Musiques : Fukai mori, Meimyaku, Kuon, Homonculus et Dante (FMA OST 2), Besturi (FMA OST 1)


Résumé : Deux mois. C'est le temps qui s'est écoulé depuis ce terrible soir où le Q.G. militaire de Central s'est effondré, emportant Roy et Alphonse, qui y avaient foncé tête baissée au secours d'Edward, kidnappé par les homonculi. Depuis lors, Riza n'a plus revu aucun d'entre eux. On les dit « portés disparus » ; « supposés morts », même. Mais la soldate, elle, est convaincue du contraire : elle en est sûre, elle l'a aperçu au milieu de ce paysage désolé, Edward est bel et bien vivant… et toujours aux mains de l'ennemi. Pour le sauver et espérer retrouver les deux disparus, Riza va devoir se retrousser les manches et remonter la piste des miettes de pain que l'alchimiste a laissées dans son sillage. Mais la chose n'est pas pour plaire à tout le monde : dans l'ombre, des forces qui la dépassent sont à l'œuvre et n'entendent pas de cette oreille que la jeune femme cherche à leur arracher la pièce maîtresse de leur plan…


Note : Et c'est parti pour le chapitre 1 !


Chapitre 1 : Ouverture


Devant moi, tout est blanc.

Je voudrais crier, mais je n'en suis plus capable.

Alors…

Je vous en prie. Laissez-moi mourir, moi aussi.


Devant lui, tout était noir.

Il aurait voulu crier. Mais il ne le pouvait pas. Sa voix était étouffée par les ténèbres qui s'engouffraient, moites et pâteuses, dans sa gorge nouée et asséchée. Il errait, sans but et sans personne à ses côtés, dans ce néant angoissant qui l'entourait.

D'où venait-il ? Où allait-il ? Y avait-il seulement un endroit où aller ?

Il avait l'impression de flotter, privé de gravité et de repères, au beau milieu d'un monde où il sentait qu'il n'avait plus rien à faire. Au fond de lui pourtant, une petite voix lui chuchotait qu'il se trompait : derrière le rideau d'ombres qui l'empêchait de comprendre ce monde étranger se trouvaient probablement des couleurs… et peut-être de l'espoir. Mais il avait beau s'acharner sur ce voile opaque, il était incapable d'y créer la moindre brèche.

Incapable de distinguer une once de vie de l'autre côté de cet épais manteau obscur. Rien n'y fit ; pas même la brusque lueur qui jaillit devant ses yeux plissés et qui se tordit avec ferveur pour repousser les ténèbres tenaces mordant ses rayons.

Il ouvrit les yeux. Il croisa aussitôt ceux d'une silhouette penchée au-dessus de lui. Elle était si proche qu'il avait l'impression de ne plus respirer que le dioxyde de carbone qui émanait d'elle. La silhouette, nimbée d'un halo dessiné par un timide croissant de lune dont l'éclat s'était faufilé entre les rideaux partiellement tirés de la pièce, s'enquit :

« Enfin réveillé ? »

Cette voix à l'accent moqueur, mais enjoué… Cette voix si particulière… Elle l'accompagnait depuis deux mois déjà. Mais, pour une raison qui lui échappait, il éprouva tout à coup le sentiment curieux de la connaître depuis bien plus longtemps que cela ; tout comme son propriétaire, qui s'écarta légèrement de lui. Aussitôt, la lueur blafarde de l'astre céleste caressa le visage inexpressif de l'adolescent.

« Inexpressif ». Le mot était faible : après un rapide clignement de paupières pour s'habituer à la lumière qui lui avait fouetté les yeux, le garçon afficha un air remarquablement détaché, alors même qu'il réalisait ne pas savoir où il se trouvait. Il aurait normalement dû s'étonner de s'éveiller dans cette pièce inconnue, ou pire, d'ignorer comment il s'y était retrouvé… Mais non. Comme bien d'autres sentiments, la surprise lui était étrangère. Aussi se contenta-t-il de poser un regard indifférent sur cette chambre vieillotte et minuscule dans laquelle s'entassaient des meubles d'un autre âge, dont l'ancienneté ne rajoutait toutefois rien à la valeur. Au vu de l'état de leur bois rongé par les mites et de leur facture grossière, ils devaient appartenir à des gens modestes, voire nécessiteux.

« Des gens » ? Oui. « Des gens », qu'il ne connaissait sans doute pas non plus. Car le blond commençait à bien connaître, en revanche, la fâcheuse habitude de son camarade à s'emparer ou à user des biens d'autrui ; sans vergogne, qui plus était. Fort était donc à parier que ce même camarade s'était introduit illégalement dans cet appartement… qui était loin de présenter des signes d'abandon : il était agréablement chauffé par un poêle rouillé disposé dans l'un des coins de la petite chambre qui, malgré sa vétusté, semblait propre et entretenue. Autrement dit, ses occupants en avaient certainement été délogés. Enfin, « délogés »… Un euphémisme. L'adolescent savait pertinemment ce qu'il était advenu d'eux, mais ne s'en préoccupait pas plus que cela.

Il avait l'habitude, à force.

« Hé, je te parle, demi-portion ! », railla de nouveau l'androgyne qui lui servait de chaperon.

Pride tourna la tête juste à temps pour éviter que la tape qui lui était adressée n'atterrît sur le haut de son crâne. Il détailla l'expression à présent agacée de son vis-à-vis.

Envy.

Une véritable girouette : il était si ombrageux qu'il pouvait changer d'humeur d'une seconde sur l'autre sans laisser paraître le moindre signe avant-coureur.

C'était présentement le cas.

Pride joua la carte de la prudence et se décida à répondre pour ne pas échauffer son aîné, même s'il aurait préféré continuer à se murer dans ce silence confortable dont il était si coutumier.

« Où on est ? » demanda simplement l'adolescent, qui fit glisser ses jambes sur le bord du lit double sur lequel Envy l'avait couché.

Sans attendre la réponse à sa question, qui lui importait peu en fin de compte, il sauta sur ses pieds avec agilité, puis fit face à la fenêtre. Celle-ci donnait sur des bâtiments aux façades dégoulinantes d'une crasse rendue épaisse et grise de tout le malheur qu'elles abritaient. Il écarta les rideaux pour y voir plus clair, tandis qu'un bruit de couvertures qu'on froissait retentissait derrière lui : Envy prenait ses aises sur le lit. Une fois allongé, ce dernier satisfit ce qu'il pensait être de la curiosité :

« Dans le quartier chaud de Central. Il fallait bien que je trouve un endroit où te poser le temps que tu reprennes connaissance après t'être sauvé. Tu sais que c'est chiant, quand tu fais ça ? » Il pianota nerveusement sur les draps, qui crissèrent sous l'assaut répété des ongles. « Comme si j'avais pas assez de boulot comme ça ! »

Il poussa un soupir exaspéré, puis rappela d'un ton plus qu'acide :

« Je sais pas si ton petit crâne de piaf s'en souvient, mais t'es pas censé te balader à droite à gauche comme bon te semble en profitant d'un moment d'inattention de ma part. Et t'es pas censé te montrer non plus ! Alors, tu peux m'expliquer pourquoi t'as foutu le camp alors que je t'avais expressément demandé de rester tranquille dans le bureau en attendant mon retour ? »

À l'écoute de ce flot d'accusations soudain, Pride daigna enfin se tourner vers son aîné. Malgré l'obscurité qui mangea son visage alors qu'il l'éloignait de la lune, Envy put y discerner, une fois n'était pas coutume, de l'étonnement. Hélas, cet air de sainte-nitouche ne fit que l'agacer au plus haut point ; ce que le jeune homonculus put aisément deviner en voyant l'œil droit du polymorphe virer tout à coup au noir. Mauvais présage, à plus d'une raison : pour qu'Envy s'énervât de la sorte, c'était que quelque chose, mais allez savoir quoi, le mettait profondément en rogne– et pas qu'un simple hébétement qu'il croyait feint.

« Quoi ? » cracha le brun. « Joue pas aux innocents avec moi, sinon, ça va mal finir.

—Je ne vois pas… de quoi tu parles », répondit prudemment le blond, qui se fit violence pour aligner plus de trois mots.

Autant être sincère, car c'était vrai. Il n'avait aucun souvenir d'un quelconque ordre d'Envy, ou d'un quelconque bureau. Enfin, le « bureau »… Si. Son aîné devait faire allusion aux nouveaux quartiers du généralissime, qu'il occupait à présent à mi-temps. Envy avait été chargé par leur père de remplacer Wrath à la tête de l'État, le temps qu'il fût de nouveau sur pied. Après un incident dans leur repaire il y avait deux mois de cela – et dont Pride n'avait été informé que de manière très succincte –, le Q.G. militaire avait été partiellement détruit. À cause de cela, leur frère s'était retrouvé grièvement blessé, alité et, de fait, incapable d'assurer ses fonctions.

Pride avait d'ailleurs été surpris d'apprendre que, contrairement aux autres membres de leur fratrie et à lui-même, Wrath ne jouissait pas d'un pouvoir de régénération. L'homme avait donc été pris en charge par une équipe médicale de premier ordre qui œuvrait pour eux dans l'ombre, mais son rétablissement s'était éternisé. Or, comme il était impossible de laisser transparaître la moindre faille chez cette figure de proue de la puissance amestrienne, chez ce héros vainqueur de tant de batailles et à la tête d'un pays prospère, aucune information n'avait été diffusée concernant le réel motif de son absence.

Malheureusement, cette absence et ce silence prolongés s'étaient bien vite avérés une source d'ennuis supplémentaires, car des rumeurs, alimentées par une commission stupide qui avait essayé de présider lors de ce vide au pouvoir – et qui, bizarrement, n'avait plus donné signe de vie depuis –, avaient commencé à circuler. Le fond de ces ouï-dire variait selon les personnes et les jours, mais une constante s'était dégagée : tous s'accordaient à dire que King Bradley était en fait porté disparu et vraisemblablement mort dans l'effondrement qui avait emporté son bureau et l'aile est du Q.G. militaire.

Afin de court-circuiter cette rumeur et, surtout, d'éviter qu'elle ne prît de l'ampleur et ne donnât des idées belliqueuses aux pays limitrophes avec lesquels les relations avaient toujours été plutôt tendues – encore une fois, d'après les informations que Pride avait pu glaner d'une oreille distraite –, leur père avait décidé qu'Envy entrerait en scène. Dès lors, à peine une semaine après l'incident, il avait revêtu l'apparence de leur frère et mené, d'une façon certes discutable, les affaires politiques et militaires d'Amestris. Quant à la famille du Führer… Elle avait simplement été avertie que tant que la situation diplomatique resterait instable, le « généralissime » serait dans l'incapacité de regagner son foyer et devrait se concentrer sur ses impératifs étatiques. Dans les faits, il était surtout hors de question pour Envy d'aller jouer au mari et au père aimants. Il avait mieux à faire, comme tirer habilement leur épingle du jeu en mettant sur le compte de Scar ce que l'on appelait désormais « l'attentat de mars » survenu au Q.G.

Une chose était cependant certaine : Envy n'avait pas l'étoffe d'un dirigeant et ce rôle sans aucune liberté d'improvisation commençait à lui taper sur les nerfs. Sans compter que, non content de devoir faire bonne figure dans ce corps fripé qu'il abhorrait, il devait aussi garder un œil sur Pride : Père lui avait confié sa garde et son apprentissage. Officiellement, car il souhaitait responsabiliser Envy, et Pride s'en était tenu à cette version ; officieusement, et l'Envieux n'irait pas le raconter à son cadet, car leur père voulait lui faire payer son manque de discernement chronique, qui avait mené à leur débâcle de mars dernier. Il entendait bien rectifier le tir en déléguant la formation de leur nouvelle recrue à celui qui la détestait le plus au monde et qui lui avait permis, par plusieurs maladresses, de faire capoter tous leurs plans passés. Du moins, c'était la seule explication qu'Envy vît à cette décision stupide.

Quoi qu'il en fût, la tâche ne lui seyait guère plus que celle de Führer. Cependant, contrairement à ce que pensait leur créateur, elle avait au moins eu le mérite de l'amuser de temps en temps. Mais ça non plus, Envy n'irait pas en toucher mot à Pride, d'autant plus que ce soir… il n'était pas vraiment d'humeur à « s'amuser ».

« "Tu ne vois pas de quoi je parle"… Tu ne vois pas de quoi je parle ? » répéta l'androgyne d'un ton faussement joyeux, un sourire nerveux plaqué sur le visage comme un masque, pourtant bien en peine de dissimuler la colère qui grondait au fond de ses entrailles.

Il leva les mains au ciel comme s'il s'attendait à ce qu'une révélation divine vînt le frapper… quand bien même Dieu aurait probablement été le dernier à se pencher sur les soucis d'un être artificiel.

« Mais bien sûr ! Suis-je bête ! Tu t'es téléporté dehors par magie ? Ou alors… Non ! Je sais ! Ne dis rien ! C'est le vent qui t'a emporté par la fenêtre par laquelle tu t'es échappé ? » ironisa Envy d'un ton sarcastique en joignant le geste à la parole d'une façon théâtrale. Il asséna bien plus durement après avoir levé les yeux au ciel : « Arrête de me raconter des conneries ! »

Pride fronça les sourcils comme rarement. Autour de lui, la tension grimpait un peu plus à chaque seconde, jusqu'à en devenir palpable. Pourtant, il avait beau chercher au fond de sa mémoire, il n'avait strictement aucun souvenir de s'être…

« Rappelle-toi. »

« … ! »

Il fit volte-face, les yeux écarquillés et le souffle court.

Personne.

Pourtant, il était sûr d'avoir entendu une…

« PRIDE, bordel de merde ! Je te parle ! » s'écria Envy, qui se leva d'un bond pour l'agripper au collet et regagner l'attention de son élève dissipé. « Est-ce que c'est trop te demander de brancher tes putains de deux neurones l'espace d'une minute pour te concentrer sur ce que je te dis ? ! »

Pride tourna vers lui des yeux perdus. Ce fut alors qu'il se rendit compte de la présence de quelque chose d'étrange sur les vêtements de son aîné et sur sa peau : de longues traces carmin rendues noirâtres par la nuit. Elles étaient si sèches qu'elles semblaient s'y être incrustées et craquelèrent imperceptiblement sur son épiderme. Nul doute, c'était du sang et, à en juger par l'aspect, versé depuis un bon moment. Et s'il n'avait pas été réabsorbé par le corps de son frère, c'était que… c'était celui d'un autre.

Pride leva lentement la main pour la porter à une traînée plus large que les autres, sur l'épaule de l'androgyne… et constata que ses propres doigts étaient eux aussi constellés de taches sombres.

Tout à coup, un souvenir remonta à la surface de sa mémoire brouillée.

Quelqu'un.

Il avait vu quelqu'un.

Et il était sorti.

« J'ai vu quelqu'un… et… je suis sorti… », fit-il comme un automate à mesure que les pensées le rattrapaient, les unes après les autres.

« T'es sorti, car t'as vu quelqu'un ? » répéta Envy. Il le jaugea un instant puis le lâcha dans un geste rendu brusque par l'impatience. Cependant, il observa Pride d'un air interloqué, qui contrasta avec la colère qui bouillonnait toujours en lui.

« Oui… Un militaire… Il était assez grand… Cheveux courts… Sombres…

—"Sombres" ? » releva Envy en se raidissant soudain.

« Châtains… Je crois.

—Ah ! » fit l'androgyne, étonnamment soulagé. « Mais tu me parles du type que j'ai dézingué !

—Que tu as… »

La réalité frappa Pride en plein visage comme un coup de poing. Il se rappela : il attend patiemment le retour d'Envy dans le bureau. Il s'ennuie. Il part s'accouder à la fenêtre pour regarder, au-dehors, les soldats éparpillés çà et là dans la cour intérieure du Q.G. Certains marchent d'un bon pas, pressés de retrouver leur famille à cette heure tardive ; d'autres, qui logent dans les baraquements à l'arrière de l'imposante structure, s'en vont d'un pas plus tranquille et synchronisé à celui de leurs compagnons de beuverie, riant de bon cœur en pensant à la gnôle qu'ils vont partager autour d'un jeu de cartes.

Et parmi tout ce monde qui se perd dans la nuit, sous le regard éteint du tout jeune homonculus qui se prête à rêver à une autre vie à laquelle il ne goûtera sans doute jamais… une silhouette se détache. Un homme de grande taille, d'une trentaine d'années, aux cheveux châtains et à l'air gentil. Son front légèrement plissé trahit une inquiétude d'origine inconnue, mais il a adopté la démarche résolue de ceux qui cherchent à combattre une angoisse par un déploiement brusque d'énergie. Il fonce donc tête baissée vers son baraquement puis, en suivant machinalement de ses yeux fatigués le vol hasardeux d'une chauve-souris en quête de sa pitance, relève la tête.

Peut-être tout aussi par hasard, à ce moment… son regard franc se tourne vers le Q.G. ; vers l'une des rares fenêtres non éclairées, à cette heure tardive. Peut-être, encore, car un rayon de lune taquin frappe de plein fouet une vitre et l'éblouit. Peut-être.

Son pas, rythmé par ses pensées, ralentit progressivement. Ses yeux cernés se plissent et, soudain, Pride, dont la respiration est coupée, sent le regard de l'homme le transpercer.

L'homme s'arrête net, quelques mètres à peine en contrebas du bâtiment.

Cet humain l'a distingué. Il l'a vu, malgré la pénombre du bureau. Il en est sûr.

Et cet humain reste là, figé et bouche bée, comme s'il avait aperçu un fantôme.

Leurs regards se heurtent, se détaillent, se cherchent.

Pour une raison inconnue, Pride éprouve l'irrésistible envie d'aller à sa rencontre ; un besoin, même.

Et pour une raison tout aussi obscure… il y répond.

Il ouvre d'un coup la fenêtre et se faufile au-dehors malgré l'interdiction d'Envy et cette petite voix qui lui dit de ne pas provoquer inutilement l'ire de son protecteur. Il atterrit lestement sur les pavés humides et frais de la cour et accourt vers ce drôle d'humain qui…

Il ne sait plus trop. Il a le vague souvenir de se faire secouer… L'homme doit tenter de lui dire quelque chose. Ne trouve-t-il pas ses mots ? Ou bien est-ce lui qui ne comprend pas ceux qu'il croit se rappeler avoir entendu cet homme prononcer ? Il appelle quelqu'un… Il crie un nom… Il…

Il n'a pas le temps de comprendre.

Pas le temps de lui demander.

Une gerbe de sang éclate sur le ventre du malheureux soldat, dont les doigts se crispent sur les épaules dénudées de l'homonculus, qu'il secoue encore quand le drame arrive. L'homme lui adresse un regard épouvanté, quelques derniers mots que le blond ne saisit toujours pas puis, sans prévenir… s'effondre à ses pieds. Pride le revoit lui tendre faiblement la main… mais celle-ci est écrasée par une botte impitoyable qui la broie comme une vulgaire brindille sans hésitation.

Le silence.

Puis, la voix d'Envy parvient au jeune homonculus déboussolé, lointaine ; presque inaudible. Il ne distingue qu'une vague bouillie de sons. Son esprit reste obsédé par le visage de ce militaire qu'il a l'impression d'avoir croisé des dizaines de fois déjà, sans réussir à se rappeler où. Il voit, au fond de ses prunelles sombres singulièrement familières, la vie s'éteindre peu à peu. L'odeur âcre du fer et des boyaux percés le prend à la gorge, mais si, brusquement, la tête lui tourne, ce n'est pas à cause des horribles relents de la mort qui s'élèvent du cadavre…

Mais de ceux des souvenirs qui lui compressent violemment le crâne comme un étau.

Cet homme, il l'a connu.

Il ne sait plus où.

Il ne sait plus comment.

Mais quelque part, au fond de lui, une voix lui hurle qu'un jour, il a peut-être été plus qu'un uniforme.

Peut-être pas un ami…

Mais un homme qui aurait pu être digne de l'être.

« … ! »

Un cri perçant éclata dans la chambre.

Pride s'attrapa la tête entre ses mains tremblantes et tituba jusqu'à la table de nuit, qu'il heurta dans un gémissement terrible. Il s'effondra sur le meuble et l'emporta dans sa chute, puis s'écroula sur le parquet qui grinça sous son poids.

Le blond se mit à convulser dans des hurlements incohérents, sous les yeux médusés d'Envy.

« Ho, Pride ! Il t'arrive quoi, là ? ! » s'exclama ce dernier, troquant aussitôt son ressentiment contre une pointe d'inquiétude.

Il s'accroupit précipitamment aux côtés du plus jeune, agitant maladroitement les mains autour de lui sans trop savoir quoi faire. Devait-il le maintenir pour le garder de se heurter contre tout ce qui se trouvait à sa portée ? Le hisser sur le lit ? Ou bien le laisser se tortiller comme un possédé sur le sol en attendant que sa crise fût passée ?

Pride répondit bien vite à sa question : ses spasmes erratiques empêchèrent tout bonnement son aîné d'approcher.

« … »

Après un instant de réflexion et une rapide analyse, Envy, résigné, laissa l'adolescent se tordre au sol tout son soûl, griffer le parquet à s'en décoller les ongles et piauler continûment contre les démons du passé qui l'assaillaient.

Que pouvait-il faire d'autre, après tout ? Il n'avait aucune prise sur ce qui pouvait bien se passer dans la tête de son cadet. Il n'y avait pas de remède à ce mal, car celui qui rongeait Pride était des plus douloureux. Il en savait quelque chose pour en être, lui aussi, passé par là. Certains signes ne trompaient pas : les propos incohérents, les pupilles dilatées, une souffrance à peine soutenable et des convulsions… Voilà le châtiment réservé aux êtres de leur espèce. Lorsque des souvenirs refoulés venaient crucifier leurs esprits encore embrumés par leur renaissance artificielle, il n'y avait qu'une chose à faire : serrer les dents et endurer l'épreuve à laquelle les soumettaient leur nature et cette vie antérieure qui n'était plus la leur. Après quelques minutes ou quelques heures, peut-être, ces fragments d'antan seraient de nouveau remisés dans l'inconscient grâce à l'action de la pierre qui leur servait de noyau… ou assimilés comme des miettes d'un passé révolu, puis relégués dans le recoin le plus sombre de leur mémoire.

Envy en était persuadé : il en serait de même pour Pride. Et une fois que celui-ci fut assez assommé de douleur pour ne plus pouvoir que suffoquer, l'androgyne secoua la tête et glissa sa main gauche sous celle de son protégé. Histoire d'éviter qu'il ne se fracassât le crâne contre le pied du lit duquel il était diablement proche, si jamais il lui prenait l'envie de recommencer à se tordre dans tous les sens. Il observa d'un œil sévère la petite tête blonde que soutenait sa paume. Ce devait donc être cette mémoire enfouie qui avait poussé le plus jeune à passer outre les ordres qu'il lui avait donnés et à s'aventurer hors du bureau dans lequel il lui avait pourtant intimé de rester caché. Autrement dit, Pride était bien sorti pour parler à cet homme, et pas simplement pour s'aérer un peu.

Il avait bien fait de tuer ce garde.

Qui savait ce que ce soldat aurait pu ou, pire, avait peut-être pu dire à son puîné ? Les instructions de leur père avaient été très claires, à ce sujet : Pride ne devait sous aucun prétexte récupérer la moindre miette des souvenirs de son ancienne vie d'alchimiste, restée jusque-là tapie au fond de son être comme une boîte de Pandore poussiéreuse. Malheureusement, toutes les précautions qu'Envy avait pu prendre n'avaient a priori pas suffi : le blondinet qui agonisait pathétiquement sous ses yeux luttait bel et bien contre ce passé dont il avait été chargé de le garder, et dont le souvenir avait été ravivé par cet inconnu ; peut-être plus, encore, par sa mort.

« … »

Il était dans de beaux draps. Cette erreur d'inattention, Envy le savait, ne lui serait pas pardonnée. Alors, la seule chose à faire était de croiser les doigts pour que la vie antérieure de Pride ne reprît pas le dessus. Si l'être humain qu'il avait été récupérait le contrôle de ce corps…

Tous les efforts consentis pour respecter le plan établi et rigoureusement suivi depuis leur cuisant et dernier échec partiraient en fumée.

« Eh merde… Reprends-toi, Pride… », murmura Envy en plaçant sa main droite devant son nez pour lui faire respirer son propre dioxyde de carbone et, de cette façon, l'empêcher de ventiler aussi dramatiquement qu'il le faisait. Le brun était suffisamment anxieux comme ça pour ne pas avoir en plus à absorber le stress du petit blond, trop communicatif à son goût.

Envy demeura ainsi un long moment, incertain, à contempler son frère d'infortune. Puis, lorsqu'il le jugea calmé, il souleva précautionneusement sa tête pour le hisser correctement sur ses cuisses engourdies et le ramener contre lui. Il sentit le souffle chaud et tremblant de son cadet heurter son ventre dénudé et sa main, frêle, agripper les plis de sa jupe-short dans une tentative désespérée de rester accroché à la réalité.

Ses yeux étaient grands ouverts, mais au fond d'eux dérivaient ses iris d'or.

Pride ne le voyait sûrement pas ; peut-être n'avait-il même pas conscience de son état. Envy connaissait bien ce genre de transes. Elles laissaient toujours des cicatrices, mais jamais rien de bien profond.

Normalement.

« … »

Aucune formule de réconfort ne lui vint en tête pour apaiser son apprenti. Il n'était pas doué pour ces choses-là et, de toute façon, Pride ne l'entendrait probablement pas. Alors, plutôt que des mots, il opta pour un geste : sa main glissa lentement sur ses longs cheveux d'or à plusieurs reprises, dans de vagues caresses rassurantes.

Toujours mieux que rien.

Bien vite, le corps de Pride se détendit et s'affaissa comme un ballon crevé. Il ne fut plus qu'une poupée inerte étendue contre l'androgyne. On l'aurait cru mort, mais son compagnon savait qu'il avait simplement basculé dans l'inconscience.

La même scène que tantôt se répétait : lorsque Envy s'était rendu compte de l'absence de Pride, qui avait déserté le bureau peu avant qu'il n'y revînt, il s'était précipité à la fenêtre, que le plus jeune avait laissée ouverte aux quatre vents avec cette insouciance dont il ne se départait jamais. Après quelques jurons et des coups d'œil furtifs de tous côtés, l'aîné avait repéré son cadet dans la cour intérieure du Q.G. en compagnie de l'un des soldats qui, d'ordinaire, montaient la garde devant l'entrée du bâtiment. Outre le fait qu'un sentiment amer eût envahi sa poitrine à la vue de son protégé aux côtés d'un autre homme, l'Envieux avait tout de suite perçu le danger de cette entrevue. Pride était un élément fondamental dans leur plan, et ne devait en aucun cas être découvert : nombreuses étaient les personnes qui pouvaient aisément reconnaître en lui feu Edward Elric, le petit génie devenu précocement alchimiste d'État, et qui officiaient encore dans les locaux militaires.

Problème : leur base secrète, malgré les dommages subis, se situait toujours précisément sous le Q.G., dans lequel ils avaient de toute façon besoin de circuler journellement afin de garder la mainmise sur Amestris. De ce fait, trimbaler Pride avec lui tout en s'assurant qu'il n'eût de contact, même visuel, avec personne était un sacré défi ; un défi qu'Envy avait réussi à relever jusque-là, et qu'il ne comptait pas perdre de la sorte.

La règle avait été clairement édictée par leur géniteur : sauf contre-indication, si quelqu'un identifiait Pride ou faisait mine de l'approcher, il devait être éliminé sur-le-champ. Et c'était précisément ce qu'Envy avait fait. En profitant de la pénombre, il avait sauté par la fenêtre et s'était précipité sur le garde. Il n'avait même pas laissé le temps à l'inconscient d'émettre un seul son ou de sortir son arme de fonction : à l'aide de son avant-bras, métamorphosé en lame effilée, il l'avait réduit au silence d'un simple geste. Ce n'était pas la plus belle de ses prestations, car, pris de court par l'urgence de la situation, il lui avait porté un coup plutôt approximatif, mais le résultat était là. Il avait tué la menace dans l'œuf.

Toutefois, à sa grande surprise, Pride avait perdu connaissance le temps qu'il se redressât et fît retrouver à son bras une forme organique. Le jeune homonculus avait alors convulsé comme cette fois-ci, mais assez légèrement pour qu'Envy n'y prêtât pas plus attention que cela. À ce moment-là, il avait eu bien d'autres choses auxquelles penser : il lui avait fallu déguerpir au plus vite avec le plus petit dans les bras, car la cour était loin d'être déserte, même à la nuit tombée.

Par un heureux coup du sort, le brun avait perpétré son crime si efficacement que personne aux alentours ne s'en était rendu compte. Il avait donc pu s'éclipser sans souci, son doux fardeau contre lui, pour trouver un endroit calme où faire le point sur la situation avec Pride – et bien entendu, pas dans leur repaire, où Père n'aurait pas manqué l'occasion de lui passer le savon du siècle à l'écoute de son « exploit ». Le seul bémol à tout ceci était, ça va de soi, le corps du soldat qu'il avait dû laisser en plan. Personne ne pourrait établir de relation de cause à effet entre lui ou Pride et la mort de cet homme, mais Envy aurait un sacré bordel à régler le lendemain, lorsqu'il reprendrait sa merveilleuse fonction de Führer adjoint.

Cela dit, actuellement, tous ces embarras politiques ou criminels étaient bien le cadet de ses soucis. Ce qui le préoccupait davantage était la façon dont il allait devoir expliquer à Père ce qui arrivait à son chouchou. Il serait inutile de le lui cacher : Pride serait sans doute suffisamment agité ou bouleversé par cette expérience traumatisante pour soulever sans le vouloir quelques interrogations, s'il n'en exprimait pas lui-même de vive voix à leur paternel. Néanmoins, pour l'heure, Envy préférait garder une marge de manœuvre afin de réfléchir à comment présenter le problème sans s'attirer les foudres de leur géniteur pour ne pas être parvenu à encadrer comme il se devait son petit frère.

Ainsi, pour l'instant, il allait simplement profiter de cette étrange proximité que lui accordaient les tourments du blond afin de trouver comment démêler la situation inextricable dans laquelle il était plongé. En effet, si une part de lui n'appelait qu'au repentir et redoutait le courroux de leur père à tous deux… une autre, plus secrète, ressentait une drôle d'excitation à voir son quotidien ainsi bouleversé, si bien qu'il ne savait plus s'il devait s'en vouloir ou se réjouir ; s'il devait une bonne fois pour toutes accepter que Pride ne fût « que » Pride… ou regretter celui qui, naguère, ne l'aurait jamais laissé approcher comme il le faisait en cet instant précis.

Peut-être que l'avenir le lui dirait.

« Quels sont donc les souvenirs qui t'assaillent ? » souffla l'Envieux dans un murmure pensif, tout en écartant une mèche dorée du visage encore juvénile de son cadet.

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire nostalgique.

Il n'arrivait pas à définir pourquoi, mais il aurait bien aimé être lié à ces souvenirs rebelles. Car, depuis sa naissance, Pride n'avait pas montré le moindre signe de réminiscence et avait bâti une nouvelle relation avec lui, qui ne prenait aucunement compte de la précédente.

Comme si elle n'avait jamais existé.

Pourtant, elle avait existé. Tout comme l'alchimiste qui avait perdu la vie ce jour-là ; ce jour funeste. Enfin… « perdu la vie… »

Peut-être que non, après tout.

Envy sourit.

Les prochains jours promettaient beaucoup.


À suivre…


Voilà ! Bon ! Ce chapitre était une mise en bouche. J'espère que le début vous plaît et surtout, qu'il vous donne envie de continuer x3 J'espère aussi ne pas vous avoir assommés d'informations :x Comme il faut tout rappeler dans les premiers chapitres, ça peut peut-être ralentir le rythme… Désolée u.u'

Allez ! Sur ce, à la semaine prochaine, et merci d'avance pour les reviews ! :D


White-Assassin