Yo,

R.A.R :

Bouh-ahh : Merci pour ton soutien, je poursuis la publication car je vois que quelques personnes lisent tout de même.

Voici le chapitre 7 de l'acte I. Bonne lecture !


Lendemain après-midi

Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas retrouvé seul à marcher en ville. Grimmjow avait l'habitude d'être toujours accompagné d'Ichigo et d'Ulquiorra, à toute heure et pour toute destination. Ils ne se séparaient presque jamais. Quand ils étaient plus jeunes et que la famille constituée était encore trop pauvre pour payer de nouveaux draps, ils dormaient ensemble dans un seul futon. Leur proximité le rassurait toujours. Leur présence à ses côtés était sans doute la chose la plus importante à ses yeux.

Il heurta soudain un charriot rempli de sacs de grain. Le vieil homme qui tractait lui rappela sèchement de regarder devant lui. Il s'en tira avec une maigre excuse, gardant la tête baissée et les mains dans les poches.

Fatalement, ils s'éloigneraient en grandissant. Une fois adultes, ils devraient trouver un travail, avoir une possible compagne, peut-être même former une famille... Grimmjow ne voulait pas le concevoir. Même s'il voulait devenir au plus vite un homme, il ne supportait pas l'idée de quitter la chambre qu'il partageait avec Ichigo et Ulquiorra. La vie arrivait à grands pas, avec ses turbulences et ses décisions impitoyables.

Il avait choisi de voir Renji aujourd'hui, le fameux Roi du Jeu. Ichigo avait préféré accompagner Yumichika au marché et Ulquiorra voulait passer du temps avec Ikkaku concernant les Forges pour le bien de l'exposé.

Il était donc seul à s'éloigner peu à peu vers les quartiers plus animés de la ville. C'était là que Renji aimait se faufiler. Il y dérobait sans doute plus facilement des portefeuilles des poches des Sinners et Pasteurs qui profitaient de tous les izakaya présents pour s'enivrer en pleine journée.

C'était l'après-midi. Le soleil froid brillait pâlement dans le ciel cotonneux. En arrivant dans le quartier encore peu animé à cette heure, les rayons se dissipèrent entre les toits avancés des bars et les barnums des échoppes. Les Dogs préparaient déjà leurs victuailles pour la soirée à venir. Les fours s'activaient et les cheminées fumaient çà et là aux ordres des chefs. Des travailleurs s'acharnaient à la plonge, baissés devant un baquet rempli d'eau savonneuse, à frotter leur vaisselle tandis que d'autres passaient le balai à l'entrée de leurs établissements. Des jeunes hommes et femmes passèrent tout près de lui. Enjolivés et bien apprêtés, ils ricanaient en se dirigeant vers le plus gros bâtiment de ce quartier : la demeure de Red Mama.

Lorsque Grimmjow passa devant, il sentit un frisson l'envahir. La couleur rouge des lanternes de papier à l'entrée et des rideaux aux fenêtres était trop éclatante à son goût et les forts parfums qui se dégageaient du lieu le prenaient à la gorge.

Il avança un peu plus et trouva enfin la planque du Roi du Jeu. Au détour de l'avenue principale, une maison abandonnée présentait près de sa porte un soubassement encadré par deux battants en bois à tirer. C'était une ancienne cave pour entreposer les barils de saké autrefois. Depuis, Renji avait investi les lieux pour y mener ses affaires. Avant qu'il ne puisse atteindre les volets en bois, deux garçons le heurtèrent en achevant leur course. Plus petits que lui, ils portaient chacun une large amphore remplie.

— Dépêche-toi ; dit l'un ; il a dit qu'il avait très soif !

En ouvrant un battant à son camarade, il remarqua enfin Grimmjow qui s'était arrêté. Ses yeux s'arrondirent de surprise tandis que l'autre petit garçon s'engouffra dans la cave.

— Tu... qui es-...

— T'occupe ; coupa Grimmjow ; tu n'étais pas pressé ?

— Hein ? Euh, si !

Et l'enfant disparut à son tour dans la cave. Grimmjow soupira en sortant les mains de ses poches. Il n'avait pas véritablement envie d'entrer mais il le devait. Il s'approcha donc du battant resté ouvert et avisa les escaliers en pente raide. Le lieu semblait éclairé et on entendait de l'agitation non loin de là. Il s'aventura donc dans l'ancienne cave à saké dans un grand silence.

Dans la grande salle en voûte, une bonne quinzaine d'enfants étaient présents. Ils jouaient ou discutaient entre eux. En s'approchant un peu du centre de la salle, ils formaient un parfait demi-cercle autour du trône où siégeait Renji. Le fauteuil était surélevé sur une estrade de fortune formée de cagette en bois. Le dit perchoir royal n'était rien d'autre qu'un antique fauteuil à ressort dont la tenture matelassée se déchirait à plusieurs endroits aux accoudoirs. Des guirlandes de fleurs fanées décoraient le pourtour du dossier. Renji était assis, la cheville droite reposée sur le genou gauche, dans une posture fière et orgueilleuse. Il s'était fabriqué une cape qu'il nouait autour du cou. A sa pompeuse couleur rouge, Grimmjow comprit qu'il devait s'agir d'un vieux rideau de chez Red Mama.

Les deux jeunes garçons avaient offert leur amphore à Renji. Tandis qu'il buvait l'eau, Grimmjow reconnut la petite fille de la veille. Elle était terrorisée au-devant de l'estrade. Il s'approcha pour mieux voir la scène.

Renji, rassasié, se leva nonchalamment en tenant une amphore à la main.

— C'était infect, Kiyone ! Comme oses-tu donner des restes pourris à ton Roi ?!

— Je... Je suis désolée ! Je ne voulais pas !

Renji lui donna un coup de pied en descendant de l'estrade et la pauvre se roula contre terre, n'osant plus relever la tête.

— Tu n'es qu'une idiote et tu vas devoir en subir les conséquences !

Il leva l'amphore au-dessus de sa tête et fut prêt à l'abattre sur sa tête. Mais au moment d'abaisser le bras, il fut retenu par quelque chose. D'un coup d'œil vif, il reconnut Grimmjow, son pire rival, qui tenait l'autre hanse de l'amphore avec une force qu'il ne pouvait surpasser.

— Fais gaffe, Renji. L'eau, c'est précieux.

— T-t-toi !

D'un coup sec, Grimmjow arracha l'amphore des mains de Renji pour la redonner au garçon qui la portait tantôt. Puis il prit le bras de la jeune fille pour l'aider à se relever. Une fois debout, elle le remercia d'un seul regard et disparut dans la foule d'enfants.

— Mais qui voilà ! Cette poule mouillée de Grimmjow ! Tu crois qu'on devrait encore t'appeler le Caïd, si tu n'as même plus les tripes de participer au Jeu ?

Il y eut quelques ricanements autour. Visiblement, Renji avait rallié du monde à sa cause.

Grimmjow sentit la colère monter. Elle arrivait bien trop tôt. Il fallait qu'il tienne encore.

— Tu parles du Jeu qui te fait devenir un vrai tyran ? Très peu pour moi.

Il y eut un plus grand silence dans la salle, parsemé de quelques exclamations d'étonnement.

— Imbécile ! Tu crois qu'on gouverne comment ? En faisant promettre à sa Cour d'être gentil et obéissant ? T'es encore plus naïf qu'avant, ma parole !

— Faire peur à tes sujets ne les rendra pas plus fidèles !

— Et alors ? S'ils n'obéissent qu'en étant menacés, c'est leur problème ! Qu'ils me craignent ou non peu m'importe, du moment qu'ils exécutent les ordres, le Roi n'a rien à redire.

— Et c'est ça qui te motive ? Qu'une gamine t'apporte des friandises pour ton quatre-heures ?

— Gardes !

Sur ce, deux garçons sortirent du demi-cercle. Grimmjow les reconnut. C'était les jumeaux de la criarde vendeuse de poissons du marché. Ils faisaient une tête de plus que lui. Ils étaient un peu plus âgés mais avaient trois classes de retard à l'école. A force de tirer les filets de pêche sur le bateau de leur père, ils avaient développé des bras titanesques.

D'un seul coup, ils le saisirent aux épaules et l'un d'eux enfonça son poing dans son ventre. Grimmjow sentit ses yeux s'écarquiller et de la bile remonter dans sa gorge. Des cris de joie et d'excitation se firent entendre dans la salle voûtée. Renji s'approcha du pauvre garçon qui encaissait le coup en serrant les dents :

— Ce qui me motive, Grimm', c'est que la récompense soit à la hauteur de mes efforts acharnés pour trouver cette foutue Poupée.

D'un seul hochement de tête aux jumeaux, un nouveau coup de poing arriva. Grimmjow toussa pour cracher ce qui remontait trop haut dans sa gorge.

— Pourquoi t'es venu ici, Grimm', sérieusement ? Tu aurais dû continuer à faire le mort dans ta chambre, ça m'aurait arrangé.

— Je suis venu... te faire comprendre que... mêmes si t'es le foutu Roi... Jamais... je ne t'obéirai.

Renji partit d'un grand fou rire, accompagné par quelques sujets assez proches qui avaient entendu le murmure douloureux de Grimmjow.

— T'es une vraie tête de pioche, Grimm', y'a pas à dire ! Le Vieux Boiteux a raison de te punir car à ce train-là, tu aurais sans doute renversé le système des castes ! Regardez-le, à vomir par terre : voilà Grimmjow, le grand insubordonné !

Tout le monde se mit à rire aux éclats et à chantonner de quoi se moquer de lui. Le pauvre sentait la colère faire bouillir ses entrailles et serrait dents et poings pour ne pas exploser. C'était comme si une énergie furieuse pouvait à tout moment sortir de lui et terrasser tout ce qui se trouvait sur son passage.

— Je crois plutôt que tu es jaloux, Grimm', non ? poursuivit Renji en prenant son menton en main pour le regarder dans les yeux ; Ces derniers temps ont été un peu durs. Ça fait des mois que tu encaisses les défaites. Il n'y aurait pas de honte à te retirer définitivement de la partie. Au lieu de ça, tu viens là pour jouer les sauveurs et critiquer ma façon de gouverner, c'est pitoyable.

Un dernier coup finit de terrasser son estomac et les jumeaux le laissèrent tomber à terre. A quatre pattes, il toussa plusieurs fois en retrouvant péniblement son souffle. Sa tête lui tournait et il ne supportait plus d'entendre les rires et cris exagérés de la foule autour. On l'insultait de "looser" et de "mauvais perdant".

Renji passait vers les enfants agglutinés pour être mieux acclamé et applaudi. Mais Grimmjow remarqua bien que les enfants le craignaient, qu'ils perdaient leur sourire une fois le Roi passé devant eux.

Ce détail finit de l'énerver. Il se releva avec peine, lentement, cherchant son équilibre. Renji lui tournait le dos. Il s'approcha de lui en deux pas, l'attrapa à l'épaule tant pour le retourner que pour se soutenir et lui envoya un immense coup de poing en pleine figure. Soudain, les exclamations de joie se transformèrent en cris de peur et toute l'assistance ce calma immédiatement. Les molosses vinrent au secours de leur Roi mais Grimmjow envoya à l'un un coup de poing sous le menton et à l'autre un coup de genou entre les jambes. Les deux s'affaissèrent et Grimmjow retourna à sa besogne. Mais au moment de s'approcher du Roi à terre, il trébucha par un habile jeu de jambes de Renji lui-même. La salle se tut dans une dernière inspiration d'effroi.

Renji l'attrapa au col de son haut. Il était aussi en colère. Certaines mèches de ses longs cheveux retenus en queue de cheval retombaient sur son visage et son nez tournait au rouge vif.

— Un seul défi, Grimmjow ! Je te défie et voilà le deal : si je gagne, tu te soumets à moi pour tous mes règnes et si tu gagnes je te laisse tranquille avec tes frères, du moment que tu ne viens pas m'emmerder avec tes principes, vendu ?

Grimmjow réfléchit peu de temps. Renji ne lâcherait jamais l'affaire et il ne pouvait pas jouer les insubordonnés sans prouver qu'il valait mieux que ce Roi.

— Vendu.

Quelques minutes plus tard, tous les enfants étaient sortis de la cave. En face de la baraque abandonnée, il y avait une usine. L'édifice était tout en briques grossièrement apparentes.

Le soleil était encore moins fort. Nous entrions dans la fin de l'après-midi. Une légère brise s'était levée et l'avenue principale du quartier s'était animée.

— Le défi est simple : celui qui réussit à grimper le plus vite jusqu'au toit du bâtiment a gagné.

— Ça doit faire au moins cinq mètres de hauteur.

— Mais il y a des bacs à ordures qui amortiront notre chute, au cas où.

Grimmjow calculait la faisabilité de l'escalade. Les briques apparentes seraient sans doute de bonnes prises mais si c'était une épreuve de vitesse, il jouait en terrain inconnu. Il ne connaissait ni ses propres aptitudes ni celles de Renji.

— Pour redescendre, il y a une échelle là ; dit Renji en pointant du doigt à l'endroit précis.

Grimmjow acquiesça. A l'excitation de tous les enfants, il comprit qu'il ne pourrait pas revenir en arrière ni proposer un défi lui-même. Il ne pouvait que se taire et suivre.

— Tu vas te défiler ?

Grimmjow soupira. Même si une partie de sa colère s'était expulsée dans son poing au moment de le frapper au nez, il ressentait toujours un furieuse bête noire l'agiter.

— Non, on y va.

Il y eut un jury de trois enfants pour arbitrer l'épreuve. Ils lancèrent un décompte et à "zéro", les deux enfants s'élancèrent en grimpant d'abord sur les bacs à ordure. Les bacs n'étaient pas fermés et des pelures de légumes et fruits moisissaient dans en dégageant une odeur horrible.

— C'est soit tu grimpes au sommet, Grimm', soit tu finis la tête dans les ordures ! héla Renji qui avait déjà les deux pieds contre le mur de l'édifice.

Poussé par la rage de vaincre, le garçon se mit aussitôt à grimper. Renji montait rapidement. Les prises étaient bonnes, quoiqu'un peu glissantes. Certaines pierres semblaient polies par l'usure. D'autres enfants étaient-ils déjà montés contre cette paroi ?

À un moment, Grimmjow suspendit son souffle : Renji sembla perdre son équilibre et faillit chuter. Il avait manqué la prise à son pied gauche qui pendait dans le vide. En bas, le public se perdit en cris apeurés. Quand Grimmjow comprit que Renji allait reprendre sans grande difficulté, il rattrapa son retard et lui passa devant avant qu'il ne reprenne de la vitesse. Il allait gagner. Il pouvait gagner !

Renji le laissa grimper en avant. En le voyant avancer à une telle vitesse, il sourit.

— J't'ai eu.

Grimmjow continua son ascension sans crainte quand soudain, une des prises qui paraissait parfaite pour se hisser vers le sommet se déroba sous sa main. Il n'eut pas le temps de se tenir à autre chose, son point d'équilibre s'éloigna du mur et il chuta. Il plongea quelques mètres plus bas dans le bac à ordures et, à sa chute, tous les enfants crièrent et s'extasièrent de la victoire de leur Roi. Lorsque Grimmjow comprit sa défaite et sortit la tête hors des ordures, il trouva en levant le menton Renji, en haut de l'édifice, la cape au vent, les mains sur les hanches.

— Je crois bien que tu as perdu, Grimm' ! Te voilà à mon service pour un bon bout de temps !

Les enfants se moquèrent puis vinrent accueillir leur chef quand il descendit à l'échelle. Grimmjow sortit du bac à ordures dépité et sale. Dans sa chute, toute sa colère avait disparu en quelques secondes. Elle s'était volatilisée comme si cela ne servait plus à rien de se battre.

Le soleil allait bientôt se coucher, le ciel devenait orange. Il avait envie d'être auprès d'Ichigo, là, tout de suite. Et de ne plus sentir Renji lui crier dessus ni le bousculer à l'épaule pour lui rappeler la soumission dans laquelle il s'était engagé.

— Ferme-la...

— Quoi ? Qu'est-ce que tu as dit à ton Roi ? Peut-être que tu n'as pas compris encore ta situation ? La chute t'aura fait perdre quelques neurones !

— J'ai dit : ferme-la !

Grimmjow prit Renji au col comme il l'avait fait sur lui peu de temps auparavant, et lui offrit son regard bleu le plus colérique :

— J' te f'rai bouffer ton orgueil un jour, Ren' !

— Allez, allez, du calme, le déchet. Il y a que les loosers qui supportent pas de voir mieux qu'eux.

— Je peux savoir ce que vous faîtes tous ici ?

Tout le monde se raidit à l'entente de la voix familière et tourna la tête du côté de l'avenue qui bordait le Q.G de Renji. Urahara Kisuke se tenait là, le regard bien plus fermé et autoritaire que d'habitude, les bras croisés sur le torse. Face au silence mortel du groupe, Urahara continua :

— Renji ? Des explications ?

Immédiatement, l'enfant lâcha sa prise et plaça nonchalamment ses bras derrière sa tête en baillant :

— Il n'y a rien à dire, m'sieur. C'était juste pour s'amuser.

— Que vous jetez un de vos camarades dans les ordures ?

— Il est tombé tout seul dedans, m'sieur, vous pouvez lui demander.

Il y eut de maigres "Oui, c'est vrai !" et "C'est pas la faute de Renji !" dans l'assistance. Urahara soupira.

— Je m'attends à un comportement plus bienveillant de votre part, les enfants. De la part de chacun d'entre vous !

Soudain, une plantureuse femme à la grande chevelure rousse apparut aux côtés d'Urahara. Elle portait une longue robe rouge qui s'ouvrait sur sa cuisse et retenait un châle sur ses épaules qui cachait son décolleté. C'était Red Mama. Et comme à son accoutumée quand les enfants la voyaient, elle semblait excédée :

— Mais... Tu avais raison, Kisuke. C'est vous qui faîtes tout ce boucan ?! Les clients ne viendront jamais avec tout ce raffut ! Déguerpissez de là ! Non mais j'y crois pas...

Les plus jeunes ne se firent pas prier et partirent en courant. Les plus âgés quittèrent les lieux en trainant des pieds. Renji s'en alla fièrement, le sourire en coin.

— On n'a pas idée de venir se fourrer ici... ; continua-t-elle ; Que je ne vous y reprenne pas !

Urahara stoppa Grimmjow quand il voulut partir.

— Minute, toi.

Grimmjow se détacha de sa prise d'un pas sur le côté. Il regardait ailleurs.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Rien.

— Han ! Grimmjow ! reconnut Red Mama ; Tu n'as pas honte ? Et réponds mieux que ça à ton Professeur !

— Il s'est rien passé !

Urahara soupira. On ne lui ferait rien dire de plus dans cet état.

— Quelle odeur infecte ! C'est encore ce maudit traiteur avec qui je ne m'entends pas du tout. Je lui ai dit cent fois de jeter ses ordures au feu plus souvent mais il n'entend rien ! Ça va faire fuir mes clients !

— Oui, Rangiku, je comprends mais là n'est pas vraiment la question.

Un regard entendu de la part d'Urahara fit bien comprendre à Red Mama la situation. La jeune femme parut encore plus excédée et soupira en croisant les bras :

— Je suppose que si Zaraki apprend où tu es tombé, il m'en tiendra évidemment rigueur alors que je n'ai rien à voir avec ça ! Je déteste le voir en colère, celui-là. Et dès qu'il y a le moindre souci dans le quartier, c'est sur moi que ça tombe ! Alors tu ne vas pas rentrer sale comme un cochon, mon garçon, c'est moi qui te le dis ! Viens avec moi qu'on t'enlève cette odeur de moisi dans les cheveux !

Urahara apprécia que Red Mama comprenne sans problème que Grimmjow se sentait honteux et triste et que rentrer chez lui dans cet état ne serait sûrement pas une bonne idée. Le garçon eut l'air assez rebuté à l'idée de suivre Rangiku dans son antre, alors le professeur vint poser une main chaleureuse et bienveillante sur son épaule.

— Allez, jeune homme, tout ira bien.

Le soleil se couchait vraiment à l'horizon, dorant le quartier de ses derniers rayons. L'avenue s'enfumait des cuisines bruyantes qui s'allumaient de toutes part et bien plus de monde arpentait déjà le quartier. La demeure de Big Mama avait allumé ses lanternes rouges et ouvert ses portes mais il était encore tôt pour le chaland de passage. Rangiku fut saluée poliment par les hommes aux alentours qui soulevèrent leur casquette ou se courbèrent légèrement à son passage. Grimmjow claqua sa langue dans sa bouche. Elle devait sans doute être la Reine du quartier. Décidément, tout n'était qu'une affaire de pouvoir et de renommée. Roi d'un Jeu, d'un groupe, d'un quartier ou d'une Cité entière, peu importait : il y aurait toujours celui qui gouverne et celui qui serait gouverné. Qu'avait-il voulu faire aujourd'hui ? En voyant la peur sur le visage des enfants, il n'avait pas pu s'empêcher de vouloir remettre Renji à sa place. Et au final, c'était lui qui l'avait recadré. Il avait perdu face à lui et devrait accepter de le servir maintenant. Il aurait voulu faire entendre à tous les enfants que ce Jeu était finalement stupide, que le système des castes était bien différent dans la vraie vie et que Renji ne pouvait pas continuer à agir en tyran. Mais il les avait entendues, toutes les critiques et toutes les insultes. Il n'aurait pas pu convaincre un seul enfant.

Soudain, il rentra dans les fesses de Red Mama qui s'était arrêtée à l'entrée de la demeure. Il recula aussitôt, écœuré et leva les yeux, craignant de trouver une Furie au poing fermé préparant son coup. Mais non, elle était juste immobile devant l'entrée, à lui tourner le dos. Elle s'écria soudain :

— Oh, on ne vous attendait pas si tôt, Mylord ! Je suis ravie de vous retrouver dans mon établissement, c'est vraiment un grand honneur pour moi à chaque venue de votre part !

— Je t'ai déjà dit, Rangiku : "Monsieur" suffira comme appellation.

— Oui, bien sûr, Monsieur, veuillez m'excuser.

Grimmjow jeta un coup d'œil en faisant un pas de côté. Dans le hall d'entrée, debout sur le tapis de velours rouge qui s'étendait jusqu'au bar, se tenait un homme immense habillé richement, drapé de plusieurs couches. Un haori rose à fleurs trônait en dernier lieu sur ses épaules. Il avait un visage très propre mais légèrement barbu. Ses longs cheveux bruns retombaient en boucle de part et d'autre de son visage et reposaient sur ses épaules. Grimmjow était trop éloigné de son visage pour en apprécier tous les détails mais il discerna un fin sourire qu'il adressa à Rangiku. Enfin, il remarqua sans grand étonnement la bague que portait l'homme à l'index droit puisque ses mains étaient jointes devant lui. Un Lord.

Il semblait attendre Red Mama.

— Mes hommages, Monsieur ; salua Urahara à son tour en se courbant.

Il emporta dans son geste Grimmjow en appuyant sur sa nuque pour qu'il se penche aussi en avant.

— Voyons, Kisuke, tu vas finir par me gêner. Que c'est ennuyant, toutes ses étiquettes...

Grimmjow fut remis droit en même temps que son professeur qui garda une main ferme mais rassurante plus que menaçante contre sa nuque.

— Et qui avons-nous là ? avisa le Lord.

— Oh personne, Monsieur, personne ! reprit Rangiku, visiblement gênée d'avoir un enfant puant les ordures dans sa magnifique demeure parfumée devant un Lord qui, visiblement, venait profiter des dites beautés de l'établissement ; juste un orphelin que Mon Père a jugé bon d'aider.

Le Lord acquiesça en s'approchant lentement. Il se pencha pour mieux voir le garçon et grimaça à l'odeur qui se dégageait de lui.

— Eh bien, mon garçon : que t'est-il arrivé ?

Grimmjow aurait eu envie de se débarrasser de n'importe qui qui lui aurait demandé, même Zaraki -avec un peu d'appréhension - mais là il s'agissait d'un Lord et la main sur la nuque le lui rappela gentiment.

— Je suis tombé.

Le Lord sembla juger de sa réponse. Vu son état, ce ne pouvait pas être un mensonge. Mais ce n'était sans doute pas tout.

— Je vois. Sacrée chute, hein ?

— Mh, oui...

Il l'observa encore un instant. Grimmjow préféra regarder ses pieds.

— C'est en tombant qu'on apprend à se relever.

Le garçon leva son menton. Etrangement, alors qu'il ne le connaissait pas, c'était le premier adulte qui semblait savoir exactement ce qu'il s'était passé et ce qu'il ressentait. Il hocha la tête, ne sachant pas quoi répondre, trop étonné.

— Mais je crois qu'un bon bain serait déjà la bienvenue. Tu t'en occupes, Rangiku ? Pendant ce temps, Kisuke me tiendra compagnie ; sourit le Lord en prenant amicalement bras dessus bras dessous le Professeur ; Un charmant garçon m'a servi un excellent sake au bar, il faut que tu le goûtes !

Alors qu'ils s'éloignaient, Grimmjow se sentit soudainement tiré sur le côté. C'était Rangiku qui l'avait empoigné sans délicatesse pour le tirer vers l'étage de la demeure. Il trébucha à deux reprises sur les hautes marches tapissées de velours rouge mais cela ne ralentit pas la patronne qui murmurait pour elle-même « Ces sales gosses qui me font perdre mon temps… ». Grimmjow préféra garder le silence tout le long du voyage. L'étage faisait un grand « U » sur tout le pourtour de la demeure. Des portes s'enfilaient les unes à côté des autres. Plusieurs jeunes femmes et hommes s'appuyaient contre la balustrade de l'étage pour contempler le rez-de-chaussée. Ils étaient habillés plutôt légèrement dans d'étranges costumes soyeux et brillants.

— Allez, ne traîne pas, petit !

Le passage de Grimmjow tiré par Red Mama fit son petit effet. Les employés regardaient la scène avec amusement et semblaient offrir un regard plein de compassion au petit garçon sale et fatigué.

Finalement, Rangiku ouvrit une porte en bois qui découvrit une chambre très sobre et peu colorée. Une autre ouverture les amena à une salle de bain. Un grand baquet en bois trônait au centre. Une chaise en paille portait sur son assise une pile de serviettes blanches pliées. Un petit poêle chauffait dans un coin une grosse bouilloire en fonte.

— On peut dire que tu tombes à pic, c'est à cette heure qu'on commence à chauffer l'eau des chambres. Estime-toi heureux car je t'aurais lavé à l'eau froide s'il le fallait ! Je n'ai pas de temps à perdre. Enlève tes habits et rentre dans le baquet.

Grimmjow fut un peu gêné de se montrer nu devant Rangiku mais cette dernière n'en avait rien à faire. Elle resta silencieuse à la vue des bleus et des écorchures qui tachetaient son corps entier, des coudes aux genoux, et renversa l'eau chaude de la bouilloire sur sa tête quand il fut dans le baquet.

Elle aurait pu le questionner, chercher à en savoir plus, pour l'aider si besoin. Mais elle se le refusa. Elle savait pertinemment qu'elle offrait trop rapidement et passionnément son aide à quiconque. Elle avait envie d'aider le garçon mais se retint. Grimmjow était bien entouré, sous l'autorité de Zaraki et il était loin d'être le plus fragile et le plus timide. C'était un battant, il s'en sortirait. Elle donnerait plus son aide à ceux qui seraient sans moyen.

— Dîtes Madame…

— Qu'est-ce qu'il y a ? fit-elle en versant un liquide opaque sur les cheveux bruns de Grimmjow.

— C'était qui, le Lord ?

La patronne soupira et se mit à frotter le crâne du garçon de deux mains fermes :

— C'est le Lord Shunsui Kyoraku, un membre des Heptas.

Grimmjow avait déjà dû entendre ce nom à l'école mais il l'avait oublié. Un membre du Conseil des 7 ? Ce devait être vraiment quelqu'un d'important. Il l'avait de toute évidence senti en le voyant, sans même le connaître.

— Vous le connaissez ?

— Comme je dois connaître un Lord en tant que Dog, Grimm', c'est juste mon Supérieur.

— Vous l'aimez bien ?

— C'est un des grands donateurs de la Maison.

Grimmjow trouva que ça ne répondait pas à la question mais il se doutait qu'elle n'en dirait jamais du mal.

— Et qu'est-ce qu'il vient faire ici ?

Rangiku soupira à nouveau et tira d'un coup sec ses cheveux en arrière, provoquant un cri de surprise de la part de Grimmjow :

— Tu es trop curieux, petit, et ça ne t'avancera à rien. Maintenant que j'ai fait tes cheveux, active-toi et lave-toi le corps avant que l'eau ne refroidisse. Je vais te chercher des habits car il est hors de question que tu rentres à nouveau dans ses fripes dégoûtantes.

Grimmjow fut alors seul lorsque les deux portes furent fermées. Il trouva sur le rebord du baquet un pain de savon et commença à se frotter le corps, sans grande motivation. La rencontre de ce Lord lui avait presque fait oublier sa douloureuse défaite contre Renji. Il avait voulu clamer qu'il était libre de tout système et au final, la vie lui rappelait sans cesse qu'il en était prisonnier. Il regarda sa main écorchée par l'ascension. Il lui avait semblé un instant pouvoir tout détruire sur son passage, tant la colère l'animait jusqu'à ses poings. Puis tout s'était évaporé quand il était tombé, comme si son corps avait accepté de perdre. De quoi était-il capable avec cette haine qui l'avait rendu si aveugle et si déterminé ? Et si cette folie furieuse en lui provoquait un jour un drame ? Et si, comme Zaraki n'arrêtait pas de l'avertir, la colère le poussait à l'insubordination ? S'il manquait de respect à un Supérieur, que se passerait-il ? Il deviendrait un Freak et serait emprisonné. Ni plus ni moins. L'image d'Ichigo apparut alors devant ses yeux. Se séparer de ce qu'il avait de plus cher le hantait. Il plongea sa main dans l'eau. Il devrait faire très attention à l'avenir. S'il explosait de colère, ce pourrait être la fin…

— Alors, encore dans l'eau ? Tu as cru que c'était une auberge ici ? Dépêche-toi de sortir de là, j'ai trouvé de quoi t'habiller.

Grimmjow enroula rapidement une serviette autour de ses hanches quand il sortit du baquet et Rangiku frotta ses cheveux à l'aide d'une autre. Elle lui tendit ensuite ce qu'elle avait dégoté pour lui.

— Quoi ?! Mais c'est des habits de fille !

— Et alors ? Quel ingrat ! Tu devrais plutôt me remercier de t'avoir trouvé quelque chose ! Excuse-moi mais ce sont plutôt des filles que des garçons qui vivent sous mon toit alors ne fais pas le difficile et enfile ça !

Grimmjow se prit une tape à l'arrière de la tête et finit par obtempérer. C'était une légère tunique rosée, ceinturée d'une petite corde fuchsia. Le col était relevé et les manches s'ouvraient largement sur la fin. Il renfila ses chaussures poussiéreuses et trouva un miroir dans un coin. Avec ses maigres jambes et ses grands yeux bleus, on aurait pu le prendre pour une fille. C'était loin de le satisfaire mais il préférait tout de même cela aux relents de moisis que sentaient ses anciens habits. Rangiku fourra d'ailleurs ses derniers dans un baluchon de toile qu'elle lui tendit :

— Prends plaisir à nettoyer tes vêtements et tu réfléchiras à deux fois avant de retomber dans mon bac à ordures ! se moqua-t-elle avec un sourire.

Pour toute réponse, Grimmjow saisit le baluchon et haussa les épaules.

— Allez, maintenant, rentre chez toi. Il se fait tard et ça sera bientôt l'Heure Sourde.

La perspective que Zaraki puisse le priver une nouvelle fois de sortie pour être rentré trop tard lui fit hâter le pas. Il remercia poliment Rangiku et fit un signe de tête reconnaissant à son Professeur toujours au bar avec le Lord en repassant par le rez-de-chaussée. Red Mama s'assura de le voir partir dans la bonne direction et rejoignit les deux hommes qu'elle avait fait patienter.

Le crépuscule donnait à la Cité un visage plus inquiétant. Dans les quartiers des Dogs, les minces allées serpentines devenaient d'obscurs coupe-gorges et les grandes places d'ordinaire bondées se désertaient, donnant au paysage un aspect lunaire et silencieux. L'animation se jouait plutôt du côté du quartier de Red Mama. Les derniers travailleurs venaient boire un verre et manger, riant et chantant à tue-tête pour oublier leur journée accablante. Des Pasteurs passaient parfois et des Sinners se retrouvaient en groupe à ricaner sur les passantes, un verre à la main. Grimmjow se faufila entre les adultes avec une certaine adresse. Les seuls enfants qu'on trouvait à cette heure dans un tel endroit étaient des petits voleurs à la tire et Grimmjow n'avait pas envie d'être comparé à l'un d'eux ou accusé à tort. Il sortit du quartier avec un certain soulagement pour rejoindre au plus vite la maison. Il évita soigneusement les grandes rues où marchaient quelques Sinners et préféra les passages plus étroits. Il n'en avait plus peur à force d'y passer, même s'il devait enjamber parfois quelques vieillards sans abri. Au final, quand il trouva la demeure, l'Heure Sourde allait bientôt être déclarée. Il fit glisser la porte d'entrée en bois en soupirant d'aise.

— J'suis rentré… ; dit-il la tête basse.

Soudain, il sentit Ichigo se pendre à son cou :

— Où est-ce que tu étais passé ? Tu es parti longtemps !

Sentir l'odeur d'Ichigo et ses mèches rebelles rousses caresser ses joues était sans aucun doute la meilleure chose qui pouvait lui arriver pour aujourd'hui.

— Grimmjow ! Te voilà enfin ! On va passer à table !

Yumichika avait l'air de bonne humeur et portait un tablier en toile. Il tenait dans ses mains un large plat en fonte surélevé d'un large couvercle. Le nez de Grimmjow se trémoussa tout à coup, alors que la fumée du plat parvenait jusqu'à lui.

— Mais c'est… c'est…

— Du riz au curry ! Tu adores ça hein ?! C'est moi qui l'ai décidé ! On est allé au marché ce matin et a acheté tout ce qu'il fallait ! C'est moi qui l'ai préparé tu sais ? Enfin, avec un peu d'aide de Yumi'…

— Ichi', laisse-le respirer et entrer ! héla Ulquiorra qui mettait la table ; Et puis d'abord, c'est Yumichika qui a tout fait, tu as juste mélanger le curry !

Ichigo resta pendu à son frère en faisant la moue. Grimmjow sourit joyeusement. C'était peut-être bien son premier sourire sincère de la journée. Ou depuis plus longtemps…

Etrangement, il avait imaginé qu'en rentrant, il aurait encore eu des remontrances, qu'on lui aurait prouvé une fois de plus qu'il avait échoué quelque part, qu'il lui manquait quelque chose… Mais au final, tout le monde paraissait joyeux. Yumichika tapait la main baladeuse d'Ikkaku qui voulait piocher dans le plat, Ulquiorra et Ichigo se chamaillaient amicalement et Zaraki semblait apprécier cette joyeuse atmosphère.

Finalement, lorsqu'Ichigo voulut bien le lâcher, il s'approcha de la table.

— Eh bien, mon garçon, quel est donc cet accoutrement ? demanda Zaraki, les bras croisés sur le torse et un sourire en coin.

Grimmjow se rappela de ce qu'il était en train de porter –qui n'était finalement ni inconfortable ni si laid que cela – et tira sur la tunique en rougissant :

— J'ai sali mes vêtements alors… on m'en a donné d'autres.

Il leva le baluchon rempli et s'excusa auprès de Yumichika qui vint le récupérer pour voir l'étendue des dégâts.

— Ahah, elle est marrante ta robe ! dit Ichigo malicieusement.

— C'est pas une robe, c'est une tunique ! répondit Grimmjow, piqué dans son ego et ne supportant pas qu'Ichigo le voie ainsi.

— C'est surtout des habits de fille… ; observa Ulquiorra.

— Mais j'avais pas le choix ! Et on s'en fiche, c'est temporaire !

Finalement, Grimmjow poussa Ichigo à s'asseoir sur le banc pour s'asseoir à son tour à côté et que la tunique disparaisse sous la table.

— Et on peut savoir qui te les a donnés ? demanda Zaraki en se servant du saké.

Au début, Grimmjow garda le silence, ne sachant pas trop comment amener la chose. Puis Ikkaku ne trouva rien de mieux que l'embarrasser de plus belle :

— On dirait les tenues des gonzesses chez Red Mama !

Il se mit à rire et cela lui valut un coup de torchon de la part de Yumichika :

— Comment peux-tu être au courant de ça déjà !?

Finalement, Grimmjow se lança :

— Il a raison. C'est Red Mama qui m'a aidé.

Zaraki comprit qu'il s'était passé quelque chose. Rangiku ne lui avait pas simplement donné un change, elle l'avait « aidé ». Au moins, peu importait la raison, Grimmjow avait accepté son aide et c'était déjà une bonne chose. Il but son saké et appela Ulquiorra et Yumichika à s'asseoir à table.

— Nous allons manger et Grimmjow va nous raconter sa journée.

Grimmjow ne préféra pas mentir. Il n'avait pas honte d'être allé voir Renji, de lui avoir dit ce qu'il pensait, de s'être plaint de son règne tyrannique. À la fin de son histoire, Zaraki ne lui tint pas rigueur de s'être rebellé, une nouvelle fois. Si c'était si inné en lui, il ne faudrait plus en être surpris. Du moment que Grimmjow ne se mettait pas en danger, il était prêt à accepter son comportement à contre-courant. Au final, il perdrait simplement du temps et de l'énergie à tenter de comprimer son esprit rebelle pour que Grimmjow soit un bon garçon dans le droit chemin. Et en le faisant, il avait peur que le naturel revienne au galop bien plus férocement dans quelques années.

— Et donc, je suppose que c'est toi qui as perdu contre Renji.

Grimmjow baissa la tête. C'était sans doute la partie la plus délicate de son histoire même si elle se résumait en une seule phrase :

— Oui, j'ai échoué.

Zaraki soupira. Le repas était terminé et tout le monde avait bien mangé. Le curry avait aidé Grimmjow à se sentir à l'aise en racontant son après-midi. Il ne se sentait pas jugé. Il faisait maintenant pleinement face à la réalité.

— Lève la tête. Au moins, tu as la sagesse de reconnaître ta défaite.

— Ce n'est pas grave ! intervint Ichigo qui avait envie de consoler son frère ; je suis sûr que sur une autre épreuve, tu aurais battu Renji !

— Son règne ne sera pas éternel ; rajouta Ulquiorra ; il devra bien descendre de son trône un jour.

— Je ne crois pas que Renji soit un si mauvais garçon ; enchaîna Yumichika ; c'est un orphelin sans tuteur, il est seul et a besoin de reconnaissance, ce genre-là court les rues.

— Ce n'est pas une raison pour terroriser les plus jeunes ! ne put s'empêcher de dire Grimmjow ; il n'en avait rien à faire d'agir comme un tyran…

— Ecoute Grimmjow ; reprit Zaraki ; ça ne sert à rien de te battre plus longtemps contre lui. Il est ton Roi et toi, sur l'échiquier du Jeu, tu n'es qu'un pion. Jamais un pion ne battra un roi.

— Et pourquoi pas ? J'ai fait ce qui me semblait être juste !

— Et c'est tout à ton honneur ; continua Zaraki d'une voix ferme et calme ; mais toute société possède des injustices. Dans notre Cité, malgré toute la bonté de nos Supérieurs, il subsiste des injustices. Regard Renji. Il n'a pas de parent, comme toi. Sur ce point, vous êtes égaux. Mais il n'a pas non plus de tuteur et vit en foyer dans des conditions difficiles. Et toi ? Tu vis confortablement ici, tu as des frères avec qui jouer et tu nous a nous, en tant qu'adultes, pour te protéger et t'aider. Tu peux manger un curry ce soir tandis que lui aura une soupe avec un morceau de pain. Tu as un bain chaud tous les soirs tandis que lui n'y a droit qu'une fois par semaine. Yumichika t'aide dans tes devoirs pour apprendre à lire et à écrire alors que lui ne peut compter sur personne. Entre vous deux, il y a déjà de nombreuses inégalités. Et même avec les plus grands efforts de nos Pasteurs, ces inégalités existeront toujours. On ne peut pas changer certaines choses.

— Mais lui, il a eu le choix ! En gagnant le Jeu, il a décidé quel roi il voulait être !

— En es-tu sûr ? Peut-être qu'il a eu du mal à se faire entendre, du mal à prendre confiance en son rôle. Dans notre société, depuis tout jeune, vous êtes habitué aux ordres et à la hiérarchie. Renji a simplement compris ce qui marchait le mieux pour commander. C'est peut-être même inconscient de sa part ! Je t'accorde que ce n'est sans doute pas la vraie finalité du Jeu, mais c'est tout ce que Renji a trouvé pour se faire obéir et obtenir un pouvoir qu'il n'a jamais eu à sa naissance. Et toi, tu arrives la bouche en fleur en pensant qu'il suffit d'être ami avec ces sujets pour se faire obéir ? Peut-être est-il trop tyrannique, mais toi tu es trop naïf… Tu as voulu réagir en voyant ses enfants terrorisés et je t'en félicite. Mais tu n'as pas assez réfléchi aux raisons qui ont poussé Renji à agir de la sorte.

Sur ce, Grimmjow voulut rétorquer, mais aucun son ne sortit de sa bouche et il finit par hocher la tête. Il n'aimait pas avoir tort mais il fallait avouer que Zaraki avait vu juste. Il avait voulu se précipiter, poussé par la colère, et ça n'avait rien résolu.

Quelques instants plus tard, on entendit la cloche annoncer le couvre-feu. Yumichika annonça la fin du repas en se levant et en ordonnant à Ikkaku de l'aider à faire la vaisselle. Il conseilla aussi aux enfants d'aller prendre leur bain en vitesse, à l'exception de Grimmjow qui semblait être déjà complètement propre.

Pendant qu'Ichigo et Ulquiorra se lavaient, Grimmjow aida au rangement et au nettoyage de la table. Puis, il alla préparer un thé à Zaraki qui était allé s'installer du côté du salon. Le garçon se prit quelques remarques quant à sa manière de fouetter le thé ou de servir la boisson mais Grimmjow reconnut bien là la sévérité de son tuteur : en réalité, il n'y avait rien de condescendant.

— Tu as agi de manière impulsive aujourd'hui, Grimmjow.

Le garçon posa le chasen sur le rebord du bol de préparation et referma le couvercle de la boîte cylindrique qui contenait le thé matcha. Il était plus calme et apaisé maintenant.

— Oui…

— De la même manière que le jour du recensement.

— Oui.

— Bien. Parle-moi de ça.

Grimmjow glissa ses genoux sur le tatami pour faire face à son tuteur et posa ses mains sur ses cuisses.

— Je ressens… une violente colère parfois. Ça arrive soudainement et je ne peux rien contrôler. Particulièrement depuis… depuis cette nuit aux Forges. Je n'ai pas pu bouger. Je n'ai pas pu aider Ulquiorra et je m'en veux. Maintenant, quand cette colère apparaît, mon corps bouge tout seul. J'ai tout à coup envie de tout détruire, de tout casser… de faire du mal. Ça brûle dans mon ventre et ensuite… je ne sais pas… je n'arrive plus à penser correctement. Aujourd'hui j'ai essayé de rester calme… mais c'est plus fort que moi.

— Ne dis pas ça.

Grimmjow releva le menton. En racontant ces choses plus intimes à son tuteur, il ne s'était pas rendu compte qu'il avait baissé la tête. Il rencontra alors le visage dur et sévère de Zaraki qui poursuivit :

— « C'est plus fort que toi » : ne dis jamais ça. Tu ne dois pas te faire dominer par tes émotions ni laisser ton corps agir à la place de ta raison. Si tu n'avais pas été un enfant et qu'Unohana n'avait pas pris ta défense, le jour du recensement aurait pu se terminer bien autrement.

— Je sais. Je dois faire plus attention, n'est-ce pas ?

— Tu as compris. Tes crises peuvent se retourner contre toi. Si tu ne maîtrises pas cette colère, elle te prendra tout ce que tu as.

Grimmjow hocha la tête. Zaraki but une gorgée de son thé et soupira, cherchant ses mots :

— Tu sais, ce sentiment que tu me décris ne m'est pas inconnu. Moi aussi, quand j'étais plus jeune et que cette jambe fonctionnait encore, j'étais animé par cette colère. Il y a tant de raisons dans notre vie pour laisser cette émotion exploser et nous diriger. Mais… ça n'a rien donné de bon, crois-moi. Je vis sans doute aujourd'hui encore sur les erreurs de mon passé.

Grimmjow aurait voulu en savoir plus. Il aurait bien questionné Zaraki sur son passé mais il se doutait qu'il ne voudrait pas lui répondre. Il préféra donc rester silencieux et à l'écoute :

— Le seul conseil que je puisse te donner, c'est de penser à ta famille. Lorsque pointe cette colère en toi, pense à tes frères et réfléchis bien. Ne mets pas en danger tout ce que tu as en écoutant tes pulsions. Que valent ces quelques instants de plaisir à laisser exploser ta colère face aux années entières de bonheur auprès d'Ichigo et d'Ulquiorra ? En grandissant, tu comprendras. Ne fais pas ce qui est le plus juste. Dans cette Cité, je ne crois pas que ça soit le plus judicieux. Fais ce qui est le plus prudent. Pour toi et pour nous.

Ichigo vint le chercher quelques minutes plus tard, le conseillant de les suivre se coucher. Grimmjow remercia son tuteur en se courbant avant de se retirer. Zaraki eut un sourire en coin. Le garçon n'était pas complètement impoli et ingrat, il apprenait vite. Il semblait que ces dernières semaines l'avaient fait mûrir.

Grimmjow, Ichigo et Ulquiorra se retrouvèrent dans la chambre.

— Tu es sûr que ça va, Grimm' ? demanda Ulquiorra qui l'observait avec attention.

— Vous le croirez peut-être pas après ce que j'ai raconté mais… ça va.

Il se sentait plus apaisé maintenant. Peu importe que Renji ait gagné et qu'il doive le servir à présent. Il lui semblait avoir bien plus appris que lui dans cet échec.

— Moi, je te trouve très courageux d'être allé le voir pour défendre les enfants qu'ils menaçaient ; assura Ichigo ; Je n'aurais sans doute pas réussi à le faire…

— Et je ne crois pas que ton échec en soit un ; poursuivit Ulquiorra ; cette épreuve d'escalade me paraît étrange. Vu comme tu nous l'as raconté, ça me semble être un piège : comment pouvait-il être si confiant alors qu'il était en train de perdre ?

— Ouais, c'est possible ; murmura Grimmjow ; mais comme ça on est quittes. Après tout, j'ai aussi voulu tricher pour trouver la Poupée à sa place…

— Qui te dit qu'il ne triche pas pour ça aussi ?

Grimmjow haussa les épaules :

— En tout cas, cette nuit-là, il n'a pas triché…

Il se posa du côté de la fenêtre pour y réfléchir un certain instant. Une question subsistait toujours en lui : à quoi servait donc le Jeu ? Il existait depuis toujours et personne ne savait qui le préparait chaque mois avec soin. Etait-ce juste un Dog qui avait toujours souhaité grader et offrait cette possibilité dans un Jeu pour enfant ? Pour Grimmjow, cela semblait trop évident pour être réaliste. L'organisateur du jeu ne s'était jamais montré et les règles s'étaient faites d'elles-mêmes, par les enfants qui y jouaient, sans doute plus d'une dizaine d'années en arrière. Pourquoi tant de mystères et de silences autour de cette Poupée ? Servait-elle seulement à sacrer un Roi ?

— Que vas-tu faire maintenant ?

— Exactement la même chose que vous : on va se plier à ses ordres s'ils nous en donnent et on va arrêter de la ramener.

— Et si Renji recommence à terroriser les plus jeunes ? osa demander Ichigo.

— Alors… j'en ferai mon affaire mais vous n'aurez pas à me suivre.

Ulquiorra soupira et se posa sur son futon pour lire. Ichigo poursuivit ses travaux de coloriage pour l'exposé, à la lueur d'une bougie. Au bout d'un moment, il vint montrer à Grimmjow le résultat. C'était une pyramide qui présentait les différentes castes de la Cité. Ichigo avait colorié en jaunes celles qui avaient la permission d'entrer dans la Bibliothèque : les Dogs, les Pasteurs et les Lords. Grimmjow regarda longuement la pyramide. À quoi servait le Jeu s'il n'était d'obtenir l'illusion d'être quelqu'un de plus grand ?

Sans savoir pourquoi, il saisit la feuille d'Ichigo qui resta sans rien dire, tenant la hanse du photophore. Grimmjow retourna la feuille pour en découvrir le verso vierge. Mais à la lumière de la bougie, le papier de riz était beaucoup plus transparent. Et tout à coup, les lettres du mot « DOG » s'inversèrent. Un nouveau mot sembla apparaître.

GOD

— Un problème, Grimm' ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Le regard de Grimmjow s'agrandit, et il lui fallut bien quelques secondes avant de revenir à la réalité :

— Non, rien, rien… Je viens juste… de penser à quelque chose.