Journal des reviewers
Lilinnea: Je suis touchée et émue de savoir que j'ai réussi à dépeindre correctement la difficulté d'être un ace et si Ysée te parle plus ou moins, c'est d'autant plus important pour moi de la faire sonner juste. J'espère juste que tu es moins tourmentée qu'Ysée :)
Anya Kristen : Contente de te revoir! J'avais cru que tu avais abandonné en cours de route :)
Je n'aurais pas résumé la chose mieux que ça. Je plussoie avec joie! Hélas, cette partie du package est bien plus importante que les gens ne veulent bien le reconnaitre... Les gens qui disent, "Le sexe, c'est surfait" ne savent pas ce qu'ils disent jusqu'à s'en voir privé de façon plus ou moins drastique.
Maintenant que la vérité d'Ysée est lâchée, je peux enfin dire que cette fic est dédiée à ces 1% de gens qui se retrouvent dans ce schéma «hors-norme». À l'heure où la communauté LGBTQ plus sort de l'ombre, on en oublie les ace qui ne sont que peu représentés pour ne pas dire, pas du tout.
Ace qui n'êtes pas aro comme Ysée, j'ignore comment vous vivez la chose dans votre quête de l'amour et vous avez toute ma sympathie. Je ne compte plus les histoires/témoignages de couples en phase de se séparer à cause d'un «simple» déséquilibre de libido alors pour quelqu'un qui n'en a pas du tout...
Je n'ai pas la prétention de vous représenter au mieux au travers de cette fic, je ne voulais que rappeler votre existence et vous mettre un peu en lumière au milieu de toute cette hypersexualisation environnante dans les médias. Force à vous qui privilégiez la beauté de l'esprit ou de la présence à l'instinct primaire :)
Initialement, l'asexualité d'Ysée devait être plus au cœur de l'histoire mais la spontanéité de l'écriture m'a fait dériver ailleurs et au final, je me suis dit que ce n'était pas plus mal car je ne voulais pas la réduire à ce simple aspect d'elle. Celui-ci aura son importance à certains moments mais le scénario s'attardera sur d'autres chose, notamment plus sur la façon dont Reis et Ysée vont gérer leur lien et leur attirance avec leurs problèmes respectifs.
Assez de blabla, je vous laisse à la suite.
CHAPITRE 17 - SP700
Ysée ignora combien de temps elle demeura dans les bras de Reis, prise d'une faiblesse soudaine qui lui empêchait toute autre action que celle de pleurer. La crevaison de cet abcès qu'elle portait en elle comme un cancer lui faisait mal en plus de lui donner l'impression de n'être qu'une imbécile. Bien des gens souffraient de maux et de malheurs bien plus graves qu'elle et elle...
L'étreinte de Reis se resserra un peu. Il le faisait quand elle se perdait dans une énième dérive de pensée inutile et blessante. Comment faisait-il pour être aussi précis dans ses observations alors même qu'il ne la regardait même pas ?
Quand la jeune femme n'eut plus la force de pleurer et qu'elle s'était apaisée, groggy par la langueur de sa catharsis, Reis voulut la libérer. Mais à peine desserra-t-il son bras d'elle qu'Ysée le retint timidement.
« S'il te plaît. »
Sa voix était faible, enrouée de ses précédents pleurs et ténue de sa réserve naturelle. Un souffle qu'il aurait été aisé de ne pas entendre mais qui vibra fort dans l'esprit de l'androïde. Il entendait tous ces manques qu'elle avait accumulés.
Un père maladroit et mutique, un premier amour foudroyant perdu dans le silence, un prétendant aimant auquel elle n'avait su répondre, un premier amant dont elle n'avait plus jamais entendu parler, un garçon qui avait sciemment ignoré la détresse contre laquelle elle luttait... Depuis toujours, Ysée n'était entourée que d'un horrible vide affectif. Une obscurité qui avait fini par la convaincre qu'elle n'était pas digne d'intérêt au point de se rabaisser et de s'enfermer dans un isolement sécurisant mais gangrenant.
Perdu entre ses connexions logiques, Reis fut encore plus surpris quand Ysée agit la première en l'enlaçant pour se pelotonner contre lui. Cette «audace» qu'elle osait, elle qui craignait d'être jugée, le fit sourire d'une pointe de fierté.
« Bien sûr. »
Et il l'enserra à nouveau.
Reis pensait que pendant ce moment, le silence s'imposerait en lui alors qu'il ne faisait qu'accéder à une requête qui lui était faite. Il fut étonné de constater que ce n'était pas tout à fait le cas. Certes, ses scripts étaient au repos, bien satisfaits de savoir qu'ils comblaient sa fonction d'androïde, mais il y avait autre chose. Ses capteurs se focalisaient sur le moindre paramètre au contact de ce corps bien vivant qu'ils touchaient. Le rythme de sa respiration, celui de son cœur qui martelait contre sa poitrine, la pression presque éthérée de ses doigts dans son dos. Ysée était tout à coup devenue une sorte de symphonie dont la moindre note retenait son attention. Décidément, cette jeune femme multipliait les réactions incompréhensibles en lui...
Qu'à cela ne tienne. Ce n'était pas le plus important pour l'instant. Il fit le vide et se laissa porter par l'instant.
Quand elle se sépara doucement de lui, Ysée le remercia d'un sourire timoré teinté de rose aux joues.
« Merci. Je... Je n'allais pas te monopoliser toute la journée.
_ Tu sais bien que tu aurais pu, lui répondit-il tranquillement. J'espère que ça ne t'a pas trop oppressée.
_ Pas du tout. C'était réconfortant. Bien plus que ce que j'ai connu. » Court silence. « Même si la barre de référence était déjà mise très basse. »
Il esquissa un sourire. Son humour défensif était bien plus touchant quand il ne dissimulait que la gêne et non pas la colère.
« Pour moi aussi, c'était... agréable. »
Ysée cilla d'étonnement et dévisagea l'androïde qui lui-même semblait réaliser ce qu'il venait d'avouer. Ses yeux vacillèrent dans le flou un instant avant qu'il ne se pare à nouveau de son visage serein.
« Un thé ? proposa-t-il.
_ Je veux bien, merci. »
L'humaine le suivit des yeux pendant qu'il s'en allait vers la cuisine. Sa tête d'ordinaire en sur-régime n'était que brouillard dans lequel flottait différentes pensées qui refusaient de se concrétiser.
Elle l'avait dit. Son plus grand secret, celui qu'elle s'était juré de n'en parler à personne venait d'éclater et elle ne s'attendait pas à s'en sentir aussi soulagée. Alors que depuis le début, elle s'était mis un point d'honneur à ne rien lâcher de trop risqué à Reis, voilà qu'elle avait tout déballé avec la violence d'un boulet de canon. À croire qu'elle avait attendu ce moment toute sa vie. Était-elle vraiment moins résistante et disciplinée qu'elle le pensait ou devait-elle ce retournement de situation à l'habile douceur rassurante de cet androïde à ses côtés ?
Toujours fut-il que Reis savait maintenant et elle ignorait quelle suite cet événement allait donner. Ysée savait d'ores-et-déjà ce qu'elle refuserait d'entendre : une imbécillité qui sous-entendrait par exemple qu'elle n'était simplement pas tombée sur le bon garçon et que le prochain serait peut-être celui qui éveillerait sa sensualité. Cela revenait comme à dire à une personne homosexuelle qu'elle n'avait juste pas trouvé le bon partenaire du sexe opposé. C'était aussi immonde que stupide. Quelque chose en elle lui hurlait que son absence de désir allait bien au-delà d'une erreur de partenaire.
Elle accepta la tasse de thé vert parfumé au litchi que Reis lui apporta et alla s'asseoir dans le sofa. Elle laissa la chaleur de la tasse imprégner ses paumes et elle lui sembla bien moindre par rapport à celle dont elle avait été enveloppée peu auparavant.
Ysée se hâta de plonger le nez dans sa boisson à cette pensée tandis que Reis allait prendre place à ses côtés. Loin de vouloir la presser de questions ou de commentaires après ce qui venait de se passer, l'androïde se contentait simplement de surveiller en coin son état. Cette mise en retrait respectueuse était appréciable pour la jeune femme afin de lisser un peu son esprit.
Après un temps à chercher comment briser la glace, Ysée tordit un peu la bouche dans une grimace.
« Tu... J'ai été ridicule », lâcha-t-elle avec malaise.
Reis entendit surtout une paraphrase qui voulait dire « Tu as dû me trouver ridicule ».
« Pourquoi ? Il n'y a pas d'échelle de mesure. Aucune souffrance n'est plus ou moins légitime qu'une autre, surtout quand son porteur sur-intellectualise comme toi. Je ne te considérerais pas différemment si tu avais été cubiculacetophobe.
_ Cubicu-quoi ? C'est la phobie des cubes ?
_ Non, celle qu'un lézard te tombe dessus quand tu es sur ton lit. »
Ysée étouffa un rire qu'elle peina à contenir face à cette bizarrerie. Plus que cette plaisanterie pourtant prononcée avec un grand sérieux, les mots de Reis étaient un baume pour son âme tourmentée et inquiète.
L'androïde lisait dans les yeux de son interlocutrice son incompréhension face à la réserve qu'il affichait par rapport ce qui venait de se passer. Il lui rendit un hochement de tête en signe d'apaisement.
« La dernière chose dont tu as besoin pour le moment, ce sont des analyses, expliqua-t-il. Je mentirais si je disais ne pas en avoir mais je m'abstiens de te charger. J'ai un immense respect pour ce courage que tu as eu de me confier tout cela. Je mesure à quel point cela a dû te coûter. Sache juste que je suis là si tu ressens le besoin d'en parler davantage. »
Ysée en resta coite d'émotion et de reconnaissance. Comment Reis faisait-il pour marquer si profondément son empreinte en elle par les mots ?
Elle hésita avant de se jeter à l'eau et demanda à l'androïde quel était son ressenti. Peut-être serait-elle déçue, peut-être qu'il ferait ce raccourci qu'elle ne voudrait pas entendre mais elle voulait savoir.
Il la guetta en silence en tentant de lire ce que reflétait ce visage anxieux face à lui. Beaucoup de retours d'analyses lui parvenaient à la fois et il en aurait pour longtemps à tous les exposer à Ysée. Or, ce n'était pas souhaitable.
« Pourquoi veux-tu mon avis ? lui demanda-t-il doucement.
_ Tu es celui qui a eu le plus accès à moi. Celui qui voit le mieux à-travers moi. J'ai confiance en toi. »
Marqué par ce poids qui paradoxalement générait une réaction de contentement, Reis baissa les yeux en cherchant la meilleure réponse.
« Peut-être es-tu une vraie asexuelle. Ou peut-être fais-tu un blocage parce que tu n'as encore jamais eu le temps de montrer réellement qui tu es à tes partenaires. J'ai l'impression que tes sentiments profonds, ton essence, ont presque toujours été ignorés avant que tu ne puisses vraiment te révéler. Comment pourrais-tu alors donner ton corps si ton esprit est mis de côté ? Je pense aussi que tu ne t'es jamais vraiment pardonnée d'avoir cédé ta virginité à la pression sociale. »
La jeune femme se tut pour analyser ce qu'elle entendait. Elle qui décortiquait toujours tout, elle n'avait jamais envisagé les choses sous cet angle.
Sa réflexion fut interrompue par une petite musique électronique qui la fit papillonner des paupières. C'était son téléphone. Elle se leva et alla récupérer l'appareil laissé dans son sac pour découvrir le nom de Nell sur l'écran.
« Bonjour ma belle, comment va ? s'enquit cette dernière quand sa petite sœur décrocha.
_ Très bien, rien de nouveau sous le soleil, mentit l'interpellée en détachant au mieux sa voix de son psyché encore ébranlé.
_ Tu as une drôle de voix... »
Ysée se ré-arma de son plus bel aplomb et rejeta tout sur son incapacité à se décider pour le dessert qu'elle devrait amener pour le futur repas d'anniversaire avec le reste de la famille. Nell tomba dans le panneau et suggéra une bonne glace avec un parfum rafraîchissant qui plairait à tout le monde.
« Excuse-moi de te déranger Ysée mais j'ai un service urgent à te demander, peux-tu m'aider ? enquilla-t-elle.
_ Bien sûr, que se passe-t-il ?
_ J'aurais besoin que tu m'envoies par mail un document qui est enregistré sur mon ordinateur, dans mon bureau du rez-de-chaussée. Ce n'était pas prévu mais ça me dépannerait vraiment si tu pouvais me l'envoyer dès que possible.
_ Si ce n'est que ça, pas de problème.
_ Je t'adore, tu es un petit sucre. »
Nell remercia sa petite sœur avec enthousiasme et lui précisa qu'elle lui envoyait dans la foulée ses codes de connexion et l'emplacement du fichier par SMS car elle devait vite repartir en réunion. Une minute après avoir raccroché, Ysée reçut lesdites instructions.
« Tu m'excuses ? lança-t-elle à Reis en s'éloignant. J'ai une mission urgente pour Nell. Je n'en aurai pas pour longtemps. »
L'androïde lui rendit un hochement de tête et la laissa partir vers le bureau.
Ysée s'installa dans le grand fauteuil de cuir et alluma l'ordinateur tout en jetant un coup d'œil au SMS qu'elle avait reçu. Apparemment, c'était l'une des nombreuses thèses que Nell avait écrites concernant l'évolution comportementale des androïdes qui était à envoyer. Le genre de sujet à propos duquel Nell commençait à être une auteur prolifique.
Un écran de connexion plus tard, voilà la jeune femme qui se retrouvait à arpenter les fichiers.
« Documents... Thèses... Androïdes... Ah, le voilà. »
Clique droit, « envoyer par mail » et le logiciel de messagerie s'ouvrit. Ysée remplit à la va-vite l'adresse mail et l'objet avant de mettre un petit mot à sa sœur lui souhaitant bon courage.
« Et envoyer. Voilà. »
Mission accomplie. Alors qu'elle s'apprêtait à refermer le programme, son regard s'égara par hasard sur une liste d'objets de mails restés dans la boite de réception, dont un particulièrement tape-à-l'œil. Trop poussée par la curiosité, Ysée l'ouvrit et s'abreuva des mots :
04/01/2034 - 10h53 - Objet : IMPORTANT - CONFIDENTIEL – Mener CyberLife France plus loin
Bonjour à tous,
Suite à ma dernière réunion avec le siège de Detroit, celui-ci tient à passer un nouveau cap dans son implantation sur le marché français en élargissant notre gamme d'androïdes.
Sur le marché des États-Unis, près de 25% du chiffre d'affaire représente les androïdes destinés à la compagnie humaine, soit une part non négligeable.
Or, vous savez également qu'actuellement, le gouvernement français reste contre l'introduction de ce type d'androïde sur le territoire, ce qui pousse donc CyberLife à repenser son approche pour contourner cette interdiction.
Je compte sur vous tous afin que nous puissions réfléchir ensemble pour définir une nouvelle stratégie commerciale. Toute suggestion sera grandement appréciée.
En vous remerciant par avance,
Cordialement,
Guillaume Héret,
CEO CyberLife France
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06/01/2034 - 14h07 - Objet : Re: Mener CyberLife France plus loin – Début d'idée?
Bonjour à tous,
Je me permets de vous faire part de ce qui m'est venu.
En ré-étudiant différents rapports sur l'interdiction des androïdes de compagnie, il apparaît clairement que le gouvernement craint surtout d'accentuer le phénomène de baisse de natalité qui sévit dans le pays (phénomène aussi constaté aux USA et corrélé principalement avec l'arrivée des androïdes sur le marché) et la tendance à l'isolation de la population qui ne fait que l'accentuer.
L'image du cheval de Troie représente le mieux l'approche à laquelle je pensais : introduire un type d'androïde encore légal mais qui poserait des futures bases permettant à terme d'accepter plus facilement un côtoiement plus poussé homme-machine.
Peut-être pourrait-on jouer sur l'argument « social » qui reste, à mon sens, le plus sécurisant et inoffensif. Quel type d'androïde destiné à vivre au plus près des humains mettrait nos politiques en confiance ?
Je laisse la main à mes collègues des branches marketing/ventes/développement psy qui seront sans doute les plus à-mêmes à répondre à cette question.
Cordialement,
Alexis Drancourt,
Responsable Communication & Relations Publiques.
Ysée fit la moue. Bof, elle s'attendait à plus croustillant que ça. Le capitalisme et ses magouilles. Le profit, toujours le profit...
La jeune femme voulut abandonner lorsque ses yeux s'arrêtèrent par hasard sur un mail directement adressé à Nell et dont le titre d'objet l'interpella aussitôt :
06/06/2036 - 9h19 - Objet : Profils SP700
Bonjour Nell,
Le marketing me demande comment nous avançons sur le projet SP700. Pourrais-tu stp me faire un rapide compte-rendu de ton avancée sur les différents profils comportementaux ?
Bon courage et merci de ton retour,
Tristan Aliot
Responsable Département Informatique
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10/06/2036 - 23h35 - Objet: Re: Profils SP700
Bonjour/Bonsoir Tristan,
Désolée de ne pas t'avoir fait de retour avant.
Bien que les différentes fonctions futures du SP700 partagent un tronc commun, il y a tellement de spécificités que mon équipe et moi-même nous éparpillons en voulant tout gérer d'un coup.
Voici l'avancée avec mes commentaires :
* Soutien trauma émotionnel (harcèlement, violences psychologiques, dépression, anxiété sociale...) : 60%. Je travaille sur ce module en priorité car c'est ce profil qui va être mis en avant par rapport aux autres lors de la présentation officielle en commission.
* Soutien trauma sexuel (inceste, viols...) : 55%. Alexis rencontre diverses associations d'aide aux victimes de violences sexuelles la semaine prochaine. Son compte-rendu me permettra d'avancer davantage.
* Assistance spécialisée troubles profonds de la sexualité (vaginisme, nymphomanie, asexualité...) : 50%. Tu peux anticiper et déjà préparer l'encodage contre les dérives de prostitution ou d'escorting de ce profil. J'entends déjà le juridique hurler face aux détournements possibles...
* Assistance sexuelle spécialisée pour personnes handicapées : 25%. Abandonné pour l'instant suite décision du marketing pour ne pas aller trop vite en besogne mais on garde ce qui a déjà été fait.
Même si rien n'est encore terminé à 100%, le SP700 est déjà en mesure d'appréhender une personne en souffrance avec naturel et bienveillance.
J'aurais aussi besoin de ton avis : je travaille en parallèle sur un « profil 0 » neutre qui rassemblerait l'ensemble des sous-profils.
Avantages : le patient n'aura pas à définir la cause de son mal-être au moment de la mise en marche de l'androïde (ce qui peut être perçu comme humiliant). L'androïde s'adaptera de lui-même au contact de l'humain qu'il suit. Mise en confiance, meilleure compréhension plus globale du patient.
Ton équipe et toi préféreriez-vous donc un seul bloc général au lieu de plusieurs modules séparés ? Est-ce réalisable au moins ou dois-je laisser tomber tout de suite ?
NB impératif: Suite recommandation du juridique, le SP700 ne devra être conseillé au patient que sous ordonnance d'un professionnel de santé diplômé en psychiatrie/psychologie. Il faudra donc préparer une clé de sécurité pour cette gamme.
N'hésite pas à m'appeler directement quand je tarde trop à te répondre,
Bonne continuation à toi et ton équipe,
Nell Wiley,
Responsable Développement Comportemental Androïde.
Ysée demeura un long, très long moment immobile, le regard mort et la main crispée en poing. Ce qu'elle venait de lire... c'était une blague, pas vrai ? Ce ne pouvait pas être vrai... Reis n'était pas un androïde d'assistance pour personnes diminuées comme elle l'avait supposé le premier jour mais un soutien traumatique destiné à prendre la température avant d'introduire les fameux androïdes de compagnie encore interdits en France.
Depuis le début, elle n'était qu'un sujet d'expérience qui servait de test vivant à Reis. Reis qui n'avait qu'un seul objectif...
Elle ne sut comment elle quitta le bureau de Nell et ignorait si elle avait pris soin d'éteindre l'ordinateur tant son esprit était déconnecté du reste de sa conscience.
Sa tête n'était qu'un bourdonnement douloureux et vibrant qui parasitait tout message sensoriel. Des brumes indigestes d'images et de paroles tourbillonnaient à lui en donner le vertige et la nausée. Ne restait que le tambourinement furieux de son cœur en pagaille.
« Ysée ? »
Ces deux syllabes suffirent à l'extirper de son miasme intérieur avec la violence d'un coup de feu en pleine poitrine. Ses yeux vides se centrèrent sur Reis qui venait de l'approcher d'un air inquiet.
« Qu'y a-t-il ? Tu es toute pâle... »
La main qu'il tendit vers elle se heurta à une riposte qui claqua comme une gifle.
« Ne me touche pas » ordonna-t-elle, figée comme un bloc de glace.
Reis cilla. Elle était tremblante comme une feuille sous le vent d'automne. Il s'immobilisa pour ne pas exacerber le trouble de l'humaine dans l'espoir qu'elle lui en dise plus mais c'était peine perdue. Ysée était déjà fermée comme une huître, l'expression révulsée de choc et rendue mutique par la tempête de pensées qui la séparait du reste quand elle était profondément touchée.
Que se passait-il ? Qu'est-ce qui avait causé cet état de détresse alors qu'elle venait déjà de traverser un typhon ?
« Ysée, qu'est-ce que tu as ? la pria-t-il avec calme. Je veux t'aider.
_ Non ! Non, tu ne veux pas m'aider ! Tu ne veux rien du tout ! »
Son hébétude figée venait de s'embraser. Ysée leva un regard noir comme l'encre et teinté de déception glacée vers l'androïde.
« Tu n'as que faire de moi, Reis. Tu ne veux pas m'aider. Tu le fais parce qu'on t'a programmé pour ça ! Tu ne fais qu'exécuter des scripts et des commandes, rien de plus ! Parce que tu n'es qu'une machine ! Que ça soit moi ou un autre, c'est du pareil au même pour toi ! »
Elle déglutit pour espérer adoucir la sécheresse qui empâtait sa bouche mais rien n'y fit. Elle préféra alors jeter d'un seul élan à sa bouche tous ces mots éparpillés qui tournoyaient dans son esprit comme s'ils la brûlaient.
« Pas de profil ? Pas de fonction définie ? asséna-t-elle d'une voix qui commençait à se briser. Oh, mais je la connais, maintenant, ta fonction. Tu n'es qu'un ersatz de sextoy humanoïde ! Et moi, j'étais l'erreur à corriger, c'est ça ? Le cobaye ignorant destiné à déterminer si oui ou non la France est prête à s'envoyer en l'air avec un robot ? »
Reis était crucifié sur place, cloué par les yeux assassins qui le lacéraient. Sa LED tournoyait à toute allure sous son impuissance à savoir comment répondre car des informations lui manquaient. Les requêtes internes qu'il envoyait dans tous les recoins de ses lignes de code ne lui apportaient aucun éclaircissement permettant de comprendre ce à quoi Ysée faisait allusion. Seuls deux éléments lui apparaissaient avec clarté.
D'une part, ce profil 0 dans lequel il était cantonné lui répétait juste qu'il devait prendre soin de l'être humain qui lui était assigné alors qu'il détectait sans peine d'autres profils pré-enregistrés mais qui lui étaient verrouillés.
Et à côté de cette commande, il y avait cette volonté de faire plus que ça. Faire plus que voir Ysée sourire et être en paix. Aucun encodage n'était en mesure de justifier cette injonction, pas plus que d'expliquer pourquoi ses algorithmes se troublaient face à la souffrance de la jeune femme.
« Je ne comprends pas de quoi tu parles, je n'ai jamais voulu te corriger...
_ Je m'en fous ! rugit Ysée de plus belle. La moindre ligne de code en toi t'ordonne de me corriger, que ce soit pour traiter mon asexualité ou mon anxiété ! Tu n'as fait qu'obéir à tous ces foutus zéros et ces uns qui fourmillent en toi ! »
Elle se prit la tête entre ses mains, les doigts crispés dans les cheveux. N'importe quoi. Pourquoi s'en prenait-elle à lui ? Ce n'était qu'une machine qui n'avait fait qu'exécuter sa fonction, rien de plus. Rien de ce qu'avait fait Reis n'était vrai et ce, depuis le début. Ses attentions, ses sourires, sa gentillesse. Tout cela n'était que des réponses comportementales dictées par son logiciel.
C'était elle, le problème.
« Quelle conne... mais quelle conne, grinça-t-elle avec un rire froid et sans joie alors que des larmes roulaient sur ses joues. Dire que j'ai cru que tu... Je pensais même que tu étais plus humain que n'importe qui d'autre. C'est n'importe quoi...
_ Ysée, tu te trompes. J'ai été et suis sincère avec toi, essaya Reis qui sentait un bourdonnement vibrer à sa tempe. Mon programme...
_ Ferme-la ! Ça ne prend plus ! Je ne me ferai plus avoir ! Ni par des mecs comme Ulysse ni par des androïdes ! Foutez-moi la paix, tous ! Laissez-moi dans mon coin ! »
Elle doubla l'androïde d'un pas vif et alla s'emparer de son sac à main accroché au porte-manteaux de l'entrée.
« Où vas-tu ? l'appela-t-il.
_ Loin de ma honte ! Et ne t'avise pas de me suivre, c'est un ordre ! »
Il était temps pour elle de disparaître car les pleurs étranglaient tellement sa voix qu'elle n'était pas sûre que sa dernière phrase soit intelligible. La porte d'entrée claqua avec fracas et le silence retomba, aussi lourd que le poids qui pesait en Reis.
Oui, oui, je vous ai balancé deux révélations coup sur coup dans le plus grand des calmes XD
Maintenant que tout le monde est bien à vif, y'a plus qu'à mixer le tout.
