C'était plus facile de détecter les grands changements au sein de son propre Chœur, question de résonance entre essences similaires. De fait, Raphaël avait été en première ligne pour percevoir la déflagration.
L'espace d'un instant, tout avait été silence, puis ses frères et sœurs cadets avaient éclaté en une assourdissante cacophonie de confusion, de terreur et généralement de panique, un nouvel Archange venait de faire son apparition et comment était-ce possible ?
Pour sa part, le guérisseur avait une très nette idée de l'identité de la coupable – seule l'engeance de Gabriel était en mesure de provoquer pareil chaos, à la fois en raison de ses ascendants et de ses circonstances particulières.
Suivre la piste de l'écho s'avéra d'une facilité quasi insultante. Mais vue la scène sur laquelle il venait de tituber, il aurait sans doute préféré ne pas réussir à remonter à la source.
Ce spectacle consistait en une déesse Norroise fraîchement pourvue de tous les attributs archangéliques, avachie sur un demi-dieu grec couché dans une flaque de sang, sous le regard traumatisé de Gabriel qui aurait dû être au lit. Raphaël en avait vu d'autres, mais apparemment il n'avait pas fini d'en voir.
Bon, première règle du médecin : déterminer qui a le statut le plus nécessiteux de soins. Toute traumatisée qu'elle fusse, au moins Gabriel était consciente, alors ça laissait les deux jeunots et Raphaël savait personnellement que l'Ascension n'était pas des plus agréables – ce qui réglait la question.
Il ne put s'empêcher de sentir ses propres ailes sursauter alors qu'il se penchait sur la fille. Au cours de tous ses millénaires d'expertise, il avait acquis la certitude qu'une âme était une caractéristique typiquement humaine : l'essence de divinité ou la grâce angélique pouvaient faire office de substitut, mais ils ne pouvaient pas cohabiter dans un seul et même être. C'était pratiquement une des fondations de l'Univers.
Et pourtant, cette jeune femme blonde détenait les trois, une âme on ne peut plus humaine portée par des ailes gracieuses et emmaillotée dans une brume de magie divine. Une contradiction ambulante, un être en patchwork qui ne devrait même pas pouvoir vivre plus de trois pétouillettes de seconde et elle respirait malgré tout.
Le guérisseur pinça l'arête du nez de son véhicule.
« Gabriel » grogna-t-il, « pourquoi faut-il que tes protégés soient impossibles ?! »
Sa désolation exaspérée ne reçut qu'un bref carillon vaguement amusé en dépit de la confusion.
« Il faut croire que c'est un don spécifique à ma lignée. »
Agacé, l'Archange brun détourna son attention sur le jeune homme brun en dessous de la fille. Voyons, c'était supposé être un rejeton du panthéon grec, autant se préparer à leur aura générale de lubricité qui ne lui plaisait jamais guère… Il lui effleura la gorge du doigt.
Et cligna des yeux.
« Heum… Gabriel ? »
« Oui ? »
« Toi qui as de l'expérience avec les panthéons païens, aurais-tu déjà croisé un cas de régression ? Un dieu d'origine humaine redevenant un mortel ? »
Cette fois-ci, le carillon exprimait un ahurissement franc et net.
« Non, je ne crois pas que ce soit possible… Pourquoi ? »
« Parce que j'ai un gamin-là qui témoigne que ça arrive. Regarde-le donc de près, si tu ne me crois pas. »
Un moment de silence, pendant lequel tout un bataillon des cadets de Raphaël aurait pu défiler tranquillement.
« … D'accord, ma lignée doit avoir un problème » concéda Gabriel, la voix subitement peu assurée.
Le médecin des anges se passa une main sur la figure. Dans des moments pareils, l'addiction à la nicotine de son véhicule se faisait horriblement tentante.
« Je vous ramène tous chez Singer. Pour commencer, tu ne devrais même pas être partie de là-bas, ensuite, cet appartement n'est plus sûr, et enfin, je ne peux pas continuer cette conversation sans une bouteille d'alcool. »
« Je croyais que ça te faisait pas d'effet, l'alcool. »
Raphaël en avait conscience, mais rien que cette fois, il voulait prétendre le contraire.
