QUATRIÈME PARTIE
𝐕𝐎𝐘𝐀𝐆𝐄 𝐀𝐔 𝐂𝐀𝐍𝐀𝐃𝐀
-ˋˏ ༻✿༺ ˎˊ-
Juin, 1972.
Les élèves s'entassaient devant les portes et rendaient toute sortie impossible. Séraphine attendit que Lily ait quitté le train pour se lancer dans la masse, jouant des coudes pour s'en détacher.
Autour d'elle, les plus jeunes courraient vers leurs parents, tandis que les plus âgés les rejoignaient avec moins d'enthousiasme, parfois même à reculons.
Elle examina la foule de parents, la balaya de long en large jusqu'à apercevoir sa mère qui, accompagnée de Servisis, l'attendait patiemment.
Elle prit plusieurs inspirations pour se donner du courage et s'engagea dans la direction d'Eileen et de son elfe de maison.
« Mère, la salua-t-elle poliment.
— Séraphine, dit-elle, tu as trente minutes pour décider quoi emporter dans tes bagages. Nous laissons ici les affaires dont tu estimes n'avoir pas besoin, un elfe de maison viendra les récupérer dans dix minutes, et nous partirons au Canada. J'ai déjà réglé les documents administratifs. »
Séraphine, éberluée, écarquilla les yeux. Eileen ajouta : « Qu'est-ce que tu attends ? Dépêche-toi, nous devons prendre le portoloin dans une heure. »
La jeune fille s'attela donc à la tâche de déterminer quels manuels et outils scolaires trouveraient leur utilité durant ses vacances. N'étant jamais allée au Canada, elle ignorait tout de son climat et de ses coutumes.
« Nous achèterons des vêtements là-bas. », précisa Eileen.
Servisis lui donna une valise minuscule, avec un air entendu qui signifiait : je sais bien qu'elle ne contiendra jamais assez d'affaire, je l'ai fait exprès.
Séraphine eut un sourire suffisant et sortit sa baguette : « Je te remercie, Servisis, mais heureusement, après quelques mésaventures, j'ai appris à protéger mes affaires. Dilatatio !»
Elle risqua un coup d'œil vers sa mère.
« Mais pas des mauvaises fréquentations. » répliqua celle-ci d'un ton sec.
Séraphine s'efforça de contenir sa colère. Deux minutes qu'elles s'étaient retrouvées, et elle enviait déjà Lily. Habituellement, elle ne le faisait qu'à la moitié des vacances. C'était mauvais signe.
« Tu es prête, allons-y. » déclara Eileen.
— Il y a encore un léger problème.
— Lequel ?
— Une amie m'a offert une espèce d'une grande rareté, presque en voie d'extinction. C'est une chèvre de Salem croisée avec un divine licorne. »
Eileen la fixa longuement. Bon, peut-être qu'elle en avait fait un peu trop. Mais présenter Salem comme une vulgaire arnaque risquait de dissuader sa mère.
« Tu peux l'emmener. Mets-la dans la valise. » céda-t-elle.
A contre-cœur, elle plaça Salem dans une position inconfortable. Elle espérait qu'elle pourrait rapidement la laisser sortir, ou bien Salem risquait de se tordre une patte ou se casser une corne à force de se tortiller.
Ils marchèrent jusqu'à une ruelle étroite et perdue au milieu de rues désertes. Une queue de quelques personnes patientait devant un sabot cabossé et boueux. Une fois que ce fut leur tour, Eileen fit une grimace dégoutée puis le toucha du bout du doigt, et disparut dans un tourbillon de couleurs vives.
Séraphine, émerveillée, demanda à Servisis s'il avait déjà pris un Portoloin.
« Une fois, et c'est ce qui m'a écrasé la tête. » ricana-t-il en désignant sa façade mangée de moitié.
Elle déglutit et, avec crainte et appréhension, tendit sa main. Ce fut comme si un crochet l'emmenait par le nombril, et la secouait dans tous les sens avant de la jeter sur une neige molle immaculée. Elle se relevait quand Servisis et sa valise se jetèrent sur elle.
« Cesse de chahuter, dit Eileen, déjà debout et époussetée.
— Je ne chahute pas, je me casse la gueule, grommela Séraphine.
— Ne parle pas vulgairement. Les cours que je t'ai payés ne t'ont donc pas servis ? »
Séraphine leva les yeux au ciel et se remit sur ses pieds. Face à elle, des bâtiments de pierre étaient ensevelis sous des couches d'une blancheur poudreuse. Un panneau indiquait : Welcome to Stonewall !
Eileen les conduisit à un bar tabac, qui semblait être le seul commerce de la ville, et était rempli en conséquence. Servisis se cacha sous une épaisse cape tandis qu'elle se dirigea vers le barman qui nettoyait un verre d'une main et servait une bière de l'autre.
« Je cherche les Assaillants de Stonewall. »
Il arrêta ce qu'il faisait, les fixa tour à tour dans les yeux, puis demanda : « Vous êtes des sorciers ?
— Bien sûr. Sinon, pourquoi vous donnerait-on le mot de passe ? » dit froidement Eileen. Cet endroit lui rappelait sa rencontre avec Tobias. Mauvais souvenir. Exécrable même.
Le barman souleva le comptoir et leur souffla : « Vous allez dans l'arrière-cour. Il y a un abri pour poules. Chassez-les, entrez, attendez treize secondes, et sortez. Vous y serez. »
Ils suivirent les consignes à lettre et supportèrent les interminables treize secondes dans la paille puante et l'obscurité, avant de rouvrir la porte avec soulagement. Séraphine huma alors une odeur exquise de confiserie.
« Ça sent... commença-t-elle.
— La barbe à veaudelune », termina Servisis.
Elle s'apprêtait à lui demander qu'est-ce qu'il appelait la barbe à veaudelune, mais Eileen les interrompit : « Nous n'avons pas de temps à perdre. Nous devons rencontrer Monsieur Trix au plus vite. Déjà que ça m'a pris deux mois pour obtenir un rendez-vous, hors de question d'arriver en retard.
— Monsieur Trix ? répéta Séraphine. Comme...
— Neyl Trix, ta très chère amie ? finit Eileen, avec un sourire.
— Tu l'as fait exprès. »
Eileen haussa les épaules, comme si elle s'en fichait éperdument, ce qui était probablement le cas.
Elle les traîna plus qu'elle ne les emmena au travers du village. Autour, des boulangeries projetaient une lumière dorée sur la barbe à veaudelune qui avait remplacé la neige. Des guirlandes de chaudrons, citrouilles et chaussettes de laines dansaient au-dessus de leurs têtes sur un joyeux chant de fête, comme si le Stonewall sorcier était dans un Noël permanent. Des gens vêtus d'épaisses capes en sortaient, avec à la main des confiseries merveilleuses, qui firent saliver Séraphine.
S'éloignant des boutiques éclairées, Eileen s'enfonça sans l'ombre d'une hésitation dans les bâtiments, qui devinrent plus austères à mesure qu'ils s'éloignaient du centre. Elle s'arrêta devant un large et sombre établissement, entouré de barbelés et d'un portail aux griffes acérées. Elles semblèrent bouger lorsqu'ils s'approchèrent.
Séraphine fronça les sourcils. Dans les quartiers malfamés de Carbone-les-Mines, elle avait appris à détecter et fuir le danger, et son instinct lui criait que cet endroit recelait d'inavouables secrets.
« Je suis Eileen Prince. » tonna sa mère d'une voix forte.
Elle invita Séraphine à se présenter aussi d'un regard.
« Je... Je suis Séraphine Prince. » déclara-t-elle.
— Je suis Servisis.
— Servisis comment ? demanda une voix métallique, qui fit sursauter Séraphine.
— Servisis l'elfe de maison ? » grinça-t-il, de l'air le plus déravi qu'elle lui ait jamais vu.
La porte redevint à nouveau silencieuse, avant de s'ouvrir dans un cri déchirant de métal rouillé.
« Vous pouvez entrer. » dit-elle.
Et ils pénétrèrent dans la Fabrique de Bonbons et Confiseries en Tout Genre, comme c'était indiqué sur un panneau, à côté de la pancarte Danger.
