Severus Rogue se sentait tout bonnement épuisé.
Le planning des cours mêlé aux réunions de l'ordre et à celles des mangemorts, sans compter les cours particuliers qu'il donnait à Hermione Granger qu'il s'était lui-même infligé, constituaient un programme peu enviable qui ne lui laissant aucun temps pour lui.
Bien que répugné à l'idée de satisfaire les désirs de cette Miss Je-sais-tout, il devait admettre que cette étude lui serait on ne peut plus profitable, et espérait bien qu'elle pourrait en faire bénéficier Potter.
S'il avait renoncé à l'idée d'enseigner quoi que ce soit à ce dernier, il constatait qu'Hermione était beaucoup plus facile à gérer et devait bien avouer qu'il était stimulant d'avoir une élève à l'écoute, aussi horripilante soit-elle. Il considérait qu'elle faisait partie des rares étudiants sachant à peu près quoi faire de ce qui se trouvait entre ses deux oreilles, il était relativement satisfait de son avancée.
Elle parvenait désormais à entrer dans son esprit sans baguette et à y trouver des informations malgré une utilisation légère de l'occlumancie. Il lui fallait maintenant être plus agressive, les intrusions d'Hermione étaient encore bien trop délicates face aux tortures mentales de Voldemort auxquelles il était habitué.
Le professeur de défense contre les forces du mal avait également commencé à lui enseigner l'occlumancie et là encore, il devait admettre qu'elle progressait rapidement.
Si elle n'était pas encore capable de fermer totalement son esprit, elle parvenait de manière très surprenante à brouiller les pistes si bien qu'en continuant ainsi, quiconque essayerait de pénétrer son esprit serait rapidement perdu et se retrouverait alors bien vulnérable face à elle. Bien sûr s'il recommençait une intrusion aussi puissante que la première fois, elle n'aurait pas les armes. Mais il était assez confiant, à la fin de l'année elle serait de taille à résister à de puissants assauts assez longtemps pour avoir le temps de répliquer ou de prendre la fuite.
Les cours se déroulaient de manière sensiblement plus apaisée, elle était un peu plus calme et il la voyait gagner en maturité de semaine en semaine. En revanche, il ne savait pas quoi penser de la manière dont elle le regardait par moment, il avait plusieurs hypothèses en tête et aucune n'était réjouissante. Bien qu'il n'avait pas particulièrement cherché, il n'avait trouvé aucun élément de réponse dans ses pensées.
Finalement il s'en fichait tant que ça ne venait pas perturber leurs séances et qu'elle gardait cela, quoi que ça puisse être, pour elle.
Alors qu'il était en train de déposer certains de ses souvenirs dans la pensine il fut brusquement interrompu par le bruit d'un hibou tambourinant à la fenêtre de son bureau, hibou qu'il reconnut immédiatement comme le Grand-Duc des Malefoy.
Narcissa était de plus en plus inquiète pour son fils, Voldemort donnait de plus en plus de signes de contrariété vis-à-vis de Drago et sa mère craignait plus que jamais qu'il ne s'en débarrasse. C'était une lettre de plus pour lui demander d'achever la mission qu'il avait juré d'accomplir au plus vite, à laquelle il répondit une fois de plus qu'il agirait le moment venu.
Le meurtre de Dumbledore sonnait comme un point de non-retour pour Rogue, marquant la fin du doute dont il bénéficiait auprès de la majorité des sorciers.
Combien de temps vivraient-ils tous après cela, sous la domination du mage noir, combien de temps allait-il vivre lui-même ? Allait-il finalement mourir de la baguette de l'un de ces alliés ou bien de l'un des adeptes de Voldemort, si ce n'est du Seigneur des Ténèbres lui-même ? Dans tous les cas il allait vivre et mourir comme un traître dans un camp comme dans l'autre, ce qui le représentait finalement plutôt bien selon lui.
Il observait le hibou repartir dans l'obscurité naissante et soupira en entendant quelques coups à la porte. Vingt heures tapantes, elle était toujours à l'heure. Il attendait avec impatience le moment où il pourrait lui soutirer des points de maison pour un retard, si tant était que cela puisse arriver un jour.
Il avait déplacé leurs séances dans son bureau, beaucoup moins accessible à un éventuel perturbateur que sa salle de classe.
- Professeur, le salua Hermione.
- Asseyez-vous.
Il commençait toujours par l'occlumancie jusqu'à qu'il la sente s'agacer de ne pas parvenir à lui bloquer l'accès à certains souvenirs. Il avait remarqué que ça la rendait hargneuse et qu'elle était alors par la suite plus efficace dans sa legilimancie.
Ce soir ne fut pas différent des autres, il avait mis en lumière les souvenirs de la Gryffondor en lien avec Drago Malefoy et plus particulièrement les fois où il l'avait traité de Sang-de-Bourbe, ce qui eut le don de la mettre en colère. Lui-même, pour des raisons inavouables, n'était pas resté indifférent à l'évocation de ces insultes.
Il mit fin à cet exercice en la voyant bouillonner, et lui fit signe d'inverser les rôles.
Il fut tellement surpris de la puissance de son attaque, qui fut pour la première fois légèrement désagréable, qu'il ne put réagir à temps. Tout se passa très vite.
- C'est vous qui devrez me tuer.
- Vous voulez que je le fasse maintenant ? Ou souhaitez-vous que je vous accorde quelques instants de répit pour composer une épitaphe ?
- Oh, nous ne sommes pas pressés. J'imagine que l'occasion se présentera le moment venu. Étant donné ce qu'il s'est passé ce soir, on peut être sûr que ça arrivera d'ici un an.
- Si mourir ne vous gêne pas, pourquoi ne pas laisser Drago se charger de vous tuer ?
- L'âme de ce garçon n'est pas encore trop abîmée, je ne voudrais pas qu'elle soit ravagée à cause de moi.
- Et mon âme à moi, Dumbledore ? La mienne?
…
- … surtout un panier qui passe autant de temps accroché au bras de Lord Voldemort.
- Ce que je fais sur vos ordres !
…
- Ne soyez pas choqué Severus. Combien d'hommes et de femmes avez-vous vu mourir ?
- Récemment, seuls ceux que je n'ai pas pu sauver.
…
- … vous l'avez élevé comme un porc…
Rogue se précipita sur Hermione qui s'était levée et avait reculé de quelques pas, effrayée. Il paraissait fou, sa baguette était pointée sous le menton de la jeune femme, interdite.
Il respirait profondément pour se calmer pendant que les yeux d'Hermione se remplissait de larmes à mesure qu'elle comprenait ce qu'elle venait de voir dans l'esprit du potionniste. Elle sentait sa baguette s'enfoncer presque douloureusement dans sa peau et essayait en vain de le repousser.
- Vous ne pouvez pas être en possession de ces informations, c'est impossible.
Alors qu'elle comprenait où il voulait en venir, elle laissa couler ses larmes sans aucune retenue.
- Non, NON ! Je vous en prie, ne faites pas ça, je ne dirais rien, ne faites pas ça.
- Je n'ai pas le choix, Miss Granger…
- Non s'il vous plaît, s'il vous plaît, regardez ! l'implora-t-elle.
Il lui accorda quelques instants et plongea dans ses yeux sans aucun effort.
Elle lui montra à quel point elle se sentait mal avant de débuter les leçons avec lui, ce sentiment omniprésent que le pire pouvait lui arriver à tout instant et cette impuissance qui la rongeait petit à petit. Elle avait peur de revivre l'enfer.
Elle lui montra son évolution, sa confiance en elle qui s'était décuplée depuis qu'il lui enseignait les magies de l'esprit. Elle s'était apaisée, avait retrouvé le goût de se battre, elle avait retrouvé l'espoir. Elle avait peur d'être privée de ce savoir.
Et enfin elle lui montra le manuel de potion, le Prince de sang-mêlé, sa quête de réponse et la fascination, l'adoration et l'attirance qu'elle éprouvait pour le Prince, sentiments qui ne cessaient de s'accentuer à lui en donner le tournis. Elle avait peur de perdre sa proximité avec lui.
Elle lui hurlait qu'elle ne voulait pas perdre tout ça et qu'elle en avait besoin, elle le suppliait de ne pas lui faire oublier.
Il prit soudain conscience de la main d'Hermione posée sur lui, n'essayant plus de le repousser mais au contraire qui saisissait son col comme si sa vie en dépendait. Il baissa sa baguette malgré lui et recula d'un pas, affaibli. Le regard d'Hermione était d'une telle intensité qu'il cessa de réfléchir un instant.
- Je vous en prie, je vous promets, je vous jure…
- Partez, souffla-t-il.
Elle s'en alla aussi vite qu'elle put, courant à en perdre haleine à travers les couloirs, dévastée.
Lui faisait les cents pas dans son bureau, se maudissant de tous les noms. Comment avait-il pu commettre une telle erreur ? Il n'avait fallu qu'un foutu hibou pour le détourner de sa pensine. Comment s'était-il retrouvé à baisser sa garde à tel point qu'il avait pu laisser passer une telle bombe ? Comment diable avait-il pu laisser cela se produire ?
Finalement, il se laissa tomber sur son fauteuil en passant une main dans ses cheveux, essayant difficilement de mettre de côté les images de ce qui lui serait arrivé si c'était Voldemort qui avait vu tout ça.
Et il l'avait laissé partir en plus. Qu'est-ce qui avait pu le convaincre de la laisser filer sans lui lancer le sortilège d'amnésie ? Sa santé mentale fragile ? La contrariété d'avoir fait tout ça pour rien alors qu'elle commençait à atteindre un niveau très correct pour son âge ? Sa prétendue attirance pour lui ? ''Bon sang elle devient folle'' se disait-il.
Comment pouvait-elle en être arrivée ce point ? ''Encore une foutue histoire de bouquin'' pensa-t-il avec ironie en repensant à son ancien manuel de potion. Elle savait tellement de choses maintenant. Il devait en parler à Dumbledore, après tout c'était son plan, c'était à lui de voir ce qu'il fallait faire de Granger.
Sans attendre une seconde de plus il se rua dans le bureau du directeur, furibond.
- Que sait-elle exactement ?
- Elle sait que vous m'avez demandé de vous tuer, que je passe du temps avec Voldemort sur vos ordres…et il n'est pas impossible qu'elle comprenne rapidement la destinée de Potter.
- Comment peut-elle savoir tout ça, Severus ?
- Vous avez approuvé ces leçons, ce sont des choses qui arrivent quand on laisse régulièrement quelqu'un fouiller ses souvenirs !
- Pas à vous.
Rogue renifla et lui lança un regard meurtrier.
- Vous croyez que je l'ai fait exprès ?
Les yeux bleus du directeur le transperçaient.
- Que comptez-vous faire à ce sujet ?
- Je ne sais pas.
- Vous la connaissez bien mieux que moi désormais, je vous laisserai prendre cette décision.
- Comme c'est aimable, lâcha Rogue.
Rogue était sorti du bureau de Dumbledore presque plus énervé que quand il y était rentré. Il marchait à pas rapide dans le couloir en se demandant où pouvait être Hermione.
Il fallait absolument qu'il la questionne, qu'il l'empêche de raconter tout ça à n'importe qui, il ne pouvait pas se le permettre. Il espérait qu'elle n'était pas retournée à la salle commune de Gryffondor tout de suite, et qu'elle n'était pas déjà en train de se confier quelqu'un. Il ne pouvait pas attendre le lendemain. Il finit par envoyer un des elfes de Poudlard aller la chercher.
Elle avait l'air d'avoir vécu une année de misère lorsqu'elle pénétra dans son bureau une heure plus tard. Pour la première fois, Rogue donnait l'impression qu'il ne maitrisait pas totalement la situation.
Il fixait la jeune Gryffondor, cherchant par où commencer, alors que celle-ci semblait se donner du mal pour retenir ses larmes. Contre toute attente ce fut elle qui brisa le silence.
- Parliez-vous de Harry, Monsieur ?
- Je vous demande pardon ?
- Quand vous disiez à Dumbledore qu'il l'avait élevé comme un porc… sa voix se brisa.
Il soupira, évidemment qu'elle avait compris tout de suite.
- Oui.
- Mon dieu, chuchota-t-elle. Alors c'est comme ça que ça doit se finir ? Vous tuez le Professeur Dumbledore ? Harry meurt ? Et vous alors ? Et Voldemort ?
Ses sanglots laissaient place progressivement à la colère.
- Vous allez tuer Harry ?
Il aperçut son regard s'arrêter sur son bras, sa manche légèrement relevée laisser apparaître l'extrémité de sa marque.
Il dut se faire violence pour s'empêcher de lui lancer un maléfice cuisant. Il ne savait pas s'il devait la foudroyer sur place, lui laisser du temps ou bien lui expliquer.
- Non, gronda-t-il.
Elle fondit en larme à nouveau.
- Écoutez-moi, Miss Granger. Je ne suis pas le principal protagoniste de cette histoire, je suis tenu à l'écart d'un certain nombre de choses. Je ne peux pas vous fournir les réponses que vous cherchez, et quand même bien je le pourrais, vous n'avez pas à savoir cela.
Il la sonda, difficilement. Il ne put que constater les progrès qu'elle avait fait en occlumancie en la voyant se renfermer sur elle.
- Vous n'auriez pas dû apprendre ça. Vous ne devriez pas… Il vaudrait mieux pour tout le monde…
- Non.
Il ne l'avait jamais connu si butée, il fut presque tenté de lire en elle pour comprendre ce qu'elle avait en tête. Les heures passées dans son esprit avaient fini par avoir un impact sur lui, il la connaissait en effet un tant soit peu et était plus que frustré de ne pas parvenir à la déchiffrer à cet instant.
S'écoulèrent alors de longues minutes dans le silence le plus total. Rogue la voyait passer par tous les états possibles jusqu'à qu'il s'insinue en elle juste assez pour lui intimer de se calmer.
Et voilà de nouveau ce regard le parcourant lentement de haut en bas, ses joues s'empourprant imperceptiblement.
Il s'avança vers elle avec prudence, comme si elle pouvait se jeter sur lui à tout moment.
- Arrêtez ça, Miss Granger.
Il crut entendre une faible plainte qui ne lui semblait pas destiné et discerna dans ses yeux un désespoir immense associé à une certaine lueur qu'il aurait qualifié de suppliante. Elle s'effondrait.
