PREMIÈRE PARTIE
LES ORIGINES D'EILEEN PRINCE
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Décembre, 1951.
Ce n'était nullement par hasard si la longue et maigre silhouette d'Eileen Prince s'était aventurée dans les quartiers de Soho cette nuit-là.
Eileen était l'unique héritière des Prince, une famille de sang-purs qui résidait dans un luxueux manoir au cœur du comté de Gloucestershire. Ses parents, tous deux convaincus par le bien-fondé de la pureté du sang, avaient veillés à lui fournir une éducation en tout point raccord avec leurs idéaux. Elle ne comptait plus les heures qu'elle avait passées avachie sur une chaise, à écouter ses professeurs lui enseigner l'éthique des sangs-purs et le dégoût des Moldus.
Pourtant, dès que l'expérience le lui avait prouvé, elle avait cessé de croire à la supériorité des sorciers sur toutes les autres espèces. Certes, les Moldus ne possédaient pas la Magie, mais ils en étaient autrement plus débrouillards et inventifs qu'eux. Ils avaient créé un moyen de transport volant et la lumière automatique sans avoir recours à la moindre baguette !
Néanmoins, personne n'encourageant cette opinion autre que des articles anonymes dans la Gazette et des familles qui n'étaient pas suffisamment influentes pour faire valoir leur avis, Eileen préférait se taire. Son silence, cependant, n'entravait pas sa curiosité débordante envers les gens dépourvus de pouvoirs magiques.
C'est donc pour cette raison qu'elle se trouvait ici, frissonnante dans l'air du soir, alignant des pas droits et rapides sur les trottoirs dégoûtants de Soho. Elle organisait fréquemment des excursions dans le monde Moldu — dont elle se gardait bien de tenir informé son entourage, qui en aurait crié au scandale.
Elle avait, la semaine dernière par exemple, gravi les 528 marches jusqu'au sommet de la cathédrale Saint-Paul. Ce fut une tâche ardue et pénible, qu'elle ne répéterait pas — surtout quand elle savait qu'il suffirait d'un simple transplanage pour la transporter en haut du dôme — mais elle était fière d'avoir, ne serait-ce que durant quelques heures, éprouvé les mêmes difficultés qu'un simple Moldu vivait au quotidien.
La culpabilité n'avait jamais effleuré son esprit. Comment aurait-elle pu ? Depuis qu'elle avait commencé ses sorties, jamais elle ne s'était inquiétée d'être découverte. Elle était discrète, et quand bien même elle ne l'aurait pas été, il était hautement improbable que quelqu'un la soupçonne, elle, la descendante d'une famille de sangs-purs, qui traitaient de sang-de-bourbe tous les Moldus ou nés-Moldus qui se présentaient à eux.
Elle remonta l'allée qui menait au Pembley, un bar illégal où les jeux d'argent se pratiquaient comme une routine nocturne, entouré d'établissements tellement infâmes qu'ils n'étaient même pas dotés d'un nom. Quelques prostituées se prélassaient aux fenêtres des bordels et d'autres aguichaient les passants par des éclats de rire et des moues séductrices.
Ces femmes lançaient des remarques à quiconque s'approchait d'elle, mais elles semblaient prendre particulièrement ombrage de cette femme bien habillée, qu'on aurait aisément prise pour une dame de la haute société si elle ne se promenait pas seule, à une telle heure et dans un tel quartier — et elles l'insultèrent avec d'autant plus de virulence.
Eileen tâcha d'ignorer ces femmes. Elle portait une cape marron rêche, reliée par une simple ficelle, et une longue robe sans corset ni ceinture. Ces vêtements simples et pauvres ne faisaient pourtant pas illusion : car ses gestes étaient emplis de grâce, et son attitude exprimait la dignité et la quiétude. Son maintien détonnait dans cette population débauchée.
Elle s'arrêta face au Pembley et prit un instant pour observer ce grand immeuble en briques rouges. Les rires gras des conversations et la lumière chaude des lampes s'étalaient dans la rue, couvraient les toussotements d'un joueur de flûte tuberculeux et la rixe qui venait d'éclater au bar voisin, entre deux ivrognes dont les coups tombaient à côté.
Une jeune femme en tenue courte gardait l'entrée, braillant pour attirer les clients. Quand elle s'approcha, Eileen vit qu'elle grelottait.
« Qu'est-c'qu'elle veut, la m'dame ? dit-elle, lui adressant un regard accusateur qu'Eileen ne comprit pas.
— Je souhaiterais entrer, répondit Eileen, et avant que la femme ne proteste, elle lui fourra dans les mains une liasse de billets Moldus — qu'elle avait réussi à se procurer chez un vendeur suspect du Chemin de Traverse.
— Mais... » bégaya-t-elle.
Eileen, sans un mot, s'engouffra dans le bâtiment. La chaleur était étouffante à l'intérieur et les bruits s'entrechoquaient dans sa tête. Une vingtaine de couples valsaient entre les tables, avec un enthousiasme bruyant et alcoolisé.
Dans cette salle exiguë et bondée, des serveuses aux bas en résille et en bottines de cuir contrefaites émoustillaient les parieurs, apportant des plateaux d'une bière qui avait été jugée trop mauvaise pour être servie la veille.
« Vous désirez miser ? » cria un homme, aux yeux scintillants de pie qui, ayant repéré un objet brillant, fondent dessus, avides de s'en emparer — il criait parce qu'il était impossible de se faire entendre autrement par-dessus la cacophonie des dix musiciens qui improvisaient un air en tapant sur les murs et en profitant de la guitare désaccordée de l'un d'eux.
Elle secoua la tête et s'avança vers les tables de jeux, se tenant tout de même à l'écart des autres. Elle n'était guère venue ici pour discuter, s'amuser ou même parier, elle n'avait pas perdu tout bon sens. Elle voulait voir ces messieurs fortunés qui pénétraient au Pembley — et qui en ressortaient ruinés jusqu'au dernier sou, revenant dès leur paie suivante pour replonger dans ce cercle vicieux. C'était, en quelque sorte, une étude de cas.
« Ah, Gaillard, t'as pas de veine ! » s'exclama un homme en riant bruyamment.
Sur sa table devant lui, une pile de jetons jonchaient la nappe rouge, et il les tira vers lui avec un plaisir évident.
« C'est ça, Jaxon, c'est ça... marmonna un autre, qui fusillaient du regard les cartes sur la table comme si elles lui avaient fait du mal.
— Au fait, Tobias vient ou pas, ce soir ? »
Il rebattit les cartes et Eileen le vit en glisser deux dans sa manche — ce qui échappa au dénommé Gaillard. Au vu des haillons qu'ils portaient, et de leur langage roturier, Eileen en conclut qu'ils devaient être des ouvriers. Elles pensaient d'eux qu'il s'agissait des Moldus les moins admirables en terme d'intelligence : ils travaillaient du matin au soir dans des conditions misérables sans même penser à se révolter ou à chercher un travail mieux payé.
« Je ne crois pas », répondit-il.
Il reçut ses cartes et fronça les sourcils. Quand, soudainement, la porte s'ouvrît derrière Eileen, et une vague de silence parcourut la salle, rapidement remplacée par des chuchotements et des voix basses.
Elle se retourna et rencontra le regard noir d'un homme aux traits anguleux, au nez crochu et aux cheveux sombres. Ses épaules robustes semblaient à elles seules pouvoir transporter le poids de dix chariots, mais ce n'est pas grâce à elles qu'il paraissait conquérir l'espace et l'attention autour de lui. C'était quelque chose de plus profond, de plus froid, de plus terrifiant.
Eileen, malgré la chaleur, frémit.
« Ah, Tobias ! Ce petit con de Gaillard m'a raconté que tu ne venais pas ! » dit Jaxon alors que Gaillard jetait des regards désespérés à ses cartes, espérant vainement qu'elles changent.
Tobias marcha dans leur direction, d'une démarche lourde et imposante. Quel âge avait cet homme ? se demanda Eileen. Elle ne lui donnait pas trente ans, mais il était peut-être plus âgé.
Il s'arrêta devant elle et elle se figea. Elle chercha à échapper à son regard, mais ses yeux revenaient irrésistiblement vers lui. Il continuait à l'observer avec une déconcertante fixité.
Eileen, ne trouvant pas d'autre solution, quitta l'établissement. Quelques mètres plus loin, elle sentait toujours l'attention de l'homme sur sa nuque.
Elle rejoignit le portoloin illégal qui devait l'emmener chez elle, ses pensées tourbillonnant autour du dénommé Tobias. Qu'avait-il vu en elle dont il ne pouvait se détacher ? Une sueur froide glissa le long de son dos. Et s'il la suspectait d'être une sorcière ? Et si... c'était un sorcier ?
Ses deux mains glacées s'abattirent sur ses joues. Elle devait se reprendre. Jamais un sorcier ne traînerait dans des rues pareilles à des heures pareilles. Ce serait étrange, malvenu, incongru. Tout ce qui ne lui plaisait pas.
Elle attendit quelques minutes dans le froid l'instant opportun, et se baissa pour toucher du bout du doigt une poubelle éventrée. Immédiatement, le Portoloin l'attrapa par le nombril pour la jeter dans la forêt qui entourait le Manoir Prince, perdu dans un étau de brume. En haut, la lune était cachée par les nuages, la terre était boueuse et les feuilles d'automne humides des dernières pluies. Il n'avait pas encore neigé.
Elle se releva en prenant soin de ne pas salir sa robe. Il était temps de rentrer chez elle.
« Où vas-tu donc, ma tendre Eileen ? » demanda une voix chantante qui provenait de derrière un arbre. Elle tressaillit, puis fronça les sourcils.
« Sors de ta cachette, Orion. » dit-elle, poussant un profond soupir.
Un homme d'une taille impressionnante pour ses vingt-quatre ans sortit de l'ombre, et d'un pas nonchalant, s'approcha d'elle.
« Je trouve la pleine lune particulièrement belle, ce soir. Je me souviens qu'enfant, tu pensais qu'elle te suivait. Tu as toujours aimé l'observer à travers la fenêtre. »
Il ajouta en souriant, l'air nostalgique : « Tu disais que c'était dans ma chambre, en haut de notre maison, qu'on pouvait le mieux la contempler. Nos parents pensaient que c'était une excuse pour dormir avec moi. Je n'ai jamais su s'ils avaient tort ou non. »
Eileen, méfiante, s'éloigna. Elle s'efforça d'ignorer sa présence, écrasante. Avait-il compris ce qu'elle avait fait ? Ou jouait-il avec elle afin de le découvrir ?
Derrière ce sourire énigmatique, elle n'était sûre de rien. Ils marchèrent dans un silence chargé de tension, interrompu par les craquements des brindilles sous leurs pieds.
« Nous serons mariés dans deux mois, annonça-t-il.
— Peut-être bien », marmonna-t-elle.
Ce mariage avait été décidé par leurs parents, des années avant leur conception. Quand Eileen était petite, elle se rendait fréquemment chez les Black, invitée par les parents d'Orion, et ils jouaient dans le jardin, se cachant derrière les statues, arpentant inlassablement les couloirs étroits et sombres du 12, square Grimmauld, avant de prendre le thé ensemble. Après avoir appris qu'ils agissaient ainsi pour renforcer les liens entre leurs deux familles, elle avait décliné toutes leurs invitations et n'était plus jamais revenue.
« Tu feras partie de la très Noble et Ancienne famille Black. Nous aurons des enfants. Tu seras heureuse. N'est-ce pas ? »
Son regard se perdit sur le givre de la fontaine. Une étreinte glacée se mit à compresser sa poitrine. Elle serait heureuse. Elle aurait toutes les raisons de l'être, d'ailleurs : elle aurait de l'argent à n'en plus dépenser, une entourage pur et respecté, et une puissance indéniable. Tout pour être heureuse, se dit-elle. Mais elle n'y croyait pas.
« Oui, répondit-elle pourtant.
— Alors pour quelle absurde raison compromets-tu ton avenir ? Tu te rends dans des endroits honteux et infamants, même pour un Moldu de basse extraction.
— Tu m'as suivie ! s'insurgea-t-elle, se retournant vers lui avec fureur.
— Et je n'ai pas eu tort, rétorqua-t-il. Comment oses-tu nous déshonorer ? »
Il se rapprocha dangereusement d'elle. De près, il semblait encore plus gigantesque, et son ombre s'étendît sur le visage d'Eileen.
« Laisse-moi tranquille, murmura-t-elle en se retournant.
— Comment le pourrais-je ? Tu nous mets tous en danger. Tes agissements risquent de te détruire, Leen, et quand ce sera le cas, il n'y aura personne pour se laisser entraîner avec toi. » souffla-t-il.
Elle ne répondit rien et il s'enfonça dans la nuit, le regard voilé par l'obscurité. Elle attendit quelques secondes, immobile dans le noir, et finit par remonter le perron qui menait à l'entrée. Dans le vestibule, deux escaliers en marbre se rejoignaient pour atteindre les étages supérieurs.
Un silence pesant régnait sur le manoir. On aurait pu penser que c'était à cause de l'heure tardive, mais Eileen savait qu'à midi ou en soirée, le niveau sonore restait le même. L'agitation de Soho lui semblait lointaine, à présent.
Elle se jeta un sort de Silence et monta se coucher.
Bonjour à tous et à toutes,
Une petite explication par rapport aux changements apportés au premier chapitre (et bientôt à tous les autres) s'impose.
En avançant dans ce qui n'était, au départ, sensé n'être qu'un projet comme tant de ceux que j'ai abandonné en cours de route, je me suis rendue compte que l'intrigue manquait de tension, d'intérêt, de suspense. Je n'avais pas à me reprocher un manque de profondeur chez mes personnages, cependant, je pensais pouvoir apporter quelques améliorations à leur développement. Le problème suivant se posait : devais-je supprimer ma fanfiction actuelle, et attendre quelques temps pour republier les chapitres corrigés, au risque de perdre bon nombre de lecteurs ? Ou devais-je continuer d'écrire la suite, tout en sachant que les premiers étaient mauvais ?
J'ai fini par trouver une sorte de compromis : je mettrais simplement à jour les premiers chapitres, tout en continuant de poster les suivants. Ce seront des modifications au niveau des trois premières parties (Pour rappel, 1ère partie : les origines d'Eileen Prince, 2ème partie : l'enfance de Séraphine Rogue, 3ème partie : première année à Poudlard) et aucune autre en attendant que j'ai terminé ce premier tome.
J'espère donc que vous comprendrez ce choix, que vous serez aussi enthousiaste à propos de cette nouvelle version que mois, et que vous prendrez plaisir à redécouvrir cette fanfiction sous un autre angle. Vous apprendrez plus de détails sur les personnages, surtout les personnages principaux (notamment Eileen, que j'ai bien plus complétée et dont le parcours avant sa chute est bien plus développé), en rencontrerez peut-être de nouveaux et verrez des relations bien lus compréhensibles (surtout celles de Séraphine avec Lily, et Ophélia Vale, qui aura un rôle similaire).
Enfin bref, je vous souhaite une excellente lecture, n'hésitez pas partager votre avis, ça me fait toujours très plaisir.
Bonne journée ou soirée, selon l'heure :)
