemment m'empêcher de mourir ne lui suffisait pas. Au bout d'un quart d'heure elle me rapporte un goûter, un grand verre de lait et une banane. Je mange le tout sans broncher, et lui dis que je ne veux plus regarder la télé. Elle propose de me lire une histoire, mais je lui demande si je ne peux pas plutôt dessiner. Elle me ramène alors des feuilles et des crayons de couleur, et je passe deux bonnes heures à essayer de contrôler ma main droite, puis ma main gauche, et découvre que même si je suis plus à l'aise de la main droite, il n'y a pas de différence trop importante. Parfait ! En m'entraînant je serai ambidextre ! Je secoue la tête à cette pensée. Comme si j'allais vivre longtemps... Mais aussitôt, une autre pensée, glaçante, s'impose à moi : Si je ne suis pas morte la première fois, qu'est-ce qui me garantit que la deuxième fois sera la bonne ?

Mrs Winston n'est pas loin, et je repousse cette pensée avec les autres, dans un coin de ma tête. J'y penserai plus tard, quand je serai seule. Mes parents ne rentrent pas ce soir, et je finis par me retrouver enfin allongée dans mon lit, épuisée d'avoir dû lutter contre la gouvernante pour qu'elle me laisse me laver seule. Elle a tenu à vérifier, mais j'espère au moins que ça l'a convaincue que je pourrai me débrouiller toute seule à l'avenir. J'essaye très fort d'oublier ce que j'ai ressenti, nue devant elle pendant qu'elle m'examinait, et préfère me concentrer sur le plus important, à savoir ma résurrection impromptue.

Pour ce que j'en sais, et peu importe à quel point cette phrase est absurde, je suis née le jour où je me suis tuée. Je ne me souviens de rien après avoir sauté du toit. Je ne me suis jamais intéressée à toutes ces histoires de réincarnation, je n'ai jamais été fascinée par la vie éternelle. Je connais vaguement les histoires de karma, mais je doute que ça fasse sens dans mon cas. Je ne vois pas en quoi mes actes, dans ma vie précédente, m'auraient permis de me réincarner plus riche et ici par exemple. Je ne sais pas si ce qui m'est arrivé est une première, mais en tout cas à priori c'est au mieux très rare. Je ne me suis pas beaucoup intéressée au sujet, c'est vrai, mais ça se saurait si les morts se souvenaient avoir vécu une autre vie avant, dans ses moindres détails. Oh, il faudra que je vérifie, d'ailleurs, si la vie dont je me souviens a réellement existé. Je n'en doute pas vraiment, mais une simple recherche internet me permettra d'en être certaine. Quoi qu'il en soit, dans ma première vie je n'avais pas de souvenir semblable, et je n'avais jamais rencontré qui que ce soit dans mon cas. Du coup, j'ai quand même de bonnes chances de réussir à mon prochain essai, tant que je planifie un minimum au lieu de paniquer comme je l'ai fait plus tôt. À moins que je sois spéciale et que je ne puisse jamais mourir. Auquel cas je pourrais travailler à griller mon cerveau définitivement. Enfin, si je ressuscitais à nouveau, je disposerais peut-être à nouveau de trois ans de calme avant de devoir me souvenir, c'est toujours ça de pris.

Pour le moment, je ne veux pas tenter le diable au risque de résurectionner à nouveau et perdre des années avant de pouvoir faire des recherches. Pour autant, si après quelques temps je ne trouve rien, autant que je tente le coup. Je ne supporterais pas une vie durant les souvenirs, les cauchemars. Je n'ai pas la force de tout refaire, encore une fois. La première chose à faire, donc, est de vérifier la véracité de mes souvenirs. Ensuite, de faire des recherches sur les mythes de réincarnation et de résurrection et de chercher des témoignages, pour voir si quelqu'un a déjà vécu (et revécu) des choses similaires. Je ne compte parler de tout ça à personne : si dans ma première vie, nul n'était digne de confiance, comment pourrais-je me confier à quelqu'un à présent, surtout avec ce corps et cette histoire ?

« Mes parents m'ont appelée Aurore, ils auraient dû m'appeler Crépuscule. L'aurore, c'est le début de quelque chose de brillant, c'est l'éblouissant recommencement du jour. Alors que moi, je ne fais que m'éteindre, et je n'aspire à rien. Et même si dans la nuit les étoiles brillent, elles sont froides et figées, comme ce qu'il reste de moi. Elles finiront dans une explosion, elle disparaîtront. Comme moi. Oh, ces lueurs si lointaines qu'il me faudrait encore saisir, si ce sont les espoirs que les gens louent ! Mais l'espoir est toxique, l'espoir est l'Ennemi. Je suis Crépuscule. La lumière qui disparaît, le silence qui s'installe. La promesse d'une nuit sombre, et le repos, enfin »

-Extrait d'un carnet d'Aurore Berger, trois mois avant sa mort.-


Voilà, en espérant que ça vous a plu, j'attends vos reviews avec impatience.

Un petit coucou en passant aux lecteurs que j'ai déjà croisés sur d'autres fics, ça fait plaisir de vous revoir. Aux autres, bienvenue^^

Bisous et beignets de poulets.

Signé: Une folle