Drago relut plusieurs fois le passage, vérifia chaque mot dans son dictionnaire, puis reposa le carnet et se mit à table.
Les Patronus possédaient un cœur, les Patronus possédaient des organes. La belle affaire. Il le savait déjà, il avait pu le constater par lui-même quand la chose qu'il avait invoquée avec Potter et la baguette de Foley avait commencé à se décomposer sous leurs yeux à tous.
Le cœur de Patronus était fait d'espoir pur ? L'information n'avait rien de surprenant. Il aurait pu le déduire lui-même : Puisqu'une coccinelle ou un dragon étaient capables de posséder la même puissance, il était évident que leur pouvoir se concentrait dans un point précis de la créature, et pourquoi pas le cœur, en effet ? Le cœur ou le cerveau.
On pouvait extraire cette chose et en faire quelque chose de tangible ? Drago n'était pas étonné.
La chose obtenue était indestructible ? Drago en doutait. Ekrizdis était patient et méthodique. D'ici quelques pages, l'artefact serait réduit à néant ou bien utilisé comme une nouvelle arme qu'il finirait par casser, comme toutes les autres. L'homme du carnet avait été torturé bien plus longtemps que ses camarades et était devenu un être sans conscience à cause de cet espoir un peu trop puissant. Difficile d'éprouver de l'empathie pour lui. Il aurait dû, en homme pragmatique, accepter son sort et mourir.
Une fois son repas terminé, il s'effondra dans son lit et fixa le plafond de son lit à baldaquin.
Les flammes des torches de son couloir brûlaient toujours de façon régulière, presque sans crachoter à l'exception des moments où elles s'allumaient et s'éteignaient. Depuis quelques jours, un lent courant d'air semblait les agiter régulièrement. La magie de Potter. Drago pouvait la sentir d'ici. Même quand il approchait les doigts du feu, il avait l'impression de barboter dans un lac tiède.
Il entendit un grattement discret et redressa la tête, les sourcils froncés.
Le son provenait de son agenda magique.
Il pesta et se retourna dans son lit. Il avait été suffisamment clair avec Potter sur le fait qu'il ne devait plus rien attendre de lui.
En face de lui, son vieux calendrier trônait : les cases cochées et les cases vierges. Et puis celles sur lesquelles il avait tracé un long trait continu : d'abord, les huit derniers mois. Il avait reçu un courrier l'informant qu'après une analyse de son dossier, ses mauvais comportements ayant étés reportés par un homme désormais licencié et dont la parole avait peu de valeur, les huit longs mois qui avaient été ajoutés à sa peine avaient été invalidés. Puis six mois de plus : en raison de son comportement exemplaire et des services rendus au pénitencier, une remise de peine de six mois lui avait été accordée. Et puis six nouveau mois de sursis allaient peut-être s'ajouter au cadeau. Six mois pendant lesquels il travaillerait à Londres et pourrait montrer à tous sa bonne volonté et son talent.
Plus de la moitié du temps qu'il lui restait à purger que Potter avait fait disparaître de trois claquements de doigts successifs.
Le grattement n'avait pas cessé.
Drago jura, se leva, récupéra l'ouvrage et l'ouvrit.
Potter était en train de barrer chacun des rendez-vous prévus pour le lendemain et de leur noter consciencieusement une date de report. « conf. cheminette G. Ollivender » disparut lentement sous un trait fin et une annotation indiquant qu'il fallait joindre l'homme pour trouver une nouvelle disponibilité apparut doucement.
Drago grogna en observant le tracé méthodique des lettres. Il jeta un nouveau coup d'œil désespéré à son calendrier, jura de nouveau, puis s'empara de sa plume pour demander, dans un coin de la page :
« Comment te portes-tu, Potter ? »
L'agenda resta silencieux et immobile.
Drago fixa le papier en triturant sa plume, comme lors de ses premiers contrôles à Poudlard, quand il ne savait pas encore se tenir correctement.
S'en apercevoir le fit râler de nouveau.
Calendrier. Page.
Il soupira puis se leva pour enfiler ses chaussures.
Il lui était redevable. Il pouvait bien faire un effort.
Il avait été clair, mais… Et bien puisque Potter avait accepté sans discuter, quelque chose poussait Drago à revenir sur sa parole. Inlassablement.
Il cogna à l'épaisse porte de bois sombre du Directeur. Dans le couloir, les chariots de service vides des deux Majors attendaient contre leur porte leur de retourner aux cuisines. Pas celui de Potter. Il frappa une nouvelle fois, par acquis de conscience, puis poussa la porte et entra comme s'il était chez lui.
Il se dirigea vers le bureau privé mais interrompit son mouvement en constatant la présence de Potter dans son canapé, penché au-dessus de la table basse. Ce n'était pas si étonnant qu'il travaille hors de son bureau, en réalité. Il le regardait avec un air perdu, la bouche entrouverte et les sourcils dissimulés sous la tignasse emmêlée. Il resta ainsi quelques secondes, puis son sourire épuisé remplaça tout le reste.
« Tu sais, la politesse voudrait que tu ne rentres pas chez les gens sans y avoir été invité.
– Tu as modifié tes Assurdiato ?
– Non, mais…
– Alors je vais faire comme si tu m'avais invité et que je n'avais pas entendu ! » prétendit Drago.
Il haussa les épaules avec désinvolture et se laissa tomber dans le fauteuil face à Potter.
« Tu souffles un peu le chaud et le froid, avec moi… accusa doucement ce dernier.
– Oui, admit Drago. Je suis désolé de ne pas être plus constant. »
Il aurait dû se confondre en excuses, mais Potter le dévorait des yeux et sa prunelle brillait d'un éclat malicieux. Le Survivant était heureux que son prisonnier ait changé d'avis, et satisfait qu'il se soit finalement imposé. Drago poussa un soupir et détourna le regard :
« Je suis vraiment désolé, insista-t-il tout de même. J'essaye de t'ignorer, de te laisser de l'espace, de nous laisser de l'espace, mais… Je n'arrive pas à ne pas penser à toi. Un reste de sentiments, peut-être. Enfin, non. Pas de sentiments, mais de… » Il laissa sa voix mourir, puis supposa : « Un reste de quelque-chose.
– Désolé », répéta Potter. Il se redressa et s'enfonça un peu plus confortablement en arrière, les jambes largement détendues et une expression d'amusement sur le visage.
La cheminée ronflait tranquillement. Le bois craquait en produisant un son agréable et reposant. Le velours du fauteuil était doux sous ses doigts. Drago se sentait bien dans ces appartements et dans ce rembourrage moelleux, comme s'il était de retour chez lui. Il laissa son regard dériver autour de lui, sur la table qui penchait légèrement depuis les réparations sommaires de son propriétaire, la bibliothèque aux rayonnages irréguliers…
« Désolé, fit encore Potter. J'ai pas rangé. Je l'aurais fait si tu m'avais prévenu que…
– Tu n'as pas à t'excuser, Potter. Tu es chez toi, tu ranges bien les choses à ta guise. »
L'œil aiguisé de Drago repéra les miettes sur le table et le tapis, les vitres sales, la poussière sur le stock de bois sous la cheminée.
« Tu aurais pu demander à Mullan de t'assigner une nouvelle prisonnière. Au moins pour s'occuper du ménage. »
Potter ne répondit pas jusqu'à ce que Drago le dévisage de nouveau :
« Comment tu vois les choses, cette fois ? »
Drago ne put s'empêcher de remuer nerveusement en regardant ailleurs. Il se focalisa sur la danse des flammes dans la cheminée.
Il tourna et retourna les mots dans sa bouche une minute entière jusqu'à ce qu'il soit certain de pouvoir les prononcer sans bafouiller.
« La relation que tu entretiens avec Ginny Weasley est fraternelle et sans équivoque. Nous pourrions essayer quelque-chose comme cela.
– Ça commence mal. T'as même pas voulu fêter mon anniversaire avec moi.
– Je suis là, finalement, corrigea Drago.
– Tu m'as prévu un cadeau ?
– Je ne crois pas avoir reçu de cadeau pour le mien, rétorqua-t-il avec hauteur.
– Le manteau compte pas comme un cadeau ? »
Drago ricana malgré lui. Il avait reçu tant de présents de la part de Potter que son bureau était probablement devenu la pièce la plus élégante de tout Azkaban. Le manteau était la seule chose que Potter lui avait offert directement, sans compter sur ses fouineries et ses appropriations naturelles.
« Va pour le manteau, supposa-t-il. Mais moi, je t'ai offert les livres. »
Il désigna l'étagère du haut de la bibliothèque où les romans de littérature classique s'alignaient sagement.
« Tu les as achetés avec mon argent. C'est même moi qui ai signé les bons de commande. »
Drago pesta. Il détestait utiliser son argent pour des futilités et se trouvait déjà forcé d'offrir des boîtes de chocolat à la vieille Madame Johnson par pure politesse. Il n'avait cependant pas tout a fait le choix : il devait tant à Potter que le cadeau qu'il lui fallait dénicher se devrait d'être hors de prix. Et disponible en utilisant les magazines qu'il possédait : il ne pouvait pas contacter un artisan renommé alors que le Directeur risquait de voir l'adresse passer et révéler la surprise.
« Je veux un gâteau », affirma Potter.
Drago haussa les sourcils. Le traiteur auquel sa mère faisait appel lors des réceptions était capable de créations grandioses et pour un prix correct. Il pouvait glisser l'adresse et la demande à Fleur Delacour et la prier de transmettre le…
« Fais moi une liste des ingrédients. Tu pourras utiliser ma cuisine.
– Pardon ? Tu veux que je te cuisine un gâteau ?
– J'espère que tu comptais pas t'en sortir avec un traiteur Français à la con ? »
Potter souriait joyeusement, l'air immensément satisfait de son idée.
« Je ne sais pas cuisiner, expliqua Drago. Je ne connais aucune recette.
– Aucune ? Même pas un gâteau au yaourt ?
– Tu te contenterais d'un gâteau au yaourt ?
– Je me contenterais d'une tartine de margarine si elle vient de toi. »
Drago ricana.
« Je ne connais pas la recette du gâteau au yaourt.
– Je vais t'acheter un livre de pâtisserie.
– Je sais faire le pudding de Noël.
– Va pour le pudding de Noël. »
Drago ferma les yeux et laissa son crâne reposer sur le dossier derrière lui. Il sentait ses joues le tirer. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas souri ainsi.
« C'est une tradition chez les Sorciers de sang pur, précisa-t-il tout de même. Avec du pain rassis et des fruits confits. Pour offrir aux elfes de Maison.
– Je te déteste un peu plus à chaque phrase, mais va pour le pudding au pain rassis.
– Comment te sens-tu véritablement, Potter ? »
La réponse mit une éternité à se faire entendre mais Drago attendit sans bouger, sans même ouvrir les yeux.
« J'ai jamais vraiment été suicidaire. C'est même plutôt l'inverse. Mais les Sorciers puissants ont tendance à vivre vieux, et y-a des possibilités que je sois le Sorcier le plus puissant qui soit né depuis ce bon vieux Merlin. Je cherche pas à me faire mousser, et c'est pas juste dans ma tête. »
Drago garda le silence.
« Je suis destiné à voir mourir tous ceux que j'aime, tous ceux à qui je vais m'attacher. Mes amis, mon filleul… J'aurais vu mourir mes parents dans tous les cas, mais… Bon, si un jour, j'ai des gosses, probable que je les vois mourir, eux aussi, et même leurs gosses à eux. Comme si j'étais une espèce de Sinistros à la con. Dans un sens, ça me rassure que Ron et Hermione soient pas là aujourd'hui : si on pouvait vraiment s'éloigner, je veux dire véritablement s'éloigner, je souffrirais peut-être moins quand… »
Potter s'interrompit et prit une inspiration tremblotante.
« Enfin, bref. Comment je me sens ? Je me sens comme un gosse capricieux qui a reçu un cadeau un peu trop précieux qu'il a jamais demandé, et qui sait pas trop comment jouer avec sans l'abîmer. »
Drago avala doucement sa salive et hocha la tête sans ouvrir les yeux.
« Ça ne te ressemble pas beaucoup de réfléchir ainsi à l'avenir et de le craindre…
– Yep. D'habitude, j'essaye de pas y penser.
– Les autres ne t'ont pas trop laissé le choix, n'est-ce-pas ?
– Je leur en veux pas. Ils pouvaient pas deviner que ça me mettrait mal à l'aise, sinon ils auraient rien fait. »
Drago ouvrit un œil et le toisa en haussant le sourcil.
« Tu accordes bien trop souvent le bénéfice du doute aux gens, Potter. Certains jouissent de mettre les autres mal à l'aise.
– C'est pas du tout comparable avec… bafouilla ce dernier. Avec ce que toi, ils te… Enfin, je veux dire : tout le monde aime fêter son anniversaire. Ils pensaient que ça me ferait plaisir. Toi c'est différent. Ils t'embêtent parce que t'es… »
Drago leva le sourcil plus haut encore.
« Merde. Je pensais pas qu'on aurait cette conversation-là aujourd'hui, gémit finalement Potter en se suçotant les lèvres. On peut pas reporter à demain ? S'il-te-plait ? »
Drago haussa les épaules et referma les yeux.
« Ils t'embêtent parce que t'es tellement toujours comme ça, reprit pourtant Potter en attirant de nouveau l'attention de Drago. On dirait que rien te touche, c'est dingue ! Évidemment qu'on a envie de te faire réagir. »
Drago prit une lente inspiration :
« Es-tu en train de me dire que je les provoque en ignorant leurs provocations ?
– Nan, bien sûr, mais… Enfin, tu vois bien comment t'es… Je… »
Potter poussa un nouveau geignement plaintif, et se frotta les yeux sous le verre de ses lunettes.
« Nous ne sommes pas obligés d'en parler, Potter, indiqua Drago avec douceur. Nous ne…
– Bien sûr que si, on est obligés. Si on attend ton signal, ça arrivera jamais. »
Potter ne poursuivit pas, cependant. À croire qu'aucun d'entre eux n'était capable de respecter en engagement quand il concernait l'autre. Leur relation ressemblait à l'une de ces danses de salon ou chaque partenaire, tour à tour, poursuit et se dérobe, insiste et se soumet, propose et se laisse aller. Drago doutait même de pouvoir oublier Potter une fois sorti des murs d'Azkaban. Peut-être deviendrait-il un jour vieux, impotent, peut-être perdrait-il la tête et ses souvenirs et ne se rappellerait que de Potter qui serait toujours dans la fleur de l'âge et au sommet de sa puissance.
« Veux-tu une tasse de thé ?
– Oh, putain, oui. »
Drago se leva et se dirigea vers la cuisine. Il secoua la tête devant les quelques assiettes sales abandonnées près de l'évier mais refusa d'y toucher. Il sélectionna une fragrance douce et fruitée, emplit la théière et commença à compter les minutes.
Il sentit une modification dans la lourdeur de l'air et se retourna.
Potter se tenait dans l'encadrement de la porte, et Drago remarqua que son Glamour avait disparu. Son visage était exsangue, ses traits tirés.
« Il faut que je t'explique ce qu'il s'est passé quand j'ai débarqué ici. »
