Hello,

Désolée je reviens avec un délai beaucoup plus long que prévu, mais en espérant que la suite vous plaira.

Rappel : Rita rencontre Gilderoy à Sainte Mangouste. Elle décide de lui rendre visite pour espionner le service et savoir si l'élève de Poudlard hospitalisé est Hermione Granger. Afin de s'attirer les faveurs du personnel médical, elle fait la lecture à Gilderoy de ses livres en espérant que cela lui rendra la mémoire.

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3. En somme, le seul bonheur qu'il était capable de lui donner c'était de la persuader qu'elle lui était utile

Belle du Seigneur, Albert Cohen

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« Il n'est pas bien difficile de vous décrire Llangrannog. Prenez quelques instants pour penser au Pays de Galles et aux images que cela vous évoque. Selon toutes probabilités, ces images correspondent exactement à ce charmant village côtier. L'air là-bas n'est pas seulement imprégné du sel de la mer, mais aussi des contes et légendes et l'on s'attend à tout instant à voir un korrigan surgir devant vous, au détour d'un buisson d'herbes folles. Les fées elles-mêmes semblent avoir bâti les chalets aux couleurs pastelles qui ornent la promenade du bord de mer. Vous vous dites sûrement que j'exagère la description de ce qui paraît être un paradis sur terre, mais, cher lecteur, je vous raconte l'exacte vérité ! Et Llangrannog, malgré son nom difficile à retenir, est bel et bien un jardin d'éden, enfin, uniquement depuis que je me suis chargé de raisonner la harpie qui terrorisait les pauvres habitants en s'infiltrant dans leurs foyers pour dévorer leurs enfants.

Accrochez-vous cher lecteur car, dans les pages de ce livre, vous n'apprendrez pas uniquement comment protéger votre peau du tiraillement provoqué par des bourrasques gorgées de sel marin, vous lirez avant tout le récit terrible et poignant d'une renaissance. »

Rita réprima un bâillement.

Cela faisait maintenant une semaine qu'elle bouleversait sa routine quotidienne, pourtant si bien rodée, pour passer deux heures à Sainte-Mangouste, au chevet de Gilderoy. Une semaine qu'elle buvait les cafés répugnants de l'hôpital, qu'elle ratait les épisodes de docteur Globule, qu'elle faisait des courbettes et des sourires au personnel, comme si elle trouvait leur travail formidable.

Autant de temps pendant lequel elle avait échoué à récolter le moindre fragment d'indice concernant Hermione Granger mais pendant lequel elle avait lu l'entièreté de Flâneries avec le Spectre de la Mort et En Maraude avec les monstres. Ils entamaient maintenant Vacances avec les harpies. Elle referma le livre d'un coup sec.

Elle commençait à être lassée de toutes ces âneries. De toute évidence, cela ne déclenchait pas le moindre souvenir chez Gilderoy. Ce qui était, de toute façon, le cadet de ses soucis. Que l'individu retrouve ou non la mémoire, cela ne changerait rien au cours de sa propre vie.

« Et si nous allions faire un tour ? »

Elle sentait le regard, canin, d'Agnès sur eux, et il lui pesait presque autant que le silence quasi permanent des deux autres pensionnaires, dans le fond de la pièce.

« Oui, bien sûr, si vous voulez. »

C'était cela qui était bien avec Lockhart : il était stupide, mais docile. Et vu sa naïveté, elle espérait pouvoir lui soutirer quelques renseignements autour d'une tasse. Ils prirent l'ascenseur jusqu'à la cafétéria où, grâce à l'un de ses sourires, affublé d'un clin d'œil ridicule, Gilderoy leur obtint, gratuitement, un café pour elle et un thé pour lui. Ils s'installèrent près d'une fenêtre d'où ils pouvaient admirer les toits de Londres, nageant dans la brume.

Elle prit une gorgée de café. Évidemment, il était infect. Seule une bonne louche louche de whisky aurait pu rendre cette chose buvable. Elle avait hâte de retrouver le cocon confortable - et alcoolisé - de son appartement.

Lockhart ne la quittait pas des yeux, tel un enfant guettant le moindre geste de sa mère afin de calquer son attitude sur la sienne. Le moment était idéal pour passer à l'attaque.

« Parlons un peu Gilderoy ! Comment ça se passe en ce moment dans le service, les guérisseurs sont gentils ?

- Avec moi, évidemment. Je suis leur préféré. En même temps, qui ne m'aimerait pas ?

- Et ils n'ont pas trop de travail ?

- Non, je suis très autonome.

- De manière générale je veux dire. Ils ne se plaignent pas trop de leurs autres patients ? D'une jeune fille par exemple.

- Agnès a mordu Archibald hier. Mais elle n'est pas vraiment jeune. Et puis, je la comprends, il n'est pas toujours très agréable. Vous savez quel est son problème ?

- Il a trop de travail ?

- Non. Il ne met pas assez de crème anti-rides ! Alors forcément, il se voit vieillir et ça l'énerve. C'est très important la crème.

- Hum, oui, oui.

- Vous par exemple, quel âge avez-vous ?

- 45 ans

- Et bien vous voyez, je vous en donnais 10 de plus ! Vous devriez utiliser beaucoup plus de crème. »

Elle s'était étouffée à ces propos, et seule la lutte pour sa survie l'empêcha de quitter la pièce sur le champ. Gilderoy se leva et lui tapota le dos pendant qu'elle toussait, comme si ce geste de réconfort pouvait laver l'affront !

« Ne soyez pas triste, je vous prêterais de la crème. Tout n'est pas perdu. »

Elle leva vers lui des yeux rendus humides par sa fausse route, et prit la parole d'une voix qu'elle aurait voulu moins rauque et plus sèche.

« Monsieur Lockhart. Je viens ici pour vous faire la lecture, pas pour être insultée par un petit jeunot ! Quand vous aurez vécu la moitié de mes aventures, je viendrais voir si vous n'avez pas des rides ! »

Elle se dit qu'elle avait peut-être un peu abusé avec cette dernière phrase. Si ce qu'il racontait dans ses livres était vrai, il avait déjà vécu suffisamment de vies pour avoir le droit au moins à une ride du lion. Mais bon, il ne s'en souvenait pas, alors elle pouvait bien bluffer.

Il se rassit en face d'elle, avec l'air peiné d'un chien pris en faute, la truffe dans le garde-manger de son maître. Elle détourna le regard, refusant de se laisser émouvoir par ce chiot.

« Ne vous vexez pas Rita. Vous savez, je disais vraiment cela pour vous aider. Je vous aime bien, et je vois bien que mes conseils vous aident. Regardez vos cheveux, ils sont déjà plus blonds qu'avant. Vous avez utilisé de la camomille ? »

Elle mit de côté l'aveu d'affection et la surprise qu'il ait remarqué la couleur de ses cheveux. C'était insuffisant pour sa vanité blessée qui ne pouvait être réparée que par la froideur !

« Hum non, j'utilise des shampoings au bleuet et des soins au citron et au vinaigre de cidre.

Elle avait été doublement piquée dans son orgueil lors de sa première visite : qu'il ose remarquer que son blond s'était affadi, et qu'il lui donne des conseils comme s'il se croyait plus grand connaisseur qu'elle dans le domaine capillaire. Alors oui, pour lui clouer le bec, elle avait commencé à reprendre soin de ses cheveux. Mais à sa manière ! Et l'on verrait à la fin lequel d'eux deux aurait le blond le plus lumineux, la fibre capillaire la plus soyeuse !

Elle finit son café d'une traite et se leva rapidement.

« Enfin, assez de bêtises. Je vais y aller. Bonne après-midi Gilderoy. »

Elle avait dit cette dernière phrase à sa manière, ne regardant plus son interlocuteur, déjà à moitié partie, aussi sursauta-t-elle en sentant la main de Lockhart attraper la sienne, encore posée sur la table.

Elle regarda leurs mains unies, sans comprendre. Sa paume était chaude. Elle releva les yeux vers lui et fut plus déstabilisée encore par l'inquiétude, l'urgence qu'elle voyait flotter dans cet océan de bleu.

« Vous reviendrez n'est-ce pas ? Qu'on avance le livre.

- Oui… oui…

- J'ai essayé de lire un peu hier. Mais sans vous, ce n'était pas pareil. »

Son cœur s'emballa, car elle comprit instantanément ce qu'elle avait refusé de voir jusqu'à présent. Il avait besoin d'elle. Il s'attachait à elle. Quand elle arrivait et qu'il la saluait joyeusement, quand il lui disait qu'il l'appréciait, quand il la complimentait… ce n'était pas les phrases de Don Juan qu'il envoyait par habitude à n'importe qui. Il les pensait réellement. Même quand il critiquait son apparence, il était effectivement persuadé de le faire dans son intérêt.

Elle retira sa main brusquement.

« Ne bougez pas le marque-page alors. Au-revoir. »

Elle partit presque en courant, traversa le couloir à toute allure jusqu'à l'ascenseur. Lorsque les portes se refermèrent enfin devant elle, elle ferma les yeux et s'appuya de tout son poids contre le mur. Que lui arrivait-elle ? Pourquoi son cœur battait-il aussi fort ? Pourquoi le sentait-elle résonner jusque dans ses tempes, dans ses mains tremblantes, dans ses viscères ?

Elle devait s'enfuir d'urgence d'ici avant de faire une crise cardiaque.

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Assise dans le bus, paniquée, transpirante, pantelante et tremblotante, elle n'aperçut pas le regard préoccupé d'un passager et sursauta lorsqu'il lui demanda si elle allait bien.

Bien sûr que non ça n'allait pas ! Il était 16 heures, elle n'avait pris que quatre café, pas un seul verre de vodka, son enquête sur Granger piétinait et un homme était un amoureux d'elle !

Enfin… ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait… elle avait déjà rendu des gens fous d'elle auparavant. Quoi de plus normal, étant considéré son charisme et sa prestance incroyable ? Alors pourquoi était-elle autant perturbée ? Pourquoi l'admiration - légitime - de Gilderoy Lockhart la mettait-elle dans cet état ?

Oh non, terrain dangereux ! Ne pas réfléchir à cette question tout de suite. Pas dans un bus rempli de monde. Attendre son appartement, la sécurité de son canapé et de ses nouilles saveur canard.

Elle n'avait toujours pas répondu à l'homme qui s'était inquiété et il finit par s'éloigner avec un haussement d'épaules. Tant pis si cette dame ne voulait pas de son aide. Elle était, de toute évidence, une folle, en pyjama et charentaises dans un bus, en plein milieu de la journée.

Et qu'il en mettait du temps à avancer ce satané bus ! C'était décidé, la prochaine fois, elle prendrait le Magicobus ! Quoique… Cela voulait dire se mélanger aux sorciers et risquer d'être reconnue. Car, même si, jusqu'à présent, sa présence à l'hôpital était anonyme, elle ne doutait pas qu'elle avait encore de nombreux fans.

Un personne s'assit à ses côtés, perturbant le flux de ses pensées.

Trop, c'était trop ! Elle voulait être chez elle, loin du monde. Maintenant ! Elle se leva d'un bond, et, juste avant que les portes ne se referment, elle se faufila hors du bus.

Elle atterit dans une rue commerçante, mais elle s'éloigna rapidement jusqu'à une ruelle déserte et mal éclairée où elle put se transformer en scarabée. Elle s'éleva dans les airs en vrombissant et navigua entre les immeubles, tâchant de ne pas s'éloigner de l'axe principal, pour retrouver le chemin de son appartement.

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Sur le palier, elle batailla avec le tremblements de ses mains, pour ouvrir la porte. Elle courut dans sa cuisine, arracha fébrilement le bouchon de sa bouteille de vodka et avala une longue rasade.

La brûlure lui fit du bien.

Apaisée, elle prit le temps de se préparer un café, engloutit un paquet de biscuit, arrosa une glace de scotch et, enfin, elle alla s'effondrer sur son canapé pour réfléchir.

Que s'était-il passé à l'hôpital ? Pourquoi avait-elle autant paniqué à cet aveu, à demi-mots, d'affection ?

Elle aurait dû s'y attendre, anticiper que cela viendrait. Gilderoy était un esprit faible, de surcroît affaibli ! Quoi de plus normal qu'il succombe à son charme magnétique ? Les guérisseurs l'avaient prévenue, Gilderoy était seul. Personne ne venait jamais le voir. Forcément, il s'était agrippé à la première personne lui manifestant de l'intérêt.

Il n'était qu'un chiot abandonné, et elle, la première personne à lui donner des croquettes. Rien d'étonnant à ce qu'il bave d'adoration devant elle.

Évidemment qu'il n'arrivait pas à lire sans elle, que les heures séparant ses visites lui paraissaient intolérables. Elle était Rita Skeeter ! Elle avait apporté de la saveur à son existence !

Non seulement, elle aurait dû deviner cela, mais en plus, et surtout, cela n'aurait jamais dû la faire perdre ses moyens.

Alors, retour en arrière. Que s'était-il passé à l'hôpital ? Mais avant, un peu de glace, beaucoup de scotch. Retour à la cafétéria. Elle avait voulu partir, et il l'avait retenue. Et ça ne l'avait pas mise en colère. Pourquoi ?

Parce que sa main était chaude et douce.

Un peu de scotch.

Il voulait qu'elle reste. Il la fixait et elle l'avait regardé droit dans les yeux. Elle était allée plus loin que l'hypnotisante couleur saphir, que le chatoiement de ses iris. Elle avait tout analysé : la courbe des sourcils, la dilatation des pupilles, le tressautement presque imperceptible de la paupière, l'humidité du globe.

Elle avait compris qu'il l'aimait, parce qu'elle lui était utile. Et c'était une seconde après qu'elle avait paniqué.

Pourquoi ? Une seconde. Que s'était-il passé pendant ce temps ?

Un peu de scotch pour affronter la réalité.

Pendant cette minuscule seconde, ce court instant de réalisation des sentiments de Gilderoy, elle en avait été heureuse.

Impossible !

Rita Sketter n'était jamais heureuse des sentiments des autres. Elle les recevait comme un bien très naturel, un dû, jamais comme un bienfait.

Gilderoy était dangereux !

Elle se leva de son canapé, furieuse, se campa devant la photo de l'écrivain, qu'elle avait accrochée aux côtés de celle d'Hermione, et l'informa avec de nombreux détails de la variété des relations qu'avait eu sa mère au cours de sa vie.

De quel droit osait-il la faire ressentir quelque chose ?

Elle se prépara une assiette de nouilles et retourna s'asseoir sur son canapé. Laisser le bellâtre de côté pour l'instant. Se changer les idées en épluchant la presse.

La Gazette ? Non, mauvaise idée. Pas encore assez d'alcool dans le sang pour lire les âneries de ses anciens collègues qui avaient le droit d'écrire, eux. Sorcière Hebdo ? Pire. Même s'il n'en faisait plus la une, c'était le journal de Gilderoy. Pas la meilleure lecture pour se changer les idées. Le Chicaneur ? Parfait pour annihiler toute pensée intelligente ! Mais elle n'était pas abonnée à ce torchon.

Pas le choix, il ne lui restait plus que le Mag Sport et Gnomes & Jardin.

D'abord le sport, pour voir si elle avait gagné de l'argent par ses paris sur le bavboule. En plus, le numéro de cette semaine comportait un reportage complet sur les Canons de Chudley !

La lecture finie, elle alla se servir un nouveau café, puis se pencha sur les dernières nouvelles concernant la culture de la salsepareille et nota dans un carnet la recette d'une potion désherbante.

Voilà, son temps avait été bien rempli.

Tout cela ne lui servirait jamais et ne l'intéressait pas le moindre du monde, mais quelle satisfaction de ne pas avoir perdu son temps à ruminer ses pensées !

Elle releva la tête vers son horloge. 17h30, elle avait encore un peu de temps. Elle pourrait même voir Docteur Globule aujourd'hui ! Elle avait amassé suffisamment de courage pour regarder La Gazette, accompagnée, comme fréquemment, d'une lettre de Barnabas Cuffe.

« Voilà ! s'écria-t-elle, en se levant. Voilà quelqu'un qui a des raisons complètement valides d'avoir besoin de moi ! Son stupide journal n'est rien sans moi, je suis la seule à pouvoir le sauver de la ruine et de la déchéance ! Voilà un homme qui m'admire, qui m'aime - j'en suis sûre - et qui a toutes les raisons de le faire ! Barnabas m'adule, me baiserait les pieds pour le moindre article et je ne ressens pas la moindre joie à cette idée, juste de la satisfaction. Et l'envie d'étrangler cette gourgandine Granger. Voilà l'ordre normal des choses ! »

Elle arpentait son salon, chiffonnant la lettre du directeur de La Gazette entre ses mains fébriles. Puis elle la jeta soudainement à la figure de Gilderoy, souriant sur son autographe. L'auteur eu la politesse de paraître surpris de cette attaque.

« Barnabas Cuffe, voilà un imbécile qui a le droit d'avoir besoin de moi ! Voilà quelqu'un à qui je suis utile. Toi, tu n'es rien, rien qu'un sourire parfait, tu n'as pas le moindre droit sur moi ! Pas le moindre ! »

Une fois dans sa cuisine, elle attrapa la première bouteille disponible, celle du scotch qu'elle n'avait pas rangée plus tôt. Il n'en restait qu'un fond, qu'elle vida d'une traite, avant de l'envoyer se briser sur l'image de la Granger, indignée.

« Rita, calme-toi. D'abord enlever l'image du bellâtre. Ensuite, prendre à manger et regarder Docteur Globule. »

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Elle eut du mal à trouver le sommeil ce soir-là, ce qui était inhabituel. Le combat entre la caféine et l'alcool qui lui gorgeaient le sang était toujours remporté par cette dernière, et elle plongeait d'ordinaire dans un sommeil pesant et sans rêves.

Mais ce soir-là, son cerveau refusait de la laisser tranquille, malgré l'engourdissement. D'un coup de baguette, elle fit venir à elle un parchemin et sa plume à papote.

« Bien. Plume, prête à écrire ? Plan d'action. À la ligne. Un, reprendre une vie normale. Deux, supprimer les photos du bellâtre. Trois, ne plus aller voir le bellâtre. Quatre, ne plus penser au bellâtre ! Annihiler toute trace de lui dans mon existence. Cinq, racheter du scotch. Six, trouver une émission pour remplacer Poirot, les moustaches de ce monsieur sont horripilantes. Sept, m'acheter un plant de salsepareille pour tester les recettes d'engrais. »

Cela la rassura. Elle reprenait le contrôle, elle savait où elle allait dans sa vie. Elle avait besoin d'être utile dans sa vie, elle ne pouvait vivre une existence oisive, et s'occuper d'une plante serait parfait. Sa vengeance - son enquête - concernant Granger n'était que légèrement retardée. Elle trouverait un moyen de la reprendre plus tard, avec une meilleure couverture.

Elle reposa sa baguette et s'endormit presque aussitôt.

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Elle se réveilla le lendemain d'excellente humeur. Malgré le froid et la brume, qui lui cachait le lever de soleil, elle resta longtemps sur son balcon à prendre son petit déjeuner, savourant le calme revenu dans sa vie.

Ses derniers jours, elle avait eu la coquetterie de s'habiller avant son tour habituel. Mais aujourd'hui, elle revenait à sa routine, plus de folies, ni de changements. Elle enfila une robe de chambre par-dessus son pyjama et se mit en route, où elle n'oublia pas de refaire ses réserves d'alcool.

Une fois rentrée chez elle, en s'habillant, elle retomba dans sa chambre, sur son plan d'action. Pas le meilleur moyen pour respecter le point numéro quatre, ne plus penser à Gilderoy. Par contre, bon moyen de lui rappeler qu'il fallait se débarrasser des autographes, beaucoup trop visibles, bien trop souriants.

Elle ne les jeta pas, se dit que ce serait un gâchis, d'un point de vue purement artistique. Elle les cacha dans un tiroir, sous ses vêtements de soirée, aucune chance qu'elle n'aille fouiller par ici. Et une fois ce devoir accompli, sa journée s'écoula avec sa régularité habituelle, ce fut à peine si elle ressenti un léger pincement, à quatorze heures, heure à laquelle habituellement, elle se rendait à Sainte-Mangouste.

Elle se demanda brièvement ce qu'il ressentirait en voyant l'après-midi s'écouler sans qu'elle ne vienne. Mais elle chassa rapidement cette pensée dangereuse, d'un haussement d'épaules. Ce ne serait pas la première fois qu'elle brisait le cœur de quelqu'un. Elle s'en remettrait.

Quel plaisir de voir sa vie reprendre son cours normal !

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Il s'écoula ainsi une semaine et demie, pendant laquelle rien ne vint perturber le flux parfaitement réglée de sa vie. Rien excepté, le petit picotement de son ventricule en début d'après-midi et l'impossibilité de ne plus penser à Gilderoy Lockhart.

Ah et aussi, elle n'avait pas réussi à trouver d'émission télé pour remplacer Hercule Poirot. Un échec de plus.

Elle comprit toutefois que quelque chose n'allait pas lorsqu'elle se retrouva à pleurer devant l'épisode du jour des Feux de l'amour.

« Mais Victor n'épouse Lorie que par intérêt. Elle l'aime, mais lui a besoin d'elle. Il a besoin de récupérer son entreprise. Il a besoin de travailler, il ne peut pas rester à rien faire. »

Elle s'effondra, sanglotante au-dessus de son pot de glace, sans suivre le reste de l'épisode. Elle s'endormit même un court instant.

En se réveillant, elle se sentit prisonnière dans cet appartement. Elle n'éprouvait aucun intérêt ni à regarder les journaux, ni à l'idée d'aller insulter Hermione Granger. Non qu'elle en ait particulièrement envie le reste du temps. Mais elle le faisait, car c'était son programme.

Mais aujourd'hui, l'idée la révulsait.

Elle enfila son manteau et sortit dans la rue, déambula longtemps dans les rues, s'arrêta dans un parc, s'assit sur un banc humide d'où elle profita de la vue sur un petit étang et le ballet rougeoyant des feuilles, tourmentées par le vent. L'eau étincelait au soleil. Le spectacle était beau et calme, beaucoup trop calme. Elle attrapa des graviers qu'elle jeta furieusement dans l'étang, dans l'espoir enragé d'enlaidir le tableau.

Elle hurla.

Elle ne voulait plus de la sérénité de la nature. Elle ne voulait plus de sa vie bien ordonnée, sa routine huilée et ennuyeuse, de sa colère ruminée et trop mâchée.

Elle ne voulait plus sa vie de bannie, de condamnée.

Elle avait goutté à nouveau à l'émulation de la société. Et, au fond, qu'importait que cette société soit celle des estropiés, des imbéciles, et des cacochymes ! Ils respiraient, ils parlaient, ils la regardaient ! Pour le quatrième étage de l'hôpital Sainte-Mangouste, elle existait !

Mieux ! Pendant un instant, elle avait vécu à nouveau le frisson, l'exaltation de la drogue la plus puissante au monde, l'investigation ! Elle n'avait pris qu'une quantité infime, mais suffisante pour la faire replonger. Elle voulait plus, elle avait besoin de plus ! Elle devait revivre ces sensations : mentir, fouiner, dénicher des secrets, les déformer, ruiner des vies et des carrières.

À minima, elle avait besoin d'être utile, d'avoir un but, de se lever le matin en ayant quelque chose de prévu. Et elle était enfin prête à admettre la vérité : qu'importait que la seule chose à son programme soit d'aller faire la lecture à Gilderoy Lockhart, de le voir sourire niaisement, dans l'unique espoir d'apprendre quelque chose sur Hermione Granger. Et qu'importait que cela la rende heureuse.

En attendant la mort de cette pimbêche, c'était le seul fragment d'humanité auquel elle avait droit.

Elle se leva, jeta de nouveaux cailloux dans l'eau, rata un cygne, ravala sa fierté.

Elle devait se rendre à l'hôpital.

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« Rita ! C'est bien vous ? Vous nous avez manqué ! N'est-ce pas Agnès qu'elle nous a manqué ? »

Agnès répondit, pour une fois, par un bref jappement que Rita ne sut pas interpréter. Le ton de Gilderoy, par contre, était bien plus facile à comprendre. Aucun reproche, aucune déception ou colère dans son accueil, simplement la joie sincère de la revoir.

Elle ne sut pas comment réagir. Elle s'était préparée, s'était répétée en chemin qu'elle ne lui devait aucune excuse, et voilà qu'il ne lui demandait pas.

« Je… Je suis désolée, marmonna-t-elle, tordant le cou à tous ses principes. J'ai été très occupée, je n'ai pas pu venir.

- Ne vous excusez pas, rien ne vous oblige à venir me voir. Mais j'étais inquiet. J'avais peur qu'il vous soit arrivé quelque chose, ou de vous avoir vexée la dernière fois.

- Non, non, ne vous en faites pas. Mais parlons un peu de vous. Avez-vous fait quelques progrès ?

- J'écris beaucoup plus vite qu'avant ! Et j'ai avancé dans les livres. Je vous ai attendu au début, mais Gracie a insisté pour je continue. Elle est venue me faire la lecture parfois.

- Elle a trouvé le temps ?

- Un peu. Elle était très occupée ces dernières semaines, mais ça va mieux, alors elle a réussi à trouver un peu de temps pour venir me voir. »

Mince, l'état de la Granger avait dû s'améliorer.

« Mais j'ai quand même beaucoup lu tout seul. Ce n'était pas très drôle. Les aventures de ce monsieur ne m'intéressent pas trop. Ces conseils beauté, par contre, sont passionnants. J'ai commencé à les noter dans un carnet. »

Il babilla encore un instant, avant qu'ils ne reprennent leurs habitudes. Rita alla s'acheter un de leurs infâmes cafés puis ils s'installèrent et elle lui lu trois chapitres de Randonnées avec les trolls.

Elle entamait le quatrième lorsque Gracie Lynn entra dans la pièce et s'extasia longuement sur le retour sa visiteuse préférée. La journaliste s'excusa une fois de plus - ce qui amenait le compte à deux fois de plus que dans sa vie entière - pour sa longue absence.

« J'espère que je ne vous ai pas causé de surcharge de travail. Gilderoy m'a dit que vous lui aviez fait la lecture.

- Ne vous en faites pas, ma charge de travail s'est un petit peu allégée. »

Décidément, il fallait qu'elle ressorte ses poupées vaudous.

« Mais surtout, après la pression et le stress de mes journées, ça me fait du bien d'aller voir Gilderoy. Il est rafraîchissant.

- Oui, je vois ce que vous voulez dire. Par contre, la lecture de ses livres n'a pas l'air de l'avoir fait progresser. »

La guérisseuse soupira.

« Non absolument pas. Dans le domaine de la mémoire épisodique, il fait du sur-place. »

Elle prit une seconde pour réfléchir.

« Vous auriez un peu de temps pour m'accompagner dans mon bureau ? J'aimerais vous parler un peu de son cas. »

Enfin, l'univers la récompensait pour ses bonnes actions ! Elle avait gagné la confiance du personnel médical !

Elles prirent congé du pauvre auteur et Gracie la guida dans les couloirs jusqu'à une porte, tout à fait quelconque, cachant un bureau étriqué, que pas même une fenêtre ne daignait éclairer. Des piles de dossiers recouvraient le bureau, la guérisseuse les rangea rapidement d'un coup de baguette, et Rita eut uniquement le temps de repérer un épais paquet de lettres portant toutes le sceau de Poudlard.

« Le directeur de l'hôpital me tuerait s'il apprenait ce que je vais vous dire. »

L'occasion d'un futur chantage, parfait !

« Mais je suis perdue, personne ne comprend rien au cas de Gilderoy. Vous êtes d'un telle bonne volonté, je suis sûre que vous pouvez nous aider. »

Elle lui offrit un sourire, qui, elle l'espérait, donnait l'image d'être compatissante, sentiment qu'elle n'avait - par ailleurs - jamais éprouvé de sa vie.

« Comme je vous disais à votre première visite, Gilderoy avait tout oublié de sa vie. Le sort qu'il a reçu devait être extrêmement puissant.

- Vous êtes surs qu'il s'agit d'un sort ?

- C'est même notre seule certitude. Les circonstances de son accident ont été tenues secrètes, mais nous savons qu'il s'agit d'un sort. De plus, par acquis de conscience, nous l'avons fait examiné par des neurologues moldus et son cerveau n'a pas la moindre lésion ou anomalie.

- Et j'imagine qu'il n'y a pas d'antidote aux sorts d'amnésie ?

- Pas à proprement parler. Excusez-moi, je vais devoir être un peu technique. Imaginez qu'un souvenir est un tableau. Il y a alors deux manières d'effacer la mémoire magiquement. La première, plus souvent utilisée quoique moins connue, est celle des Oubliators. Ils modifient le souvenir, en enlevant uniquement des morceaux précis, gênants et réécrivent le reste pour que le cerveau accepte le nouveau souvenir comme possible. C'est un peu comme s'ils falsifiaient le tableau, en peignant par-dessus. La deuxième méthode est moins subtile, l'Oubliette. Le souvenir est brutalement et complètement effacé, comme si l'on jetait un seau de peinture noire par-dessus. Vous me suivez toujours. »

Rita acquiesça, étonnée de se sentir vraiment intéressée par le sujet.

« Dans tous les cas, le souvenir n'est, en fait, pas réellement supprimé du cerveau. Il est simplement enfoui sous une couche de peinture et notre travail de guérisseur consiste à gratter cette peinture, jusqu'à retrouver le tableau original.

- Ce que vous n'arrivez pas à faire avec Lockhart.

- Exactement ! C'est là tout le mystère. Bien sûr, vu l'étendue de son amnésie, nous savions que ce ne serait pas facile. Mais voyez-vous, le meilleur moyen de faire revenir les souvenirs est de mettre le patient avec des éléments émotionnellement forts, liés aux souvenirs perdus. Car si le cerveau oublie les circonstances, il n'oublie jamais les émotions, les triturer va gratter la peinture.

- D'où la lecture de ses livres.

- Tout à fait, ou les lettres de ses fans. Cela aurait dû, petit à petit, ré-activer les circuits neuronaux du souvenir et faire ainsi disparaître la barrière du sortilège d'amnésie.

- Ceci dit, cela a fonctionné légèrement. Ses conseils beauté, par exemple, j'imagine qu'ils les avaient oubliés également. »

La guérisseuse soupira, lasse.

« C'est vrai. Mais ce sont bien les seuls éléments personnels qui reviennent. Les Oubliators et les Médicomages l'ayant examinés sont unanimes : ce n'est pas normal, quelque chose nous échappe forcément et je ne sais absolument pas quoi, pas plus que quoi faire. Pourquoi souriez-vous ?

- Parce que, Gracie, vous vous adressez à la bonne personne. Vous voyez un cas désespéré, moi je vois un mystère à résoudre. Quelque chose se cache dans le passé de Gilderoy et cela tombe bien, car déterrer les secrets est ma spécialité ! Foi de Rita, je trouverais !

Elle avait frappé la table à ces derniers mots ! Elle ne feignait plus, ni son sourire, ni son attention. Au fur et à mesure de la discussion des frissons familiers avaient parcouru son échine.

Granger était reléguée au second plan pour l'instant.

La vie de Gilderoy ne pouvaient être aussi parfaite que le prétendait ses livres.

Un cadavre honteux avait été enseveli quelque part et elle n'avait qu'une envie : l'exhumer !

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La semaine prochaine dans Les Feux de l'amour : Jill trompe son mari avec Jack, ils se font filmer en train de coucher ensemble dans un téléphérique. Un peu bête cette histoire...

Rendez-vous avant la fin de l'année pour la suite.