Raine regardait sans la voir la tombe devant laquelle iel s'était agenouillé•e. Les larmes qui brouillaient sa vision l'empêchaient de voir le nom qui y était gravé, mais iel n'avait pas besoin de le voir : il était gravé dans sa mémoire.
Ci-gît Edalyn Clawthorne, fille et sœur aimée.
Iel se souvenait encore du choc que l'inscription avait provoqué. La pierre tombale était une preuve concrète qu'Eda était bel et bien morte.
Sa main se referma sur le bouquet de fleurs qu'iel avait apporté avec ellui. Iel prit une grande inspiration pour calmer les battements affolés de son cœur, pour empêcher les sanglots de remonter dans sa gorge. La douleur s'était calmée avec le temps, mais elle était toujours là, tapie au fond de son cœur, même après toutes ces années.
Iel posa le bouquet sur la tombe, et soudain, l'air se rafraîchit brusquement. Même pour quelqu'un qui ne savait pas ce qui se passait, ça aurait été beaucoup trop soudain, et beaucoup trop violent, pour n'être qu'une coïncidence. Un sourire sans joie passa sur les lèvres de Raine. C'était elle.
Elle était assise sur sa tombe, en face de ellui. Le même sourire, le même visage, les même yeux, mais plus vieux. Ce à quoi elle aurait ressemblé si elle avait eu l'occasion de grandir. Mais, bien qu'elle ait réussi à répliquer les détails les plus discrets, ceux que seul quelqu'un qui la connaissait bien aurait pu remarquer, elle n'arrivait pas à faire disparaître les signes les plus évidents que quelque chose n'allait pas, tous ces détails que les habitants d'Hisui avaient appris à chercher et à craindre.
Ses cheveux flottaient dans un vent qui n'était pas là, et ses dents étaient pointues, trop pointues. Parfois, quand elle apparaissait devant Raine, elle avait les yeux rouges avec une sclère jaune, ou parfois ses cheveux étaient blancs avec les pointes rouges, au lieu du roux qu'ils auraient dû être. Raine ne savait pas si elle laissait volontairement ces détails apparaître sur son illusion ou pas.
Elle lui manquait. Elle lui manquait tellement. Et, à chaque fois qu'elle apparaissait, iel devait se forcer à se souvenir que ce n'était pas Eda, Eda était morte, iel ne devait pas engager de conversation avec elle, ce n'était pas Eda-
- Salut Raine.
Iel ne lui répondit pas.
- C'est gentil de venir m'offrir des fleurs.
Iel serra les dents, mais iel ne se releva pas.
- Tu me manques, tu sais. Lilith aussi. J'aimerais qu'elle arrête de s'en vouloir pour ma mort. La dernière fois qu'elle est venue pour me tuer pour de bon, elle avait des cernes énormes. J'ai essayé de lui en parler mais… (elle poussa un soupir)- Enfin, tu connais Lilith. Elle s'est juste acharnée encore plus à m'attaquer, en me disant qu'il fallait que j'arrêter de « prétendre d'être sa sœur » et qu'elle allait enfin « me permettre de reposer en paix » en « détruisant le fantôme déformé par la rage qui s'était relevé après qu'elle soit tombée ». (Elle laissa s'échapper un petit rire sans joie, et ses yeux brillaient de larmes.) Est-ce que tu pourrais essayer de lui dire de se reposer un peu au lieu de se surmener comme ça ? À chaque fois que je la revois, elle a l'air un peu plus fatiguée et désespérée que la fois d'avant, et, par le grand Titan, tu sais qu'elle ne m'écoute jamais.
Raine ouvrit la bouche, les milliers de mots qu'iel lui avait dits, et qu'iel aurait dû lui dire se bousculant dans sa tête. Ce n'était pas Eda. Iel referma la bouche.
Iel se releva sans répondre, car ce n'était pas Eda, c'était juste son fantôme, ramené à la vie par la haine et la rancœur, elle n'était même pas humaine- et marcha lentement le long du chemin qui menait vers l'entrée du cimetière, mais une voix l'interpella.
- Donc..., je peux garder les fleurs ?
Iel jeta un regard en arrière. Eda – non, le fantôme d'Eda – non, l'esprit vengeur, le Zoroark – lae regardait avec ces yeux, ses yeux, patients et attentifs et facétieux et aimants et tout ce qu'ils avaient été, et rouges, rouges, rouges au lieu de jaune, tout ce qu'ils n'auraient jamais dû être.
Les larmes s'accumulèrent au coin de ses yeux, et iel éclata en sanglots. Iel ne pouvait pas lui répondre. Iel ne devait pas lui répondre. Ce n'était pas Eda-
Iel hocha la tête. Eda agita la main. Un au-revoir, un sourire brisé, et elle avait disparu avec les fleurs, ne laissant qu'un espace vide derrière elle et dans le cœur de Raine.
Raine n'avait pas prononcé un seul mot, mais, quand Lilith essaya de nouveau d'attaquer Eda la semaine d'après, ses cernes paraissaient un peu moins prononcées, et quand Eda partit se coucher après être rentrée chez elle, elle avait un bouquet de fleurs posé sur sa table de chevet.
