La portière du côté passager claqua, laissant un commissaire passer une tête par la vitre. Face à lui, une blonde semblait contenir toutes ses émotions. Sourire baissé, elle le fixa sans entrain.

«Tu m'accompagnes pas?

- Ah?! s'étonna-t-elle. Euh si, je… J'arrive… déclara-t-elle hésitante en coupant le contact

Antoine patienta sagement à sa gauche, attendant qu'elle ferme la portière à son tour et qu'elle rejoigne un homme chargé, en marche vers l'entrée de la gare.

«Le train arrive à quelle heure? demanda-t-elle en observant le grand panneau d'affichage.

- Euh dans un peu plus de cinq minutes. On a un peu d'avance…

- Ok! sourit-elle faussement en débarquant sur le quai.

- Voilà! Voiture 12, normalement c'est ici, déclara-t-il en posant son sac au sol.

- Hum… Et ton hôtel il est où?

- J'en ai aucune idée… J'avoue que j'ai pas trop eu le temps de m'y pencher. J'ai demandé à Vincent de gérer ça…

- Vincent?

- Un mec avec qui j'étais quand j'ai passé le concours de commissaire. Il a reçu l'ordre de formation aussi…

- Ah c'est cool… s'enthousiasma-t-elle faussement.

- Ouais! En plus, on retrouve plein d'autres collègues… Il a carrément formé un groupe… Je sens que ça va être n'importe quoi!

- Ah ça va être la fête quoi…

Antoine rigola doucement, amusé.

En même temps… commença-t-elle en se rapprochant de lui. Ça va te faire du bien aussi…

- Ouais… acquiesça-t-il en détournant le regard.

- Et tu partages ta chambre avec eux ?

- Ok… Là je sens la question arriver pour savoir combien de femmes seront de la partie…

- Pas du tout ! mentit-elle. Je m'intéresse c'est tout…

- Bien sûr…

- Alors? insista-t-elle.

- Chacun sa chambre t'en fais pas! On a pas prévu une coloc' à 15…

- Et… Combien de femmes seront de la partie? osa-t-elle malicieusement.

Il ricana en hochant négativement la tête.

- Plein! la taquina-t-il en souriant. »

Soudain, le jingle de la SNCF retentit dans le microphone derrière eux. L'arrivée du train semblait presque imminente et le cœur de Candice se serra. Émue, elle osa se rapprocher davantage en le fixant.

«Je vais te manquer quand même cette semaine?

- Bah… Oui… sourit-il tendrement alors qu'elle enserrait son cou de toutes ses forces. Quand même…

- J'ai pas envie que tu partes… murmura-t-elle alors que le train débarquait à quai.

- Je sais mais je dois y aller…

- Hum… bouda-t-elle en l'enserrant de plus belle. Tu penses à moi hein ?

- Mais oui…

- Et tu fais pas de bêtise… lança-t-elle contre ses lèvres.

- C'est pas mon genre… répliqua-t-il en l'embrassant tendrement.

- Et…Profite d'être loin pour t'amuser et prendre un peu de recul sur ce qu'il s'est passé. Je sais que c'est pas facile pour toi et… je comprendrai ton silence.

- Ouais…

- Mais tu m'envoies quand même des messages…!

- Promis. Allez j'y vais !»

Candice grogna en le serrant davantage, ne voulant décidément pas le lâcher. Car le lâcher, c'était le risque de ne plus jamais le retrouver… Et lorsqu'il était là, tout contre elle, elle savait que tout était encore possible. Mais là-haut, seul le destin savait ce qu'il faisait.

«Candice… Le train va finir par partir sans moi là…

- Ok… soupira-t-elle en se détachant. Bon voyage…

- Merci…

- Je t'aime… laissa-t-elle sortir doucement alors qu'il s'éloignait rapidement avant que les portes ne se ferment.»

Profondément meurtrie, la blonde l'observa grimper dans le TGV et s'installer à une fenêtre plus loin. Le sifflet retentissait déjà et Candice n'eut à peine le temps de jeter un baiser volant que son amoureux disparaissait de son champ de vision. Voilà qu'elle devait le laisser sept jours à l'autre bout de la France. Une semaine, avec ses potes, en plus, dont des potes au féminin… Alors évidemment que la commandante craignait de se faire oublier… voire remplacer même. Maudite crise de confiance en elle! maugréa-t-elle intérieurement. Bah oui… Bon, c'était un peu cliché mais, les Parisiennes étaient si fines, si élancées, si… parfaites, en fait! Et puis, elles au moins, n'avaient probablement pas provoqué un tsunami dans sa vie à lui… Finalement, en revenant bien accompagné, Antoine avait tout à y gagner! Et elle… Tout à y perdre! Alors dans ces cas d'extrême urgence, Candice avait laissé sortir des mots qu'elle ne se permettait pas assez. Juste histoire de lui rappeler qu'elle était là, qu'elle l'aimait et qu'elle l'attendait, l'espoir bien accroché à ses entrailles.

...

Le brun s'enfonça dans son siège. Première classe, siège isolé… Parfait! se satisfit-il en fixant le paysage qui se déroulait à sa gauche. Et désormais, il se laissait guider par cet engin rapide qui l'éloignait peu à peu de ses problèmes. Et même si ceux-ci ne quittaient pas son esprit, les sept jours qui s'annonçaient allaient l'évader. Et il en avait besoin! Égoïstement, il l'avait lâché sans difficulté, la laissant pantoise sur un quai bétonné. Étrangement, son cœur à lui ne s'était pas serré et le cliquement définitif de la porte l'avait soulagé. Comme si ses ennuis restaient à quai, eux aussi. Et malheureusement pour elle, Candice ne s'acquittait plus d'un warning. Comme un gros panneau rouge et criard qui volait sans cesse au-dessus de sa tête. C'était simple, Antoine ne pouvait plus le voir en couleur! Il fallait qu'il parte. Loin. Loin d'une Candice coupable, loin d'une Jennifer égoïste, loin d'une vie qui semblait se dérober sous ses pieds. Loin d'un bonheur qu'il avait tant savouré.

Toutes les bonnes choses avaient une fin…!

...

Le claquement de la porte d'entrée trancha le silence assourdissant qui envahissait ce pavillon à l'allure moderne et imposante. Voilà! souffla Candice en ôtant son trench rose et ses compensés. Désormais, c'était ça la vue qu'elle aurait pendant sept jours. Rien ni personne, le bruit du silence et la solitude. Plus d'enfant à charge, une belle-fille en mesure d'éloignement forcé, plus d'animaux à câliner… Juste elle, sa culpabilité, son chagrin et ses angoisses. Et dieu sait qu'elles étaient malignes. La nuit elles s'immisçaient dans ses rêves, sans aucune permission. Le jour elles hantaient ses pensées, sans aucune retenue. La semaine s'annonçait compliquée… Et même si elle lui avait promis de ne pas tenir de compte de son silence, la détective espérait déjà un appel, un message ou une pensée. Juste histoire de s'assurer qu'elle n'était pas devenue le simple repoussoir de sa vie…

...

Affalé dans un fauteuil du bar de l'hôtel, Antoine semblait concentré sur son écran d'ordinateur. Devant lui, un écran divisé en deux: à droite des notes prises à la volée, à gauche des témoignages sur un forum. Ok, à l'origine, le commissaire avait prévu d'éloigner tous ses soucis mais… autant profiter de cette solitude temporaire pour glaner un maximum de ressources sur la parentalité. Alors ses yeux naviguaient entre témoignages désolants de pères isolés et dévastés, et certains plus enthousiastes qui s'étaient soldés par une victoire. Oui mais quelle victoire? Celle d'un père qui venait d'arracher sa fille à sa mère? Celle d'un père qui avait lutté des mois, noyé dans l'angoisse et dans l'alcool? Antoine ne voulait pas de ça. Il voulait que sa fille grandisse auprès de ses deux parents, sans lui imposer quoi que ce soit. Mais visiblement, Dumas se trouvait bien seul dans son combat pour la justice…

Soudain, une main chaleureuse enlaça son épaule. Surpris, il sursauta avant d'éclater de rire en voyant son pote s'installer face à lui.

«T'avais l'air bien concentré pour un type en week-end! plaisanta Vincent, verre en main.

- Ouais… balbutia-t-il. Je checkais les mails… mentit-il en refermant le PC. J'vois que t'as déjà commencé à charger les munitions.

- Évidemment! Tu crois quoi?!

Antoine rigola doucement en s'emparant de son verre à son tour.

Santé! s'écria-t-il en entrechoquant son verre contre le sien.»

Face à lui, deux yeux bruns inquisiteurs le toisaient. C'en était presque gênant… En même temps, Antoine s'entourait de flics, évidemment que leurs sixièmes sens semblaient plus aiguisés que les autres… Et vu le désarroi qui ne le quittait pas depuis ces quelques jours, feindre le bonheur lui semblait bien difficile…

«N'empêche tu fais drôlement la gueule pour un type qui revient de La Réunion…

Bingo! Antoine était démasqué…

- Le retour à la réalité est un peu brutal… se contenta-t-il de répondre en détournant le regard.

- Ça va ! Tu rentres et tu repars en formation à Paris, c'est pas violent non plus…

- Nan… sourit-il d'hésitation. Quitte à passer une semaine en sa compagnie, autant se confier… Mais disons que c'est pas vraiment la joie en ce moment…

- Ouh là! s'amusa-t-il gentiment. Que se passe-t-il cher Dumas?! Ton charme légendaire n'agit plus?

- Nan alors stop avec ça! Ce qu'il s'est passé cette année-là, c'est du passé, ok?

- Oui bah chacun fait comme il peut pour se vider la tête hein…

- Ouais… maugréa-t-il en évitant de se replonger dans ses souvenirs.

- Alors c'est quoi cette fois? Pro ou perso ?

- Perso…

- Ok ! Je reprends une tournée et tu me racontes ! débita-t-il en faisant un cul sec.

- J'suis pas sûr d'avoir vraiment envie d'en parler…

- C'est sûr que c'est mieux de garder tout pour soi oui… Puis je te connais quand même… Je te rappelle qu'on a limite passé un an ensemble… Et je suis sûr que t'en as parlé à personne et que ça te mine…

- Parce que personne peut comprendre aussi… s'emporta-t-il doucement.

- Non mais je peux écouter et conseiller. J'suis pas juste là pour qu'on se foute des mines hein…

- T'as des enfants?

Vincent explosa de rire.

- Moi?! Un gosse?! Je dois te rappeler mon niveau de stabilité ou quoi?

- J'sais pas… En 8 ans, les gens peuvent changer…

- Et t'en es une belle preuve! s'amusa-t-il.

- Hum… Tu te souviens de Jennifer?

- Ta meuf de l'époque ouais.

- Elle demande la garde exclusive de ma fille.

- Ah merde… Qu'est-ce qu'il s'est passé?

- Elle veut l'éloigner de Candice…

- Candice? Ta meuf actuelle je suppose?

- Ouais… confirma-t-il.

- Ah mais attend! C'est CETTE Candice?! s'écria-t-il en réalisant. Celle pour qui t'as fini au fond du trou à l'époque?!

- Oui bah ça va! Pas la peine de le gueuler sur tous les toits non plus… C'était déjà pas glorieux hein…

- Putain! Mais je croyais que c'était fini avec elle?

- La preuve que non hein... Enfin à l'époque c'était compliqué...

- Et je vois que ça s'arrange pas…

- En même temps tu connais pas le personnage! Instable, curieuse, égoïste…

- Ah bah ça fait rêver! plaisanta-t-il. Rassure-moi, tu l'aimes quand même?

- C'est bien le problème…

- Ok! Me faut vraiment un autre verre là! Et tu me racontes tout après!

- Vendu... ! »