Perplexe, Candice se réinstalla sur son transat dans un sentiment partagé. Un vaste mélange de soulagement, d'incompréhension, d'inquiétude et surtout de culpabilité… Et au fond, elle avait l'intime conviction qu'Antoine lui en voulait. Oui, il s'était montré souriant mais… tout en distance. C'était comme s'il n'était pas si heureux de la retrouver elle. Et ça, c'était un peu blessant quand même...
À ses côtés, sa fille passa sa serviette sur ses épaules, fixant sa mère qui semblait au bord des larmes.
« Qu'est-ce qui se passe ? osa-t-elle doucement.
- Tu crois qu'il m'en veut ?
- J'en sais rien… Je pense pas…
- J'sais pas… Il m'a à peine calculé… Il a pas voulu que je vienne avec lui, je…
- Il était avec Suzanne mais il va revenir ! T'inquiète pas, tu l'auras aussi ton câlin… sourit-elle en s'installant à ses côtés.
- Mais il va pas bien….
- Bah c'est normal… Il est sûrement épuisé. Ça fait plus de 24h qu'il est éveillé. Il a dû paniquer dans cette forêt ! T'imagines ? Il était tout seul et sans moyen de se défendre.
- Je sais mais… Y a autre chose… Je le sens…
- Bah vas le voir…
- Non… Je le connais et si je le brusque il va se fermer comme une huître…
- Écoute, laisse-lui le temps de revenir sur terre. L'essentiel c'est qu'il soit là, avec nous… et qu'il soit sain et sauf.
- Sain et sauf… répéta-t-elle dubitative. D'apparence…
- Gondar t'a rien dit ?
- Nan… Mais il est quoi ? 12h. Ça veut dire qu'ils ont eu le temps de le retrouver, de prendre sa déposition et de le soigner. Ils ont dû le trouver à l'aube ! Et… Antoine sentait une odeur bizarre…
Amusée, Emma ricana doucement.
- Maman… Il a fait un footing, donc bon désolée mais vu l'odeur de Martin quand il en revient, j'ose imaginer celle d'Antoine…. Puis une nuit en forêt, ça laisse des traces. Surtout que c'est super humide ! Il était plein de terre !
- Nan mais y avait autre chose… Une odeur épicée… Genre d'alcool… de rhum…
- Ah ?
- Et ça pousse pas dans la forêt ça… Puis y avait un mélange de pétrole aussi… ou d'essence je… J'espère juste qu'il s'est rien passé de plus grave qu'on le pense… »
. . . . .
Le rescapé s'empara de son téléphone posé sur la table de nuit. C'était comme s'il n'avait jamais quitté cette chambre… Comme s'il était parti le matin même pour une balade et revenu dans la foulée sans encombre. Bon, il était quand même déchargé, observait-t-il péniblement. Il approcha la prise à sa gauche et le brancha avant de constater les appels manqués de sa mère. Il esquissa un sourire. Ah ça… On ne pouvait pas la refaire ! Et sous ses airs de bourgeoise coincée et égoïste, elle restait finalement une femme au cœur inquiet pour son fils.
« Allô ? entendit-il rapidement.
- Eh bah ! T'as jamais répondu aussi vite qu'aujourd'hui ! plaisanta-t-il.
- Oh ! Antoine ! soupira-t-elle de satisfaction.
- Ça va… Je vais bien, t'en fais pas !
- Tant mieux… souffla-t-elle.
- Je suis rentré à la villa là. Ça fait du bien de prendre une bonne douche…
- Je me doute… Qu'est-ce qui s'est passé alors ?
- J'me suis paumé dans la forêt… Mais ça va, j'ai rien !
- Tu te rends compte que ça aurait pu être bien plus grave ?! »
Antoine ferma les yeux, intériorisant l'angoisse qui ne l'avait pas quitté depuis les débuts de son aventure. Oui, c'est vrai, les choses auraient pu être bien plus graves et… ce sentiment qu'il allait crever tout seul entre deux morceaux de bois l'avait investi sans vouloir le lâcher. Et les mots de sa mère lui firent revivre cet enfer, sans scrupule.
« Antoine ?!
- Hein ? balbutia-t-il perdu.
- T'es sûr que ça va ?
- Oui ! C'est juste que je suis fatigué… Et que je vais encore devoir m'expliquer auprès de Jennifer qui va me faire une scène. Ça me saoule d'avance !
- Oui bah sur ce point elle a pas tort…
- Pardon ?
- Tu t'es pas que perdu dans la forêt Antoine ! Candice m'a appelé, je suis au courant de toute l'histoire.
Antoine souffla, agacé.
Elle t'a encore mis en danger ! pesta-t-elle. Chaque fois c'est pareil ! C'est toi qui trinques Antoine…
- J'ai fait ce qu'il fallait pour protéger ma famille, c'est tout.
- Sauf que tu sais très bien que rien de tout ça ne serait arrivé si elle s'était mêlée de ce qui la regardait ! J'adore Candice hein… Mais parfois, elle dépasse vraiment les bornes.
- Maman…
- Quoi maman ? Tu veux vraiment que je te rappelle tout ce qui t'es arrivé à cause d'elle ?
Il tiqua.
Ta balle dans le thorax, y a 10 ans. Ton accident et toutes les conséquences qui s'en sont suivies. Et ta cicatrice aux fesses depuis la Corse, on en parle ?! s'emporta-t-elle.
- Bon tu sais quoi maman ? Laisse-tomber ! J'ai pas envie de me prendre la tête avec toi alors que je viens de passer 24h infernales ! Je t'appelais juste pour te dire que ça allait. On se voit à mon retour. Bonne journée !
- Antoine ! entendit-il alors qu'il raccrochait. »
. . . . .
Antoine claqua la porte jaune de leur villa en soufflant. Après les reproches de sa mère qui certes, s'entendaient, l'appel avec Jennifer n'en avait pas moins été reposant. Et pendant près d'une vingtaine de minutes il avait entendu des critiques sur sa partenaire. Candice était une égoïste, une irresponsable, un danger public, voire maudite, selon les propos de son ex. Et surtout, Jennifer n'avait pas hésité à manifester son désaccord avec le fait que sa fille s'installe chez elle. Bref, le retour à Sète s'annonçait compliqué pour le commissaire. Et le retour aux problèmes approchait, alors même que ses ennuis de la veille ne le quittaient plus…
De loin, il aperçut les 5 plus jeunes s'amuser dans une partie de ballon aquatique. Devant eux, Candice flânait sur son transat. Toujours aucun chapeau sur sa tête, observa-t-il en soufflant. Il hocha négativement la tête et approcha doucement alors que Candice l'observait enfin tout sourire.
« Tiens ! Je t'ai rapproché un transat… montra-t-elle à côté d'elle.
- Merci… sourit-il en ôtant son tee-shirt. »
Antoine dressa le parasol au-dessus de leur tête et s'affala en poussant un soupir de satisfaction. Enfin… L'horizon devant lui, le rire de ceux qu'il aimait et surtout la tranquillité… Tout ce dont il avait besoin après les secousses de la veille. Et à côté, Candice était spectatrice de son mutisme. Ne pas le brusquer… Attendre… Voilà ce qu'elle se disait intérieurement. Sauf que son besoin de tendresse prenait le dessus. Largement… Alors elle quitta son siège et s'installa sur le rebord du transat voisin.
« Tu sens bon…. sourit-elle en se calant dans son cou.
- Ouais… Je supportais plus mes vêtements là… répondit-il laconique.
- Ça fait tellement du bien de te retrouver là avec nous… J'ai vraiment eu peur tu sais…
- Je sais… Mais tu me connais, je suis résistant.
Candice acquiesça doucement en le fixant à nouveau.
- Un vrai aventurier… Sexy en plus… ajouta-t-elle en caressant ses griffures…. Tu m'as manqué… conclut Candice en déposant ses lèvres sur les siennes. »
La blonde trouva ensuite refuge dans ses bras. Ils étaient chaleureux mais tout en retenue… C'était comme si Antoine avait perdu toute réceptivité à sa demande de tendresse. Enfin, du moins il ne la repoussait pas et Candice s'en contentait, pour l'instant… Oui, parce que la détective était têtue et comptait bien faire parler son chéri sur ses angoisses. Mais en attendant qu'il se livre, elle manifestait sa présence par de douces caresses sur son torse.
« Jules proposait qu'on mange au resto de plage. Tu sais celui qui fait des hot dogs. On y est allés hier midi et les enfants voulaient absolument te faire tester ! T'en penses quoi ?
- Je sais pas… J'suis crevé…
- On peut juste manger un morceau et ensuite on rentre faire une petite sieste…
- Ok ! accepta-t-il en souriant.
- Je pourrais même te raconter une petite histoire, si tu veux… En plus, moi aussi j'ai mal dormi sans toi… »
Antoine rigola doucement avant de caresser sa jouer en souriant. C'est vrai… Eux aussi avaient vécu l'enfer en attendant des nouvelles de sa disparition. Mais eux n'avaient pas assisté à des scènes difficiles, n'avaient pas été sous pression et n'avaient probablement pas cru qu'ils allaient y passer… Bref, il y avait deux poids, deux mesures… Et Suzanne vint stopper ses ruminations en débarquant en courant aux côtés de son père qui s'empressa d'ouvrir ses bras pour l'accueillir. Chanceuse, souligna Candice. Elle n'avait décidément pas eu le même accueil…
« Ma chérie… souffla-t-il en l'embrassant sur son crâne. Alors t'as gagné ?
- Nan ! Les jumeaux arrêtent pas de me voler le ballon… pesta-t-elle. Et toi t'es tout propre!
- Ouais ! T'as vu ça un peu…
- T'as l'air fatigué…
- Bah oui, tu sais j'ai pas beaucoup dormi dans la forêt…
- T'as pas eu peur tout seul ?
- Même pas ! mentit-il. Puis je pensais tout le temps à vous, donc ça allait… sourit-il.
- Nous c'était trop bien ! J'ai plein de trucs à te montrer ! J'ai fait un château de sable géant hier et on a fait du canoë, on a vu des poissons super beaux !
- Eh bah ! Y en a qu'ont de la chance !
- Ouais ! Candice ? Je peux prendre ton téléphone pour montrer les photos à papa ?
- Bien sûr ! confirma-t-elle en se levant du transat pour récupérer son portable dans son sac. Tiens…
- Alors fais-moi voir… »
Et face à ce tableau, Candice se sentait de trop. Elle laissa les Dumas sur la terre ferme pour rejoindre les Renoir en territoire marin, à la grande surprise de ses enfants qui rigolèrent joyeusement.
« Tiens… Maman dans l'eau… C'est rare ! siffla Léo.
- Ils avaient besoin de se retrouver tous les deux…
- Toi aussi, t'as besoin de le retrouver… souffla Jules en souriant.
- Ouais… mais je sais pas… j'ai l'impression qu'il m'en veut un peu… enfin je me sens tellement coupable… Jennifer a dû l'engueuler au téléphone et sa mère était morte d'inquiétude.
- Je croyais qu'elle t'aimait bien ? demanda Emma.
- Ouais fin'… J'ai mis son fils en danger quand même…
- J'suis sûre que tu te fais des idées ! Il est juste fatigué…»
Hum… Candice n'en était pas aussi certaine. Et depuis l'océan, elle posa ses yeux sur les transats au loin, fixant dubitativement son compagnon. Les choses étaient simples, s'il continuait à se taire, alors elle tirerait les vers du nez de Gondar !
